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  • Nous, les faibles.

    Ces combats que nous n'avons pas menés, laissés à d'autres. Plus forts que nous, plus intelligents que nous, plus combattifs ou résolus que nous. Et qu'ils ont perdus. Nous n'avions pas perçu que nous étions les renforts, l'assise, l'arrière. Qu'en notre sein naissait la vague suivante. Tout accablés de notre faiblesse, nous n'avions pas vu que nous étions leur socle. Et qu'ils avaient besoin de nous.

  • Taupe finale

    Bon, ça suffit maintenant cette histoire de taupes. Je ne veux pas qu'on y revienne. Mais le paysan dont j'ai défoncé les champs pour remonter la trace du taupodonte ne l'entend pas de cette oreille, et il tire la mienne pour me montrer les dégâts. « va falloir tout reboucher », il dit « parce que les vaches se foulent les pattes e'd'dans ! » j'ai beau protester, désigner la science là-haut qui réclame ce faible sacrifice et n'a cure des contraintes agricoles, rien à faire, le gars me file une pelle dans les mains et un coup de pied aux fesses. Tandis que je rebouche les trous, je médite sur mon sort et tente de me souvenir comment tout ça a commencé.

  • Le bout du tunnel

    Depuis le pré du voisin, en remontant le trajet taupe à taupe selon le principe formulé précédemment, la plus ancienne galerie perceptible débouche dans l'enceinte de l'abbaye de la Chalade vers Les-Islettes, en Lorraine. Ensuite, les sillons sont moins évidents, ils s'amenuisent et se perdent. Mes correspondants allemands ont relayé l'enquête. Ils ont établi une cartographie géologique qui, en tenant compte de la période de construction de l'abbaye et de la consistance du sol privilégiée par les ancêtres de la taupe de Saint-Nizier (chez nous, quoi), permet de simuler un trajet idéal. Selon eux, les taupes seraient venues des plaines de l'Asie centrale, dans l'élan des grands invasions germaniques (mais avec un peu de retard, la taupe étant un peu moins rapide que le cheval mongol).

    Quelles merveilleuses histoires la science nous révèle ainsi ! Comme c'est bon de se sentir moins con !

  • Creuser l'idée

    Il y a bien un moment où ça a commencé. Je veux dire : D'où est partie la première taupe, l'ancêtre de la taupe, le taupodonte ? C'est une énigme, ça... Si l'on considère qu'une taupe ne quitte son terrier que pour sortir pisser (et encore : je ne suis pas sûr), il est évident que son lieu de naissance se trouve au bout, au tout début de sa galerie. Galerie qui est elle-même l'aboutissement des galeries convergentes de papa et maman taupe, qui eux-mêmes... Donc : en remontant n'importe quelle galerie de taupe, on doit pouvoir remonter à la première de l'espèce. Ça me semble imparable. Bon, je sors, je crois qu'il y a une taupe dans le pré en bas.

    (creuse, creuse, creuse....)

    Incroyable découverte ! Vous n'allez pas me croire !

  • Guerre souterraine

    Si l'on considère la densité des terrains que traverse la taupe, sur une longueur moyenne, le petit animal a une force de pénétration plus grande que l'obus à tête au lithium dans l'épaisseur des blindages lourds du char Leclerc. Ce qui fait de la taupe le missile perforant le plus performant de l'histoire de la balistique. Seule une véhémente protestation de la SPA, relayée par les terribles images de tests glanées par Greenpeace, a pu mettre fin à l'utilisation de la taupe comme rockett pour bazooka, pratique ô combien barbare.

  • Pré#Carré

    Vendredi 23 mars
    A la Médiathèque de Neulise
    Hervé Bougel a dit :
    « Ce qu'on a à dire d'essentiel aux autres me paraît tenir en quelques mots :
    Je t'aime, tu m'emmerdes, etc.
    Après, c'est autre chose »
    (il n'a pas dit « c'est de la littérature » mais il a ajouté :
    « ...c'est Victor Hugo et c'est un autre monde. »)
    Pour illustrer le principe,
    Christian Degoutte a lu
    un texte édité par Bougel au Pré#Carré
    « Il neige », de Joseph Beaude.
    « Vient un jour où les images
    n'infectent plus la langue
    on peut dire il neige quand il neige »
    Typique de cette poésie précise et légère à la fois,
    défendue selon Degoutte par Hervé Bougel
    (« la poésie considérée comme parole première se tient bien à l'aise dans ces petits formats »)
    qui suit en cela les pas tracés par Roland Tixier, du pré de l'Age.
    Hervé Bougel (RVB par goût du signe et du langage)
    publie cette année son 72ème recueil carré, plié et cousu main,
    avec ses belles couvertures
    précieuses et pensées.
    Si l'on ajoute d'autres publications aux formats différents
    (autres collections : « pas à pas », co-éditions ; des textes de Pierre Présumey, de Christian Degoutte, de Fabrice Vigne...)
    on réalise que RVB a mieux que poursuivi le travail de Tixier, il l'a prolongé, conforté, peut-être dépassé d'une certaine manière.
    Pour se faire une idée, mieux vaut aller batifoler du côté de son blog,
    de mauvaise foi et très intéressant
    Plein de gens voudraient aider Bougel, à plier, coudre, f
    aire ce « travail d'abruti » qu'il affectionne,
    mais il est de son propre aveu « très difficile à aider »
    Non, le mieux, pour lui donner un coup de main, c'est de s'abonner.
    Recevoir quatre fois par an ces petits bijoux.
    « On peut avoir des dizaines de livres chez soi,
    mais ça, ce n'est pas n'importe quels livres,
    après des années, on peut y revenir,
    leur qualité est toujours là. »
    explique Christian.
    Et c'est vrai.

  • Taupe toujours

    Une taupe, ça creuse droit, a priori. Tout droit. Il faut un rocher ou un piège ou un éboulement, pour que l'animal se détourne de son cap. C'est pour cela qu'il n'y a pas de taupes en Espagne, par exemple, ou en Italie. Incapables de franchir les massifs montagneux. De très rares arrivent jusqu'à la mer et se noient. Très rares. Excessivement rares. Pour ainsi dire pas. D'ailleurs, le seul poisson qui se nourrissait de taupes a disparu. Mort de faim.

  • Pas aidées

    Et d'abord, comment font monsieur et madame Taupe pour se rencontrer ? Voyez la taille de ces bestioles et les immenses surfaces qu'elles sont obligées de creuser à l'aveuglette dans le mince espoir statistique de tomber nez à nez avec le futur (si tant est qu'ils se plaisent, en plus. Sinon, c'est demi-tour et on se retape tout le pré. Pauvres bêtes !). Enfin, je suppose qu'arrivées là, elles ne font pas les difficiles.

  • Taupe ou encore

    Pour en revenir à la taupe et à ses amours. Le pelage de cet animal est tellement doux et sensuel que la bestiole, à son contact permanent, est la proie d'une incessante auto-érotisation qui l'épuise, ce qui explique en partie la faible fécondité de l'espèce. Il fallait rappeler ce point.

  • La petite maison

    Une promenade sous un beau ciel de février a mené nos pas loin de chez nous, parmi les collines qui arriment la Bourgogne au Charolais. Quatre heures de marche sereine et émerveillée. En haut d'un coteau, contre la crête d'une forêt, nous remarquons une maison. Nous l'avons repérée de loin parce qu'elle est seule dans ce paysage. C'est une vieille maison de bois mais retapée intelligemment avec de grandes ouvertures vitrées et sûrement pas mal de moyens. Et puis, dans le grand pré qui la sépare de la petite route  où ne passe pas une voiture par demi-journée, un jeune père joue avec son petit garçon au cerf-volant. Les seuls bruits que nous percevons sont ceux de nos pas et de nos respirations, le feulement de l'air contre le cerf-volant et les cris de joie du gamin. Nous avons dépassé leur hauteur, avons continué le chemin presque en baissant la tête, se faire le plus petits et discrets possibles, comme si nous risquions de déranger un ordre sain par notre intrusion. En nous retournant, nous découvrons qu'aucun fil électrique ne relie la maison aux poteaux électriques les plus proches, au bord de la route. On ne peut s'empêcher d'imaginer le bonheur d'une petite famille, fermée autour d'un poêle et quelques livres, des gens qui ont fait le choix de l'isolement pour vivre, au moins quelque temps, un an ou deux, coupés du monde. En paix.  Nous en conservons le souvenir jusqu'au retour, le souvenir qui nous marque d'un sourire tenace. Sourire que je retrouve tandis que j'écris ces lignes, deux semaines après.

  • On ne nous dit pas tout

    Je pose juste la question : quand deux taupes se rencontrent, elles sont nez à nez. Comment font-elles, dans leurs fichues galeries étroites, pour se retourner et s'accoupler, hein ?

  • Christian Degoutte à l'écritoire d'Estieugues

    Au centre de Cours-la-Ville (Rhône), où je m'arrête pour demander mon chemin, un panneau avertit que « la ville est sous vidéo-surveillance ». La taille de la commune le permet je suppose. Quant au Syndicat d'initiative où j'espère un renseignement, il est sécurisé par un sas à ouverture électrique commandée depuis le bureau, à l'intérieur, comme une banque. Je me dis qu'on a vraiment le sens de l'accueil dans ce patelin. Du coup, l'existence de « L'écritoire d'Estieugue », association dédiée à la poésie, prend un sens particulier. On défendrait ici une poésie de résistance à la bêtise et à la frilosité, une poésie de l'ouverture et de la générosité, que ça ne me surprendrait pas. En tout cas, les amis de l'écritoire (Gilles Cherbut et Anne Vaucanson en tête) honorent le printemps de la poésie par plusieurs rencontres et lectures. Ce samedi 17 mars au matin, c'est Christian Degoutte qui était l'invité du « conversatoire de poésie ».

    La voix de ce poète est rare malgré le nombre et la qualité de ses publications. Nous étions une trentaine à avoir tenté de ne pas louper ce rendez-vous. Christian est comme ces animaux rares, furtifs, rayonnants, qui s'effraient de la lumière et sous l'haleine des ténèbres... Merde, voilà que je me mets à écrire comme Bobin. Non : Christian Degoutte est d'abord un insatiable lecteur de poésie, un guide bienveillant, s'amusant à décontenancer : « c'est bien, la mièvrerie, moi j'aime bien les trucs mièvres. Pourquoi ce serait mal, la mièvrerie, le pathos ? » et qui, deux minutes après, vous cisaillent le cœur et les tripes en lisant des extraits de « Il y a des abeilles », texte sensuel et désarmé, apaisé mais traversé par une colère, loin très loin de toute mièvrerie. Son intervention alternera pendant deux heures, lecture de ses textes et des textes des autres. Les parentés, les influences, les complicités et les allusions sont constamment rappelées. Christian nous propose d'emblée de distinguer une poésie « d'estrade », Jaccottet, Ponge..., éditée dans de grandes maisons et reconnue (une poésie qu'il aime lire mais pas celle vers laquelle il va naturellement, en tant qu'auteur) et une poésie que pour faire vite il qualifiera d'underground. Disons, confidentielle. Enfin, encore plus confidentielle que la poésie d'estrade, c'est dire. Sans un guide comme lui, qui en une matinée nous défriche quarante ans de littérature faite « au cordeau », un piètre lecteur comme moi (pas assez curieux, voilà le drame) n'aurait jamais eu vent de l'existence de poétesses actuelles comme Ariane Dreyfus, Sophie Lucas ou Amandine Marembert.

    Un poète n'écrit rien qui ne soit rattaché à la littérature qui est sa famille. Ses premiers textes, « Sybilles ocres », « l'homme de septembre », repris à l'envi dans des anthologies, reflètent la manière de René Char, dont la densité des textes lui est toujours une énigme. On sait que le travail d'un artiste est de se déprendre de l'empreinte de ses maîtres. Lire beaucoup, beaucoup d'auteurs exigeants, c'est-à-dire multiplier les influences en fait, aide assurément à trouver sa voix. La lecture et le silence qu'impose cette avide fréquentation des autres textes. La plume de Christian se tait pendant vingt ans, après ses publications des années 70. « C'est comme ça, dit-il pudiquement, je n'écrivais rien, enfin rien d'utile. » Rien d'utile... Que les écrivaillons ruminent cette notion (je la prends pour moi aussi, d'ailleurs : ma prolixité (surtout mon peu de réticence à partager la moindre ligne), me fatigue moi-même. 'f'rais mieux de savoir si j'écris quelque chose « d'utile » parfois. Mais passons.)

    Retour à l'écriture dans les années 90 (je n'ai pas saisi, car Christian digressait, s'égarait, revenait, si « 34 cordeaux » écrit en hommage à Apollinaire, se situe dans cette phase de regain mais qu'importe), les années 90 donc, avec de « faux » poèmes. De faux poèmes, comment ça ? C'est que pour leur auteur, ces textes n'avaient pas grand chose à voir avec la poésie. Il se pense « incapable d'écrire un poème », alors il fait « fictionner » la poésie. Par exemple avec cette merveilleuse idée du recueil « paroles cuites ». les paroles cuites, ce sont des textes fragmentaires, exhumés de la terre des jardins et des talus, des signes vitrifiés sur des bouts de faïence que les naïfs croient être d'anodins morceaux de vaisselle cassée mais que le poète reconnaît comme les vestiges d'une civilisation nomade disparue. Il a suffi de traduire leur langue, « l'archaïque », pour produire un recueil, illustré de dessins scientifiques. Christian fait encore des fictions de poésie à partir des catalogues de la Redoute, où il a remarqué que les lingeries étaient assorties de textes aux teintes « poétiques », pour convaincre les clientes d'acheter tels bas, telle nuisette, telle culotte. Dans ce cas, « faire fictionner la poésie », c'est pousser les curseurs un peu plus loin, mener la tentative au terme. Appuyer sur les curseurs est question de dosage. Christian rappelle la frontière imperceptible qui sépare un bon poème d'un poème ridicule. Enfin, « comme on ne peut pas toujours faire semblant... » Christian accepte d'écrire vraiment des poèmes. Il ne s'agit plus de fictionner, il s'agit de se confronter à la genèse de cette forme. C'est très risqué : « La seule volonté d'écrire un poème suffit à tuer le poème », principe d'incertitude appliqué à l'écriture. Une source pourtant est utilisable : cueillir dans sa prose quotidienne les éclats qui sont l'amorce de textes. En revenant sur ces phrases, livrées sans ordre aux carnets, dans le flot des notes « on est éclairé à rebours par ses propres formules ».


    Et la poésie, qu'est-ce que c'est ? Personne n'a posé la question, mais on sait bien qu'elle va surgir. Apprendre de lui comment il a pensé la chose. Il devance l'interrogation, sûrement parce que, à force de réflexion, Christian est en mesure de définir la poésie comme « ce qui nous conduit au langage à l'intérieur de nous » et l'écriture ? « une érotisation du langage ». Je me souviens que Pierre Michon voulait écrire avec le Français comme s'il s'agissait d'une langue morte. J'ai eu le sentiment que les deux approches n'étaient pas si éloignées. Écrire, enchanter le langage. Érotiser, oui, comme sont sûrement érotiques les courbes surhumaines du sculpteur Henri Moore qui lui inspira le superbe « Henri Moore à Nantes », que mon ami Jean a saisi le premier. Il n'y avait qu'un exemplaire. Mais je sais bien qu'il va me le prêter...

    Lire les textes de Christian Degoutte : Le Pré#carré éditeur (Il y a des abeilles notamment, deux éditions différentes dont la plus récente est bilingue, français et allemand).
    Son premier roman Trois jours en été, chez l'Escarbille.
    On le trouve aussi dans des anthologies : le recueil III de « Poésie d'aujourd'hui en Rhône-Alpes » et dans « La poésie de A à Z » de Jacques Morin.
    Christian tient aussi une rubrique dans la revue Verso, où il chronique les revues de poésie.

  • Le rouquin des urgences

    Que fait cet orang-outang aux urgences ? Personne ne s’étonne (ou bien est-ce un enfant exceptionnellement velu, disproportionné à l’excès par une maladie génétique ?, mais non, non : c’est bien un orang-outang, je ne suis pas fou). Il est assis, saisit Paris-Match sur la table basse de la salle d’attente. Il soupire. Nous sommes quelques uns à tenter comme lui de prendre notre mal en patience. J’ai apporté un livre, je le lis, je le referme. « Mais enfin, m’insurgé-je brusquement, c’est bien un orang-outang, non ? » Tout le monde m’observe. Les autres patients dévisagent celui que j’ai désigné, réfléchissent. Un monsieur se frotte le menton. Une dame, à côté de lui murmure qu’elle n’est pas sûre. Je m’insurge derechef : « Pas sûre ? Le poil orange comme ça, des bras trop longs, une moue ennuyée… Ne me dites pas que c’est –je ne sais pas- un chimpanzé par exemple ? ». La dame s’agace : « Ce n’est pas poli de montrer du doigt et puis il fait ce qu’il veut, non ? ». Le monsieur pas loin sort de son mutisme : « Moi, je suis d’accord avec monsieur. C’est un orang-outang et il n’a rien à faire ici. » Ah, triomphé-je, tandis que l’homme ajoute : « Voilà à quoi sert notre argent. On s’occupe de tout le monde, et les Français passent en second » Je m'insurgé-je encore mais sur le côté : « Attendez : ce n'est pas ce que je voulais dire ! » la dame s’énerve carrément : « C’est honteux ce que vous dites, monsieur ! » J’abonde : « Absolument ! Les orangs-outangs sont des humains comme les autres ! ». Un vieux pas loin bougonne que dans le temps, des gens comme ça, ben, on les envoyait dans les tranchées picétou. L'orang-outang reste d'un calme olympien alors que la dame et moi, solidaires, essayons de dire la morale et l'humanisme. Sur mon rappel un peu aléatoire parce qu'énervé, des lois de la République et de l'histoire de l'esclavage, l'ourang-outang enfin pose son magazine. Et s'adresse à nous « Je ne suis pas un voleur, je ne suis pas un criminel, je suis venu aux urgences sous un prétexte fallacieux pour passer une nuit au chaud. Je veux simplement quelques euros pour améliorer l'ordinaire. Je vais maintenant passer parmi vous, et je vous remercie par avance de ne pas jouer les rapiats, parce que j'ai une bonne droite. » Il passe, on paie, il part en nous faisant un bras d'honneur. La dame râle un peu, c'est elle qui a donné le plus: "Ces rouquins..."

    Je sais. Mais si vous avez une idée de chute pour une histoire pareille, je suis preneur.

  • Nuitamment 2

    Mon précieux ami Jean vient me chercher en voiture pour une lecture en public. Evidemment, je ne suis pas prêt. Il manœuvre un peu plus loin que l’endroit où je suis. Je découvre que Jean n’est plus à bord : la voiture dérive toute seule jusqu’à moi. Je m’installe à l’arrière où Jean me rejoint. Je lui dis en souriant, désignant le volant vide devant nous que c’est tout de même sa voiture (au réveil, je reviendrai sur cette image pour me souvenir que Jean n’a pas le permis. L’idée a été intégrée dans mon rêve de cette façon, je suppose.) Quoi qu’il en soit, et dans une ellipse propre aux rêves, nous nous retrouvons au seuil d’une maison censée être la mienne, ou une maison que je connais bien. Je dois y récupérer des vêtements car il fait froid, ou des documents pour la lecture que nous devons faire. J’entre. La maison est en chantier. Il y règne un désordre typique, mais rien de sombre : la lumière entre en plein, les murs détapissés sont clairs. Je déambule parmi les pièces, toutes dans le même état. Au fur et à mesure de mon exploration, je sens la peur monter en moi. J’entre dans une pièce, je sais qu’il y a quelqu’un, j’entends du bruit, je n’arrive pas à voir correctement ce qui se situe sur ma gauche. Je tourne la tête mais toujours une sorte d’angle mort échappe à ma curiosité. Le scénario se répète dans chaque endroit de la maison que je visite. Toujours, me parviennent les bruits d’une activité de chantier, ponçage, déplacements, sifflotements. J’ai peur, je sais que quelqu’un va surgir, c’est inévitable, je déteste ce genre d’irruption. Et puis, derrière un mur, je vois s’avancer une jambe, un homme. C’est mon père. Il est vêtu d’une chemise à manches courtes enfoncée à la Chirac dans un short bleu marine. Une tenue de chantier d’été. Je suis tellement heureux de le revoir. Il me sourit. Je lui demande comment ça va. Mes mains le tiennent aux épaules. Il me dit que tout va bien. J’insiste un peu, je veux savoir comment ça fait d’être de l’autre côté. Il prend un air vague, explique que le temps n’est pas le même. Ce faisant, j’ai le temps de l’observer de plus près et je vois son œil gauche étrangement aplati, blanc et mort sous l’interstice des paupières. Je veux lui demander s’il a eu mal quand il est « passé », mais je vois Jean et Dominique (un autre ami avec qui nous faisons des lectures publiques) sur le seuil et ne veux pas les faire trop attendre. Je ne me souviens pas avoir salué mon père, je suis déjà près de la sortie, je croise une femme qui vient visiter la maison, sans doute pour l’acheter. Elle m’est immédiatement antipathique. Je rejoins mes amis. Je me réveille. Je réalise que mon père est mort il y a neuf ans, à cette même période.

  • Ohé Ohé

    Le thème du bal masqué était « concepts philosophiques », ce n'est pas très original, mais nous nous plions volontiers à ces amusements. Je voulais m'habiller en syllogisme mais j'étais sûr que Laurent Cachard viendrait costumé en enthymème et là, je ne pourrais pas lutter. J'ai opté finalement pour une tenue de noumène et ma douce avait gardé son costume de transcendance, qui lui va toujours à merveille et puis ça fait des économies. Laurent était là en effet, Régis Debray était à poil, toujours pour faire l'intéressant (pourtant, c'est plus de son âge), Onfray n'est pas venu. Dommage. Bref, on s'est quand même bien marré. A minuit, BHL est arrivé en tenue de symbole et tout le monde est parti.

  • C'est l'printemps, les poètes planent

    Ils écrivent et lisent aussi.

    Relayons donc l'avis de l'excellent Christian Degoutte qui sera l'invité de l'écritoire d'Estieugues, au Château de la Fargette (à Cours-la-Ville, ne faites pas semblant de ne pas savoir où c'est), printemps des poet-poet qui se déroulera comme suit :

    -Vendredi 16 mars à 20h30 : lecture du Prophète, de Khalil Gibran, par Charles Simond.

    -Samedi 17 mars à 10 h 45 : conversatoire de poésie contemporaine, animé par Christian Degoutte.*

    -Samedi 17 mars à 16 h : poèmes de Gaston Couté, interprétés par Hervé Mercier.

    En soirée, Michel Grange viendra avec sa guitare (enfijn je suppose) entonner ses propres chansons.

    Qu'on se le dise !

    * Ce rendez-vous était suivi dans l'annonce par la formule : "Suivi d’un apéritif gratuit" mais je ne l'ai pas mise parce que je sais que vous n'êtes pas comme ça. Moi par contre...

  • Quand ça veut pas...

    La mort d'une dizaine de touristes partis en croisière, dans le naufrage du « Titan of the sea », a frappé de stupeur le petit village de Mouillechou dont ils étaient tous originaires.

    ****

    Le car qui emmenait le conseil municipal de Mouillechou sur les lieux de la tragédie du « Titan of the sea » pour une cérémonie en hommage à leurs concitoyens, est tombé, la nuit dernière, dans un précipice. Il n'y a malheureusement aucun survivant. Mouillechou est à nouveau en deuil.

    ***


    L'Airbus affrété par le gouvernement pour transporter les familles endeuillées de Mouillechou sur le lieu de l'accident de car dans lequel a péri tout le conseil municipal de ce petit village, s'est crashé dans la nuit, sur les hauteurs de Vilstruva.

     

    ***


    Interrogé par notre correspondant, le dernier survivant de Mouillechou, Monsieur Michel Plutard, a déclaré vouloir rester chez lui pour observer une minute de silence à la mémoire du village.

  • Nuitamment

    Une amie m'accompagne jusqu'à la salle de bains dans une maison que je ne connais pas. Elle me fait entrer. Dans la pièce, je regarde la cabine de douche, la baignoire... Je sens une hostilité, toute envie de me doucher me paraît absurde soudain. J'en suis convaincu, il y a quelque chose de dangereux ici, il faut que je sorte. Je me retourne, la porte a disparu. Il n'y a qu'un mur que je palpe en hurlant de peur. De l'autre côté, j'entends l'amie qui m'a accompagné tenter d'ouvrir la porte : « C'est bloqué » dit-elle, affolée par mon cri. Je hurle de toutes mes forces et me réveille enfin, le coeur cognant violemment.

    Je suis mort. Pas en train de mourir. Mort véritablement. Dans l'obscurité, je distingue une entité faite de lignes noires, une sorte d'assemblage de filets de plastique brûlé ou d'éclats d'obsidienne. L'entité cherche à m'enfoncer plus loin dans la mort. Il faudrait que je sois encore plus mort, apparemment. Je ne me débats pas, je ne suis qu'une ombre incertaine, je comprends que je m'éloigne du niveau où j'étais pour sombrer plus profondément dans les limbes de la mort. Je me réveille, en proie à une détresse inexprimable.

    C'est pour vous dire le genre de cauchemar que je fais.

  • Monologue

    Ce n'est peut-être qu'une impression, mais je me demande si ce type qui m'insulte copieusement depuis dix minutes ne tire pas profit de sa taille et de sa force musculaire, manifestement supérieures à la mienne.

  • Sûrs de nous

    De toute façon, notre choix est fait. On va arrêter de s'angoisser en regardant la télé, en écoutant la radio et en suivant les analyses de chacun. Nous n'irons pas voir Cloclo, et puis c'est tout.