Discussion avec Daniel Arsand, l'autre jour, sur une terrasse ensoleillée. J'évoque ma difficulté à trouver un titre pour ma dernière production. Ma douce et moi étions arrivés à « Le Musée des âmes vides ». Daniel fait la moue, le titre ne l'emballe pas. Démodé, dit-il. Depuis le début de ce chantier, en 2009, les options se sont succédé sans rien apporter de probant. A chaque fois, je sais, foncièrement que ce n'est pas tout-à-fait ça. Trop long, trop compliqué, pas assez poétique, trop évident, dissonant... Un vrai cauchemar. Encore aujourd'hui, il me semble avoir trouvé enfin le bon titre, mais le doute déjà s'immisce. Daniel me raconte une expérience similaire, où le titre de son roman fut décidé la veille de la rencontre avec les commerciaux de la maison d'édition, en deux minutes. Je veux bien d'une telle grâce. En fait, nous relevons tous deux un effet maintes fois constaté : soit le titre apparaît comme une évidence immédiatement, avant même que la première ligne soit écrite, soit on ne l'a pas tout de suite, et c'est parti pour des mois de galère. Des années en l'occurrence, pour ce roman que j'apprivoise maintenant pleinement, dont je connais les tenants et aboutissants, dont je saisis toute l'architecture et les détails. Là, il serait temps de le trouver, ce titre. Nom de nom.
kronix - Page 122
-
A ce titre...
-
Le chevalier Bayard
Un courrier nombreux m'est parvenu pour me reprocher la récurrence un peu forcée de la figure de la taupe dans mes billets. On y voit une facilité, le signe d'une panne d'inspiration ou je ne sais quoi. On s'insurge notamment contre un article où il devait être question de gnou et où, semble-t-il, je me serais encore laissé aller à parler de taupe. Ces critiques me surprennent. Est-ce ma faute si la taupe est un point nodal dans la grande machine biologique ? On la rencontre partout : parasite du cachalot, prédateur de la limace et de la mouche tsé-tsé, base alimentaire du tigre et du lapon, ses intestins servent à la fabrication de balles de jokari, sa peau est utilisée sous les chaussures des cosmonautes, mixée avec des poireaux elle donne à la soupe un goût de gingembre et on la dressa en nombre, au XIXè siècle, pour creuser les tunnels du métro parisien. Tant de domaines lui sont associés qu'il semble très délicat de ne pas évoquer cette souriante créature, au détour de n'importe quel billet. J'espérais par exemple, aujourd'hui, parler du chevalier Bayard, mais comment évoquer ce personnage sans dire que son écusson était orné d'une taupe armée d'une lance ? Que dire de l'histoire du socialisme si on ne relève pas l'étonnante ressemblance de Marceau Pivert avec l'arrière du petit mammifère ? Dès que je veux écrire sur un sujet quelconque, le piège se referme : une taupe apparaît. Marcel Proust n'échappe pas à cette règle étrange, qui fut incommodé toute sa vie par des visions de taupes masquées jouant du piano. Je ne peux donc qu'adresser mes regrets à tous ceux qui espèrent ne plus trouver de taupes sur ce blog. Espoir que je partage d'ailleurs, mais voyez comme c'est difficile. Franchement, je ne sais pas comment font les autres.
-
Au fond
L'artiste et son acheteur sont face à une oeuvre. L'acheteur dit plein de choses gentilles et bien senties, il n'est pas un parvenu sans culture, il apprécie la belle peinture, il va sortir son porte-feuilles. Pitié, pense cependant le peintre, dis-moi seulement que tu m'aimes.
-
Mutant
Notre chat devient inquiétant. Hier soir, je ne le vois pas tout de suite, je demande à ma douce : « Il est où, le chat ? » elle baisse le regard, gênée. Alors j'entends le bruit de la chasse d'eau et je vois le chat marcher vers la salle de bains en sifflotant.
-
En réunion
Je me souviens d'une réunion que j'avais mal préparée (pas du tout préparée, exactement) et je ne pigeais à peu près rien de ce qui se racontait autour de la table. Je suis donc resté muet aussi longtemps que possible, avec l'air le plus pénétré possible. L'ennui, c'est que le truc a marché et que, du coup, tout le monde me prenait pour le type le plus compétent de l'assemblée. On se tournait systématiquement vers moi et on n'arrêtait pas de me poser des questions auxquelles j'étais bien incapable de répondre. Là, j'engageai diverses stratégies : la moue dubitative (9 fois sur 10, le questionneur tente alors une nouvelle formulation de sa question, et aussi souvent, une autre personne prend la parole pour proposer une réponse. Si elle est bonne, vous faites « Voilà » sur le ton de l'évidence) ; variante : répondre par "qu'entendez-vous par là ?", le temps que l'autre se demande en effet, ce qu'il peut bien entendre par là, on est passé à autre chose. Autre forme : fixer le questionneur d'un regard indéfinissable. Là, tout le monde se tait, et le questionneur remballe sa question, persuadé d'avoir balancé une grosse connerie, et tous les autres le plaignent silencieusement d'avoir osé prendre la parole pour dire un truc aussi nul. Autre chose : Parfois, tout de même, noter la question en disant « je ne sais pas ; je regarde et vous dis ça » ; ça fait toujours humble, le mec sérieux qui n'a pas toutes les réponses, mais sait où les trouver. De temps en temps, balancer un truc marrant, en douce, au voisin ou à la voisine pour le ou la faire rire, genre : « P'tain, lui, il est trop à l'aise dans cette réunion ». En fin de réunion, aviser un type au hasard et lui dire : « Il faudra qu'on se voit, sur certains points ». C'est pour achever le tableau. Sinon, l'autre truc, c'est d'arriver tout essoufflé, dire : « On m'a envoyé ici, il s'agit de quoi ? ». Mais vous êtes pris pour un veau. Efficace (personne ne vous demande rien), mais un peu pathétique. Ou encore, si : préparer sa réunion. Ça peut marcher aussi.
-
Hâlé
On ne peut incarner une créature inconcevable. Ainsi, ce vampire incompris, mis à l'écart par ses congénères, dans cette soirée costumée où il est entré, déguisé en surfeur bronzé.
-
Handicap
« de smilliers de mots pur chaquie livbr ezet cpour chaque liirve, copte tenuic de me scpacités de dcactylmon chaque mrit rtetapé terois ou auqatre fois. Vous n'imagnienr aps le ttravail »
Des milliers de mots pour chaque livre et, compte tenu de mes capacités de dactylo, chaque mot retapé trois ou quatre fois. Vous n'imaginez pas le travail. -
Un effort, quoi.
Le conseil n'était pas mauvais, seule son application posait problème. "Soyez génial", lui avait dit son éditeur.
-
Un peu de discipline
Comme à son habitude quand le chahut s'intensifiait, il lançait un bout de craie au hasard. Le projectile atteignit une silhouette, au fond. La réussite du tir fut saluée par l'ovation des élèves et le grand cri de douleur de son inspecteur d'académie, assis en observation au fond de la classe et dont il avait malencontreusement oublié la présence.
-
Foule sentimentale
D'abord, il y a ce beau moment qu'on trouve sur le net (cliquer ICI). L'hymne à la joie. La sérénité du lieu, l'allant des musiciens, l'enthousiasme du public, l'étonnement, la joie, la joie partout. Beethoven sur toutes les lèvres, les enfants qui parodient le chef d'orchestre, les réactions saisies dans la foule. Un beau moment oui, vraiment. Et puis, passé le temps de l'émotion, le cynisme reprend ses droits. En tout cas sa fonction. Je ne suis pas coincé, pas bégueule ou blasé, non, j'aime être étonné, j'aime m'émerveiller, j'adore que la beauté et la générosité s'invitent comme ça, dans le quotidien des gens. Et justement. A la fin de la séquence, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un événement festif organisé par une banque pour célébrer les 130 ans de sa fondation. On comprend alors la qualité de la réalisation, les trois ou quatre caméras placées stratégiquement, le professionnalisme du montage... l'orchestre, la mise en scène avec la petite fille au début. La foule autour était conquise, complice, joyeuse et émue. Je pense aussi que les musiciens ont, un instant, au paroxysme du crescendo, sincèrement joué pour le bonheur du public présent. Mais voilà, tout ça été rémunéré. Ben oui, qu'est-ce que tu crois mon Christian ? Qu'une formation de quarante musiciens plus les chœurs peut répéter, travailler, se produire dans la rue, juste pour la beauté du geste ? Que des techniciens, des cadreurs, réalisateurs, monteurs, preneurs de sons auraient comme ça, pour le fun, réalisé et diffusé à l'oeil autant de travail ? Tu crois que le monde c'est quoi ? Tu crois que la beauté se trouve où ? Elle est dispensée par les coffres de la banque, derrière les musiciens. La foule autour d'eux s'est sincèrement réjouie, elle a connu un intense moment de jubilation, de rêve. Mais le rêve a un coût ; C'est comme ça. On veut bien nous servir de la joie, mais il faut que ce soit rentable. Beethoven est recyclé par les marchands. Le bonheur du public à ce faux impromptu, l'émotion des internautes à la vision du clip, ce rêve de générosité, c'est à l'argent qu'on le doit. Je ne suis pas dépité, mais j'aimerais qu'un jour une banque par exemple, produise un tel spectacle sans s'afficher (même si c'est discret ici), vraiment pour le plaisir d'offrir de la joie, de la vraie, sans arrière-pensée, à nous autres, foule sentimentale qui a soif d'idéal, qui rêve d'étoiles, de voiles, que des choses pas commerciales.
-
Le gnou et nous
Hier après-midi, je confessais à l'un des lecteurs de Kronix (il arrive que j'en croise dans la vraie vie), l'embarras dans lequel je me trouvais : ne pas avoir de billet pour le lendemain est une situation désagréable. On sait aussi que les chroniques écrites dans l'urgence sont de deux natures : inspirées ou déplorables. Mon lecteur et néanmoins ami me conseilla de récidiver avec la série des taupes qui eut un certain succès dans ces colonnes. Vous me connaissez, ce n'est pas mon genre de tomber dans la facilité, aussi, point de taupe, je ne mange pas de ce pain-là, mais il m'est apparu que je pourrais évoquer le sort du gnou. Car le gnou a failli être propulsé au sommet de la chaîne alimentaire et aujourd'hui, si le destin ne s'en était pas mêlé, nous servirions d'appâts vivants pour la nourriture préférée du gnou : la taupe.
La taupe a ceci d'étrange qu'elle porte de part et d'autre du museau de petits filaments blancs qu'elle essaye de faire passer pour des moustaches mais qui ne sont autres que des paratonnerres. Quand la foudre frappe le sol, l'électricité qui traverse la terre jusqu'à une infortunée taupe, est canalisée par les moustaches d'un côté de la tête de l'animal, puis évacuée par celles du côté opposé, sans occasionner le moindre dommage au subtil mammifère fouisseur. Encore une belle invention de la nature. Merci Kronix ! -
Vacances
Moi, je travaille, mais Kronix prend des airs de vacances (puisque je travaille, vous suivez ?). Donc, du billet léger, avec ces images magnifiques prises par Knate Myers depuis la station spatiale internationale (au passage, vous y pensez, comme moi, qu'une station orbitale est habitée en permanence depuis des années au dessus de nos têtes, comme dans "2001" ? ).
Le globe de nuit, et l'activité humaine qui modifie le visage de la planète. Superbe et envoûtant.
Et puis pour les fans anglophones, un documentaire sur David Lynch, intégral et légal. C'est ici.
je vous gâte, hein ? Malgré tout, j'ai un peu honte de ne pas avoir écrit de billet pour aujourd'hui. Je vous le dis, ça reste entre nous.
Tenez, tout de même, pour ceux qui ne me suivraient pas sur "ventscontraires", le dernier billet pblié chez eux, inédit ici, c'est cadeau :
"Tel nazi a été complice de la mort de 15700 personnes, tel régime en a éliminé 3100 000, tel tortionnaire exécuté 2500, tel général massacré 55 000, tel dictateur tué 690 000. En dehors de l'horreur des actes, on ne peut s'empêcher d'admirer la passion de ces types pour les comptes ronds."
-
Souvenir
Et là, au café avec les copains, qui qu'y voit à la télé, Raymond ? Ce vieux Juju, un pote de l'armée, ah ben ça alors ! Le Juju parle dans le poste, taisez-vous les gars ! Raymond essaye d'écouter ce que sa vieille branche a de si important à dire que la télé est venue le filmer. Le Juju cause de situation macro-économique, de balance des paiements, et d'un coup, un gars du café se rappelle : « Ton Juju, c'est le ministre des finances, Ducon ! » Raymond se marre, commande encore un pastis : « Ah dis-donc, quand j'pense que je lui ai fait une bite au cirage, au mec ! »
(ce billet était en réserve. A priori, je ne devais pas le publier. Mai je n'avais rien pour aujourd'hui, j'ai puisé dans la réserve, alors voilà.) Et puis hein, éh...
-
Vertige de la création
Eiffel se serait inspiré d'un baromètre en forme de tour Eiffel pour imaginer sa célèbre tour.
-
Le point d'accueil
Toujours, quand je viens de finir un roman, j'attaque le suivant. Cela n'a rien d'extraordinaire : j'écris souvent un livre par réaction au précédent. Ainsi, le fil de l'écriture ne se rompt pas. Il ne s'agit pas d'une règle, mais d'un fonctionnement qui ne m'a été rendu perceptible que par sa récurrence. Le roman que je viens d'achever est historique, long, extrêmement structuré et ouvragé. Esthétisant, en somme. Celui que je vais commencer aujourd'hui, sera actuel, court, sec, âpre. Je promets de ne pas y intégrer de scènes violentes et contrairement au précédent, je sais de quoi il parle.
Cependant, une amie artiste m'a proposé avant-hier un petit exercice de style sur un thème qui peut recouper celui que je vais explorer dans ce nouvel opus. Pour elle, il s'agit de faire écho à un travail entamé expressément pour une médiathèque. Pour moi, c'est l'occasion de travailler cette forme d'écriture que je veux utiliser maintenant. Commandé un an plus tôt, un tel texte aurait été de la veine chatoyante du « Musée des âmes vides » (voilà, je l'ai dit, c'est le titre de mon roman « historique »). La proposition de cette artiste intervenant aujourd'hui, il en résultera une forme courte, au scalpel. Il se trouve que c'est exactement le genre de texte qui convient à son travail. La vie apprend chaque jour que tous les éléments s'imbriquent constamment. Il suffit d'être à l'écoute de ce que j'appellerai son « point d'accueil ». Là où nous accueillons les autres avec facilité, parce que la porte n'est plus verrouillée. -
S.A.V.
« Tu vas voir qu'ils vont encore nous faire la gueule », pronostiquait son mari en approchant de l'orphelinat où il rendrait leur huitième enfant adopté. Mais était-ce leur faute, aussi, si on leur refilait toujours des gamins défectueux ?
-
Le bon jour
Oui, et bien non, je ne suis pas d'accord. C'est l'anniversaire de ta fille, tu ne vas pas gâcher la fête et lui annoncer ton cancer. Tu attendras un peu. Hmm ? Plus que deux semaines à vivre ? Ah non, ne t'avise pas de mourir deux semaines après, c'est la fête des mères. Tu ne penses qu'à toi décidément.
-
Au point
Je me souviens de la dernière dentelière du Puy, petite et ridée ramassée sur sa chaise, à qui on lançait des cacahuètes et qui les attrapait si habilement avec un petit hochement de reconnaissance. Échangée avec un panda il y a dix ans, elle s'est éteinte la semaine dernière en Chine. Triste destin, diront les esprit chagrins.
-
Mouillé
A-t-on bien considéré ce qu'il y avait de mou dans le pseudonyme de M. Poquelin ? Molière... une mollière est une étendue de sable et de vase, vaguement marécageuse, dans quoi le pied se prend et que le chasseur sobre évite. On peut mesurer dans ce choix d'un nom qui l'accompagna sa vie entière, le peu d'estime que l'auteur de théâtre avait pour sa propre personne et comprendre ainsi qu'il vienne sécher son humilité aux feux du Roi Soleil.
-
Comparés
-Quoi de plus différent qu'une otarie et une tringle à rideau ?
-Un boson de Higgs et une carte postale du Vietnam ?
-Très bien. Je suis fier de vous, disciple.
-Merci, Maître, mais vous m'avez tellement appris pendant ces dix-sept ans de cours de comparaison.
-Tout de même, vous êtes brillant.
-Je vous en prie.
-Brillant comme un sifflet de majorette.
-Vous êtes trop bon, Maître. Vous êtes, vous êtes... bon comme un bulbe.
-N'en faites pas trop.
-Pardon Maître, je suis enthousiaste, vous savez bien. Comme la bretelle du Père Loudur.
(Si ce dialogue vous a fait rire rachetez-vous un alcootest, le vôtre n'est pas aux normes).