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rencontres avec des gens biens - Page 13

  • 2744

    Paco sous la lumière

     

    Couv_Paco_LC.jpgEncore une très belle livraison de la maison d'édition stéphanoise Le Réalgar, en cette fin d'année.

    En une soixantaine de pages, Laurent Cachard, (auteur de Valse, Claudel chez le même éditeur et de tant d'autres textes poésies et romans, souvent présentés ici), s'efface pour donner la parole à Paco de Lucia, immense musicien de flamenco disparu en 2014. Il prévient : c'est une fantasia, un livre amoureux, que les puristes rangent leurs anathèmes, que les vétilleux veuillent bien s'abandonner à la confiance (d'ailleurs, on devine derrière le texte, l'appareil documentaire mis en œuvre, le souci de précisions techniques dans tous les aspects du jeu, un grand soin qui devrait satisfaire les gardiens du temple). Il s'agit de partager une passion ancienne et sincère. L'auteur a choisi d'entrer avec respect dans le monument pour lui faire raconter sa vie à la première personne, un monologue intérieur adressé à son fils. Diego avec qui il jouait au foot sur une plage de Cancun, Diego qui lui tient la main pendant que le guitariste se laisse gagner par la sensation de partir, foudroyé par une crise cardiaque à l'âge de 66 ans. Une soixantaine de pages extrêmement denses, riches de références, de noms, de termes musicaux, parce qu'il y a tant à dire pour un aficionado, et parce que le temps se précipite, toutes les heures de la vie se concentrent dans ces derniers instants. On apprend ainsi que Paco est parti pour l'Amérique à l'âge de 12 ans, avec son frère Pepe, qu'il a côtoyé, là-bas les plus grands, enregistré avec les stars du flamenco exilées à New-York, et qu'on le considéra très vite comme le musicien qui assurerait la relève. Plus tard, on tentera de lui coller l'étiquette vague de « fusion », déjà appliquée au jazz par exemple, mais Paco ne veut revendiquer que sa démarche qui est de « transposer les inflexions du chant dans la guitare, seul élément qui caractérise mon jeu ». Avec José Camaron qu'il admire (mais avec lequel il est fâché, ce sera sa grande blessure), il est un créateur, un découvreur, un inventeur, il intégra le son sec du cajon, découvert au Pérou, percussion que tout le monde adopta ensuite, il fit jouer des saxophonistes, des bassistes, des harmonicistes, autant d'instrumentistes non traditionnels pour une culture nourrie de rituels. Ses officiants s'effrayèrent à l'idée, sans doute, de perdre cette grâce qui doit « présider au jeu », cette force (« le goût du sang dans la terre ? ») qu'est le mystérieux et intraduisible Duende que l'auteur, dans un véritable tour de force, parvient à nous faire ressentir (nous, pauvres cartésiens). 
    On sent chez Laurent Cachard la constante préoccupation de tout mettre en œuvre pour au moins cerner les contours du mystère d'un être hors du commun, énigme pour lui-même, et cela produit un de ses textes les plus forts et les plus accomplis. Mais ce n'est pas la seule raison.
    Paco est un livre de la reconstruction, le long mûrissement qui l'a mis en œuvre, les raisons de son écriture et l'élan qu'il va désormais permettre à son auteur, sont des arcanes intimes dont rien ne sera dévoilé ici, mais le lecteur doit savoir que le livre qu'il tient entre ses mains est un moment essentiel dans le parcours littéraire de Laurent Cachard. S'il était plus tard, s'il était trop tard, (si on osait) on pourrait quasiment parler de testament, ou d'une sorte de fin de boucle entreprise avec son premier opus édité (car il existe, nous confie l'auteur, un lien entre ce livre-là et son premier). De même, si « le flamenco a toujours eu peur de la mort, tout en la chantant », le daemon, l'esprit du flamenco, l'essence de cette musique, peut se décrire comme un cycle. Musicien, tu accompagnes, « tu recommences, jusqu'au remate. Tué deux fois. (…) en musique, on fait tourner, continuellement, à force, on finit par croire que la vie est pareille. » Paco ainsi a vécu entre deux plages, l'une pour sa naissance, l'autre pour sa mort, entre deux eaux, Entre Dos Aguas, un morceau qui durera le temps qu'il doit durer, cette durée-là, que personne d'autre ne connaît, le maestro, le maître, maître alors de son destin, la contrôle, seul. L'auditeur n'en sera quitte qu'une fois le voyage accompli. Et la boucle est bouclée, il est l'heure de revoir sa vie, d'en tracer un bilan en forme de courbe donc, et de s'interroger sur ce l'on transmet. « Ce fut parfois dur d'être Paco », se dit-il en repensant peut-être aux 10 heures quotidiennes de guitare imposées par son père dès l'âge de 9 ans (« serrer les dents, libérer les notes »), ce que Paco saura épargner à son fils. Il devine que ce sera dur d'être le fils de Paco, plus dur que d'avoir été le fils de Lucia, le nom de sa mère, adopté comme nom de scène. Paco espère son fils assez fort pour devenir lui-même. « j'aurais bien aimé voir Diego me dribbler encore », songe-t-il simplement. Une vie sacrifiée à son art, mais dont il ne souhaite pas qu'elle soit une charge pour ceux qui suivront. C'était son affaire. L'Andalou « ne sait rien de la masse et de la revendication, il est seul face à sa souffrance ». Les solistes sont seuls, même au cœur d'un orchestre. Même quand il s'agit de faire renaître, à l'unisson, les jardins d'Aranjuez.
    Le final du livre cause un surcroît d'émotion au terme d'un texte qui en est riche. Il prend la forme d'un épilogue où Paco revit sa participation au célèbre concierto de Rodrigo. "Et quand je me revois avec l'orchestre symphonique, je ressens l'impression, encore, d'être la partie d'un tout sans lequel on est rien."
    Cette conclusion est le signal du regain pour un auteur que l'on a hâte de voir reprendre la grande symphonie littéraire entreprise il y a quelque temps. Ses aficionados attendent.

    Paco, Laurent Cachard. Editions Le Réalgar. 65 pages ; 8 €. La couverture est le détail d'une toile signée Claude Poty.




  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    Une chose que je n'avais pas anticipée : en cette période, les blogueurs font le bilan de leurs lectures de l'année. Ici, OToulouse, blog toulousain (j'imagine), liste ces chouchous. Et quel est leur chouchou de 2015 pour la catégorie Fantasy, hein ? Hein ? Allez :

    "Le Roman Fantasy de l’année

    Les Nefs de Pangée, de Christian Chavassieux

    éditions Mnémos

    Un monde original débarrassé des poncifs de la fantasy habituelle, un propos non manichéen, une histoire en un seul tome : le dernier roman de Christian Chavassieux dispose de toutes les qualités que l’on attend de la bonne fantasy française, et c’est déjà pas mal. Mais c’est loin d’être tout, car s’il recèle effectivement la plupart des meilleurs aspects de ce que peut nous offrir ce genre, il en évite aussi l’air de rien la majorité des pièges. Bien qu’il nous décrive l’histoire de tout un monde, ses peuples, ses coutumes et ses croyances, il n’en fait pas pour autant un univers figé, sclérosé, factice. Pangée vit, évolue, change. Surprend. S’il nous narre en parallèle les destins de multiples personnages sur plusieurs décennies et plusieurs pays, il manie l’ellipse avec une efficacité redoutable, laissant au lecteur le soin de remplir les blancs à sa guise. Quant au style, il passe sans effort d’un lyrisme digne des sagas antiques pour nous faire vivre la mythique Dixième Chasse à une plume plus intimiste pour les nombreux moments de vie et d’émotions qui parsèment cette épopée à l’échelle d’un continent. Un quasi sans faute donc, jusqu’à sa magnifique couverture !"

  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    " s’il n’y avait qu’un livre à découvrir cette année, je vous dirais sans doute que c’est celui-là !" conclut l'auteur de la chronique courte mais stimulante. Celle de cet E-maginaire, datée d'hier, titrée "dernière ligne droite avant Noël" où les Nefs figurent en tête et sont le coup de cœur de l'année pour le chroniqueur. Merci à ce lecteur (cette lectrice ?).

  • 2728

    "L'Affaire des vivants" va continuer d'exister un peu en 2016, grâce au prix Lettres-Frontière et aux rencontres qu'il va inspirer aux médiathèques partenaires. En attendant, de temps en temps, des lecteurs le découvrent par hasard, et continuent à l'apprécier.

  • 2719

    Attend tranquillement l'annonce d'un nouveau massacre. Dans les urnes, cette fois. A voté, histoire de faire un pied-de-nez à tous ceux qui trouvent ça inutile tout en découvrant qu'on a mis en place pour eux des systèmes qui ne leur conviennent pas.

    Chacun a ses raisons, après tout, je m'en fiche. Je crois faire ce qui doit être fait.


    En tout cas, hier, à la Médiathèque de Fleury, c'était très agréable. Il y avait du monde. Des têtes nouvelles, des amis. Je crois que j'ai été un peu soporifique. J'ai lu des passages de La Grande Sauvage, qui ont suscité quelque gourmandise. Parfait. Des livres, des rencontres, un public venu remplir la salle, des discussions autour d'un pot, ensuite.

    En fait, je sais pourquoi je vote.

  • 2717

    Aujourd'hui, à partir de 15 heures, j'ai le plaisir d'être invité par la Bibliothèque de Fleury-la-Montagne, en Saône-et-Loire. J'y évoquerai Les Nefs de Pangée surtout, mais aussi L'Affaire des Vivants, puisqu'il n'était pas encore paru lors de mon dernier passage dans les lieux, il y a deux ans. Je conclurai par une lecture d'extraits de mon prochain roman, à paraître chez Phébus : La Grande Sauvage.

    Entrée libre, petit pot préparé par les bénévoles, bonne ambiance et public en général assez nombreux. Je me prépare à un agréable moment. Je vais faire en sorte que ce soit réciproque.
    Il ne sera fait aucune remarque aux personnes qui sont venues pour seulement écouter, et il se peut même qu'on les remercie d'être venues.C_Chavassieux_Fleury_Les Nefs-2015.jpg

  • 2709

    LequipedeGilly_LF-Geneve_2015.jpgUn grand merci à la Médiathèque de Gilly-sur-Isère, dont le soutien ne s'est pas démenti depuis la sélection du Baiser de la Nourrice en 2009 pour Lettres-Frontière. Une des belles histoires d'amitié que ce prix a générées. L'occasion pour l'équipe d'affirmer qu'elle avait bien raison de "croire" en moi. C'est réciproque. Je crois en cette équipe et en l'énergie de sa responsable, Marielle. En bonus, la vidéo de mon discours, à la fin de l'article, où il est question, justement, de l'amitié.

  • 2706

    Savoir pourquoi on écrit est une question à peu près réglée. Mais pourquoi on exhibe ce qu'on écrit, pourquoi on montre son texte à tous les passants, c'est autre chose. Orgueil, mégalomanie, sûrement, prétention aussi, tout ça. Et puis parfois, un lecteur vous dit son enthousiasme, d'autres vous écrivent, une amie vous envoie la photo émouvante des mains de son père, parce que le passage d'un de vos livres les lui a irrésistiblement évoquées. Ou encore, le témoignage est indirect, particulièrement touchant. Un ami (je ne sais, à l'heure où j'écris ces lignes si je peux le citer), bénévole dans une association d'hébergement et d'aide aux sans-abris, discute avec un résident qui était venu voir Pasiphaé, en janvier, à Roanne. Voici l'anecdote qu'il me rapporte :
    « Le type que je connais assez bien me dit qu’il a depuis ce jour en tête une phrase de Dédale, phrase qui lui parle, qu’il reprend, il la cite sans sourciller, c’est important pour lui : « Pose ta vie sur la scène, assieds-toi en face, et regarde si le spectacle te convient ! ». Le gars doit avoir la cinquantaine, la barbe courte, les cheveux dans tous les sens, tu sens les années de galère, le nez trogne etc… Il y a des petits instants magiques parfois, c’est juste beau. »
    Ça n'explique pas tout, mais dans de tels cas, on se dit qu'on n'a pas eu complètement tort d'oser porter son écriture à la connaissance des autres.

  • 2700

    Au cours de la table ronde de l'Usage des Mots, à Genève, l'excellent Mathieu Menghini, modérateur du débat où j'étais en présence de Slobodan Despot, subtil colosse auteur de Le miel (et que d'incises et que d'incises !), me demandait en substance pourquoi je me trouvais être auteur d'une littérature du « quelque chose », plutôt que d'une littérature « du rien ». Sans citer Barthes, qui supposait que la littérature est le moyen par lequel nous tentons de nous représenter le réel, je dis d'abord que je vivais quelque part et que j'avais conscience du concret (prisonnier du concret ? C'est possible, je ne le nie pas). Ma littérature, supposais-je, est la conséquence de ce constat. Je n'ai pas le talent d'écrire sur rien, ou en tout cas, de faire semblant d'écrire sur rien (ce rien, qu'en vérité on ne peut concevoir, disons que, passé au filtre des mots, ce serait le subtil aménagement des creux de la vie, un esthétisme du doute, enjeu que je respecte, et manque à cette définition l'exemple d'un auteur, vous compléterez - qui a dit Bobin ? ; je pensais Duras), mais surtout, me vint brusquement à l'esprit que ma possible littérature « de quelque chose », a pour cause le besoin, la nécessité d'élever mes récits à la hauteur des mythes. Pas une prétention, je le redis, mais une nécessité, pour ainsi dire le moteur de mon écriture. Que le but soit atteint ou pas, je ressens le besoin d'embrasser un thème et d'en cristalliser les aspects sous la forme d'un conte mythologique. Ce en quoi, Slobodan Despot m'approuva. Nous avons donc un point d'accord.



    Et c'était la 2700e note, les poteaux !

  • 2698

    La Grande Sauvage ne sortira finalement qu'en 2017, chez Phébus. Non pas que mon manuscrit ne soit pas prêt en temps et heure, soit début 2016 comme prévu, mais mon éditeur (venu me soutenir à Genève, les contrats sous le bras, je suis tout embarrassé par sa vraie gentillesse), ne veut pas gâcher la sortie du roman par une campagne précipitée. Je suis bien d'accord. Comme j'aborde la dernière partie de ce roman, je réfléchis avec plus de sérieux aux chantiers suivants. J'avais d'abord pensé tenir ma promesse à mon autre éditeur, Mnémos, en écrivant la préquelle (ou antépisode pour nos amis canadiens francophones) de Mausolées. Sauf que les événements qui conduisent à l'état de la société telle que décrite dans ce livre, nous sommes en train de les vivre. Relater le plein chaos dont nous vivons les prémices, m'ôte le plaisir essentiel d'un peu d'exotisme. Je suis donc partagé. J'imagine alors, plutôt, travailler sur l'après-Mausolées. Aller voir plus loin, explorer ce qui résultera de tout ça dans 200 ans, retrouver Set-Zubaï et le fantôme de Léo Kargo.
    Mon « actualité » de 2016 sera donc théâtrale, essentiellement, avec la reprise de Pasiphaé à Paris, et la création de Minotaure, à Roanne. Il faut bien continuer de se projeter. C'est la nature humaine, je suppose.

  • 2696

    Élève contre la bêtise ce rempart, apaise-moi, que je dorme contre toi. Et pour être certain que la muraille soit assez puissante, lis-moi Proust, s'il te plaît.
    (Ce qui fut fait, et je m'endormis)

  • 2695

    Après le 7 janvier, complètement abasourdi, je m'étais abstenu de tout commentaire. Tant de choses belles et intelligentes avaient été dites. Aujourd'hui, sans doute parce que je les ai vécus différemment, je me suis cru autorisé à ajouter ma petite pensée sur les événements de vendredi soir, au déferlement habituel de bons sentiments. Je me dis "tant pis", je me dis "je témoigne", je me dis "pourquoi pas ?". Ci-dessous, l'extrait d'une lettre à une amie chère :

    "Nous sommes des créatures d'intentions, je veux dire des êtres dont les actes sont limités. Pourquoi ? parce que nos intentions sont nobles et que le résultat vers lequel nous tendons, à savoir une paix universelle, le bonheur pour tous et la justice enfin équitable, est hors de portée, non seulement de nos modestes actes, mais hors de portée de l'humanité depuis son avènement. Ce qui nous épuise et nous abat, c'est que nous ne renonçons pas à un tel projet, contre toute évidence.
    Je ne sais pas s'il a pu venir à l'idée des commanditaires et de leurs sbires endoctrinés, que le nombre des morts, la menace de leur violence, pouvaient avoir le moindre effet sur notre détermination à améliorer le monde, je ne sais pas s'ils ont cru cela, mais si tel est leur but, ils ont déjà perdu.
    Peut-être viennent-ils nous rappeler à temps que nous avions un projet, né il y a deux siècles, et que nous avons, sinon trahi, au moins négligé : celui d'une société de progrès pour le plus grand nombre. Cette cause a désormais ses martyrs, hélas, elle n'en avait pas besoin. Ne les oublions pas."

  • 2691

    Comme vous le savez peut-être, L'Affaire des Vivants, mon livre paru l'an dernier chez Phébus, fait partie de la 22e sélection Lettres Frontière. J'en suis très honoré, et heureux surtout parce que cette sélection a du sens pour moi.  Le Baiser de la Nourrice, mon premier roman, avait été pareillement distingué, et les rencontres que cette distinction suscita furent fécondes en amitié, et essentielles pour accepter l'idée que, oui, bon, j'étais un écrivain. Ce n'est pas rien. Une sorte de baptême.
    Budget limité oblige, je n'ai pu m'autoriser que la découverte des auteurs rhônalpins. À la lecture des ouvrages de mes quatre confrères, je dois dire que je ne sais pas comment va faire le jury pour resserrer son choix sur une seule œuvre « coup de cœur ». Je lui souhaite bien du plaisir. Débats houleux en perspective.


    Comment j'ai mangé mon estomac. Si l'humour est la politesse du désespoir, c’en est aussi un des vaccins les plus efficaces. Atteint d'un cancer, tandis que celui de sa femme s'est déjà déclaré, Jacques A. Bertrand nous fait vivre le parcours bien balisé des soins, des salles d'attente, des sondes humiliantes, des chimios et des radios, des rencontres avec des docteur Bo, professeur Po ou docteur No, sans nous infliger de pathos complaisant, ni d'épiphanie finale, alors que tout cela serait légitime. Sa grand-mère disait souvent « ça me fait souci » quand un problème pointait son nez, Bertrand renverse les vapeurs coutumières en sous-entendant « ça me fait écrire ». Et voici bien la capacité de transmutation qu'on demande à un écrivain. Parce que, quand l'œuvre est accomplie, elle l'est pour le bien de tous. Si on ne craignait pas d'énoncer quelque lourdeur à propos d'un livre si alerte, on pourrait même parler de leçon de vie. Mais chut...

    Tristesse de la terre. D'abord, d'abord, pour un amoureux des stylistes comme moi, le plaisir de retrouver la belle et puissante écriture d'Eric Vuillard, que j'avais personnellement adorée à la lecture de Conquistadors (2009, déjà ?). Et puis ce thème, prometteur : l'histoire de William Cody, plus connu sous son pseudonyme (effarant et grotesque, quand on y pense) de Buffalo Bill, à partir de son fameux Wild West Show. J'ai lu ce livre assez tôt, avant de savoir qu'il était sélectionné pour Lettre-Frontières, et le souvenir s'en est en partie effacé. Essayons tout de même. Parce que, justement, je me souviens d'un beau moment de lecture, d'une série de surprises, de la tristesse éprouvée pour Sitting Bull, jouant son propre rôle dans le show, des rapports plus ambigus que j'imaginais (l'histoire ne m'était pas inconnue) entre Buffalo Bill et le chef indien. Il me reste de tout cela une vague nausée, une tristesse en effet, l'impression d'au moins un mystère qui résiste à l'auteur lui-même (volontairement, j'imagine, on ne résout rien sans dommages pour la littérature) : qui était William Cody ? L'autre mystère semble le véritable sujet du livre, en tout cas son approche essentielle : quel est ce monde paradoxal qui dévore les faibles pour ensuite en admirer une représentation indécente et rabaissée ? La fascination de l'occident pour ce qu'il ne peut se retenir de détruire.


    Le collier rouge. Ruffin, toujours parfait. Un roman court qui pourrait presque inspirer une pièce de théâtre, puisque l'essentiel du livre est soutenu par deux protagonistes qui dialoguent : Lantier, juge venu enquêter sur l'acte de provocation d'un héros de guerre, et Morlac, le héros en question. Il y a aussi un chien mystérieux, souvent hors-champ mais dont les aboiements occupent toutes les pensées. Le moment le plus fort du roman, les quelques lignes qui permettent au récit de l'élever au dessus des considérations habituelles sur la guerre, est le bilan terrible de Morlac sur le vrai héros de guerre : ce chien qui aboie là-bas, qui était avec lui sur le champ de bataille. Normal qu'un chien soit un héros, il est le soldat idéal, parce qu'il est, intrinsèquement, in-humain. La misère du soldat, et sa possible révolte, viennent du fait qu'il est humain, désespérément, et malgré tout. Pour les lecteurs que le sujet pourrait rebuter, qu'ils se rassurent : ça se termine bien pour tout le monde.


    Le mal que l'on se fait. Je l'admets, je ne connaissais pas Christophe Fourvel, publié régulièrement chez La Fosse aux Ours et à qui je voue désormais une admiration profonde. Le mal que l'on se fait aurait pu s'intituler L'Etranger, mais c'était déjà pris. Le personnage principal est approché par bribes, au fil d'une déambulation dans deux villes où il va séjourner plusieurs mois, en Amérique latine et en Turquie, avant de revenir en France. Les raisons de son périple et de son retour, nous seront connues dans la troisième et dernière partie, alors que le « il » initial s'est insensiblement mué en « tu », et donc, a fait traverser le lecteur, par cercles concentriques, de l'enveloppe d'un être jusqu'au plus juste de son intimité.
    Des récits d'âmes désamarrées, de solitude paumée dans un ailleurs, la littérature en est obèse. Sauf que là, l'errance n'en est pas une, les pas modestes que fait cet homme (comme font tous les hommes, rappelle l'auteur : « Un homme ne peut pas grand chose, il accomplit de petits pas ») le rapprochent d'un enjeu essentiel auquel il doit se confronter, qu'il doit affronter. La pénitence, double, voire triple, tant l'intolérance de ce salaud a provoqué de malheurs. Notre étranger n'a peut-être pas vécu « trois minutes intenses » depuis des années, et cela vaut peut-être mieux : prendre vraiment conscience de l'ampleur du mal qu'il a causé serait insupportable. Et pourtant, après une ultime rencontre, nécessaire et terrible, par laquelle il espérait partager la responsabilité du drame qui l'a lancé dans son périple, il revient au salaud la tâche d'accepter le désastre. L'errance reprend, il n'ira pas loin. De toute façon, pour ceux qui restent, il y a un avenir, et ça, ils n'y peuvent rien opposer.
    Le mal que l'on se fait est d'abord un texte, pardonnez ce truisme, je veux dire : il est ce que je cherche dans un livre, une voix, une langue au plus près, l'incessant questionnement des mots pour disséquer ce qui ne nous épargne pas. Bref, un texte. Oserais-je dire que c'est le meilleur livre de la sélection ? Non, ça ne se fait pas, hein ?


    De la sélection suisse, je n'ai lu que Le Miel de Slobodan Despot, parce que c'est avec cet auteur que je partagerai une heure de rencontre le 14 novembre, à Genève, dans le cadre de l'Usage des Mots, la manifestation organisée par Lettres Frontière. Je me permettrai de n'évoquer mon ressenti qu'après, de façon à tenir compte de ce que je pourrais apprendre alors.

    Pour plus d'information sur les livres et la sélection, rendez-vous sur le site de Lettres Frontière.

  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    J'adore celle-ci. Je ne connaissais pas "L'ours Inculte", mais le ton, les illustrations et l'à-propos de la critique sont un régal.

    "Une des particularités de ce roman est son échelle, au niveau du temps comme de la géographie. Il se déroule sur des dizaines d’années et s’étend sur des milliers de kilomètres et pourtant on ne sent jamais que l’intrigue s’éparpille, tout est cohérent, tout se tient et on ne perd jamais le fil"

  • Rencontre

    M_Vuillermet.jpgC'est demain, à la bibliothèque de Fleury-la-Montagne.

    Maryse Vuillermet évoquera bien sûr "Pars! travaille!" (dont Kronix parlait ici), son dernier livre paru à la Rumeur Libre, mais aussi ses opus précédents, de ses racines, de ce milieu modeste qui l'a construite et lui impose, livre après livre, de relayer la parole des humbles.

     

    Venez nombreux, je vous garantis que ce sera très bien.

  • 2682

    Un ami homo me confie son journal inédit. Grand honneur. L'une des années se conclut avec une scène affreuse où une voisine lui défend de seulement regarder ses enfants, en le traitant avec rage de pédé, faisant la confusion que les imbéciles font classiquement entre cette orientation sexuelle et une perversion, la pédophilie. Mon ami, bouleversé, met des mois à s'en remettre (la lente réparation de cette blessure se lit au fil de son journal). Lisant cela, je réalise que c'est une expérience pratiquement intransmissible, je n'ai pas d'équivalent pour juger de son traumatisme. On n'a jamais cherché à me faire du mal de cette façon. La pire insulte que je crois avoir reçue a été « philosophe », par le plumitif de l'hebdo local, qui voyait dans ce qualificatif le sommet de la veulerie bien-pensante. Ça m'a surpris, ça m'a fait rire, mais je dois avouer que ça ne m'a pas blessé. Ou alors, si légèrement...

  • 2678

    Elle nous parlait, nous souriait. N'était plus exactement de notre monde, approchait l'autre. Et le savait. Elle l'a rejoint et nous devons mesurer la distance qui nous séparait d'elle, tandis que nous étions en sa présence.  

  • Les Nefs de Pangée - Dédicaces

    Je serai demain de 10 h à 18 h, sur le stand des éditions Mnémos, aux Intergalactiques, à Lyon. C'est à la MJC MONPLAISIR, 25 Avenue des Frères Lumière dans le 8e.

    J'y serai en bonne compagnie. (Attention : contrairement à ce que dit le programme, on ne m'y verra pas aujourd'hui, samedi.)

    Venez me voir...

     

  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    Deux très bonnes chroniques pour les Nefs de Pangée en un seul jour. On ne se plaint pas. Ici, un billet des lectures d'Efelle, qui conclut : "Avec cette magnifique fresque, Christian Chavassieux livre une histoire prenante et poignante des plus réussies. Sans nul doute ma meilleure lecture de l'année. Un roman vivement recommandé et incontournable."

    Je n'ai pas envie de contredire ce lecteur qui semble avoir beaucoup de goût.