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kronix - Page 5

  • 3770

    En ce moment, si le Web pouvait s'accorder au silence de nos rues...

    (et disant cela, je participe au bavardage, je sais bien).

  • 3769

    De retour des courses, ma douce me rapporte le constat étrange qu'elle a pu faire : dans le supermarché, pas de musique, les gens vont lentement, parlent doucement, sont extrêmement polis. Comme si l'apnée générale avait la vertu de nous faire reconsidérer l'efficience de nos activités, nos bruits, nos gesticulations d'antan, et révélait leur vanité. Tant d'effets inattendus qu'il faudrait commencer à les lister. Trop paresseux pour me charger de l'exercice, j'en appelle à la bonne volonté des autres confinés.

  • 3768

    Aucune analyse pertinente à disposition. Je m'étais promis de lire beaucoup ; j'écris un peu. Hors ces activités ou non-activités tournées vers ma petite personne, bien sûr, j'écoute, je lis, je m'informe. Cependant, la seule scrutation du quotidien est passionnante. On n'a pas tant d'occasions, sur une vie, de traverser un moment historique. Alors, me retenant d'en penser quelque chose, je me contente d'observer les grandeurs et petitesses. Je comptabilise plus de petitesses étonnantes que de grandeurs exemplaires, il faut bien le dire, mais peut-être est-ce que je ne regarde pas du bon côté... On peut estimer, avec tant d'autres, que cette crise transformera le monde (en bien, veut-on croire, l'alerte étant chaude). Je n'en suis pas si sûr. Dès que nous aurons repris nos habitudes d'avant, les mêmes biais produiront les mêmes effets.
    En fait, je lis dans les "journaux de confinement" qui fleurissent un peu partout sur le Net, l'opportunité, pour chacun, de simplement renforcer ses convictions, quelles qu'elles soient. Si un changement, ici, était perceptible, on pourrait imaginer une transformation à venir de la société. Cette inertie de réflexion, lestées par nos attendus, accable bien des élans optimistes.

  • 3767

    Besoin d'espace ?

    "D'Amprosy pendant dix jours, puis de Benter, abordé sans que rien ne distingue ce pays du précédent, les étendues sans limites vibraient et jouaient comme roule et s'étale l'océan sous le ciel. Les contours d'une montagne qui émergeait sur l'écran du ciel n'étaient pas modifiés par la progression de la marche, après plus d'une semaine. L'horizon intact s'associait aux étoiles ou à l'aube. Il était inatteignable. Les orages s'y acheminaient avec une mollesse d'obèses ; on les distinguait à la limite du perceptible, naître dans un lointain aux profondeurs de songe, s'amonceler en bleuissant, devenir masses et colonnes tandis que la cape du ciel jetait sa transparence sans accidents, sur le reste du monde. Là-bas, dans une parcelle exiguë du pays gagnée par l'obscurité, des régions entières fondaient sous l'écroulement noir des nuages, et les éclairs s'agitaient, muets, tonitruances étouffées par les immenses distances qui les séparaient de la caravane. Les voyageurs assistaient à ces cataclysmes avec la candeur tranquille du spectateur qui voit des massacres sur la scène, sans craindre d'être atteint. L'enfant inspirait l'espace dont l'air parcourait, en accélérant, les plats abîmes, il s'enivrait d'immensité."

     

    "Sans titre" roman en cours d'écriture.

  • 3766

    La crise due au coronavirus accable l'obsédé, avide d'attouchements : ses mains impuissantes, inutiles, battent l'air à la recherche de corps qui gardent leurs distances. Cette frustration provoque parfois, dans les cas extrêmes, panique, fièvre et gêne respiratoire, et par conséquent accueil aux urgences. Le procédé qui permet aux hôpitaux de rejeter ces sujets non contagieux est secret, mais on sait qu'il a causé plus de démissions d'infirmières que l'épuisement du personnel de soins dans les derniers jours.

  • 3765

    (On m'a dit que mon écriture était "ronde et douce", alors j'essaye de rester dans le ton... Comme vous pourrez le constater ci-dessous, c'est pas fameux, je crois que je vais revenir à ma férocité coutumière)

    Sur cette table, un bocal. Dans ce bocal, des graines de courge. De mon côté, je ferais ma part : enfoncer la graine dans la terre, arroser un peu. Bon. Qu'est-ce qui empêche un oiseau quelconque d'entrer, de voleter au dessus de la table, de s'emparer d'une de ces graines et d'aller la jeter dans le jardin ? Rien. On voit bien que ce n'est pas moi qui mets de la mauvaise volonté, mais la nature qui s'entête à me refuser son aide pour obtenir au moins l'amorce d'un potager. Et on me traite de feignant ? Ben merde alors !

  • 3764

    Et puis, l'épidémie cessa. Mais personne ne voulut retourner au boulot.

  • 3763

    La valise craqua et vomit ses tripes d'or : une saignée de lingots, qui frappa le ciment dans un déferlement de sonnailles. Le porteur s'excusa. Les douaniers hochèrent la tête, l'un d'eux applaudit lentement pour saluer avec ironie son énorme maladresse. Les porteurs de cocaïne le contournèrent discrètement.

  • 3762

    Passeront les camions sans pilote. Qu'y perdrons-nous ? Certaines anecdotes liées à l'humain : ce routier d'un lointain pays de l'est, perdu dans nos campagnes, parce qu'il avait entré dans son GPS le bon nom de village, mais pas la bonne région. Expliquer ça en letton...

  • 3761

    Poussière et songes, voilà de quoi nous sommes faits. Poussière évanouie, ne subsistent de nous que les rêves, et seulement les rêves partagés. C'est si peu que c'est à se demander ce que vivre veut dire.

  • 3760

    Makapansgat-pebble-Makapansgat-South-Africa_University-of-Witwatersrand_copyright-Brett-Eloff_1-819x1024.jpgEn Afrique du sud, un jour de 1925, on découvrit ce galet à côté des ossements d'un australopithèque. Caprice naturel, sa forme évoque un visage. Les yeux, la bouche entrouverte sur une denture équivoque (riante ou menaçante)… même sa composition de jaspe rouge foncé pouvait paraître à son propriétaire une imitation de la couleur de sa peau. Ce qu'il est essentiel de rappeler, c'est que l'australopithèque est un hominidé qui a vécu il y a entre trois et quatre millions d'années, soit un ancêtre lointain et possiblement non-direct, à peine un cousin éloigné, une autre humanité disparue sans que nous en ayons hérité le moindre caractère. Sauf que… le galet de Makapansgat témoigne à l'évidence d'une pensée symbolique. Ce que sous-entend cette approche est vertigineux : la pensée symbolique serait une construction inhérente au genre hominidé, sapiens ou pas, et née avec l'origine de notre espèce. Ce n'est pas une conquête de notre cerveau, nous avons hérité de l'art sans le moindre effort et ceux qui nous ont précédés, qui ont peut-être cohabité avec nos propres ancêtres, en possédaient également le sens. L'abstraction était dans notre berceau, un cadeau dont nous avons mêlé les possibles usages : l'art et la religion, puisque les deux sont affaire de symboles, essentiellement. Plusieurs millions d'années… Sommes-nous parvenus au stade où nous pourrions enfin démêler les conséquences d'un tel héritage ?

  • 3759

    Récemment un journaliste relevait que trois ans séparaient la sortie de « Noir Canicule » de celle de mon précédent roman, « La Vie volée de Martin Sourire ». C'est vrai. On pourrait croire à de la paresse, une suspension dans l'écriture, un manque d'inspiration. Rien de tel, et vous allez comprendre. Rappelons d'abord que quelques réalisations sont venues rompre ce long silence : La parution de « Rives, Mines et Minotaure », au Réalgar, suite à une résidence à Saint-Etienne ; la pièce « Le sort dans la bouteille » créée cette année par la troupe 360 degrés ; ajoutons ce qui va être réalisé et a été écrit pendant ce laps : la nouvelle version de la pièce « Peindre » pour la compagnie NU ; les scénarios pour Cédric Fernandez, qui seront publiés chez Glénat ; des albums pour le dessinateur Sarujin ; quelques petites chansons pour une amie...
    Surtout, ce qui m'a pas mal occupé pendant ces trois ans de relatif silence éditorial, a été l'écriture de pas moins de quatre romans : « Le Radical Hennelier » et « Demain les origines » pour Mnémos ; « Mado » et « Les inconsolables » pour Phébus. Quatre romans, dont un, énorme, de presque 700 pages. Tous refusés. Oui. Autant dire que ce temps, s'il a pu paraître long à certains lecteurs (je n'ai pas eu de plainte, mais imaginons), m'a semblé, à moi, un interminable calvaire. J'en étais à m'interroger sur le statut d'écrivain que je revendique (car un écrivain qu'on ne publie pas est-il encore digne de ce titre ?). Les amis, je peux vous dire que ça a été une dure épreuve à négocier, cette série de refus. Je commençais à croire que je ne serais plus jamais publié. A peine cicatrisé, je ne peux même pas être sûr que « Noir Canicule » est le signe d'un retour à l'édition régulière. Enfin, c'est une sorte de reprise. D'autres manuscrits sont en cours ou déjà envoyés.
    Ceci pour anticiper sur la question traditionnelle : « Et le prochain ? » Ben, j'en sais rien. Je sais ce que je fais ; j'ignore ce qu'on fera de ce que je fais.

  • 3758

    En tout cas, pour le confinement à domicile, le vieil ermite que je suis est fin prêt.

  • 3757

    Un rituel. C'est un rituel, et ça ne se discute pas. Ponctuellement, Kronix évoque la sortie des livres de Cachard, et Le Cheval de Troie analyse scrupuleusement les nouveaux romans de Chavassieux. Un pacte tacite, conclu à la naissance éditoriale des deux. Je dois admettre que Kronix est quelque peu débiteur, dans l'histoire. Les billets de Laurent étant nettement plus riches et fouillés que les pauvres recensions dont je suis capable. Je sais à peu père écrire, mais pas du tout communiquer les causes qui me font aimer un texte. Un véritable handicap, qui s'élève d'un cran quand il s'agit de parler de poésie. Le déséquilibre augmente encore avec cette analyse de "Noir Canicule" par Laurent Cachard, ici.

    C'est comme toujours fin, pertinent, amical (sans jamais être complaisant, l'honnêteté fait aussi partie du pacte). Bref, merci Laurent, et je n'en dis pas plus, parce que je suis un peu ému quand je le relis, à vrai dire (et me voici encore incapable de dire... enfin, voyez, on n'en sort pas).

     

     

     

  • 3756

    Une des toutes premières critiques à propos de "Noir Canicule" me fait vraiment chaud au cœur. Sur le blog de cannetille, la lectrice qui a parfaitement compris le sens et les thèmes du livre. J'en suis tout chamboulé.

    Elle écrit : "Cette canicule a au final des accents vaguement apocalyptiques, ressentis dans leur chair et dans leur âme par des personnages atteints dans leur intégrité et leurs fondamentaux. Elle est la représentation au sens propre de leur surchauffe personnelle, dans un monde qui doute et se sent à la dérive, vers un inconnu inquiétant et dangereux. 
    Etrange et dérangeant, voici un livre dont on sort pas indemne et qui laisse des questions plein la tête, tant cette histoire reflète le mal-être d'une société de plus en plus sujette à la peur, rationnelle ou non, de ne pas maîtriser son avenir."

    En plus, elle ne divulgâche pas. Merci, chère lectrice inconnue.

  • 3755

    Adèle se barre, Virginie enrage, Natacha réplique, Stéphanie tente de faire la part des choses. Pendant ce temps, les mecs se taisent, mains dans le dos, en regardant leurs chaussures.

  • 3754

    Marin-blond.jpegDans L'histoire du marin blond, on retrouve l'élégance et la clarté, deux des qualités d'écriture de son auteur, Jean-Pierre Poccioni, déjà salué sur Kronix (ici et ), car c’est un écrivain qui mériterait une plus large reconnaissance. Point d'odyssée maritime ici, malgré le titre, mais une brève traversée en solitaire de la vie. Le narrateur est en errance, chômeur, tout à la fois marié et dérivant, assez égaré pour supporter et rechercher la compagnie d'un protagoniste nocif, vite détesté par le lecteur. Un homme arrimé au bar d'un hôtel, venu échouer là lors d'une lointaine escale, un type suffisant, pontifiant, pérorant, ratiocinant, raisonneur et cuistre (une synthèse, aurait dit Audiard, qu'on cite toujours quand on veut faire court et explicite). C'est une première énigme, cette fascination du « héros » pour son tourmenteur, car il le tourmente, avant que d'autres énigmes s'immiscent dans le récit. En attendant qu'il réalise combien cette relation est « inutile et nuisible » et qu'il se demande « comment rompre le sortilège », le narrateur s'adonne avec une étrange bénévolence au rituel malsain du dialogue avec l'homme du bar et il l'écoute. Au point de suivre ses conseils : aller se mettre au vert, par exemple, dans une petite maison de campagne familiale.
    Un hasard, puis un autre, une jeune femme, une auberge, la pluie, un attentat, et l'ombre constante de l'homme du bar avec son récit croisé du marin blond, ses possibles manipulations, tracent une trajectoire du verbe, en fin de compte, où les rapports humains sont autant d'occasions de mener des réflexions qui les explorent et les dissèquent. Le lecteur rêvera d'une franche et solide mise au point du narrateur, soupçonné à tort d'adultère, avec sa femme, il ne l'aura pas mais sera récompensé de sa frustration par la délicate dérive des pensées du narrateur, une aristocratie d'homme de la Renaissance, à la fois humaniste et lucide. On fera peut-être la moue devant certaines assertions assénées comme des vérités indépassables : « [les échecs], ce roi des jeux dont personne ne peut avoir l'audace de contester qu'il garantit la hauteur intellectuelle de tout individu y rencontrant quelque succès » (Le Joueur d'échecs de Zweig semble avoir l'audace de démontrer le contraire) ; « la clameur constante du rock, guitares et batteries, finit par s'abolir dans un cannibalisme absurde » (c'est aller un peu vite en besogne pour un univers qui a un demi-siècle d'histoire). Qu'on ne s'attache pas à cette menue réserve : les nombreux moments de vraie littérature, la subtilité des images, le goût de la beauté de la phrase (avec une épure de la ponctuation), additionnent les motifs de se passionner pour ce texte.
    La question qui vaut, finalement, n'est pas « qui est le marin blond ? » mais plutôt « qu'est-ce qu'un marin blond ? » L'auteur constate que, sans doute, au gré de nos existences, au fil des escales et des départs, « nous sommes tous des marins blonds », et il faudra méditer un temps pour s'approprier cette fausse évidence. Parce qu'il n'existe pas de maîtrise du cours de nos amours.

    L'histoire du marin blond. Jean-Pierre Poccioni. Z4 éditions. 177 pages. 16 euros.

  • 3753

    Pas plus que le charcutier du billet de l'autre jour, celui-là ne s'est inquiété du mal qu'il fait. Les circonstances sont à peu près les mêmes : je suis au service militaire, et les confidences, les histoires d'amour, les souvenirs évoqués, atténuent notre ennui. Je suppose qu'écrire des lettres d'amour pour certains camarades a dû contribuer à ma réputation de type à qui on peut tout dire. L'un m'a confié son homosexualité, un autre m'a parlé du ménage à trois dont son exil menace l'équilibre, je suis aussi le réceptacle de pas mal de fantasmes... poubelle ou psy ou curé, je ne sais pas comment définir mon rôle, alors. En tout cas, le type qui me raconte comment il a couché avec une « petite négresse », n'a besoin ni de mon absolution, ni de mon analyse. Mon oreille lui suffit, je pense. J'avoue, je n'écoute qu'à moitié ses approches, leur rencontre dans une chambre. Mon intérêt s'éveille soudain quand le gars raconte, mâchoires serrées sur le souvenir de l'action : « Elle était là, j'étais déjà sur elle, je la déshabillais, elle se plaignait comme ça (il l'imite à petits gestes de comédie, en exagérant un ton geignard), non non je veux pas. P'tain, je lui ai donné un coup de poing dans la gueule. Merde, tout le monde lui était passé dessus, alors Oh ! » J'ai mis un temps à réaliser que l'on venait de me décrire un viol. Je vous assure, la connexion entre le mot et la scène racontée ne s'est pas opérée de suite et c'est cela, le vrai mystère de ce souvenir.
    Quant à toi, ordure, je me souviens de ton nom et de ta tête, parfaitement. Et de ton odieux sourire satisfait.

  • 3752

    Hier soir, nous célébrions l'ouverture d'un chantier d'importance qui va, Cédric Fernandez (au dessin), Franck Perrot (à la couleur) et moi (au scénario), nous embarquer pour une collaboration de deux ans, au bas mot : la réalisation, pour Glénat, d'une BD en deux volumes sur la conquête du Mexique par Hernan Cortés. Un projet lancé il y a une dizaine d'années sous l'impulsion de Cédric, et qui a mis tout ce temps pour trouver un éditeur.
    Hier, avant de déboucher le champagne, tandis que je transférais de la documentation sur mon ordinateur, Cédric et moi nous amusions du nombre de fichiers contenus dans le dossier qui, par thésaurisation, résume notre collaboration : 11 titres. Et tous d'un bon niveau, je vous assure. De la piraterie fantaisiste à l'adaptation littéraire, d'un récit d'histoire contemporaine à un drame shakespearien ayant pour cadre la Scandinavie du VIIIe siècle en passant par la mythologie grecque, nous avons exploré tous les thèmes qui nous interpellaient. Le plus étonnant, encore, est la durée que l'ensemble symbolise : une vingtaine d'années. Dire que nous sommes têtus serait un euphémisme, vous l'avez compris, mais est-ce bien cet entêtement qui s'est révélé payant ? En partie seulement : le facteur déterminant est que Cédric et Franck assurent depuis pas mal d'années des réalisations qui font des succès de librairie (Saint-Exupéry, Les forêts d'Opale, Les Faucheurs de vent, bientôt Notre-Dame de Paris) et que les éditeurs leur font confiance, désormais. Je ne suis donc qu'un invité, reconnaissant de la chance qui lui échoie. Sans Cédric, je sais que j'aurais pu m'échiner encore des années sans le moindre résultat. L'aventure commence donc, et nous entrevoyons l'énormité du défi. La reconstitution d'une histoire aussi exotique et lointaine, la richesse graphique que nous voulons atteindre, l'ambition du récit, nous font considérer ce diptyque comme un enjeu particulier. Pour le reste, si vous lisez ce billet comme un hommage à mon ami dessinateur qui a si fidèlement tenté de me faire intégrer ce milieu pendant tout ce temps sans rien lâcher, vous avez raison.

  • 3751

    C'était un grand connard. Authentique. Il aurait pu laisser deviner une fêlure, une faille où se serait nichée un peu de doute ou de questionnement. Non. Il était un bloc compact de bêtise auto-satisfaite, de fierté virile, de bon-sens franchouillard. Dans le grand dortoir, il raconta comment, dans la boucherie-charcuterie où il travaillait, lui et ses collègues, avec la participation enjouée du patron, avaient piégé la vendeuse la plus jeune et la plus accorte du magasin. Celle qui souriait aux clients, avait toujours un mot gentil, promenait sous leurs yeux ses formes appétissantes. Le patron lui avait dit de rester un peu pour finir un travail, ce soir-là. Elle était rentrée dans la réserve en demandant ce qu'elle pouvait faire. A quatre, ils l'ont maîtrisée, l'ont déculottée et lui ont fourré un gros saucisson dans le sexe. La bonne blague ! il en riait encore, le grand connard, quand il la racontait aux autres troufions que nous étions. Je vous le jure, nous n'étions ni sensibles ni pudiques, mais je ne me souviens pas qu'aucun d'entre nous aie partagé l'hilarité du narrateur. Nous étions sidérés (l'indignation ne viendrait que beaucoup plus tard). « Et après, elle est partie ? » a dit l'un de nous. « Ben après, non. Le lendemain matin, elle est revenue travailler, comme d'habitude. Elle nous faisait la gueule. » Et ça aussi, ça le faisait rire.
    Une nature joviale, quoi.