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kronix - Page 80

  • Le piège

    Accablé de prix célébrant son écriture chantournée et laborieuse, loué pour l'apparente moralité de ses propos et l'élévation de ses thèmes, cerné par de vieux érudits satisfaits de voir en lui le dernier représentant d'une veine romanesque vouée à disparaître, l'écrivain sauta sur la table du salon du livre et se mit à hurler : « Je ne suis pas mort ! »

  • Cause et effets

    La France est le pays développé où l'espoir en l'avenir est le plus bas, statistiquement. C'est aussi celui qui, proportionnellement, compte le plus d'athées.

    C'est qu'on a appris ne pas croire aux contes fées, je suppose.

  • Voir Grandir

    On n'évite pas les ombres, quand le soleil est bas, on n'évite pas les ténèbres des gouffres. Y'a pas que des saillies, il y a des abysses, de mauvais précipices. Des fois ça grouille et tu es pris de doute. Est-ce bien là que je vis, à ça qu'on me destine ? Des fois, le soleil est plus fort et l'ombre plus opaque. Alors mon doux péril, ma ressemblance, le froid t'enveloppe, alors la peur applique sur ta nuque la mouillure de ses lèvres. Ce n'est pas que l'on soit mauvais. C'est qu'on est bête. C'est que la clarté sur nos têtes allonge sur la terre de noirs épouvantails. Et pour quelques uns, les silhouettes étendues sont un désir de cadavre. Il faudra faire avec. Les ombres t'accompagnent, elles font des grimaces qui ne te ressemblent pas. C'est pourtant toi, petit, crois-moi, c'est pourtant nous, tout aussi bien. Il faudra faire avec.

  • Le dernier de la classe

    On punit le cancre en le laissant à l'arrière du groupe, de façon à ce qu'il ait peu de chances de trouver une rose des sables, dans la partie désertique où la classe se dirigeait à présent. Il ignorait tant de choses, le cancre ; mais il savait qu'on abordait ici un champ de mines. Il se retint d'y faire la moindre allusion.

  • La nostalgie n'est plus ce qu'elle était

    Entre les rayons, soudain, il remarque que tous les paquets de lessive sont rectangulaires. Quoi ? Plus de barils de lessive ? Plus cette amusante forme cylindrique avec sa poignée plastique ? Mais pourquoi, pourquoi ? Il s'adresse aux clients indifférents : « Mais vous réalisez que jamais vos enfants ne connaîtront cette forme particulière, cette invite, cette évocation de la colonne dorique, du tronc de mélèze, du tonneau des Danaïdes ? Vous vous rendez compte que quelque chose a été perdu, là, que nous ne retrouverons jamais ? » Il hurle, s'agenouille, bras en croix : « Pourquoi ? » Un vigile vient lui demander de se calmer, mais il déchire ses vêtements, se roule par terre, se couvre de cendres (car, opportunément, il en restait un petit tas, sous un rayonnage) « Ô désastre, Ô Apocalypse ! » Le vigile appelle à l'aide, des renforts viennent et emmènent l'exalté. Une caissière témoigne à une cliente, on voit de plus en plus de cas comme celui-ci, la nostalgie des choses disparues, la marche irrémédiable du temps, l'évidence que rien ne sera plus comme avant. La cliente hoche la tête, elle comprend. Elle-même, quand elle a appris qu'il n'y aurait plus jamais « Au Théâtre ce soir » et « La Piste aux étoiles », a connu une crise semblable, alors... Dehors, le client ne se calme pas, il ameute la population, inconsciente de son drame. On l'abat et tout rentre dans l'ordre. La caissière émet un soupir.

  • Je l'ai sur le bout de la langue, pourtant

    Huit mois entiers. C'est le record de durée d'une grève de la faim. Qui s'achève hélas de façon un peu pathétique quand l'impétrant, interrogé, admet ne plus se souvenir de quoi il retourne. Et meurt.

  • Parlons vrai

    Et bien oui, défendons le nucléaire !

    Défendons-le absolument, à tout le monde, tout le temps, et dès maintenant.

  • Aurélia et le cerisier

    Un rendez-vous réussi, c'est rassurant, cela donne à croire qu'on peut parfois contrôler la vie, lui faire les cadeaux promis, tels qu'imaginés longtemps avant. C'était sous le cerisier, c'était tout à l'heure, et c'était comme prévu, un verre de blanc frais à la main, avec le soleil pour compagnon. Il s'agissait de préparer la rencontre du 16 octobre, au Tramway à Lyon. Une idée de Laurent Cachard, m'invitant dans sa librairie préférée. Une bonne idée, donc.
    Forcément, tandis que Laurent, venu expressément chez nous pour cette raison (et grand merci à lui), évoquait les questions qu'il poserait et que j'esquissais les réponses qu'elles m'inspiraient, nous échangions des réflexions parallèles et complices, et réalisions cette évidence : les mêmes contraintes romanesques et historiques placent les auteurs face aux mêmes interrogations. C'est que Laurent, dans le même temps, pense à son travail actuel sur Aurélia, qu'il achève en ce moment-même. Ce que lui dis de mon « Affaire », du processus qui a présidé à son écriture, fait écho aux problèmes qui fondent son actualité scripturale.
    Des livres certainement très différents, deux univers, et un impeccable renvoi d'expériences. La rencontre d'aujourd'hui était très belle, elle augure d'une belle soirée, le 16.

  • Pas de quoi rire

    Ne sous-estimons pas le drame des voyeurs atteints de cécité.

  • Voir Grandir

    Je ne t'en dis pas plus, tu ne me croirais pas, je ne t'en dis pas plus. Grand ouvert garde-toi, tout prêt à te confondre, à t'étonner de tout. Une planète entière t'offre de quoi aimer, c'est beaucoup, cette offrande, Grand ouvert garde-toi, tout prêt à te confondre. Des cieux frangés de palpitations vertes, un givre de banquise couché sous les étoiles, une sonate, les jeux d'eau dans la villa d'Este, une pavane dédiée à une infante, des cors qui appellent Siegfried et des trains de nuit inaltérables, une tempête, un champ de blé, une rivière sous le vent, des déserts cuivrés, des cathédrales et des forêts, des géants sous les flots, ils ont pensé à tout, les âges d'avant toi, ils ont tout fait pour t'épater, en prévision du jour. Je ne te dis pas tout mais je peux te dire encore. Des palettes enivrées de colère ou des marbres laiteux, des danses africaines, des chants réinventés, des chorales, des cascades, des bleuets, des précipices et des sommets, des soleils endormis sur la grève, et les trésors à venir, ils ont pensé à tout, les âges d'avant toi. Je ne t'en dis pas plus, tu ne me croirais pas, je ne t'en dis pas plus.

  • Cible émouvante

    La cible, son motif de cercles qui tournent, qui tournent, avec quoi elle tente d'hypnotiser le tireur, pour le convaincre de l'éviter.

  • Les bienveillants

    Sous la plume de Nicolas Blondeau, et en attendant le 16 octobre, au Tramway avec Laurent Cachard, les Lyonnais s'intéressent à mon dernier roman.

  • Bomber le torse

    Bon, après le coup de blues de l'autre jour à l'issue des Mots Doubs, les désillusions de certains partenaires (et d'autres petites choses, mais passons), ces tout derniers jours ont été une suite de retours rassérénant. Des personnes que je connais ou pas, des mails, des lettres ou des témoignages, des mots venus de libraires, qui assurent que "L'Affaire des Vivants" s'accroche, prend ses marques, existe parmi le grand Tohu-Bohu de la rentrée littéraire et qu'il "sera un vrai livre de fond, sans grosse médiatisation, mais qui survivra,(...) et qui par le bouche à oreille sera un succès de librairie...et de cœur!". En fait, selon mon éditeur, il y a les libraires qui l'ont lu et le défendent, et les autres.

    Je vous livre ce témoignage d'une amie, du genre qui allège les doutes et permet tout de même d'y croire : "Je suis allée commander le dernier livre auprès de ma petite librairie ..., inutile de commander m'a-t-elle dit, ils sont en rayons, ils s'arrachent, ce n'est pas par un que je commande mais par 25 ! (Là, j'ai des doutes). Devant tout le monde, elle a parlé de son coup de cœur, de la belle langue. Une cliente a acheté juste après moi. (...) J'étais un peu abasourdie, et contente, elle ne me connait pas et je ne lui ai pas dit que je te connaissais, ainsi c'est spontané..."

    Bon, bon bon... Il y a donc de la place pour autre chose que les nouvelles délayées et inconsistantes.

  • Vieille connaissance

    Tiens, te voilà ? Salut, ça faisait longtemps. On va faire un bout de route ensemble, on va se causer, se tenir compagnie jusqu'à l'aube. Je ne sais pas si je suis vraiment content de te revoir, mais enfin, je me disais bien que tu ne resterais pas sans me donner de tes nouvelles, tôt ou tard. Installe-toi là, près de moi, ma vieille insomnie.

  • Persiste et signe

    Cet après-midi, je suis au Carnet à Spirale, belle librairie installée dans ses nouveaux locaux, place de la Bouverie, à Charlieu. J'y dédicace de 15 h à 18h mon nouveau roman « L'Affaire des vivants ».
    A 17h30, France Bleu Loire consacre une émission sur ce livre, désigné par Isabelle Rabineau et Lucas Rodriguez comme « précédé par la rumeur des libraires qui aiment ce livre, c'est un phénomène de la rentrée littéraire ». Si la technique suit, on pourra écouter l'émission dans la librairie, en direct.

  • Voir Grandir

    Et dire qu'on a fait ça, ma belle. Ma belle, on l'a fait. Toi plus que moi, d'accord. D'accord je veux bien. Tu as l'avantage du sang. L'avantage de l'eau, l'avantage du lait. Tu as l'avantage. Mais tu veux bien ? Qu'on partage cette victoire ? Je réclame l'égalité des sexes.
    Et dire que nous n'étions que nous. Que nous avions ce partage à venir, cet opéra, ce drame, cette musique de chambre. La part humaine la meilleure de nous deux, ajoutée au chant des Hommes, une voix de plus dans la grande chorale, que personne ne distinguera que nous. Nous saurons toujours cette voix, nous la saurons parmi des milliards. Et dire que nous avons porté au jour cet impeccable chant. Toi plus que moi, d'accord. D'accord je veux bien. Tu as l'avantage du sang. L'avantage de l'eau, l'avantage du lait. Tu as l'avantage. Mais tu veux bien ? Qu'on partage cette victoire ? Je réclame l'égalité des sexes.

  • Au Mots Doubs, le temps dure - 2

    Le lendemain, je reprends mon poste de travail. Je salue gentiment le staff de vendeuses qui ne me propose toujours pas de café mais ce n'est pas grave. Bougel apparaît, me demande ce que je suis devenu, hier, il m'a cherché partout entre les plateaux de toasts, a vérifié sous les tables, pas de Chavassieux. Je lui explique sinon mon agacement, en tout cas, ma préférence pour les pizzerias exilées. Bougel s'étonne que je sois peut-être moins mondain que lui, ce qui serait remarquable.

    Une femme s'arrête devant ma table, demande si j'ai « des romans d'amour » ; je ne m'attarde pas à lui dire que, peut-être, tous les romans sont des romans d'amour et la dirige vers mon voisin de gauche, dont le livre peut entrer dans cette catégorie. Le garçon se fend d'un début de pitch mais la dame l'interrompt après cinq secondes : « ça ne me plaira pas » et tourne les talons brusquement. Nous éclatons de rire. Un moment complice.

    Au téléphone, comme la veille, ma douce se désole pour moi. Je considère surtout ce précieux week-end, autant de temps d'écriture, jeté aux orties.

    Et puis, comme je m'obstine à griffonner sur mon calepin, s'approche une jeune femme. Elle m'annonce d'emblée qu'elle a crevé son budget aujourd'hui et qu'elle ne pourra pas acheter mon livre, mais que me voir écrire à la main l'a touchée. Je la rassure sur le fait qu'aujourd'hui pas plus qu'hier, il ne m'est paru urgent de vendre mes livres. Nous entamons un échange qui va ensoleiller ma journée. Les réponses que je fais à ses questions, ce que je lui dis de l'écriture, de mes choix de vie, les mots que je mets derrière le titre de mon livre, tout cela la bouleverse, et elle fond en larmes. Je crois que je ne suis pas loin d'être aussi bouleversé qu'elle. Elle décide finalement d'aggraver son dépassement de budget et achète deux livres, que je lui dédie avec une sincère émotion. L'un est pour un oncle et sur l'autre, j'ose déclarer que sa venue a expliqué la mienne, et que j'ai bien fait de venir. C’est un peu mélo mais le contexte, la beauté de ce partage, peuvent pardonner cet élan. La jeune femme repart, mes voisins sont silencieux, ils ont assisté à l'échange et sont remués eux aussi.

    Je note dans mon calepin que je pense à ceux que j'aime, à cet instant.

    Après le repas, je traîne pieds nus dans la pelouse du parc, le long du Doubs aux eaux transparentes. J'aime ce contact, je m'y livre dès que je peux, où que je sois. Je m'allonge dans l'herbe. Des nuages d'orage accumulent leur masse sur la moitié du ciel. La rencontre de tout à l'heure m'a rasséréné. Sur le stand, mon rentable voisin est parti. Je fais un sondage dans son ouvrage. Ma brève lecture est une confirmation. L'orage crève, la pluie gronde sur le toit de toile, le chapiteau fait chambre d'écho. L'effet hypnotique que produit sur une personne assise, la noria des visiteurs, est décuplée par le grondement qui enveloppe les lieux. Je flotte dans un éther blanc, coloré de silhouettes qui défilent.

    Corinne Desies-Dalloz, la charmante libraire de la Nouvelle libraire de Poligny a fait le chemin (pour la deuxième fois, apprends-je) pour me rencontrer. Elle veut me recevoir en novembre (nous avons choisi le 12 de ce mois, ce sera la saint Christian et pourquoi pas), et nous discutons un peu. Ce qu'elle me dit de sa librairie et sa façon de la conduire m'évoque irrésistiblement celle de ma douce. Corinne sera reçue dans quelques heures par France Bleu pour parler de « L'Affaire des Vivants » avec mon éditeur, Lionel Besnier, revenu expressément dans ce but. Lorsqu'ils seront au micro tous les deux, je serai dans le train. J'aime bien l'idée qu'un livre soit « défendu » autrement que par son auteur, qui n'est pas forcément le plus légitime pour ce faire.

    Sur le stand, Jeanne Labrune ne tient pas en place, je la vois sortir sans arrêt de son poste, marcher rapidement dans les allées puis revenir derrière ses livres.

    Une maman approche, tenant sa fillette devant elle. « Elle voudrait vous poser une question ». La petite qui doit avoir dix ans, prononce timidement une phrase que je ne saisis pas dans le brouhaha. Sa mère traduit : « Elle veut écrire un roman et elle aimerait avoir des conseils ». Pourquoi est-elle venue s'adresser à moi ? Je dois être le seul auteur désœuvré, je suppose. « Est-ce que vous travaillez tous les jours ? » je lui dis que oui, justement, pour écrire un roman, c'est la formule que j'ai choisie. « Mais même si tu n'écris pas, mets-toi au travail quotidiennement, ne serait-ce que pour relire ce que tu as écrit la veille, avec un esprit critique. Interroge chaque ligne, chaque mot que tu as écrit. » Après quelques conseils du même tonneau « fais lire ton travail, sois humble, accepte les critiques, enrichis ton vocabulaire, enlève les doigts de ton nez », ponctués d'encouragements, j'énonce un principe fort répandu : « Et surtout, lis, lis beaucoup. » Ce qui me vaut les remerciements de l'auteur-éditeur-agent littéraire à côté de moi, qui voit constamment s'adresser à lui de jeunes écrivains qui écarquillent les yeux quand il ose leur demander ce qu'ils lisent, ce qu'ils aiment lire, quel livre ils ont lu récemment. « Lire, pourquoi faire ? »

    Oui.

  • Bonus

    Pour ceux qui sont allés jusqu'au dernier chapitre de "L'Affaire des Vivants", cette séquence incroyable du film "J'Accuse" d'Abel Gance (version 1918). La scène du champ de bataille.

  • Aux Mots Doubs, le temps dure - 1

    Je suis à Besançon, au festival des Mots Doubs, devenue une institution en 13 ans d'existence. Comme toutes les fêtes du livre, c’est pour les auteurs l'occasion de montrer leur mufle aux passants qui n'en voient pas souvent et leur tâtent la croupe, les flattent, leur disent des gentillesses, s'étonnent de la taille de l'un, de l'âge de l'autre, qu'un tel soit encore vivant. L'occasion pour les visiteurs surtout, de voir en vrai les gens qu'ils ont vu à la télé. On y trouve aussi des écrivains et des lecteurs.

    Je rends d'abord visite à mon pote Bougel, tout gracieux et souriant (si si), tellement un salon avec des vraies gens et des écrivains qui ne se prennent pas pour des génies incompris, le change des cercles poétiques qu'il pratique depuis trop longtemps.

    Je prends ma place sur mon stand. Je suis entre, à ma gauche, un jeune auteur qui a commis un best-seller traduit en trente langues après avoir fait un stage pour apprendre à écrire un roman de 120 pages écrites en caractères 20 et, à ma droite, un malicieux et paisible auteur, éditeur et agent littéraire (la première fois que j'en rencontre un), tous gens de bonne compagnie par ailleurs.

    Je vois assez vite que j'aurai du temps devant moi et entame le synopsis d'une BD sur les pirates, demandé par un copain.

    A ma gauche, le futur Marc Lévy livre à ses lectrices une combinaison de platitudes qu'elles reçoivent en gloussant et en achetant. A ma droite, le malicieux auteur-éditeur-agent littéraire me glisse sa carte.

    Les piles de mes bouquins, devant moi, font sur la foule le même effet que la proue des brise-glace sur la banquise : elles semblent la partager régulièrement en deux, un flot se dirigeant à babord vers le type qui a produit un livre « qui fait du bien » et un flot vers tribord et les productions décentes de mon voisin.

    L'après-midi passe plus lentement que les badauds. Parfois, un visiteur bloqué dans la foule soulève un de mes bouquins pour se donner une contenance, puis reprend le fil de sa promenade. Inconsciemment ou pas, le staff de vendeuses ne propose un café qu'aux écrivains qui vendent. Pour me remonter le moral, je lis les lettres d'Alice Ferney et de Christian Degoutte, qui sont agrafées dans le calepin sur lequel, après le synopsis de mon histoire de pirates, j'écris quelques vers de « Voir Grandir », production future en collaboration avec Jérôme Bodon-Clair.

    En fin d'après-midi, mon éditeur vient me voir. Il habite dans la région, a eu la gentillesse de sacrifier son temps familial pour venir voir son auteur, non plus grincheux, mais assez déprimé. L'occasion de mieux se connaître, de parler de son parcours. Je me vois confirmer l'impression première que j'ai la chance d'être tombé sur un type bien.

    Sur le stand retrouvé, une dame qui fait partie d'un comité de lecture m'annonce que je fais partie de la sélection du Goncourt des Lycéens. Devant ma surprise, elle s'excuse en bredouillant qu'elle a dû me confondre avec quelqu'un d'autre. Je reviens à mon calepin où je griffonne des lames de couteaux et des viscères qui pendouillent.

    Le soir tombe enfin sur mes piles, absolument intègres. Je découvre mon hôtel, à 5 minutes à pied. Dans l'ascenseur, la voix féminine qui signale les étages est tellement torride qu'on cherche une serrure, un bout de moquette épaisse, un mouchoir, n'importe quoi pour vite se soulager.

    Tout le monde est invité à manger le soir au « restaurant des auteurs ». Docile, je m'y rends. C'est un pince-fesses avec Crémant et petits fours. Autour de moi, j'entends évoquer des succès de signatures impressionnants. Je saisis une coupe et me rencogne près d'un plateau apparemment négligé par la foule, grégarisée au centre du dispositif. Peut-être que quelqu'un a éternué sur le plateau, avant que j'arrive ? M'en fous, je meuble ma mauvaise humeur en raflant la moitié des toasts. Il y a de la viande, tant pis, rien n'a de sens, pas plus le fait de se casser le cul à peaufiner la moindre virgule d'un roman de 300 pages, que de tenir à rester végétarien. Le repas n'est toujours pas servi, je décide de partir.

    La marche est agréable dans la douceur des rues. J'avise une pizzeria qui n'a jamais entendu parler de l'Italie. Je m'installe dans une pénombre à peine désorganisée par des taches de lumière bleue, verte et rose. Tandis que le cuisinier s'active derrière une vitre, en retrait de la salle déserte, je regarde fixement le mur décoré façon Tahiti, en face de moi. Une chanson pop, diffusée par un ordinateur, devient dans le contexte, un magnifique cantique élégiaque discourant de la fin du monde et de la vanité des entreprises humaines. Le cuisinier apporte la pizza. Surprise : elle est merveilleusement bonne, et accompagnée d'une sauce-maison préparée avec amour. En voilà un qui doit se demander comment, malgré tout le soin qu'il met à travailler ses énormes pizzas, les gens peuvent leur préférer des surgelés insipides.

  • N'y voir goutte

    Cette pluie gênante, qui empêche de voir s'il fait beau.