La quasi perfection de ces créatures numériques, dans les films ! Qu'on ne s'inquiète plus de la disparition de leurs modèles : les répliques générées par ordinateur nous laisseront rêver aux baleines, aux girafes, aux éléphants, aux loups. On ne les croise pas au quotidien, alors ? Les images réalistes suffiront. Leur présence rassurante se manifestera dans maints documentaires et fictions, les fauves continueront leur odyssée symbolique bien après leur extinction.
Et puis un jour, les machines regarderont des images d'humains qui jouent et chantent, et ils songeront au bénéfice de ne côtoyer que des fantômes.
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Mes idées stupides :
Comme ma femme s'était plainte, au cours de cette soirée, qu'un malotru l'ait importunée, aller demander des comptes à ycelui, assis tranquille au bar : « dis-donc, machin... » Et, quand le gars se redresse, réaliser qu'il est deux fois haut et large comme moi.
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Mes idées stupides :
En cours de Physique-chimie, tenter de tordre le tuyau du robinet, au dessus de la paillasse, en sous-estimant :
1- la rigidité du robinet
2- la solidité de la base du robinet
3- l'impact d'un jet d'eau d'1 mètre, surgit au milieu de la classe. -
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A cette saison, chaque matin est un ravissement. Le plus grand de nos cerisiers est en fleurs et sa voûte blanche, parfaitement dessinée, cueille la lumière et s'expose dans toute sa splendeur au moment où je tire les rideaux.
Pourquoi éprouve-t-on la beauté, que signifie qu'elle soit bonne, d'où vient cette sensation, cette émotion née au contact de l'équilibre et de l'éclat ? Quelle nécessité de l'évolution a produit cette disposition à s'émerveiller ainsi, sans effet sur l'efficacité de la chasse, la connaissance des fruits, les caprices du ciel, le savoir des migrations… ? Pourquoi et depuis quand sommes-nous des créatures avides de beauté ? C'est peut-être cette propension qui nous sauvera de tous nos autres penchants.
Ou bien, comme ce matin je réalisai que les fleurs tombaient déjà, que la forme blanche allait disparaître, je me dis que peut-être, le sentiment de la beauté est lié à son caractère éphémère. Que c'est sa dimension tragique qui nous saisit. Sans l'imminence de la fin, point de beauté. Demain matin, l'arbre aura moins de fleurs, l'enchantement s'amoindrira, deviendra autre. Et, je sais aussi que, de savoir regarder et m'attarder là-dessus, m'améliore. -
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Leurs idées stupides :
Un copain qui décide de s'arracher une dent tout seul, à la tenaille, après une rasade de whisky, façon cow-boy. L'incrédulité du dentiste, trouvé en urgence, qui a dû réparer les dégâts...
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Je réalise ce matin que cela fait six ans que j'ai quitté mon travail pour me consacrer à l'écriture. Six ans que je « vis » grâce à ma « plume », selon la formule. Grâce à ma douce, aussi, qui a eu le courage de soutenir et partager cette vie bizarre et pas évidente (plus de spectacles, de cinoche, de restaurants, pas de vacances, un quotidien au plus juste). Et grâce aux éditeurs et lecteurs de mes romans, de mes BD, aux spectateurs de mes pièces, aux structures invitantes (salons, médiathèques, municipalités), aux résidences, aux aides publiques, aux commandes, au soutien moral de la famille et des amis. Il en faut du monde pour autoriser pareil choix ! On peut y voir l'exemple rare d'une sorte de solidarité autour d'un égoïsme. Comme si le choix d'un seul était validé et confirmé par la société entière.
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Mes idées stupides :
Dans un chouette salon du livre, tenter d'échanger en Anglais avec une auteure britannique, à côté de moi, qui a admis ne pas savoir bien parler Français. Jusqu'à ce qu'elle craque et me demande de quand même parler en Français, qu'elle préfère, et qu'elle se débrouillera.
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Mes idées stupides :
Mettre « Le Sacre du Printemps », plonger dans la musique à fond pendant tout le morceau, me transformer en chef d'orchestre. Et réaliser, en rouvrant les yeux, que j'ai battu la mesure avec un stylo-encre débouché. Expliquer aux parents la raison des taches bleues qui étoilent le blanc immaculé des murs.
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Mes idées stupides :
A table, faire toute une démonstration sur les rituels funéraires d'Egypte ancienne à mon voisin, et apprendre que c'est le spécialiste français du domaine.
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Mes idées stupides :
Faire une conférence sur Monet et arriver avec une série de diapos sur Renoir.
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La pionnière, l'éclaireuse. La première hirondelle, solitaire, venue avant les autres. La voici. Fidèle, de retour. Qui a dû trouver cette fois, que les villes survolées étaient bien silencieuses.
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Mes idées stupides :
Apprendre à mon fils âgé de dix ans, à faire démarrer la voiture dans la courte allée qui mène au garage, sans lui avoir d'abord appris à freiner.
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Mes idées stupides :
Céder au caprice de ma future femme et me costumer pour une soirée. Peu habitué, ne pas prévoir d'autres fringues. Donc, rentrer dans la nuit en traversant la ville, habillé en Chinois, chaleureusement salué par quelques noctambules, excités par ma grande robe à fleurs et ma longue natte.
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En France, grâce au Covid-19, la nature souffle un peu. Les musulmans aussi. Un peu.
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Mes idées stupides :
Entrer dans une réunion d'une candidate PS (à l'époque où il y avait un parti important de ce nom) et me présenter, pour rigoler, comme observateur dépêché par l'UMP (à l'époque où... etc.)
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Je parlerai de tout ça plus tard, une fois tout oublié. Pour mieux comprendre.
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A 20 heures, le personnel hospitalier. D'accord, mais pourquoi s'arrêter là ? Applaudissons tous nos héros : à 20h15, les routiers ; à 20h30, les éboueurs ; à 20h40, les enseignants ; à 20h55, les pompiers ; à 21h10, les agriculteurs... Vous l'avez bien cherché, aussi.
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Bon, on fouille les livres illisibles (en tout cas, prudemment laissés de côté) de notre bibliothèque et on tombe sur des curiosités. Extraits : "Le fils de Flaminius, en plein orgueil de sa folle jeunesse, souffre de ne plus pouvoir dissimuler aux yeux des gracieuses clientes, les manifestations probantes du feu intérieur dont il arde. Bien involontairement, son originelle impétuosité l'emporte souvent sur la modestie de son maintien, et l'ordonnance perpendiculaire, des plis de sa longue tunique en est fâcheusement modifiée." Ma douce n'avait pas compris la périphrase.
Et : "Maman !!!! Pitié !!! Je suis la proie des flammes !!! Hercule !!! Tirez de moi, la tunique du centaure Nessus... Et autres paroles sans suites, communes aux nocturnes divagations." J'adore le "communes".
Tout est de ce tonneau. Il s'agit d'un "roman gai" (de la gaieté de l'époque) comme le stipule la couverture de la toute première édition, d'un auteur inconnu, caché sous le pseudonyme (?) de Charles Clavières. Internet est muet sur le personnage. Après une première publication aux éditions de La Tour, le texte a été repris chez Denoël, dont nous avons la 10e édition (c'est dire le succès du livre), de 1938. L'auteur fait mine de s'inspirer d'une légende bretonne, d'un saint ayant existé et de documents qui l'attestent, fournis par un soi-disant archiviste : Evariste Blanc-Minet. Je vous le dis tout de suite : on est loin de la légende Saint-Germain L'Hospitalier. Tout est bizarre et laborieux dans ce livre : le projet, l'écriture chantournée, les péripéties, les patronymes, la fin...
En fait, c'est somptueusement mauvais. Tellement, qu'on ne sait plus, après quelques pages, s'il n'y a pas un peu de génie là-dedans. Le titre, caché sous une couverture de papier kraft, de l'époque sûrement, avait de quoi piquer ma curiosité : "Cucurbitin le miraculeux". Oui. Le titre donne une idée de tout le projet et le lecteur, s'y fiant, ne peut pas être déçu.
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A la manière de...
Proust
Nous fûmes interrompus (sans que Gilberte, qui nous représentait avec une savoureuse ironie les inquiétudes excessives de son père quant à son état de santé, ne s'en offusque, car elle ne tenait plus à poursuivre son discours, qu'un remords soudain, venu avec le souvenir de l'anxieuse inertie de ses frasques passées, lui faisait apparaître, avec toute la rigueur des Vanités, aussi illusoire qu'ennuyeux pour son auditoire) par la voix du Ministre de la Santé, que Mme Verdurin se vantait de connaître plus complètement que son propre mari, quoique pour des raisons différentes, qui (sans se soucier de la grossièreté de son irruption radiophonique) énonçait de son timbre uniforme, épuisé par les heures tragiques que le pays traversait, les dernières consignes élaborées dans son cabinet, dans lequel (nous étions depuis longtemps enseignés de ce fait, comme par un phénomène de capillarité dont nous aurions été les mèches et le milieu dans lequel nous baignions le combustible, ce qui nous dispensait d'échanger le moindre mot à ce sujet), M. Verdurin avait ses entrées.
Et j'arrête là.
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A la manière de...
Pierre Michon
Il n'existe aucun moyen, fût-il sommaire ou archaïque, de remédier à la sophistication du confinement. Des jours en cascade dans un déferlement continu, des heures indénombrables, éteintes à peine sont-elles respirées, et toujours l'harassante question : que faire de nos peaux, de nos regards, de nos feintises, de notre aplomb infondé, de nos ballets orthodoxes ? Nous conclurons de cette longue évasion dans nos propres guenilles que nous n'étions qu'un contournement dans la vie des meubles, qu'une errance de plus, aggravant le martyr des tapis suppliants. Spectres, frères humains ébranlés, ours abrutis dans leur périmètre éternel, nous étions pourtant davantage que des fantômes ou des bêtes, des gens de bien et de pensée qui croient encore en leur intelligence des chairs et des objets, et s'abandonnent parfois à la dérisoire envie d'en écrire quelque chose, se tiennent à cette stratégie de survivant qui conte ses gloires ou désastres passés et à venir, s'en réjouit pour ne pas céder au bon goût de s'en désoler.
Demain : Marcel Proust.