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kronix - Page 6

  • 3758

    En tout cas, pour le confinement à domicile, le vieil ermite que je suis est fin prêt.

  • 3757

    Un rituel. C'est un rituel, et ça ne se discute pas. Ponctuellement, Kronix évoque la sortie des livres de Cachard, et Le Cheval de Troie analyse scrupuleusement les nouveaux romans de Chavassieux. Un pacte tacite, conclu à la naissance éditoriale des deux. Je dois admettre que Kronix est quelque peu débiteur, dans l'histoire. Les billets de Laurent étant nettement plus riches et fouillés que les pauvres recensions dont je suis capable. Je sais à peu père écrire, mais pas du tout communiquer les causes qui me font aimer un texte. Un véritable handicap, qui s'élève d'un cran quand il s'agit de parler de poésie. Le déséquilibre augmente encore avec cette analyse de "Noir Canicule" par Laurent Cachard, ici.

    C'est comme toujours fin, pertinent, amical (sans jamais être complaisant, l'honnêteté fait aussi partie du pacte). Bref, merci Laurent, et je n'en dis pas plus, parce que je suis un peu ému quand je le relis, à vrai dire (et me voici encore incapable de dire... enfin, voyez, on n'en sort pas).

     

     

     

  • 3756

    Une des toutes premières critiques à propos de "Noir Canicule" me fait vraiment chaud au cœur. Sur le blog de cannetille, la lectrice qui a parfaitement compris le sens et les thèmes du livre. J'en suis tout chamboulé.

    Elle écrit : "Cette canicule a au final des accents vaguement apocalyptiques, ressentis dans leur chair et dans leur âme par des personnages atteints dans leur intégrité et leurs fondamentaux. Elle est la représentation au sens propre de leur surchauffe personnelle, dans un monde qui doute et se sent à la dérive, vers un inconnu inquiétant et dangereux. 
    Etrange et dérangeant, voici un livre dont on sort pas indemne et qui laisse des questions plein la tête, tant cette histoire reflète le mal-être d'une société de plus en plus sujette à la peur, rationnelle ou non, de ne pas maîtriser son avenir."

    En plus, elle ne divulgâche pas. Merci, chère lectrice inconnue.

  • 3755

    Adèle se barre, Virginie enrage, Natacha réplique, Stéphanie tente de faire la part des choses. Pendant ce temps, les mecs se taisent, mains dans le dos, en regardant leurs chaussures.

  • 3754

    Marin-blond.jpegDans L'histoire du marin blond, on retrouve l'élégance et la clarté, deux des qualités d'écriture de son auteur, Jean-Pierre Poccioni, déjà salué sur Kronix (ici et ), car c’est un écrivain qui mériterait une plus large reconnaissance. Point d'odyssée maritime ici, malgré le titre, mais une brève traversée en solitaire de la vie. Le narrateur est en errance, chômeur, tout à la fois marié et dérivant, assez égaré pour supporter et rechercher la compagnie d'un protagoniste nocif, vite détesté par le lecteur. Un homme arrimé au bar d'un hôtel, venu échouer là lors d'une lointaine escale, un type suffisant, pontifiant, pérorant, ratiocinant, raisonneur et cuistre (une synthèse, aurait dit Audiard, qu'on cite toujours quand on veut faire court et explicite). C'est une première énigme, cette fascination du « héros » pour son tourmenteur, car il le tourmente, avant que d'autres énigmes s'immiscent dans le récit. En attendant qu'il réalise combien cette relation est « inutile et nuisible » et qu'il se demande « comment rompre le sortilège », le narrateur s'adonne avec une étrange bénévolence au rituel malsain du dialogue avec l'homme du bar et il l'écoute. Au point de suivre ses conseils : aller se mettre au vert, par exemple, dans une petite maison de campagne familiale.
    Un hasard, puis un autre, une jeune femme, une auberge, la pluie, un attentat, et l'ombre constante de l'homme du bar avec son récit croisé du marin blond, ses possibles manipulations, tracent une trajectoire du verbe, en fin de compte, où les rapports humains sont autant d'occasions de mener des réflexions qui les explorent et les dissèquent. Le lecteur rêvera d'une franche et solide mise au point du narrateur, soupçonné à tort d'adultère, avec sa femme, il ne l'aura pas mais sera récompensé de sa frustration par la délicate dérive des pensées du narrateur, une aristocratie d'homme de la Renaissance, à la fois humaniste et lucide. On fera peut-être la moue devant certaines assertions assénées comme des vérités indépassables : « [les échecs], ce roi des jeux dont personne ne peut avoir l'audace de contester qu'il garantit la hauteur intellectuelle de tout individu y rencontrant quelque succès » (Le Joueur d'échecs de Zweig semble avoir l'audace de démontrer le contraire) ; « la clameur constante du rock, guitares et batteries, finit par s'abolir dans un cannibalisme absurde » (c'est aller un peu vite en besogne pour un univers qui a un demi-siècle d'histoire). Qu'on ne s'attache pas à cette menue réserve : les nombreux moments de vraie littérature, la subtilité des images, le goût de la beauté de la phrase (avec une épure de la ponctuation), additionnent les motifs de se passionner pour ce texte.
    La question qui vaut, finalement, n'est pas « qui est le marin blond ? » mais plutôt « qu'est-ce qu'un marin blond ? » L'auteur constate que, sans doute, au gré de nos existences, au fil des escales et des départs, « nous sommes tous des marins blonds », et il faudra méditer un temps pour s'approprier cette fausse évidence. Parce qu'il n'existe pas de maîtrise du cours de nos amours.

    L'histoire du marin blond. Jean-Pierre Poccioni. Z4 éditions. 177 pages. 16 euros.

  • 3753

    Pas plus que le charcutier du billet de l'autre jour, celui-là ne s'est inquiété du mal qu'il fait. Les circonstances sont à peu près les mêmes : je suis au service militaire, et les confidences, les histoires d'amour, les souvenirs évoqués, atténuent notre ennui. Je suppose qu'écrire des lettres d'amour pour certains camarades a dû contribuer à ma réputation de type à qui on peut tout dire. L'un m'a confié son homosexualité, un autre m'a parlé du ménage à trois dont son exil menace l'équilibre, je suis aussi le réceptacle de pas mal de fantasmes... poubelle ou psy ou curé, je ne sais pas comment définir mon rôle, alors. En tout cas, le type qui me raconte comment il a couché avec une « petite négresse », n'a besoin ni de mon absolution, ni de mon analyse. Mon oreille lui suffit, je pense. J'avoue, je n'écoute qu'à moitié ses approches, leur rencontre dans une chambre. Mon intérêt s'éveille soudain quand le gars raconte, mâchoires serrées sur le souvenir de l'action : « Elle était là, j'étais déjà sur elle, je la déshabillais, elle se plaignait comme ça (il l'imite à petits gestes de comédie, en exagérant un ton geignard), non non je veux pas. P'tain, je lui ai donné un coup de poing dans la gueule. Merde, tout le monde lui était passé dessus, alors Oh ! » J'ai mis un temps à réaliser que l'on venait de me décrire un viol. Je vous assure, la connexion entre le mot et la scène racontée ne s'est pas opérée de suite et c'est cela, le vrai mystère de ce souvenir.
    Quant à toi, ordure, je me souviens de ton nom et de ta tête, parfaitement. Et de ton odieux sourire satisfait.

  • 3752

    Hier soir, nous célébrions l'ouverture d'un chantier d'importance qui va, Cédric Fernandez (au dessin), Franck Perrot (à la couleur) et moi (au scénario), nous embarquer pour une collaboration de deux ans, au bas mot : la réalisation, pour Glénat, d'une BD en deux volumes sur la conquête du Mexique par Hernan Cortés. Un projet lancé il y a une dizaine d'années sous l'impulsion de Cédric, et qui a mis tout ce temps pour trouver un éditeur.
    Hier, avant de déboucher le champagne, tandis que je transférais de la documentation sur mon ordinateur, Cédric et moi nous amusions du nombre de fichiers contenus dans le dossier qui, par thésaurisation, résume notre collaboration : 11 titres. Et tous d'un bon niveau, je vous assure. De la piraterie fantaisiste à l'adaptation littéraire, d'un récit d'histoire contemporaine à un drame shakespearien ayant pour cadre la Scandinavie du VIIIe siècle en passant par la mythologie grecque, nous avons exploré tous les thèmes qui nous interpellaient. Le plus étonnant, encore, est la durée que l'ensemble symbolise : une vingtaine d'années. Dire que nous sommes têtus serait un euphémisme, vous l'avez compris, mais est-ce bien cet entêtement qui s'est révélé payant ? En partie seulement : le facteur déterminant est que Cédric et Franck assurent depuis pas mal d'années des réalisations qui font des succès de librairie (Saint-Exupéry, Les forêts d'Opale, Les Faucheurs de vent, bientôt Notre-Dame de Paris) et que les éditeurs leur font confiance, désormais. Je ne suis donc qu'un invité, reconnaissant de la chance qui lui échoie. Sans Cédric, je sais que j'aurais pu m'échiner encore des années sans le moindre résultat. L'aventure commence donc, et nous entrevoyons l'énormité du défi. La reconstitution d'une histoire aussi exotique et lointaine, la richesse graphique que nous voulons atteindre, l'ambition du récit, nous font considérer ce diptyque comme un enjeu particulier. Pour le reste, si vous lisez ce billet comme un hommage à mon ami dessinateur qui a si fidèlement tenté de me faire intégrer ce milieu pendant tout ce temps sans rien lâcher, vous avez raison.

  • 3751

    C'était un grand connard. Authentique. Il aurait pu laisser deviner une fêlure, une faille où se serait nichée un peu de doute ou de questionnement. Non. Il était un bloc compact de bêtise auto-satisfaite, de fierté virile, de bon-sens franchouillard. Dans le grand dortoir, il raconta comment, dans la boucherie-charcuterie où il travaillait, lui et ses collègues, avec la participation enjouée du patron, avaient piégé la vendeuse la plus jeune et la plus accorte du magasin. Celle qui souriait aux clients, avait toujours un mot gentil, promenait sous leurs yeux ses formes appétissantes. Le patron lui avait dit de rester un peu pour finir un travail, ce soir-là. Elle était rentrée dans la réserve en demandant ce qu'elle pouvait faire. A quatre, ils l'ont maîtrisée, l'ont déculottée et lui ont fourré un gros saucisson dans le sexe. La bonne blague ! il en riait encore, le grand connard, quand il la racontait aux autres troufions que nous étions. Je vous le jure, nous n'étions ni sensibles ni pudiques, mais je ne me souviens pas qu'aucun d'entre nous aie partagé l'hilarité du narrateur. Nous étions sidérés (l'indignation ne viendrait que beaucoup plus tard). « Et après, elle est partie ? » a dit l'un de nous. « Ben après, non. Le lendemain matin, elle est revenue travailler, comme d'habitude. Elle nous faisait la gueule. » Et ça aussi, ça le faisait rire.
    Une nature joviale, quoi.

  • 3750

    « Le sort dans la bouteille » est une commande, une pièce écrite à l'origine pour être interprétée par un seul comédien : François Frapier (qui fut naguère, un exceptionnel Dédale, dans « Pasiphaé »). J'avais imaginé pour lui un personnage, mauvais et impatient, houspillant le public qui ne s'installe pas assez vite, et presque pressé d'en finir. François aurait interprété tous les rôles, commentant les faits et les actes, et sommant le public d'approuver ou de protester.
    L'histoire qui inspire ce spectacle est bien connue des romorantinais. C'est un fait-divers de la fin du XIXe siècle, en Sologne : l'assassinat d'une pauvre vieille par sa fille et son gendre, paysans convaincus de se débarrasser du sort qui s'acharne sur eux, en la faisant brûler vive comme une sorcière. Les deux finiront décapités, sur la guillotine installée devant l'hôtel de ville de Romorantin.
    La très belle idée de François a été de chambouler le parti pris initial. Il a confié « Le sort dans la bouteille » aux élèves de son « atelier 360 degrés ». Deux poignées de personnalités, un concentré de jubilation et de curiosité, qu'il a emmené dans ce projet pendant plus d'un an. D'abord, il les a invités à considérer le texte comme une matière à creuser, à malaxer, à domestiquer, à s'en servir aussi de malle au trésor : allez y chercher des pépites, des colliers, des masques, y fouiller les intentions, les mots, les cris, les éclats et les ombres. Une démarche déstabilisante pour qui aborderait le théâtre de façon conventionnelle : distribution des rôles, apprentissage, exploration des personnages, costumes et décors... Là, les comédiens, tous amateurs, ont d’abord dû errer dans l'épaisseur du verbe, comme s'y baignant, s'y égarant parfois. Période difficile, m'ont-ils confié. Difficulté voulue par le metteur en scène. Et puis, lentement, la pièce a émergé, récit choral, voix dépliées, reprises, personnages échangés, prières, colères, peurs, haines, cocasseries et drames… les comédiens se sont appropriés les mots.
    J'étais récemment invité à la première représentation du texte, une forme hybride entre interprétation et lecture, une forme vivante, en voie d'achèvement. Expérience passionnante. On ne voit plus tel ou tel, tous les personnages sont comme fragmentés et se reconstituent sous nos yeux, par la magie de l'incarnation à plusieurs.
    La salle de la MJC était pleine, la chaleur vite étouffante. L'idée de faire brûler une mèche de cheveux dans un des rares moments « mis-en-scène » de la pièce (un rituel de sorcellerie dans la pénombre), a coloré le moment d'une âpreté bienvenue, tout à fait cohérente avec le propos.
    Pour le reste, la troupe s'est démenée, s'est amusée, a capté l'attention et suscité les réactions espérées, rires déployés ou gorge nouée. C'était bien. Et prometteur, car ce n'est qu'une étape : l'expérience sera poursuivie jusqu'à effacement du texte, appropriation et incarnation. Au delà d'une simple interprétation, grâce au travail en profondeur entrepris par François et sa troupe.
    Vous pensez bien que, pour un auteur, assister à cette ré-génération, ressemble à une déclaration d'amour. Et comme chaque fois qu'on a dit m'aimer, j'ai d'abord été incrédule, avant d'être soulevé de reconnaissance.
    Merci François, merci les amis.

  • 3749

    Résumons : nous n'étions pas destinés à apparaître, mais constatant que nous sommes là, impossible de ne pas essayer de savoir pourquoi. Dire que les religions sont le produit de cette irrémédiable démangeaison du cerveau !

  • 3748

    "Désirée qui avait, elle aussi, mangé sa soupe, sérieusement, sans ouvrir les lèvres..."

    Emile Zola, La faute de l'abbé Mouret, cité par J-Cl Carrière et Guy Bechtel, dans Dictionnaire de la bêtise (Robert Laffont Bouquins, 1998).

  • 3747

    Au détour de la lecture d'un article, il peut arriver qu'on tombe sur une information dont on ne voudrait pas s'encombrer mais qu'une mémoire docile inscrit en nous pour des années. Par exemple, j'apprends un jour que, sur les conseils de Carla, Nicolas Sarkozy s'est entraîné à déféquer sans uriner pour muscler son périnée. Voilà, c'est fait, cette anecdote dont je me contrefous est gravée à jamais en moi. Et en toi, désormais, infortuné lecteur.

  • 3746

    Tu abordes le roman comme le sculpteur sa pierre. Tu n'as pas fait de maquette d'argile, tout est dans le burin. Et vas-y que tu cognes jusqu'à ce que la forme, enfin, émerge. Ensuite, c'est trop tard, tu ne tailleras pas davantage : le nez est trop court, les jambes mal proportionnées, le marbre avait des défauts. Tant pis. Déjà, un autre bloc se présente et tu empoignes l'outil.

  • 3745

    Comme aux petits dieux, il faut aux auteurs des croyants pour exister. Quand la foi des orants s'éteint, le petit dieu s'étiole et glisse vers l'état de vestige qu'on visitera peut-être un jour.

  • 3744

    La tension insoluble entre la personne spéciale que tu es censée être, et le mouton consumériste que l'on veut que tu sois. Et le système te vend les deux options à égalité, comme s'il n'y avait entre elles aucune divergence.

  • 3743

    La littérature vomit les tièdes.

  • 3742

    Voilà. Disons, début mars ?

     

    Chavassieux_Noir_canicule.jpg"Nous sommes en 2003. Lily est taxi. Elle accompagne un couple de vieux agriculteurs sur la route de Cannes, en pleine fournaise. Et si la canicule se prolongeait indéfiniment ?

    Sur l’autoroute, les bolides klaxonnent de loin, fusillent le rétroviseur d’appels de phare et passent en trombe.

    À mesure que la température monte, les personnages se dévoilent, entre amour et violence. Lily songe à sa plus grande fille, Jessica, que l’adolescence expose aux premières déconvenues sentimentales. À son ex-mari, qui l’a quittée pour une femme plus jeune. À leurs anciens jeux érotiques...

    Il y a quelque chose de pourri dans l’atmosphère. La vie semble se résumer à une peur de souffrir.

    Et le lecteur est loin d’imaginer ce qui l’attend…"

     

    (C'est la quatrième de couverture. Elle donne bien le ton, je trouve)

  • 3741

    J'apprends dans l'excellent documentaire en deux parties « Musulmans de France » qu'un moment marquant dans l'histoire des musulmans vivant dans notre pays, est celui où, pour toute réponse à la Marche pour l'égalité et contre le racisme dans les années 80, s'est créé le mouvement « Touche pas à mon pote ». Un camouflet, selon les témoins du documentaire. Pourquoi ? Parce que les marcheurs voulaient une réponse d’État, pas un câlin de militants de gauche ou de sympathisants à leur cause, parce que les relais de « Touche pas à mon pote » étaient considérés par les jeunes musulmans comme un club de privilégiés, condescendant envers les petits beurs de banlieue et se voyant comme des protecteurs. De plus, le détournement (supposé) de la main de fatma en pin's « Touche pas à mon pote », a été très mal vécu. Je l'avoue : j'ai porté le pin's en question. J'avais 23 ans. L'arborer m'a d'ailleurs permis, par les réactions suscitées, de savoir à qui j'avais à faire dans mon entourage, notamment professionnel. Mais je n'aurais jamais imaginé que ceux que je voulais « défendre », voyaient mon engagement et celui de mes pairs, comme une insulte. Décidément, l'enfer est bel et bien pavé de bonnes intentions. Comment ne pas récidiver ?

  • 3740

    couvHB.pngEst-ce qu'une forme littéraire, longuement élaborée au fil des ans, très aboutie, ne fait pas prendre à son auteur le risque de se trouver démuni face à certains enjeux ? Je m'explique : j'ai souvent dit ici mon admiration pour le travail d'Hervé Bougel, en tant qu'éditeur bien sûr (les éditions Pré#Carré, c'est lui), mais aussi en tant que poète (« Travails » ; « Les pommarins ») et auteur de textes en prose (« Tombeau pour Luis Ocana », par exemple). L'obsession de l'auteur, si l'on veut, est l'économie, et cette économie de moyens et de mots (« quand on veut dire quelque chose d'essentiel dans la vie, ça tient en peu de mots : Ta gueule, Je t'aime, etc. » dit souvent Hervé Bougel) conduit à une sorte de netteté, presque de sécheresse (non pas de stérilité, entendons-nous bien). L'ambition de son dernier ouvrage « Une inquiétude », parue aux éditions Mazette, l'oblige à définir les contours de ce sentiment aussi incertain et diffus par les moyens d'une écriture qui a eu pour exigence principale de se débarrasser des scories et des séductions, de tout lyrisme, pour mieux dire les choses avec simplicité et... netteté. La lecture de « Une inquiétude » me fait me poser la question qui ouvre ce billet, aussi naïve soit-elle (car pourquoi une écriture serrée et aiguisée serait-elle contraire, a priori, à l'exploration de sentiments confus ?). C’est pourtant cet écart (ce hiatus ?) que j'ai ressenti. C'est un beau texte, mais dont la rigueur m'a tenu à distance de ses enjeux.
    Bougel place d'emblée dans la bouche de sa comédienne (car c’est un texte qui devra être porté sur scène, et c'est un élément important sur lequel je reviendrai), un constat : l'inquiétude est une angoisse commune, « simple, ordinaire, banale » ; « pas un drame, pas un malheur ». Comment la définir, « cette chose silencieuse et cachée » dont on ne connaît ni la force, ni la forme ? Comment « nommer cette chose par ce qu'elle n'est pas » ? Il ne s'agit donc pas de saisir « une » inquiétude particulière, mais son principe-même. Alors, on multiplie les synonymes, les équivalences : « malaise », « renoncement », « trouble », « mouvement », « angoisse », pour tenter de cerner le phénomène. On échoue. Le monologue explore dans une deuxième partie la solution provisoire qui s'impose : l'attente. Puisque définir est impossible, puisque saisir est difficile, reste à patienter « sans espoir, sans sommeil ». Une attente qui frôle l'apparence de la mort. « Je suis un caillou » dit-elle. Le troisième monologue approfondit cette idée d'une attente aux parages de la mort, où le corps accepte de devenir tertre et tombe « mains croisées sur mon ventre », livré à la dévoration des petits insectes. Elle s'interroge, avec l'auteur : « peut-être un mot m'a-t-il manqué ? » Question cruciale.
    Le dernier monologue fait surgir les sensations physiques, « j'entends tout battre en moi », le corps retrouve le froid, et la langue de Bougel, l'efficience de sa clarté. Ce quatrième monologue (le texte est sous-titré « Quatuor ») se clôt sur l'évidence de la présence, l'indiscutable existence physique qui permet ou impose de se penser « c'est moi, / c’est là que je suis / là que je vis (…) là où j'ai la patience d'être moi. » Ce n'est peut-être pas un mot qui lui manquait, mais la reconnaissance de sa simple présence au monde.
    Alors, ce qu'est l'inquiétude, selon Bougel ? Le laps compris entre l'angoisse de la perdition, et les retrouvailles avec sa densité de chair. C'est en tout cas ainsi que je l'ai compris(e).
    Une dimension essentielle doit être rappelée, et mérite un prolongement de cette brève évocation : le texte est écrit pour être porté par une comédienne, et accompagné au violoncelle. On peut donc estimer que l'expérience de la seule lecture papier ne lui rend pas justice. Car c'est ici que la « netteté », l'apparente froideur de certains passages, deviennent un atout : il y a dans ces lignes toute la place voulue pour qu'une comédienne les incarne. Ces mots, ces vers dépouillés, si sobres qu'ils semblent simplistes : « mon cœur serré / est en peine / en tristesse » prendront alors une puissance qu'une lecture silencieuse ne permet pas de percevoir. Je veux dire que Hervé Bougel a produit un véritable texte de théâtre et, qu'à ce titre, aborder « Une inquiétude » sous sa forme publiée, si c'est nécessaire, ne constitue qu'une approche de l’œuvre telle qu'elle devrait être vécue. C’est peut-être là que se situe, à la réflexion, l'écart que j'évoquais plus haut. Non pas un écartèlement entre forme littéraire et motif, mais une déperdition de sens et d'intention entre la dureté de vers égrenés sur papier, et leur profération sur scène.
    On a donc hâte d'en juger lors d'une mise en scène, soutenue par une bonne comédienne.

    « Une inquiétude (le quatuor) » Hervé Bougel. Editions Mazette. 50 pages. 10 euros.

     

  • 3739

    D'accord, je ferais mieux d'écrire, mais si je passe pas mal de temps sur Youtube, c'est au contact de chaînes que j'estime d'utilité publique, ou sinon, au moins, passionnantes. J'ai décidé de vous faire un petit florilège.

    D'abord, il y a les youtubeurs zététiciens qui s'évertuent à nous offrir les outils critiques pour trier le bon grain de l'ivraie au milieu du déferlement d'informations auquel nous sommes confrontés quotidiennement. Toutes ces chaînes sont soigneusement réalisées, elles suivent une déontologie claire (liens vers les articles et les sources en description, prises en compte des critiques...)

    Le premier de tous, reconnu par ses pairs : Hygiène mentale. Dissection des biais de confirmation, des mille-feuilles argumentatifs, explications sur la charge de la preuve, les graphes bayésiens, l'argument d'autorité, etc. Une véritable leçon d'éveil pour tout citoyen.

    Défékator (on défèque sur les fakes), n'est pas le plus élégant, il utilise parfois un humour pénible, mais son auteur s'empare de fakes, de vidéos, de rumeurs, de légendes urbaines, et surtout décrit les techniques qui lui permettent point par point, de remonter aux sources,  de situer, de dater, et démonte ainsi les mèmes les plus sophistiqués. Au passage, on apprend toutes les possibilités d'utilisation de la puissance de Google. Si ces techniques étaient apprises dès le collège, le complotisme n'aurait pas la même capacité de nuisance.

    La Tronche en biais. Vled Tapas et Acermandax coopèrent pour déconstruire les propos pseudo-scientifiques qui polluent la toile. Leurs émissions sont parfois très longues, densité et sérieux du travail obligent. On peut prolonger le plaisir de se sentir moins bêtes en lisant leurs ouvrages, nombreux.

    Il y a pas mal de Belges intéressants, sur Youtube comme ailleurs. A l'écouter, Mr Sam. est l'un d'eux. Ses "Points d'interrogation" sont toujours bien écrits, rigoureux, comme tous ceux que j'évoque ici.

    Max est là aborde des rivages de Youtube qui, sans lui, me seraient restés inconnus : des enfants jetés en pâture par leurs parents, des crétins incultes qui donnent des leçons de magouille, des arnaqueurs, des influenceurs inconséquents, vantant les vertus de contrefaçons, etc. Le travail de ce type-là devrait être suivi par les pouvoirs publics, je vous le dis.

    Toute cette communauté qui a pour but de ne pas s'en laisser compter et de décortiquer les méthodes des charlatans et profiteurs de la crédulité des autres, viennent parfois au secours d'un de ces vaillants combattants de la bêtise. En l'occurrence, récemment, Clément Freze, mentaliste de métier, avait piégé un médium célèbre : Bruno (qu'il ne se permet jamais de traiter de tricheur, mais la démonstration est éclatante). Le médium a fait "striker" sa vidéo, aussitôt reprise et relayée par les zététiciens du web, dans une magnifique illustration de l'effet Streisand.

    Les émissions scientifiques de qualité se font rare sur les chaînes de la TNT (il y en a encore, mais on peut s'estimer trop peu nourri). Je vous livre ici quelques unes de mes adresses favorites. Vous pouvez y aller, c'est vraiment du tout bon.

    Dirty Biology qui vous amène parfois à nous interroger sur les limites de notre identité (jusqu'à quel point, biologiquement, sommes-nous nous-mêmes ?), Le Vortex (plusieurs Youtubeurs, dont certains cités plus haut, cohabitent et combinent leur savoir pour compléter, enrichir, argumenter, préciser un sujet. C'est drôle, c'est vif, c'est passionnant), Micmaths (de Mickaël Launay, c'est assez pointu, pour de la vulgarsiation, mais ça reste accessible, même pour un incapable comme moi), e-penser, Science étonnante (bon, je ne suis pas souvent au niveau, mais pendant quelques minutes, j'ai l'impression de comprendre et je me dis qu'il en reste toujours quelque chose...) Nota Bene (célèbre chaîne d'histoire aujourd'hui, mais que je suis depuis ses débuts). Axolot explore l'étrange mais refuse le sensationnalisme, il voyage parfois et ses "escales" sont de véritables guides des chemins de traverse. Astronogeek est un dur à cuire et un fort en gueule, il peut facilement s'énerver contre les journalistes approximatifs aux articles putassiers, et il choisit souvent les titres de ses vidéos pour piéger les complotistes (la terre est plate, on n'est jamais allé sur la lune, etc.), pour démontrer exactement l'inverse de ce que les visiteurs ont cru trouver chez lui. Mais démonstrations rigoureuses, sourcées, réalisation sans effets. Comme tous les zététiciens évoqués ici : du beau travail.

    Il y en a beaucoup d'autres, tout aussi riches et passionnants, mais ils sont en général en lien avec ceux qui précèdent. Une véritable communauté de la pensée critique, vitale en ce moment.

    Je finis avec deux chaînes littéraires des plus pertinentes, l'une est orientée vers le public enseignant et les élèves : Mediaclasse. Les livres des différents programmes, leur résumé, des méthodes pour les analyser, même la voix de l'auteur et l'iconographie pour accompagner le propos...  la perfection est de ce monde. On pourra aussi se régaler avec L'alchimie d'un roman, chaîne d'un certain JP Depotte, qui décortique les œuvres, classiques surtout mais pas que, en s'appuyant sur une théorie des quatre éléments. Ça fonctionne, c'est vivant, pertinent, intelligent, une excellente initiation à l'analyse littéraire.

    Voilà, c'était un post un peu particulier aujourd'hui. Depuis le temps que je suis ces auteurs, je trouvais dommage de ne pas faire partager mon plaisir. Partout, décidément, il y a des gens qui œuvrent pour le bien commun.