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Travaux en cours - Page 9

  • 2664

    La porte du bureau est ouverte pour laisser rentrer la chaleur. Les chats s'y invitent donc. Il y a un oiseau dans le bureau, reclus ici pour l'abriter des chats, justement, d'habitude. Les chats viennent l'entourer avec gourmandise et, saisis parfois d'un désir irrationnel, bondissent sur la cage. S'en suivent fracas, débandade, dérapages, injures. Je vous demande de penser à tout ça quand vous lirez « La Grande Sauvage ». Si toutefois j'arrive à l'écrire.

  • 2661

    Te voilà, c'est toi. Grand cadeau minuscule. Un elfe, une fée, un farfadet, une incarnation, le projet neuf de nos vies. Te voilà, c'est toi, le plus petit géant du monde. Te voilà, Petit Poucet majuscule. Et moi, qui te vois si menu, je me sens grandir, de la terre jusqu'aux nues, j'ai des rires de géant, je suis le père d'une chimère. Il en faudrait des moulins, des fous, des assassins, pour venir à bout de notre force. Il en faudrait des guerres et des séismes pour faire trembler nos murs, il en faudrait. Qui nous résisterait ? Qui pourrait anéantir notre douce tribu ?

     

    Extrait de "Voir Grandir". Sur scène en 2016. Musique de Jérôme Bodon-Clair.

  • 2656

    Tandis que tu m'enveloppes de bien, je sens monter le froid des haines. Je n'y peux rien. Je mesure ta force, de parfum et de calme, mais on accumule pour toi des orages vénéneux. Je vois grandir les choses qui nous emporteront. Des haines aux griffes tendues par la fenêtre. Mais je refuse de te penser comme une proie, tant que je suis là. Alors je te berce, rien n'est advenu. Tu as le temps. Reste endormi je te prie, sans autre souci qu'une faim qui mûrit.

    (Cette incapacité à jouir pleinement des meilleurs moments de la vie.)

  • 2652

    Passer la main, passer puisque l'on passe. Je marche devant toi, je marque le passage, la trace lentement se creuse. Le jour pousse sa pointe entre la terre et l'horizon, je t'emmène vers cette aube que je ne pourrai respirer. Moi, je vais trouver la nuit et te laisse la maladresse du jour. Je passe la main, dans ta main je laisse des mots, un jeu, une clé, une recette de gâteau, une démarche, un accent, un tour d'automobile, des chansons et quelques anathèmes. Passer puisque l'on passe. Sur le chemin tu vas vite, tu passes devant moi, tu t'éloignes. Je te vois là-bas, aminci, découpe noire dans la toile cirée du soleil. Je m'arrête où je suis, au seuil du soir. Tu te retournes, tu me salues, je réponds à ton salut, ne m'oublie pas, va, ne perds rien de moi.

  • 2650

    "Que dirais-tu du peuple, Martin ? Le distingues-tu entre les mouvements de la foule ? Qui est-il ?" Ce n'était pas une véritable question, l'Architecte devança la réponse de Martin qui n'aurait su être que Je ne sais pas, son regard était sur lui, le traversait, flottait sur les rais du jour, voguait loin sur les toits, la Seine, le pays, l'éternité monumentale pour laquelle il avait la conviction d'œuvrer. " L'an dernier, à peu près à cette époque, ou était-ce plus tôt, je ne sais plus, les barrières de Paris ont brûlé... sauf celles du duc d'Orléans. Des émeutiers ont saccagé la maison de Réveillon et ruiné son commerce... les poches des meneurs contenaient des Louis empaquetés. Les grenoblois ont jeté des tuiles sur la troupe, mais c'était pour défendre les notables de leur Parlement. Qui est le peuple ? les ouvriers des manufactures du faubourg Saint-Antoine, les miséreux de Saint-Marcel, les femmes venues à Versailles, les harangueurs du Palais-Royal, la foule qui cherchait de la poudre à la Bastille ? Des sociétés, des motifs, des espoirs  différents. Qui est le peuple ?" Martin fit un mouvement, la chaise craqua, l'Architecte leva un regard surpris. "Le peuple, dit Martin, c'est le nombre. Et le nombre avait faim."

    La Grande Sauvage - Écriture en cours.

  • 2644

    Beauvilliers leva son verre ironiquement. Il était froid de ton et de regard, ne tentait pas de cacher son amertume. Martin hocha la tête, remercia. La voix de Beauvilliers accompagna ses derniers pas jusqu'au seuil : « Tu n'aurais jamais fait un grand cuisinier. Au mieux, un excellent second. C'est ta nature. Tu seras toujours le domestique d'un autre, le servant, l'assistant. Ne t'illusionne pas. Tu es un serf. D'autres crises ont eu lieu, d'autres frondes, des bouleversements dans lesquels les plus humbles ont cru renverser leurs maîtres. C'est un leurre. Aucune révolution n'est assez profonde pour inverser les rôles. »

    "La Grande Sauvage" - Travail en cours. Extrait.

  • 2638

    Et je réalise que « Pieds Nus sur les ronces » étant terminé, il faut que je reprenne le collier et revienne à l'écriture quotidienne de blog. Dans quelques jours, je listerai quelques rendez-vous du public avec « Les Nefs... ». En attendant, vite trouver une historiette, une saynète, un axiome, un poème, un bon mot ou un billet d'humeur, ou encore évoquer les chantiers en cours. Tiens, oui : un chantier en cours. Ce pourrait être une évocation de « La Grande Sauvage », comment l'Histoire semble vouloir s'accorder à mon récit imaginaire et m'offrir tout le matériel nécessaire, personnages, situations, événements petits ou grands, pour épauler le parcours de mon personnage. Le très-taiseux Martin. Ce pourrait être la piste de réflexion qui soutient ma prochaine pièce : Minotaure. Oui, arrêtons-nous là-dessus : Minotaure. Deuxième volet du diptyque commencé avec Pasiphaé. Le texte qui suit ne servira pas sur scène, il est comme une amorce pour une pelloche, qui entraînera la suite du film  (sauf si le ruban casse), il me sert d'incipit, devrait enclencher l'écriture de la pièce.

     


    J'ai les mots.


    Je suis de ce monde. Je suis de là. Je suis là. Je suis entré là. Entré un jour trop ancien pour que je m'en souvienne. Un jour. Entré un jour. Entré, je ne sais pas si c'est le mot. Entré. Un jour. Je ne sais pas si c'est le mot.
    Je suis entré un jour dont je n'ai pas mémoire. Je suis là. Depuis que j'ai ouvert les yeux je cours sous le couvercle d'un grand feu sec ou sous la paume d'un vide noir piqué de petits feux.
    Je cours sous l'un ou l'autre. Sous le grand feu ou sous la paume noire. Je ne sais pas si ce sont les mots, le feu, la paume.
    Mon monde est un chemin que je connais mais qui parfois m'échappe, un sentier, une piste coupée d'angles. Avec des pièges qui font mal.
    Des fois, je jette mes cornes aux parois, elles font des traces brunes et sanglantes que je retrouve sur mon chemin, après, longtemps après, des feux et des paumes passés.
    Je touche la trace sur le mur, ça me fait drôle de trouver mon odeur et la couleur qui vient de moi, ça fait un peu mal au ventre. Je reste longtemps à regarder ma couleur, à sentir ma trace. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai de la peine quand je vois que je suis revenu là où j'ai eu de la colère. Quand j'ai cogné le mur j'avais de la colère et j'ai laissé la trace, et mon odeur, mon odeur de colère. Et de la retrouver, la colère me revient. Et ça me fait de la peine.

    Je ne suis pas seul. Enfin je suis seul mais parfois on vient sur mon chemin. Je suis content quand on vient. Des créatures. Je ne sais pas si c'est le mot. Créatures. Les créatures sont sur mon chemin. Elles sont entrées. Je ne sais pas comment. Je n'arrive pas à savoir. Elles sont de derrière les murs. Sur un autre chemin. Elles se trompent de chemin. Ou peut-être qu'elles viennent me chercher ? Jouer avec moi ?
    Hors de mon monde, les créatures chantent. Je les écoute parfois. Je comprends que c'est loin. Elles doivent être nombreuses ou bien ce sont les mêmes qui reviennent. Mais ça, je ne crois pas. Je crois qu'elles sont nombreuses.
    Parfois elles entrent chez moi et sont sur mon chemin. Je les accueille dans un cri de joie. Elles tombent et ne chantent plus.
    Je n'aime pas qu'elles tombent.
    Je cours seul ensuite entre les murs de mon monde, sous le grand feu sec ou le vide noir avec de temps en temps, un gros caillou blanc jeté contre ce vide, et qui ne tombe pas.

    J'ai ouvert les yeux il y a longtemps.


    J'étais tout seul. Je ne sais pas si j'ai eu peur. C'est loin. J'ai eu peur après, des feux et des paumes passés. Beaucoup de feux et de paumes. La peur m'est venue. Pas tout de suite, Je ne crois pas. Pas tout de suite. Je ne crois pas. Je répète les choses. Souvent, je répète les choses. Pour qu'elles entrent en moi. Des fois, je répète la même chose longtemps, des feux et des paumes. Longtemps. Longtemps. Je ne sais pas pourquoi. Je les répète. Je répète les petits cris, les mots que j'ai imaginés. Et je les répète. Et il arrive que ça use les mots. Les petits cris se détachent, ils sont plus petits, les choses ne les reconnaissent plus. Les choses ne sont plus contentes du mot que je leur ai donné. C'est quelque chose qui me fait peur, qui me fait mal à la tête quand un mot n'est plus avec la chose qu'il dit. La peur fait un trou qui grandit dans mon ventre. Un trou où s'installe une paume noire. Il faut que j'arrête de répéter les mots parce qu'un jour, je n'en aurai plus. Et ça me fait peur. Je n'ai pas eu peur tout de suite. Au début. Il y a longtemps. Je répète. Il faut que j'arrête de répéter.

    Avec le temps, des cris me sont venus, qui disent les choses. Les mots. J'ai les mots maintenant. Je ne sais pas d'où ils viennent, mais j'ai les petits cris qui désignent. Je les possède. Je vois une chose, je dis le petit cri et la chose se reconnaît dans ce petit cri qui est le mot. Je vois bien que la chose se satisfait du mot que je lui donne. J'aime bien quand les choses sont contentes des mots. De leur mot. Après, le mot est à la chose. Il n'est plus à moi. Pourtant, c'est moi qui l'ai donné. D'y penser, ça me fait tourner la tête. Et même le mot « tête » c'est moi qui l'ai donné à ma tête pour que je puisse dire ça. La tête qui tourne. Je suis sûr que personne ne sait faire ça. Personne n'est aussi malin que moi.
    Je peux désigner un mur et le dire
    Je peux serrer contre moi une créature et la dire
    Je peux dire mes yeux levés au dessus des parois
    et dire le grand feu sec qui me domine.
    Je ne sais pas le temps qui est passé depuis le premier feu
    depuis que j'ai pu dire le premier feu.
    Je ne sais pas cela mais je sais que beaucoup de temps est passé.

    Quand je dis mur, il y a un vide dans ma grosse tête.
    Qui a construit le mur, et le suivant, et tous les murs ?
    Mon monde est fait de murs.
    Je me sens bizarre et petit quand je songe à qui a construit les murs
    et quand je songe à l'étendue des murs.
    Avec le temps, les questions me sont venues.
    Avec le nom que je donne aux choses.
    Le grand feu sec et la paume noire et vide,
    le chemin, les parois et le froid,
    les créatures et mes cornes,
    les couleurs que je fais sur le sol après manger et qui sentent,
    le frisson qui me tient quand je pense à l'étendue des murs,
    et j'ai aussi un cri pour le caillou planté dans le vide
    J'ai des sons pour tout cela, et même ces sons, je leur ai donné un cri.
    Je dis qu'ils sont des mots.
    Les créatures du dehors ont des mots qui chantent.
    Les créatures ont des mots qui vont vite et font des bruits d'ailes et de pluie.
    Mes mots, à moi, ne chantent pas. Ils font des bruits de corne qui racle la terre.
    Je voudrais rejoindre les créatures dehors
    pour chanter avec elles.
    Je frémis de toute ma grosse tête en pensant à ce moment.
    J'ai peur aussi.
    Peur de sortir de mon monde, mais je crois qu'il le faut. Il le faut. C'est drôle, cette idée. Il faut. Il faut que je sorte. Mais je ne sais pas pourquoi c’est aussi important pour moi. En attendant, je cours.
    J'ignore si je dois courir longtemps.
    Parfois, je pense que c'est impossible et que je devrai courir pour toujours
    Sans espoir de sortir.
    Alors, le mufle planté dans la face du vide ou dans l'éclat du grand feu,
    je lance de longs cris.

    Le caillou, là-haut, garde sa tête de caillou.

    J'essaye de chanter comme les créatures mais je chante si mal,
    je vois leurs yeux agrandis.
    Je les serre contre moi et les créatures tombent.
    Je n'aime pas qu'elles tombent.
    Elles tombent tout le temps.
    J'ai pensé qu'elles tombaient à cause de moi.
    Depuis que j'ai pensé ça, je ne les touche pas. Je les laisse.
    Elles marchent ou font des courses dans mon monde. Je les regarde sans les toucher, courir et jouer avec les murs. Elles laissent aussi des traces. Je sens leur couleur et leur odeur laissées contre les murs. Ça me fait de la joie drôle, qui me fait sentir mou à l'intérieur de moi. Comme si c'était mon odeur, mes couleurs, avec juste un peu de différence. Mon odeur et mes couleurs faites par d'autres que moi.
    Ma grosse tête pèse sur mes épaules et sur mon cou. Elle me fait mal.

    Je sais une chose. J'ai compris une chose : les créatures ne viennent pas pour jouer. Ça ne leur plaît pas d'entrer, de se tromper de chemin. Elles veulent sortir. Comme moi elles veulent sortir mais elles, elles viennent d'ailleurs. Leur monde. Je ne sais pas ce que c’est, je ne sais pas si c'est mieux qu'ici. Ce serait étonnant. Ici, c'est bien. Enfin, elles courent, elles cherchent. Un peu comme moi, mais avec plus de vitesse et de cris. Tout ce qu'elles font, elles le font très vite. C'est joli à voir. J'aime leur vitesse.
    Je les accompagne, je cours avec elles et je pense qu'elle sont malignes, et qu'elles vont trouver la fin du dernier mur, l'angle qui ne ferme rien.
    Je suis alors tout en joie et en rire. Je cours avec elles, je cours avec elles.
    Les créatures se fatiguent vite. Je ne les touche pas mais toujours, à la fin, elles tombent.
    Après, comme j'ai faim, je les mange.
    Je mange leurs couleurs et cela fait un goût très fort que j'aime.
    Quand les créatures sont dehors, quand elles refusent de venir. Je ne sais pas pourquoi elles refusent de venir. Quand je suis seul, je m'ennuie. Je m'ennuie ou alors j'ai peur. J'ai tellement peur qu'elles ne reviennent pas, qu'elles ne reviennent jamais. J'ai tellement peur d'être seul pour toujours. Quand je sens et cette solitude et cette peur, j'utilise les cris qui désignent, je les fais tourner dans ma tête.
    Je fais ça longtemps, pendant tout le parcours du grand feu sec que j'appelle jour
    et jusqu'au moment de la large paume noire que j'appelle nuit.
    Et le caillou, je l'ai appelé lune.
    Et ça me fait mal à la tête et partout, et ça me fait de la peine, une peine plus grande que tout. Plus haute que les murs.

    J'entends du bruit. Les créatures sont revenues. Je vais jouer avec en essayant de ne pas les faire tomber. Un jour, l'une me montrera. Elle trouvera la sortie. Elle voudra de moi. Quand je pense à ce jour, je frissonne et je suis énervé, et fiévreux, et j'ai peur aussi. Elle ouvrira ses bras et je me blottirai contre elle pour dormir. Elle me bercera et ce sera bien. Je rêve de ce jour.

  • 2581

    L'enjeu (un des enjeux majeurs), c'est que La Grande Sauvage, ne raconte pas la Révolution Française de la même façon que les autres. Le style, bien sûr, l'angle pris, les thèmes, mais aussi les personnages, ne seront pas ceux des autres récits. Un indice, ICI.

  • 2570

    Quand on écrit, bien sûr, le retour des lecteurs est essentiel, mais la cerise sur le gâteau, le jugement qui sait émousser les doutes, c'est celui de ses pairs, et notamment d'auteurs qu'on admire. Après Daniel Arsand, Laurent Cachard, Christian Degoutte, Maryse Vuillermet, Clément Bénech, Alice Ferney et Lionel Duroy, ce sont les mots d'Axel Kahn que je découvre, sur son blog, à propos de "L'Affaire des Vivants". C'est aussi un peu plus de pression pour "La Grande Sauvage". Je crois aussi que Laurent connaît M. Kahn et je suppose qu'il fut mon héraut en l'occurrence.

    Extrait : " Plus encore que l’histoire fort bien troussée, quoique parfois un peu “à la manière de “, c’est le style éblouissant qui mérite vraiment que tous ceux qui aiment la littérature, ses images, sa musique et sa langue, lisent cet ouvrage sans tarder. Une vraie découverte littéraire."

    Si on m'avait dit qu'un jour...

  • 2557

    Il y a cette sensation qui se produit quand le roman prend corps. On est loin du but, bien sûr, mais on sait que le récit se tient, qu'il a désormais son rythme propre, qu'il « ressemble à quelque chose ». D'une certaine façon, le roman, au stade où vous êtes, vous apaise et vous fait comprendre qu'il est définitivement sur les rails. Elle est complexe à définir, cette impression, elle est assez semblable à celle que j'avais lorsque je faisais le portrait de quelqu'un, jadis, du temps où je croyais faire ma vie dans le dessin et la peinture. C'était le moment assez magique où, les traits de modèle devant moi se multipliant, commençait à s'affirmer une ressemblance. Un tressaillement me parcourait, je savais que j'y étais. Quoiqu'il arrive, mon dessin serait bel et bien le portrait de la personne que j'avais devant moi.  Il faut dire aussi que c'était à chaque fois un émerveillement. Malgré l'entraînement que j'avais, quand je commençais mon dessin, je n'étais jamais sûr d'accéder à cet instant décisif (et il m'est arrivé d'échouer). Aujourd'hui, transposé au roman, je peux dire que c’est la même sensation. Quand j'entame le chantier, que je pose les premières lignes, il n'est pas certain que je parvienne au terme d'un travail aussi énorme. Et puis, donc, il y a ce moment, très étrange, très particulier, où je sais qu'il trouvera son achèvement.
    C'était hier, pour « La Grande Sauvage ».

  • 2547

    Canicule. Tout s'évapore, même l'envie de travailler.

    La tête encore toute sonnée de l'ultime relecture des mes « Nefs... » avant impression, incapable de reprendre l'écriture d'un récit qui se déroulerait au XVIIIe siècle français. Pour une fois, aujourd'hui, je vais m'accorder des vacances. Une journée, une seule, que ça ne devienne pas une habitude.

     

    (et toutes mes excuses pour l'absence d'hier)

  • 2543

    L'intuition ne vaut pas la culture, mais c’est une étrange sensation de voir la première confortée par la seconde. Ainsi, l'autisme de nos gouvernants qui refusent un changement en profondeur de la société, et tournent le dos à l'insurrection qui vient, a, pour l'amateur, une parenté avec l'inertie du régime d'avant 1789. Et la vérité, c'est que le parallèle est non seulement possible, mais de plus en plus évident au fil des lectures des textes d'époque.
    Plus qu'à attendre.

  • 2532

    J'ai calculé qu'il fallait sept heures de marche à un cheval au pas, pour faire le tour du Parc du château de Versailles, en 1789. Le genre de détails qu'on est susceptible d'étudier, quand on écrit « La Grande Sauvage ». On est aussi susceptible de ne pas utiliser cette information pourtant capitale. Il est même très probable qu'au bout du compte, on se soit juste fait plaisir à se pencher sur la question. Et maintenant, combien fallait-il de types armés d'arrosoirs pour que les milliers d'hectares de pelouse du parc restent impeccablement verts pendant l'été ?

  • 2530

    Il est seul à présent, médite autour des bêtes lentes. L'une d'elles s'est éloignée, un peu trop, il l'appelle, elle détourne son mufle, poursuit indifférente sur une pente qui s'incline vers le hameau. Martin la connaît, il faut qu'il aille lui parler, il n'y a pas de chien pour rabattre, enfin ceux qu'on lui a confiés sont joueurs et inefficaces, il préfère rassembler lui-même. Il descend sans hâte à sa rencontre, sans hâte et sans mot, presque sans bruit, à son habitude. La vache s'est arrêtée vers une haie d'aubépines. Soudain, elle fait un écart, détale la queue en l'air, effrayée. Dans ce mouvement, elle libère la vue et Martin découvre une femme vêtue d'une délicate robe de linon blanc, coiffée d'un chapeau de paille rond et large. Et le visage, dans l'ombre du chapeau qui se relève, l'ovale qui est alors porté dans la lumière, est celui de la reine.

     

    Extrait. La Grande Sauvage. Écriture en cours.

  • 2526

    Bureau_LGS.JPG"La Grande Sauvage" : c'est reparti !

     

    Au premier plan : des livres, revues et récits sur la Vendée, les colonnes infernales, etc. ; tout près, un récit de la journée du 1er janvier 1789 ; à côté, un livre sur les bibliothèques des colporteurs au XVIIIe ; ensuite, une série de documents, dictionnaires, livres d'historiens (Mona Ozouf -merci les Leroux- Furet, Michelet, Taine, Bertaud, etc., etc.), plus loin, on reconnaît les dos de deux Pléïades (c'est Rétif de la Bretonne : tout ce qu'il me faut sur la langue de l'époque) ; ensuite, quelques romans, dont "Quatre-vingt-treize" du père Hugo, "Les Onze" de Michon, le (pas encore sorti) "Fleuve Guillotine" de Antoine de Meaux, etc. ; pas loin : les numéros de la revue "Papilles" qui parlent de la gastronomie sous la Révolution ; les reliures anciennes sont celles des huit volumes du Tableau de Paris, de Mercier (éditions d'époque, prêtées par mon éditeur) ; et enfin, à côté de l'ordinateur, parce que c'est le sujet des premiers chapitres : revues, beaux livres et documents sur le hameau de Marie-Antoinette. Tout cela ne tient pas compte, bien entendu, des documents trouvés sur Gallica (le site de la BNF) et où j'ai pu trouver encore et encore des milliers de choses précieuses. Rassurez-vous, la moitié des livres ont déjà été sondés et annotés, la plupart des revues ont été décortiquées et ce que je devais en retirer, repris sur l'ordinateur. N'empêche, c'est effrayant et heureusement que ma douce me soutient.

  • 2520

    "Sur le port, des sonneurs entonnèrent la plainte qui fut reprise autour de l'Arsenal, sur la rade, les digues, dans les quartiers, depuis les tours. Tout Basal, puis les villages aux rives de Myrâ, et bientôt toutes les nations apprendraient que la neuvième chasse avait échoué et que, pour un cycle entier, pour les vingt-cinq années à venir, le malheur allait s'abattre sur les enfants de Pangée."

     

    Les Nefs de Pangée. Extrait. A paraître en septembre chez Phébus.

  • 2508

    *Mer'scia ; pluriel : meér’scia
    Vieille, en Ghiom, surnom familier des vénérables (et peu apprécié par les intéressées). C'est aussi, pour certaines raisons, le surnom de la mena, bateau ventru et difficile à diriger.

     

    (Les Nefs de Pangée. Extrait du Glossaire.)

  • 2507

    Murscîn
    Concept propre au peuple de Memphée. Désigne le sentiment d'un accomplissement au terme d'une durée où le temps s'est en quelque sorte aminci, épuisé de lui-même, et présente l'achèvement d'un cycle ou d'un phénomène, la résolution d'une décision, comme inéluctable.

     

    (Extrait du glossaire des Nefs de Pangée)

  • 2504

    La lenteur de fabrication d'un roman est exaspérante. Cela peut même rendre schizophrène, à force. Je reprends le chantier de La Grande Sauvage, qui se déroule pendant la Révolution Française, mais les intentions et l'élan qui m'ont poussé à l'entreprendre se heurtent au spectacle des injustices quotidiennes, de l'urgence que je ressens à exprimer des combats immédiats, actuels, qui me contraignent à me situer, là, maintenant. L'envie existe de laisser tomber le propos de cet énorme boulot (entamé il y a déjà deux ans, mine de rien), pour m'emparer d'un sujet d'aujourd'hui et le traiter avec l'énergie de la colère ou du désespoir. Je pourrais me servir de ce roman pour le faire ? Sauf qu'il en résulterait un pot-pourri de mes indignations (parce qu'elles sont nombreuses et semblent se multiplier dès que je m'informe sur quelque chose). Donc, attendre, finir ce qui a été commencé, prendre du recul. Ou tout basculer cul par dessus tête, stopper ce qui menace de ne plus faire sens pour moi, et me plonger dans la métamorphose scripturale du courroux, tout entier et tout vibrant. Mais cela signifierait trahir mon éditeur et le jury qui m'a confié une aide importante pour accomplir ce roman (je ne vous avais pas dit ? Voilà : la Région a agréé mon dossier). Vous raconter tout ça est une manière d'admettre publiquement que, ces jours-ci, alors que je parviens enfin à m'extraire de mes Nefs de Pangée, je n'arrive pas à pondre une ligne du prochain. Dramatique.

  • La Grande Sauvage - Extrait

    Martin laisse s'éloigner le gamin, flatte ses vaches, s'arrête où l'herbe est régénérée. Il s'assied un peu à l'écart. Après un temps, il est surpris de sentir en lui venir une anxiété. La voir surgir, plutôt, comme montée de la terre avec une sensation de fraîcheur soudaine. La journée va s'écouler, c'est la certitude, oui, la journée va passer, traduire sous ses yeux les ombres et les éclats entre les feuillages, ramener le troupeau plus sûrement qu'un ordre vers l'étable, et ce sera une journée d'achevée. L'angoisse incompréhensible qui le tient à présent, et occupe entièrement sa pensée, est celle du lendemain exactement semblable à ce jour qui s'abîmera, inévitablement, dans la succession de la traite du soir, des Vêpres et du coucher. Des jours identiques malgré la variation souveraine des saisons. Des jours recommencés après la brève interruption du sommeil. Il lui est venu l'idée de calculer combien de temps ce manège durerait. La reine sur son paon, tournant dans le carrousel, sa majesté qui décrit la rotation solaire, revient sans fatiguer. Combien de temps ? Martin est troublé. Il accueille ce trouble sans lâcheté, avec de la reconnaissance, car il se sent élevé par le questionnement qui vient de le traverser. Dans son application à explorer cette pensée, les jours lointains de sa petite enfance lui semblent une farandole précipitée, une théorie d'heures vives, comme une course au milieu des frimas. Une course parmi les chiens. Ces accélérations qu'il a connues et aimées, où s'élevait la pulsation des sèves et des humeurs de la pluie. Il se dit que son présent n'est pas mal, bien sûr, mais la perspective de la litanie prévisible des jours renouvelle l'angoisse née tout à l'heure. Il en reconnaît les sourds accents, les propriétés vaguement maladives. S'en repaît et se surprend à y trouver plaisir. Il n'est pas fruste. Les leçons des précepteurs, les fragments de savoir saisis malgré qu'il avait lui-même peu conscience de les avoir assimilés, se manifestent, articulent leurs formes avec les délicats contournements de ses réflexions, éclairent des niches, rendent lisibles et intelligibles la mesure des choses. C'est qu'il y a, découvre-t-il, une mortalité de ces jours routiniers, il y a un terme. C'est une manière d'aube qui se profile ou plutôt se devine à peine derrière une montagne, mais cela devra arriver, aussi inéluctablement que les Vêpres ce soir, aussi certainement que le coucher. Il y aura un jour, après. Ce n'est pas moins angoissant que l'épreuve inconfortable de se trouver au milieu d'un gué, mais enfin, c'est un point essentiel d'avoir compris que les phases de la vie connaissent des fins et sont donc annonciateurs de changements.