Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

kronix - Page 192

  • Cybermanif, le principe...

    Grâce à Leil, enfin, le lien pour manifester contre les atteintes à la liberté d'expression. En effet, un certain nombre de pays -avec le consentement (et parfois l'aide objective) de Yahoo et de Google- censurent, et surveillent à des fins policières, l'utilisation d'internet.

     

    Regardez la carte, choisissez votre lieu de protestation et cliquez. C'est encore possible jusqu'à 11 heures demain matin.

    http://www.rsf.org/24h/map.php

  • Tous à la cybermanif !

    Chacun est invité à se connecter sur

    http://www.rsf.org/

     entre aujourd'hui 11h et le mercredi 8 à la même heure.

    "Plus de 60 cyberdissidents sont actuellement emprisonnés dans le monde pour avoir tenté de s’exprimer sur Internet. Ce qui semble simple à tout un chacun dans la plupart des pays du monde est interdit dans 13 Etats. En Chine, en Tunisie, en Egypte, donner son avis sur un blog ou sur un site peut conduire en prison. Pour refuser la censure et sensibiliser le plus grand nombre à cette situation, Reporters sans frontières lance, pour la première fois, une grande opération : 24 heures contre la censure sur Internet. Le grand public, les Internautes, les blogueurs, les journalistes, les étudiants sont invités à dénoncer la censure d’un simple clic."

    Extrait du site de Reporter sans frontière.

    Enthousiaste, j'y suis allé, mais je n'ai pas compris le mode d'emploi (apparemment très simple). Mais où cliquer ? Ami, si t'as compris, dis-moi y !

    Au passage, sur le site, une carte attribue un classement de la liberté de la presse dans le monde. La France, en 35è position, n'a pas de quoi pavoiser.

  • Une journée à Central Park

    C’est au petit matin, au détour d’une poubelle gavée, que le chien Stub dégotta un os de boeuf avec sa moëlle. Le tout était d’une taille fort honorable et propre à lui attirer la jalousie de ses congénères. Aussi se mit-il en devoir de trouver un refuge où il pourrait savourer le fruit de ses recherches, à l’abri des truffes indiscrètes. Au bout de quelques minutes à fureter parmi les allées encombrées de junkies aux aguets, il porta son choix sur un reste de Cadillac, abandonnée à l’embouchure d’une ruelle sordide, plongée dans l’ombre épaisse de hauts murs de briques noircies. Stub s’installa sous le chassis défoncé et rongea tranquillement son os, indifférent aux fades remugles des drames urbains, répandus sur le bitume en flaques coagulées. Stub considéra placidement le faîte des arbres qui oscillait en chatoyant sous la brise tiède. Il se dit qu’on vivait un drôle de monde où les arbres s’élevaient sans plus de conscience que les humains, où les briques avaient un goût de goudron et où les chiens, même libres, se conduisaient comme leurs maîtres. Il se dit aussi que tout cela n’avait pas d’importance, que seul comptait le poids de son regard sur le carré de soleil jaune qui s’épanchait, comme une vague, sur le tas de sacs plastiques éventrés, de l’autre côté de la ruelle ; et que, depuis qu’il avait décidé de vivre comme un homme, à grignoter un os du bout des dents toute la journée, tout paraissait tellement plus simple. Il savait que le soir apporterait un peu de fraîcheur et de quiétude. Stub lécha son os en soupirant.

     

  • ECOLE

    Ecole : On sera sans doute surpris de trouver, dans le skholê grec originel, l’idée de loisir, puis celle d’activité intellectuelle « faite à loisir » -nuance qui change tout. Cette première notion de loisir et d’amusement est  d’ailleurs perceptible dans l’équivalent latin ludus, le jeu, qui désigna aussi une école élémentaire. Les anciens considéraient-ils l’école comme un lieu où l’on apprend en s’amusant ? Une notion à redécouvrir ?

  • Ra - dernière partie

    4

                Inhabituelle vibration, générée sous les fesses. Ra goûte l’inertie de son corps, entraîné avec aisance au milieu de la ville. Le chauffeur vérifie l’état de son protégé dans le rétroviseur. « Ça va, monsieur ? » Ra comprend qu’on l’a aidé à se hisser jusqu’aux fauteuils qu’il occupe. Il se croit d’abord le seul passager, puis découvre dans le fond deux couples qui admirent ostensiblement des façades sans attraits. Le bus ronronne et brinqueballe autour de lui sa carcasse métallique. Il ne se souvient pas. L’évanouissement, son rétablissement, puis un nouveau vertige… Les images du chauffeur peinant pour le faire pénétrer dans son véhicule se révèlent par bribes. Le chauffeur : « J’ai un arrêt aux quinze-vingt, si vous voulez ! ». Les quinze-vingt ? Son esprit engourdi réagit Ah oui, l’hôpital « Non, non, ça ira, je vous remercie. Je vais descendre à la prochaine. » Le chauffeur hausse les épaules pour signifier qu’il s’en fiche, et d’ailleurs tiens, le voilà ton arrêt. Encore flageolant, Ra se dirige vers la sortie. Il se cramponne à chaque poignée, tous les vingt centimètres. Le chauffeur capte son regard au passage. « Vous êtes sûr que ça va aller, monsieur ? » Ra hoche la tête, les mots se refusent, le monde n’est pas revenu de son basculement. On lui sourit, Ra en est bouleversé. « Je vous vois tous les jours, il me semble. Vous ne prenez jamais les transports en commun ? » Ra parvient à prononcer que non. « Vous devriez. Vous voyez, on est aussi bien qu’à marcher dehors, hein ? » Ra jette un œil aux autres passagers, toujours plongés dans l’observation d’un extérieur abstrait. Le chauffeur répond à la question tacite : « Vous inquiétez pas, j’ai deux minutes. Vous devriez utiliser ce service, vraiment… » Ra recouvre ses facultés : « C’est idiot, mais je préfère ne pas savoir où je vais. C’est presque un choix de vie. Vous, vous avez une destination, un parcours obligé… » Ben oui, répond le chauffeur « mais, quand vous passez le portique de mon bus, je suis obligé de vous voir. »

                Sur ces mots, Ra descend et les portes soupirent derrière lui. Le corps de Ra suit un temps la trajectoire de son regard, lancé à la poursuite du bus. Il titube quelques pas puis renonce. Qu’importe, on l’a vu. Il y a plus loin un bar, où il entre, auquel il s’accoude. Il commande mais n’est pas servi. Les secs ruminent et conversent, ramassés sur leurs grimaces complices. On va le laisser là, juché sur ce tabouret impossible dont l’escalade lui a coûté ses dernières forces. Ra appelle de sa voix éteinte. Les garçons activent leurs membres ligneux, mais hors de portée. Pas grave. Ce soir, il s’installera face à Bé, il lui racontera qu’on l’a regardé, oui. Et que, peut-être, sa déambulation, dès demain, pourrait prendre une autre forme.

     

    Fin

  • Ra - 3/4

    3

    On le voit, en réalité. Mais les pupilles se dérobent, les visages s’empêtrent dans une simulation de distraction. On le voit, mais on s’empresse de ne pas. Et Ra déambule, soufflant suant, à la rencontre d’un regard. Au cœur de la foule, Ra se comprend comme une entité flasque. La chaleur le détrempe de la tête aux pieds, il perdra ainsi deux à trois minuscules kilos dans la journée. Il imagine derrière lui un sillage de limace sur quoi les « secs » dérapent. Car les autres sont les secs, des silhouettes raides déplacées sur des rails, des totems animés aux moues sévères. Tellement durs qu’au passage ils menacent de couper, comme des dagues.

    Ra marche depuis longtemps, il ressent enfin les signes de l’épuisement, accueille la fatigue avec reconnaissance. Encore quelques pas, et la douleur suffocante lui dira qu’il existe. Oh oui, il existe, qu’importe qu’on ne le sache pas ! Encore un pas. Je n’en peux plus. Un pas. Cette fois, je meurs, je tombe. Un pas. Je m’effondre et me répands, une flaque, une outre crevée, un sac qui dégueule. Ra est au bord de l’évanouissement, tout se teinte de vertige, les passants secs et longs traversent l’eau de son regard, un prisme étrange irise la ville. Parmi l’écheveau de ses pensées « Si je meurs maintenant, ils vont découvrir Bé », Ra perçoit le choc du bitume sous sa main, l’âpreté du sol sous le renflement de ses chairs. Voilà, il est par terre. On le regarde ? Même pas.

    Et soudain, il y a ce bus, surgi d’une palpitation ivre, qui s’avance vers lui, stoppe à sa hauteur. La porte s’ouvre à l’aplomb du trottoir, tout près de lui. Il n’y a pas d’arrêt ici, d’ailleurs personne ne monte. Ra ne comprend pas immédiatement. Il entend une voix, mais ne saisit pas les mots. Le bus lui parle ? On lui demande « ça va ? » Personne ne bouge. Le temps se fige. « Vous avez besoin d’aide ? » dans l’enchevêtrement mécanique, entre portes et vitres, une silhouette sèche l’appelle. La langue de Ra est engourdie, elle n’articule pas les mots qu’il voudrait prononcer. Le sec, dans le ventre du car, rencogné parmi des verticales innombrables, continue de lui parler, mais sans sortir. Par la porte ouverte, Ra sent l’haleine de fraîcheur de l’habitacle climatisé. Il a l’image fugace d’une déambulation inédite, confortable. Mais surtout, il sourit à ce regard enfin posé sur lui. Le trottoir à nouveau résiste sous sa paume, la rue revient à la vie et les passants reprennent leur chemin obstiné. De toutes ses forces, Ra se hisse à bout de jambes, ouvre ses bras debout, sourit à l’impénétrable chauffeur du bus. Il clame, comme libéré « Oui, ça va ! », puis la rue plonge dans le noir.

  • Ra - 2/4

    2

    Bé reste assis sur sa chaise toute la journée, il regarde l’écran éteint de la porte, face à lui. Il ressemble à Ra, à cent-trente kilos près. Un poids-plume, un petit gabarit, ainsi l’a voulu son créateur. Armature de fer, grillage, puis muscles et chair bricolés dans un amalgame de tissus, de coton, de colle à bois et de papier journal. La peau est en cuir couleur miel, cousu minutieusement. Ra est persuadé qu’un visiteur (hypothétique) le prendrait pour son frère. Pour un vrai humain en tout cas. Certainement, les coutures ne se voient pas. Après plusieurs semaines de travail, Ra a regardé sa créature, l’a observée longuement (sous toutes les coutures justement) et s’est félicité : « Du beau travail, vraiment ». Surtout, Ra admire les yeux en amande de Bé. Des yeux violets, don d’une remarquable poupée de porcelaine, ainsi cannibalisée.

    Bé est entré dans la vie de Ra il y a plusieurs années, difficile de dire quand. Pour Ra, les temps enchevêtrés, avec leur logique propre, leur cohérence redoutable, restent incompréhensibles. Ra se meut dans un présent éternel. La fixité de Bé le rassure, à ce point de vue. Très tôt, ils se sont partagés les tâches. « Moi, je sors ; toi, tu gardes l’appartement » a décrété Ra. Bé n’est pas contrariant. Parfois, Ra s’inquiète de se surprendre en pleine conversation avec sa poupée géante. Mais, se dit-il, tant que j’ai conscience d’avoir à faire à une poupée, tout va bien.

    Les apparences feraient croire que Ra a créé Bé pour atténuer sa solitude. Il n’en est rien. Comment expliquer ? Bé est une sorte d’axe incarné, de pivot inamovible autour duquel la vie de Ra s’est organisée. Ainsi, avant la naissance de Bé, il lui était très difficile de quitter son appartement. Aujourd’hui, parce que Bé reste à la maison, Ra déambule. Sans Bé, Ra ne trouverait pas le courage, comme ici et maintenant, de s’arracher au canapé et de ressortir dans la chaleur de la rue.

    Sur le seuil, Ra lance un salut à Bé, et vérifie immédiatement qu’aucun voisin ne l’a surpris s’adressant à son locataire artificiel. Les yeux violets restent écarquillés sur la porte qui se referme. Ra plonge dans la rue en fusion et ses passants indifférents.

  • Ra - 1/4

    1

    Ra déambule. Déambule, ce joli mot. Il aventure ses cent-soixante kilos au cœur de la ville ; de préférence jusqu’à l’épuisement. Mais trop de gens, trop de soleil. Ra choisit de s’épargner. Il découvre un refuge, une porte ouverte sur un couloir ténébreux. Là, il se précipite et soulève son corps pour franchir le faible dénivelé. Délivré des rues noyées de foule, Ra entre haletant dans la pénombre. Un frisson brusquement saisit la sueur qui couvre son gros corps. Dehors, c’est la fournaise, l’intarissable torrent des citadins, tous oeuvrant et qui se savent une fin de trajectoire. Pas Ra. Ra depuis longtemps déambule. Ainsi se voit-il, ainsi se décrit-il, ainsi se résume-t-il à toute personne intriguée par son errance obèse : le gros qui déambule.

    -Vous savez, vous, pourquoi vous marchez, où vous allez ? Et si c’est important d’y aller ? Ne mentez pas, interrogez-vous ! Moi, je sais : je vais au hasard, et je suis sûr de trouver un but à ma promenade. A un certain moment, je me dis : « C’est là ». Et en général, c’est bien vrai, je suis arrivé. 

    Enfin, c’est ce qu’il dirait si on s’intéressait à lui. Si quelqu’un lui posait la question, si on voulait savoir. Mais Ra n’intéresse personne. Personne ne souhaite le voir, le décrire, le résumer. Il est une masse transpirante qui encombre. Et le terme de sa marche toujours, coïncide avec l’épuisement de son corps lourd. Il l’a trahi, ce corps, gras et ingrat. Petit, maman le disait mignon avec ses fossettes. Les fossettes ont disparu, la peau n’a plus de creux, mais des plis entre deux masses de graisses que le frottement irrite. Maman n’est plus là pour le trouver mignon. Oh, voyez-moi ! supplie-t-il en silence, regardez-moi, je bouche votre horizon, j’interdis votre trottoir, je barricade et je détourne, mais vous ne me voyez pas…

    Face à lui, tous les visages se ressemblent, hommes et femmes pareils, avec des nuances dans l’habillement, c’est tout. Tous jetés sur la même trajectoire, tous obstinément courbés sur leur ombre, aveugles qu’un sixième sens avertit à son approche, et qui changent d’axe pour éviter sa masse. Maintenant, retiré dans l’obscurité d’une entrée d’immeuble, Ra goûte l’ivresse de la fatigue et s’étourdit encore au spectacle des ombres qui passent devant le seuil. Pas seulement les mêmes visages : les mêmes silhouettes aussi, tous. Alors, Ra abandonne, il rejoint l’appartement, ses parois comme arrondies par l’effet de sa présence, ses meubles fatigués de son poids, sa lumière de néon cru. Enfin, il s’effondre sur son canapé, que l’usure a rendu plat et noir comme un cafard.

    A la télé, des humains paniquent et hurlent sous le crépitement des balles. Ra s’imagine fuyant avec eux. Il serait léger, fin, souple, esquiverait la mort, il serait  rapide. Il les laisserait morts, loin derrière. Non… Soupir, râle. Il remue sa peau alourdie et moite, déclenche des bruits de succion. Ra ne se regarde plus mais il sait son corps enflé tout entier, incapable de courir ; il renonce au rêve de fuite et de cavalcade. Il serait mort le premier dans une fusillade. Souffle court, il éteint le poste, se retrouve dans le murmure de la pièce.

    L’ombre, ménagée autour de lui pour plus de fraîcheur, bourdonne, s’emplit de sa seule respiration. C’est encore le matin. S’il ne sort pas, la journée s’achèvera sans que personne ne l’ait vu. Alors, il se tourne vers Bé, immobile et muet, comme toujours.

  • Azur et Asmar

    medium_azur_et_asmar4.2.jpgPour Kirikou, Ocelot avait adapté un conte africain, mais pas seulement. La série de contes dont il s’était inspiré se révélait aussi manichéenne que la plus sommaire des productions hollywoodiennes. La sorcière était méchante et il fallait la combattre. Le réalisateur français ne se satisfaisait pas de cette explication et, par la grâce de son écriture, le vaillant petit Kirikou demandait POURQUOI la sorcière était méchante. Car chez Michel Ocelot le monde des contes n’est simple qu’en apparence, et les apparences recèlent un foisonnement de mystères.

    Avec Azur et Asmar, le réalisateur approfondit ce thème. Le film conte l’histoire de deux enfants, l’un d’occident, blond aux yeux bleus (Azur), et l’autre  d’orient, brun et sombre de peau (Asmar), bercés tous deux par les mêmes bras, ceux de Jenane, la mère d’Asmar, nourrice échouée dans un château de la France médiévale. Filant la métaphore pour dénoncer de façon transparente une certaine actualité, Ocelot évoque le sort d’Asmar et sa mère, chassés du pays où ils vivaient pour rejoindre un pays d’origine que l’enfant ne connaît pas.

    Les destins de Jenane, Azur et Asmar se croiseront à nouveau, bien sûr, pour une ultime quête, affrontée ensemble, dans un partage équitable entre les deux langues.

    Les divers extraits ou bandes annonces ont pu vous préparer à la beauté visuelle du film. Malgré tout, l’émerveillement est constant, les palais somptueux, les images étonnantes. L’utilisation de l’image de synthèse est créative véritablement et, sur un schéma classique de péripéties et d’aventure, les détours que prend l’histoire et la richesse des personnages réservent de continuelles surprises.

    La fin est surprenante.

    De l’oxygène, oui.

    Voir aussi la critique d'Hector, ici.

     

  • CALCUL

    Calcul : Le commerçant phénicien et ses successeurs latins, durent quantifier de façon abstraite et rapide leurs marchandises. Ils établirent que le caillou du chemin, par exemple, figure un bœuf. Très bien, mais un troupeau de 40 têtes ? 40 cailloux alors, que le maquignon enfonce dans une boule d’argile à cuire, et sur laquelle il inscrit le nombre. Dès lors, calculer (calculus : caillou) le volume des échanges est plus facile. On comprend aussi que ces particules solidifiées dans les reins, qui empoisonnent la vie et qui ressemblent tant à des cailloux, soient également nommées calculs.

  • Voir sans frontière

    "Voir sans frontière" de Jean-Marc Duray.

    medium_photo_JM_Duray.JPGJean-Marc a parcouru la planète entière pendant des années. Il a vu des choses terribles, n'en doutons pas. Mais impossible à cet humain généreux de se morfondre. Il cherche et trouve toute la gamme des visages du monde, qui adressent un sourire, et imposent le respect, dénient l’apitoiement, invitent à l’amitié universelle. La font même toucher du doigt.

    Pour Jean-Marc, il est possible de vivre tous sur la même planète, en se respectant.

    Ce qui ressort de « Voir sans frontière » -et même pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas son travail précédent (voir "orients extrêmes")- c’est l’humanisme de sa démarche, un humanisme sincère et qui –attitude exceptionnelle en ces temps de victimisation galopante- s’attache à honorer la bonté, plutôt qu’à provoquer la compassion. Jean-Marc Duray décrit les hommes tels qu'il les voit : fondamentalement et universellement généreux. Surtout tant que, selon lui, ils sont épargnés par la férocité de la civilisation urbaine.

    La planète est multiple, les humains sont tous différents… Mais ils font tous partie de la même famille, et quelque chose les rassemble, au moins : les liens que ce photographe crée en voyageant. L’évidence de l’universalité de la condition humaine apparaît alors et il nous l’offre, dans un ouvrage d’une grande qualité, la somme d’un travail amoureux.

    C’est bon de savoir qu’un type, quelque part, tandis que nous bafouillons nos petites médiocrités nombrilistes, se balade parmi les peuples du monde, et réunit les humains par la grâce de sa seule gentillesse. L’appareil photo vient après, il donne corps et mémoire à cette entreprise. Pour cela, bravo, mais surtout merci.

     

  • Toujours bon à prendre

    De ces nouvelles qui vous réconcilient avec l'époque

    http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3214,36-829194@51-829195,0.html

  • Mémoires de papier

    Ubino croyait aux fantômes. Il percevait des souffles aux murs des vieilles demeures, sentait le regard des portraits hiératiques et, de la même façon, il attribuait aux choses anciennes des traces de mémoire.

    Ainsi, un de ces soirs où l’ennui l’emportait sur sa paresse naturelle, il exhaussa de la poussière du grenier une vieille boîte à biscuits métallique pour l’ouvrir devant lui, dans la tiédeur du salon. Sa main plongea dans un fouillis de strates irrégulières et dont les teintes, qui allaient du blanc opalescent au jaune paille, en révélaient l’ancienneté variable.

    Depuis des années, il entassait là des paroles anonymes, mots griffonnés par des mains inconnues sur des feuilles de carnet déchirées, bouts d’enveloppes rayées de sentences vengeresses, vestiges de lettres jetées au caniveau. Une collection de mots avortés, de velléités évanouies, de messages incomplets dont il était l'archiviste providentiel. Il les connaissait tous, en savait la variété des encres, l’acidité singulière, le parfum de poussière que chaque billet exhalait comme une signature. Mais il ne se lassait pas d’en retrouver les nuances, et le poids de souvenirs qui s’en dégageait. Il en retira un au hasard et le lut à haute voix :

    “ Passe demain. Ne me réveille pas”

    Etait-il passé ? Avait-il glissé ses doigts entre les mèches de cheveux blonds, déroulés légers sur le drap de lin ?

    Sur un billet quadrillé de bleu, il y avait aussi :

    “Ton bonheur m'est inutile”.

    Sous la pulpe des doigts, il trouva la sensation d’un papier rêche, âpre comme la sentence. Mais Ubino avait d’emblée aimé l’auteur de ces mots, il en discernait le fantôme cynique et pitoyable, vindicatif et amer, mais aussi tellement désespéré. “Je crois que tu as tort” dit Ubino avec un sourire de compassion.

    Il choisit ensuite un bout de papier kraft, une adresse déchirée à laquelle l’expéditeur avait ajoutée :

    “presse-toi de répondre, je vis en attendant”

    Sans doute, l’expéditeur était une femme, elle n’était plus jeune, elle aimait encore, il lui était difficile d’attendre et la vie lui était insupportable tant que la réponse ne lui parviendrait pas.

    Enfin, il y avait ce beau papier ocre pailleté d’impuretés végétales qu’une main négligente avait froissé. Une écriture soignée, destinée à la lecture des autres, disait :

    “ L’arbre me parle, moi qui suis tout argile

    l’éléphant me parle et je parle aux rivières

    la femme me parle et je parle à son ventre.

    Les grands bergers debout glissent vers la nuit bleue

    comme des madrépores enveloppées d’étoiles.

    Les princes de la terre lèchent le vent du soir

    et le ciel immense irisé d’agonies

    sèche la sueur scintillant à leur front”

    Ubino tenait le papier entre ses mains lorsque le vent se leva dans un déchirement de savane balayée par la tourmente. Une vapeur jaune et sèche, chaude comme le soufre, emporta les fantômes dans un tourbillon de feuilles.

    Ubino vit sa collection de mémoires s’évanouir dans l’espace ouvert à l’infini. Le vent s’abattit, un morceau de papier revint seul, comme un papillon obstiné, se poser sur la table du salon réapparue.

    Ubino s’en saisit, il lut : “Ecris-moi encore”

    FIN

  • Infiniment (vous affolez pas : c'est beaucoup moins long qu'il n'y paraît)

    Cet instrument de musique à deux manches était parfaitement adapté aux partitions virtuoses de Samuel Gravet, grand compositeur. La première version du Céladon vertical -selon le nom que lui donna son inventeur Nicolas Céladon Parturian- date du milieu du siècle dernier, mais sa forme définitive est due à son fils Jérémie Céladon Parturian-Brelon, apothicaire de son état, néanmoins mélomane et inventeur discret. C’est d’ailleurs ce même Parturian-Brelon qui imagina de piler l’antimoine natif pour l’incorporer à la saumure d’Amboise, créant le fameux baume de Gênes que, mesdames, vous savez si bien utiliser lorsqu’il fait froid dehors. Le céladon fonctionne également selon le principe des cordes sympathiques, qui vibrent ensemble n’est-ce pas, aussitôt qu’on les sollicite, provoquant des harmoniques complexes à l’unisson, caractéristique qui ne pouvait que plaire à Samuel Gravet. Samuel était au faîte de sa gloire lorsqu’il découvrit le céladon ici présent, offert par son inventeur, admirateur de ses créations, et qui le suppliait d’essayer cette nouvelle forme de lyre.  Samuel effleura quelques cordes et le son qui s’éleva ne lui plut guère immédiatement, il faut bien le reconnaître. Cependant, une lettre accompagnait le cadeau et la femme de Gravet, Esmeralda de Boïeldieu, l’ouvrit devant lui et la lut à son mari. La lettre expliquait que cet instrument de musique à deux manches était parfaitement adapté aux partitions virtuoses de Samuel Gravet, grand compositeur. La première version du Céladon vertical -selon le nom que lui donna son inventeur Nicolas Céladon Parturian- date du milieu du siècle dernier, mais sa forme définitive est due à son fils Jérémie Céladon Parturian-Brelon, apothicaire de son état, néanmoins mélomane et inventeur discret. C’est d’ailleurs ce même Parturian-Brelon qui imagina de piler l’antimoine natif pour l’incorporer à la saumure d’Amboise, créant le fameux baume de Gênes que, mesdames, vous savez si bien utiliser lorsqu’il fait froid dehors. Le céladon fonctionne également selon le principe des cordes sympathiques, qui vibrent ensemble n’est-ce pas, aussitôt qu’on les sollicite, provoquant des harmoniques complexes à l’unisson, caractéristique qui ne pouvait que plaire à Samuel Gravet. Samuel était au faîte de sa gloire lorsqu’il découvrit le céladon ici présent, offert par son inventeur, admirateur de ses créations, et qui le suppliait d’essayer cette nouvelle forme de lyre.  Samuel effleura quelques cordes et le son qui s’éleva ne lui plut guère immédiatement, il faut bien le reconnaître. Cependant, une lettre accompagnait le cadeau et la femme de Gravet, Esmeralda de Boïeldieu, l’ouvrit devant lui et la lut à son mari. La lettre expliquait que cet instrument de musique à deux manches était parfaitement adapté aux partitions virtuoses de Samuel Gravet, notre grand compositeur.

  • Ubi solitudinem

     

    Autour de la proue, l’embâcle mortelle dévorait jusqu’au sable des rives. La steppe s’étendait au-delà, étale et nue comme une lame. D’énormes nuages ventrus glissaient sur l’horizon, avec des éclats de ténèbres échappées.

    Un murmure sur la plaine, lointain et irritant comme un feulement de loup, courait jusqu’aux marins, quelques brutes intrépides que ces temps violents avaient fait naître.

    Conan vieillissant, s’abîmait dans la contemplation des âpres profondeurs du fleuve immobile ; il revit en un instant les ors sanglantes de sa gloire passée, ressentit à nouveau la brûlure des amours perdues et les fragrances jaspées des cheveux des guerrières, mortes pour lui, il s’attarda encore sur le souvenir du fracas des batailles, des cieux rougis par la sanglante poussière des combats,  et s’avoua que, depuis qu’il était parti pêcher le saumon avec ses copains, il s’emmerdait.

     

    FIN

     

  • CHEF

    Chef : Le « chef » fut d’abord la tête, qui, en son élévation divine, concentre les sens nobles et naturellement, contrôle un corps dévolu aux tâches indignes. On lira dans ce glissement du terme anatomique vers la personne qui incarne l’autorité d’un service, la métaphore d’une hiérarchie bien comprise. Le « chef », tête moyenâgeuse donc, a vieilli sans abandonner son couvre-chef, pour magnifier ce qui est supérieur : chef-d’œuvre ou chef-lieu. Mais sait-on que c’est grâce au chef qu’on achève ? qu’on a un livre de chevet ? et qu’on pêche le chevesne ?

  • Carnet à mots

    medium_carnet_a_mots.jpgDésolé pour cette image terriblement médiocre, mais je n'ai plus certain logiciel... Enfin bref. L'essentiel est d'évoquer ce précieux recueil des premiers textes de LiLou, autrement auteur de BD chez Onabok éditions; La diffusion bien assurée de ce livre devrait vous permettre de le trouver près de chez vous, en FNAC ou autre.

    Pour compléter votre information, ce petit texte que j'avais commis à la demande de LiLou :

    Pour son premier livre, LiLou s’interroge et interroge l’acte d’écrire. Le pourquoi et le comment. Qu’est-ce qui me pousse à écrire, comment oser, par quoi commencer, pour raconter quoi ?

    Sur le mode de l’évocation, encadrées par ce questionnement sur le sujet du livre lui-même, les rencontres et les sensations se succèdent et se complètent, s’enrichissent pour enfin créer un rythme, un ton. De visage en voyage, de lectures en promenades, LiLou assiste à la naissance de son écriture en même temps qu’elle comprend pourquoi elle écrit. Et nous, lecteurs, devenons acteurs de cet accouchement serein, souriant des vagissements de cet être singulier : un livre qui impose son existence par le fait de son propre engendrement.

     

  • Vocabulaire

    Réponse d’un éditeur sur un de mes romans (en substance) : intéressant, mais il faudra le retravailler : « il y a trop de vocabulaire ». Bien sûr, vous ne pouvez pas juger : vous n’avez pas lu, mais je vous assure que les termes les plus difficiles doivent être « miction », « éléphantin » (qui signifie « en ivoire »), « évanescent », « modénatures » et « coruscant »). Bon, d’accord, j’étais pas obligé, pour coruscant. C’est vraiment rédhibitoire, pour la lecture, une langue soutenue ?

    Ah oui : rédhibitoire, oups, excusez-moi.

  • absolument

    Il faut absolument que je tombe amoureux. C’est le meilleur moyen. Le seul sans doute, à part rejoindre un centre de soins pour lépreux ou me lancer dans la course clandestine sur le périph’ (en plus, y’a pas de périph’ dans mon patelin). Il faut ab-so-lu-ment que je parvienne à tourner la page.
    Mais les femmes sont tellement revêches. Ce devrait être simple. Je suis pas un cynique, pas méchant, pas dragueur. Je suis sincère. Il devrait être possible d’aborder une femme, de lui dire : « Je vous ai vue à l’instant, je vous trouve très élégante, très belle. Si vous êtes seule, accepteriez-vous une invitation au restaurant un de ces soirs ? Juste ça et rien d’autre. Je vous laisserai me parler de vous toute la soirée si vous voulez. Je voudrais juste, un soir dans ma vie affreusement vide, pouvoir m’habiller bien avec la perspective d’un rendez-vous en tête à tête avec une femme. Je n’en demande pas plus. »
    Bon, bien entendu, il faudrait qu’elle me laisse placer plus de trois mots après «…très belle. » mais qui sait ?
    De toutes façons, j’oserais jamais. Il n’y a que les salauds qui parviennent à faire ça, ceux qui ont assez de mépris pour les femmes. Ou bien ça peut marcher… Ou bien non : si j’aborde une femme exactement de cette façon, et que, par hasard, elle ait lu ce blog la veille, elle va croire que je suis un nul qui a besoin d’un autre pour trouver l’inspiration.
    Faudra que je trouve autre chose.