Une affiche dans ce club du troisième âge vante les temps forts des animations à venir. La semaine prochaine : visite des ronds-points de la ville en bus. Gourmandise éveillée, je cherche des yeux la rubrique « temps faibles ».
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Vies minuscules
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La croisière s'amuse
La barque pleine de damnés qui n'avaient pas envie de rire en traversant le Styx, le nocher se permettait toujours une petite blague pour détendre l'atmosphère. Mais il la formulait encore en grec ancien, personne ne l'ayant averti que là-haut, le monde avait changé. Aucun passager ne souriait à ses saillies. Il en éprouvait un sombre dépit et s'enfermait de plus en plus dans le mutisme, voire dans une certaine colère. Il lui arrivait à présent de se réjouir ouvertement du sort des malheureux. Mais comme il employait pour ce faire la même langue oubliée, aucun damné ne semblait en être plus touché que cela. Charon enrageait. Mais enfin, bon, il poussait son rafiot. Boulot, boulot, hein.
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En veille
Rêver, oui, pourquoi pas ? Rêver que les rêves se réalisent, ma foi, on peut toujours rêver.
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De là au big bang
Je me souviens aussi d’avant, je prends le cours des choses à l’envers, il y a ce moment où je suis l’autre, qui s’étonne à la surface de n’être pas lui-même, et puis je débute ma vie d’adulte inanimé, et puis je suis adolescent, je suis enfant, je suis fœtus, larve, animalcule dérivant dans les limbes, je suis molécule, je suis étoile, une explosion, un gouffre en attente et fécond dans lequel tout est possible, où même les pensées ont des gravités de plomb, je suis un point, une essence, un tout. De là, je peux reprendre d’un trait la fabrique du monde qui mènera à l’instant où la grotte est refermée, et où le temps ajuste sa boucle.
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Au sommet
La mode des stylites s'est éteinte depuis long. Après les colonnes où les premiers étaient installés, on trouva élégant d'orner son toit d'un stylite personnel. Et puis, on se rendit compte qu'ils prenaient la foudre, voire qu'ils l'attiraient, on se fatigua de les saluer chaque matin, de leur porter à manger deux olives pas jour, enfin on les délaissa. Abandonnés, ils se momifièrent, s'asséchèrent, devinrent fils, dans une prémonition antique de l'antenne de télé.
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Dans l'espace, on ne vous entendra pas...
Il fallait absolument se faire une idée des effets des flatulences dans l'espace, avant d'envoyer trois astronautes, serrés comme des sardines dans un habitat minuscule. Des tests alimentaires seraient nécessaires ainsi qu'un appareil pour recueillir les gaz. Le principe serait simple : une sonde métallique gaînée et ointe s'insinuerait en tournant dans le fondement et y resterait le temps nécessaire. Après qu'on lui eut présenté la sonde, un gros tube de 9 centimètres de diamètre et de 27 cm de longueur, on dit qu'Aldrin s'était porté volontaire pour pratiquer une dizaine de tests par jour.
(d'après une histoire vraie).
Cette note a une fonction, elle aussi : elle rappelle que je ne suis pas la créature raffinée que certains croient.
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Incipit
Depuis la maison, nous traversons les prés bosselés et ponctués de chardons pour nous rendre au bord de la Loire. Ce sont les gasses, les zones inondables, étendues préservées de toute construction, laissées aux charolaises et aux cigognes. Le chemin n’est pas tracé, nous marchons dans les sentes ménagées par les vaches paisibles regroupées sous les arbres, à l'abri du soleil. Une dizaine de minutes de promenade avant de rejoindre le fleuve. Nous sommes habillés léger, l'été nous revêt d'un feu d'âtre dès que nous sommes à découvert. Nous posons les serviettes sous un saule si nous voulons nous baigner, ou sous de vieux acacias plus éloignés de la rive si nous voulons lire ou faire une sieste. Nous paressons dans leur ombre, assis ou allongés, visages éclairés par la réfraction des pages. Parfois, livres reposés, nous restons dans la contemplation de l'amont ou de l'aval du fleuve. Sous cet angle, aucune présence humaine. On peut se croire dans un paysage champêtre du XVIIIe siècle. Nous considérons le panorama silencieusement et puis, après un temps de recueillement sans objet, nous échangeons quelques mots. Ma douce sait que j'ai commencé un nouveau roman. Le dernier est juste sorti de l'imprimante il y a trois jours, et le paquet qui a déjà reçu mes premières corrections veille sur la table de la salle à manger. Ce sera son travail la semaine qui vient, de le lire, de me dire ce qu'elle en pense. En attendant, j'ai couché les premières phrases du prochain. Ces quelques phrases sont celles que vous venez de lire.
Pour la suite, si jamais on veut encore m'éditer, rendez-vous, je ne sais pas : dans deux ou trois ans ?
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Tels les faunes
Les elfes et lutins ne doivent pas effrayer le randonneur. Leur présence dans nos forêts n'a rien de surnaturel. A l'origine, ce sont des bûcherons abrutis, dépourvus de tout sens de l'orientation et irrémédiablement perdus dans les bois. Des siècles d'évolution ont produit ces êtres petits, furtifs et au caractère vindicatif.
De même, contrairement à ce qu'essayent de faire croire certains écologistes, la disparition de ces créatures n'est pas due à la réduction de leur habitat, mais bel et bien à l'irruption de chemins proprement tracés à travers la forêt, munis de panneaux indicatifs, grâce auxquels elles ont enfin pu trouver la sortie.
Désormais, les lutins errent dans nos villes et tentent de s'y adapter. Ils n'ont cependant pas amélioré leur sens de l'orientation et errent pitoyablement dans les rues, cartes en main. On distingue le lutin du touriste allemand par une remarquable différence de taille. -
Sport méconnu
L'haltérophilatéliste soulève des timbres par paquet de mille.
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Paléontologie
Force est de constater que le brontosaure était plus vif que le moustique. On n'en trouve aucun, pris dans l'ambre.
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Prise de bec
Considérant, comme Flaubert, que la volonté d'imitation permet de mesurer le degré de la bêtise, les animaux de la jungle ont fait au perroquet une réputation de crétin que seuls les hommes, flattés qu'un volatile s'adonne à cet exercice, réfutent absolument.
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Vieille canaille
En ce moment, je tente le portrait d'un ami. D'un artiste et néanmoins ami. C'est extrêmement compliqué. Heureusement, j'ai de lui sa part des échanges que nous poursuivons depuis quinze ans. Le plus surprenant, à la relecture de ses lettres, est de constater combien, sur certaines choses, il est resté le même. Et notamment en ce qui concerne sa défiance par rapport au jeu social, son orgueil de peintre détaché des enjeux financiers mais aussi (c'est lié) sa dérision face au grand cirque de l'art. En tout cas, je peux confirmer ce que chacun peut pressentir : il est très très difficile d'écrire sur un vieil ami. De là l'idée que le romancier privilégie la fiction parce qu'il n’est question que d'inconnus.
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C'est la rentrée
C’est la rentrée avec Laurent Cachard, qui a présenté sa nouvelle « Valse, Claudel », superbement éditée par la galerie stéphanoise Le Réalgar et illustrée par son complice Jean-Louis Pujol, dans un lieu incroyable : la maison vieille, à Roiron. Tous les détails sont sur son blog, Le Cheval de Troie. Je vous laisse y jeter un œil.
La Maison vieille, c'est un peu le lieu que l'on avait rêvé, ma douce et moi, d'ouvrir un jour. Pour vous dire à quel point on trouve ça chouette.
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Des fois...
Brave vieille retraitée paisible au sourire amène et franc, le cœur sur la main. Et des messages haineux sur sa page Facebook appelant l'avènement de Marine Le Pen.
Soudain comme un coup de fatigue, un froid dans le cœur. -
La rentrée du Labo, c'est samedi
LE LABO de la Livatte, à ROANNE, OUVRE SES PORTES CE SAMEDI 31 AOÛT ET VOUS PROPOSE :
UNE SOIRÉE EXCEPTIONNELLE DE 19H30 A 1H30
DÉCOUVERTE DES SONS BINAURAUX ET PULSATIONS ISOCHRONES :
SÉLECTION PAR MARC BONNETIN
SET D'IMPROVISATION AVEC MATHIAS FORGE (TROMBONE), JEROME BODON-CLAIR (GUITARE ET MACHINES), FABRICE COTTON (MIX)
ET POUR BIEN FINIR LA SOIRÉE :
MIX LIVE :
THE DARK SIDE OF THE BERLINER MOON
PAR DJ SAKHOM
ENTREE : PRIX LIBRE
L'ENTREE AU LABO SE FERA PAR L'ENTREE PRINCIPALE AU 2E FEU DE LA RUE ALBERT THOMAS, PAR LA COUR INTERIEURE ET LA PETITE PORTE SOUS LE PREAU .
SOYEZ LES BIENVENUS!!! -
Un repas en hiver
Nous sommes dans les premiers temps de la solution finale, les chambres à gaz ne sont pas encore construites, les camions avec circuit d'oxyde de carbone fermé ne sont pas encore au point, en attendant ça bricole ; on flingue, on flingue en masse. C'est déjà éprouvant pour les nazis les plus affermis (cela n’est pas dit dans le roman, mais c'est le fond historique qu'on possède avant d'aborder le texte de Mingarelli), ça devient carrément insupportable pour les jeunes appelés du rang. Outre la désertion dont il n’est question à aucun moment, les soldats allemands qui fusillent les juifs à longueur de journée n'ont qu'un choix disponible s'ils veulent échapper à cette ignoble corvée : partir dans la neige à la chasse aux juifs. Alternative peu enviable, mais les trois soldats qui tentent ainsi leur chance n'en peuvent plus de tirer à bout portant sur des hommes, des femmes et des enfants, par centaines, toute la journée. Le massacre est encore plus déprimant pour le bourreau quand il se lie avec sa victime, ce qui peut arriver sans prévenir, avec les types qui lavent son linge par exemple.
Trois soldats allemands s'enfoncent dans l'hiver polonais et doivent absolument dénicher au moins un juif s'ils ne veulent pas se retrouver le lendemain arme au poing, à faire sauter des cervelles et voir basculer des corps dans des fosses, indéfiniment, comme dans un cauchemar. Bauer, Emmerich et le narrateur dont on n'apprendra pas le nom (parce que, tiens, il pourrait s'appeler comme moi), débusquent un fugitif au fond des bois. Le froid est prégnant, ils ont le ventre vide pour des raisons trop longues à expliquer, une vieille bicoque abandonnée leur offre la possibilité d'une pause et d'un repas frugal. Alimenter et faire repartir une cuisinière, tiédir un intérieur pénétré de froid, ce n'est pas une mince affaire. Un Polonais de passage les rejoint et négocie sa part du repas. Tout le monde s'observe. Le jeu du huis-clos est la forme dramatique la plus délicate, mais aussi la plus efficace pour qui la maîtrise. Mingarelli maîtrise, et c'est peu de le dire.
Le narrateur n'est dans aucune posture, aucun mensonge, y compris pour lui-même. Ses camarades sont irrigués d'une conscience identique. Tous savent ce qu'ils font et l'horreur de ce qu'ils font. Sauf que tout ça ne se discute pas. C'est l'Histoire qui se chargera de rendre les décisions discutables. Les soldats font l'Histoire, ils ne la pensent pas. A quoi pensent-ils alors ? A un fils, à un village, à faire fondre la neige pour cuire de la semoule. A se préserver, si possible.
On préserve quoi, soldat, dans les forêts polonaises, tandis que les camarades, là-bas, exécutent leur sinistre besogne ? Le peu d'humanité qui reste, emmitouflée sous les couches de fringues, tenue fébrile au bout des doigts comme une cigarette, qui tient à peine chaud -et pas longtemps. On fait un prisonnier, on ne l'insulte pas, on ne le malmène pas, on ne se réjouit pas, on préfère ne pas se lier, parce qu'on sait quel mal ça peut faire, après. On pourrait aller plus loin. L'un des trois hommes, celui qui a débusqué sa proie (et ce n'est pas le narrateur, pas ce genre de posture factice qui permettrait au lecteur de se croire le héros une minute), a soudain cette idée : laisser filer, que celui-ci au moins en réchappe. Parce que, plus tard, si au moins on en a sauvé un, ça fera du bien d'y penser. Voici le peu d'humanité qui reste dans cet enfer. Une infime lueur. Mingarelli n'y croit pas. Il fait retomber la chape du réel sur cette arche humaine minuscule ; La raison l'emporte. Les meilleures intentions, le peu d'espace laissé à l'humanité, sera broyé par l'Histoire et la barbarie.
Sur un mode minimaliste où tout est pourtant dit, sensations et sentiments, images et pensées, Un repas en hiver est un voyage intérieur, sensible et humain, un récit livré depuis le futur (puisqu'on sait ce qu'il adviendra de l'un d'eux) saisissant, émouvant sans les artifices du mélodrame, et loin de là bien sûr. Une tragédie en mode mineur, discrète, anti-spectaculaire mais qui vous hante. Un choix judicieux pour cette nouvelle sélection Lettres-Frontière.
Un repas en hiver. Hubert Mingarelli. Stock, 2012. 137 pages. 17 euros.
Sélection Lettres Frontière 2013. -
Partir à la chasse, ou pas
Une assez longue expérience de la vie m'autorise à distinguer deux principaux types de toilettes à cuvettes équipées de chasse d'eau (nous parlerons des toilettes à la turque et des toilettes sèches à une autre occasion). Le premier type engloutit nos déjections sans faire d'histoire. Discrètes, avides, elles ne font qu'une bouchée de ce à quoi nous n'avons plus envie de penser, à peine en est-on séparé. Les secondes sont hésitantes, elles font tournoyer notre production dans un maelström du plus bel effet, nous invite à considérer une dernière fois les scories du jour, à méditer sur leur source et leur destin. Elles insistent, lanternent, temporisent, puis, dans un tressaillement de tuyauterie, comme se souvenant soudain qu'elles doivent achever l'opération, elles engloutissent l'essentiel, laissant sournoisement flotter quelques traces ignobles, pour vous faire regretter encore de les avoir si imprudemment utilisées.
Je hais les toilettes du deuxième type.
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Encore une révélation sur les frères Cheng
Les frères siamois sont comme tout le monde, ils sont confrontés au mystère des chaussettes dépareillées. Mais chez eux, ça prend des proportions...
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Week end à Deauville.
Je vous conseille un petit passage chez "le minotaure est fait de chair", le blog d'Oslo Deauville. Épatant, comme on disait d'mon temps.
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Vaticinons un peu
Peut-être avons-nous vécu une parenthèse dans l'histoire humaine, un âge d'or (relatif et pour une partie de l'humanité) d'une cinquantaine d'années, mais qui ne pouvait pas durer ? Peut-être que notre lot normal est le marasme, la pénurie, l'austérité ? Peut-être n'avions-nous pas droit à la prodigalité, l'abondance ? Les sociétés les moins prédatrices étaient pauvres par essence, matériellement (et relativement) pauvres, mais pas moins riches que les nôtres dans la culture et la sophistication des relations. Il faut peut-être que nous apprenions - non pas seulement la sobriété qui a paru une solution mais ne semble plus convenir à l'ampleur et l'urgence des enjeux- mais la relative pauvreté. Ce qui signifie de se désencombrer des addictions nourries par le système. Un sevrage coûteux et douloureux. Un renoncement. Et là, j'ai envie de dire : « OK mais sans moi. » Comme tout le monde, hélas. On n'est pas sorti du sable, moi je vous le dis.