Ce que je fais, quand j'écris ? Rien d'autre qu'explorer des labyrinthes intimes dont je n'ai pas les plans.
Ecrire
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(...) J'ai lu deux de tes bouquins.
- Ah bon ?
- Ben ouiii (elle prolonge ainsi les i comme s'élargit son sourire), je suis allée dans ma librairie préférée, quand j'ai parlé de toi, ils ont dit : Oui, une auteure intéressante, on la suit.
- Ça fait plaisir. Tu as lu quoi ?
- Parents thèse et Magma.
- Hou, tu as choisi les plus durs...
- Oui, c'est dur, Holà là. Bouleversant. C'est le genre de littérature que j'aime. Enfin, d'habitude, je ne lis pas : j'écoute des livres audio. Je peux peindre et avoir le plaisir de la lecture en même temps, c’est super. Les deux, je veux dire tes deux livres, là, sont très différents, y compris par le style. Parents thèse est… Houlà là. Je ne sais pas comment tu es parvenue à raconter ça. Parce que… tout est vrai, je suppose ?
- Oui. Aucune autobiographie ne peut tricher sur la représentation des proches. Tu ne peux pas faire de la fiction en imaginant le meurtre de ta mère par ton père.
- C'est dur. Découvrir sa maman... Holà là, quand j'ai lu ça… La scène me hante encore.
- Il y a quelques années, au salon du livre, on parlait d'un roman très fort sur le suicide d'un jeune garçon. Le fils d'un écrivain. J'assistais à la table ronde. Et, un moment, l'auteur lâche qu'en réalité son fils va très bien, que c’est juste une fiction. Ça m'a poignardée, cette révélation. Comment on peut se permettre d'imaginer un truc pareil ? Lui, ça l'amusait, il souriait, il était tout fier des réactions du public, tout content d'avoir pu tromper son monde, il devait se trouver beaucoup de talent, beaucoup d'adresse je suppose. Je me suis dit que c'était un vrai salaud, une ordure, ce type. Il me semble que l'autofiction atteint sa limite dans de tels cas. Je ne suis plus jamais arrivé à le lire. Non, moi, tout est vrai. En tout cas, tel que je le crois vrai.
- Et bien… C'est terrible, ce texte. Terrible. J'ai aimé aussi Magma, c'est autre chose, c'est politique, social, engagé. C'est très fort aussi. Je suis contente d'avoir découvert une écrivaine de ta trempe. C'est exactement ce que je cherche dans un livre, un truc qui te bouscule, et un style, aussi. C'est important. Une voix. La manière compte. » On vient prendre commande et notre conversation reprend, légère, pas amoindrie ou contrariée par notre échange sur le drame de mon enfance. Je suis soulagée que Corinne ait conservé la même attitude, après s'être vue confirmer que mon récit était authentique. Quand on me présente, il est toujours question de ce livre. On le considère comme le socle de tout mon travail, la pierre angulaire. On fait l'hypothèse (tacite) que je n'aurais pas écrit sans cela. Ce qui me pose problème. J'assume, mais j'aimerais qu'on me lise sans penser à ce coup de poing augural. Parents Thèse ne me résume pas. Il fallait que je l'écrive ; je ne me limite pas à ce choc initial et tout ne m'y ramène pas. J'assiste souvent au malaise des gens, face à moi, quand ils ont lu ce texte. Corinne est une artiste, elle sait que se livrer a pour effet de mettre à distance. Et l'enfant du livre qui découvre sa mère, baignant dans son sang, battue à mort, n'est déjà plus tout à fait moi, à cause de la précipitation des vérités dans le creuset littéraire. La littérature ne fait pas que nous sauver, elle nous transforme, nous mûrit et accouche de nous, autres et moins imparfaits.Malvoisie. En cours d'écriture.
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Le destin ricanait quelque part. De tout cela avait résulté des années de dérive, ponctuées de quelques bouffées d'air miraculeuses. La naissance de leur fille, conçue pour tenter peut-être de revivre, de prendre le dessus. Antoine était confusément accroché à ces bouées, il ne sombrait pas tout à fait, il flottait entre deux eaux, demi-englouti, naufragé espérant n'échouer jamais. Les méditations au dessus de la tombe où reposait le corps du petit ne lui apportaient rien. Est-ce parce que la tombe était incertaine, quadruple, multiple ? Cela non plus n'allait pas. Rien n'allait, rien n'était digne ou convenable, des milliers d'infimes misères s'agglutinaient à la suite de la noyade du petit. Ils avaient dû improviser une solution ; on n'avait pas prévu d'enterrer quelqu'un si tôt dans la famille. La tombe de ses parents était prête, elle aurait pu servir mais « pas question de mettre le petit dans une tombe vide » avait dit Marius, et sa voix s'était étranglée en disant cela, enrayée par le désespoir. On avait donc glissé le petit cercueil sous une ancienne dalle, contre les restes d'un oncle et d'une tante. Le couple était déjà entouré de deux enfants morts autrefois de maladie. Toutes ces douleurs étouffées sous la paume des tombes et dont un nom seul suffit à réveiller le cri. Antoine appuyait son regard sur la pierre. Aucune paix ne venait de sous la terre consoler sa peine. Le mot désormais cognait contre son crâne et il se sentait devenir fou. Il se rendit chez un psychiatre, tenter un nouveau traitement, plus adapté que cette pharmacie qui l'abrutissait sans l'aider, un reste de lucidité lui disait qu'il se détruisait, qu'il détruisait tout, qu'il allait tout perdre. Ponctuel à son rendez-vous, il entra, le bureau était désert, il appela : personne. Il attendit. Quel concours de circonstances a produit ce quart d'heure fatal qui aurait pu, lui aussi, tout faire basculer ? On l'aurait écouté, on l'aurait ausculté, on aurait déterminé les tendances paranoïaques qui seraient révélées plus tard, on l'aurait soigné, qui sait ?… Antoine, dépité, sortit du cabinet et ne revint jamais. Après tout, quelle importance, se dit-il alors. C'est que la dérive était entrée dans les habitudes, Antoine ne l'interrogeait plus guère. Au fond, n'était-il plus aussi inconsolable qu'il paraissait, comment savoir, englué dans les psychotropes, comment connaître le degré réel de sa propre affliction ? On redoute l'idée même de relâcher l'étreinte chimique, craignant de se découvrir alors nu, en écorché mortellement affaibli. Et cette crainte prend le pas sur le chagrin. Le chagrin enfoui là quelque part, réduit, muet, peut-être mort. Il est possible aussi que la véritable crainte soit celle de réaliser soudain l'absence de chagrin. Être inconsolable de la mort de sa peine et en ressentir une culpabilité plus grande, c'est peut-être ce qui arrivait à Antoine.
Malvoisie. Écriture en cours.
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3842
Elle est propice aux confidences, cette maison. J'ai pu l'éprouver pour moi-même, quand j'expliquais à Corinne ou à Jeanne, ou à d'autres, des moments de ma vie que seule l'écriture avait été capable de me soutirer jusque là. Oui, c’est la maison qui inspire cet abandon, plutôt que les personnes à qui je me confie. J'ai eu des amis, ailleurs, des êtres bienveillants, dans des cadres différents, propices, superbes. Aucune âme-soeur, aucun lieu aimé, n'a rompu mes défenses comme Malvoisie. L'autre lieu des révélations intimes, c'est l'écriture, comme je l'ai annoncé plus haut. C'est un paradoxe connu, on livre sur les pages, lues par tout le monde, sans filtre, sans choix des destinataires, des secrets qu'il est impossible d'énoncer sous le regard d'un autre, en présence. Comme on se livre à des étrangers plutôt qu'à des proches. Pour Antoine, je ne sais si le phénomène est neuf. Il m'a dit un jour qu'il suivait une psychanalyse. Son fardeau est tel qu'il est comme un poison qu'il lui faut expulser, me répète-t-il. « Après je me sens mieux. » La petite, la veille, ses jeux qui l'éloignent des parents, l'accident toujours possible, tout cela lui a remis le drame en mémoire. Le drame essentiel, lointain, primordial. Enfin, il peut parler, c'est tellement précieux. Je l'écoute, Nous sommes debout sous les fragments d'ombre que procure le bignonia, le soleil remue dans son creuset la lumière fondue qu'il épanchera sur le jardin, Antoine n'en a cure, il n'y tient plus, c'est une légende trop longtemps contenue. On ne sait jamais, un auditeur de confiance un jour, moi maintenant, qui sait, pourrait éclairer cette tragédie des origines, lui dire enfin pourquoi. Nous élaborons les plus belles constructions de pensée pour trouver un sens à ce fatras que sont les drames, et le fatras résiste à toute logique. Le malheur surgit et l'on croit d'abord voir, sous l'effet de la révolte qu'il inspire, une compréhension se dessiner. Et puis, c'est l'abattement devant ce qui, définitivement, n'a pas même la clarté d'une farce. Antoine continue la psychanalyse commencée il y a des années. Des années de confidences qui soulagent un peu sur le moment, mais aucun progrès. Il est toujours sous médicaments, toujours inconsolable. Alors il saisit l'occasion de bénéficier enfin d'une oreille bienveillante. « Ma femme était avec ma mère en train de faire les cochonnailles... » commence Antoine. Et j'apprends qu'il se maria avec une femme nommée Catherine, j'apprends qu'il eut un fils, j'apprends comment mourut le premier enfant d'Antoine et de Catherine. « Et c'est à partir de là que tout est parti en malheur. »
Malvoisie. Roman en cours d'écriture.
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Hier soir, une amie, lectrice par ailleurs de mes romans, me faisait un retour de sa découverte de "J'habitais Roanne", un texte hybride, entre érudition un peu obsessionnelle et autobiographie, publié en 2011. L'originalité de son retour est qu'il est un enregistrement vidéo. Elle lit les passages, commente, évoque... c'est troublant, agréable, intime et efficace (les passages défilent sous mes yeux, en même temps que la voix discourt, bel effet de présence et de plongée dans le texte). Le premier passage qui l'a bouleversée, parce qu'il lui a rappelé une expérience personnelle, est celui qui suit. L'écoutant, je me suis dit que je pouvais opportunément en faire l'objet de mon billet du jour. Alors voici :
"Au collège, les garçons étaient grossiers, les filles inaccessibles. J'appris un nouveau vocabulaire et je découvris, au milieu de foules d'enfants qui dépassaient mes capacités de compréhension, l'amour, l'amitié, la lutte contre les plus forts pour l'honneur, et surtout le racisme. Une conception du monde tellement éloignée de celle qu'on m'avait enseignée que, la première fois que j'y fus confronté, je ne compris rien à sa manifestation et ne la reconnus donc pas. Il y avait dans ma classe une fille plus brune sans doute que les autres, dont le nom sonnait différemment aussi. Mon peu de fréquentation du genre humain ne m'avait pas averti que ces nuances avaient la moindre importance. Des garçons, à côté de moi, plus précoces, mieux renseignés par leurs parents, le savaient, eux. Dès le premier cours, ils commencèrent à lui donner de petits coups de stylo dans le dos, à l'agacer, caressant ses cheveux dans une parodie obscène de séduction, l'appelant avec une vulgarité inouïe. Elle ne se retournait qu'à demi, les suppliait, ce qui redoublait leur cruauté. Ahuri par une telle obstination dans la méchanceté gratuite, je leur demandai moi, d'arrêter. Plus étonnés que convaincus, ils obéirent. L'un d'eux (je me souviens de ton nom, toi, quel homme es-tu devenu ?), souligna son regret d'avoir à cesser de si bien s'amuser, par ces mots : « on va pas être gentils avec ces gens-là ». Ces gens-là. Ces gens-là ? Mais de quoi parlait-il ? Je ne comprenais pas le sens de cette formule. Qui étaient ces gens-là ? La fille me semblait surtout très jolie. Comment pouvait-on vouloir du mal à une jolie fille ; à une fille même seulement, cette humanité fascinante ? C'était hors de mes possibilités d'analyse."
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C'est une notion bien connue qui resterait abstraite si la vie ne s'occupait de l'incarner : nos décisions ne nous appartiennent pas. On se donne l'illusion du choix tandis que s'imposent en réalité les circonstances et le contexte, le milieu, l'âge, les contraintes sociales. On ne peut donc pas dire qu'Antoine ait choisi de rester à la ferme pour aider les parents. « Écoutez, moi… je remonte aux Janots », répondit-il finalement, le lendemain, à son patron. L'autre était dépité, il s'était convaincu de voir en lui un successeur, Antoine était l'homme qu'il lui fallait. « Tu te rends compte de ce que tu rates, là ? » Tortillant sa casquette devant le maraîcher étonné, il s'excusa « Je vois bien que ça vous contrarie, mais il y a la ferme et mes parents y arrivent plus. Ils ont besoin de moi... », il ne précisa pas : Entre mon père et ma mère, ça va pas, faut que je sois là, sinon ça va tourner au venin. Il ne dit rien parce que ça ne concernait personne en dehors du trio de la bastide. Ça ne concernait personne, ces moments furieux où le père et la mère tonnaient en Occitan, en Occitan parce que les contours du Français dénervent la colère, ça ne regardait qu'Antoine et sa mère, ce moment où il l'embrassa puissamment pour la retenir de se jeter dans l'oubli noir d'un étang. Elle s'était enfoncée à mi-corps, soulevant de gros remous de vase, la jupe gonflée autour de ses pas décidés, désirait franchement la noyade, quand il sauta dans l'eau pour la retenir, supporta ses coups, sa rage et ses pleurs, la hâla de toute sa jeune force pour la ramener sur la berge, alors qu'elle protestait « Laisse-moi, Antoine, j'en peux plus, j'en peux plus, faut que ça finisse, laisse-moi ! » Étendus sur l'herbe, sales, ils reprirent leur souffle. Péniblement, parce que les sanglots coupaient la respiration, parce qu'une peur résiduelle amoindrissait l'oxygène. Ils revinrent à la ferme et se changèrent en silence, à petits gestes somnambules, en priant pour que Marius ne rentre pas. Antoine et sa mère restèrent sur cela à jamais muets, n'évoquèrent pas l'incident, même entre eux. Des regards baissés, parfois, laissaient à leur place, dire combien c'était douloureux et sombre, combien ça les tenaillait, là. Marius n'apprit jamais que son fils, un jour, avait sauvé sa femme. La sœur d'Antoine, elle-même, n'en sut rien. Ce qu'elle comprit — tardivement — ce fut le sacrifice de son frère, les ambitions qui lui étaient autorisées et auxquelles il renonça brusquement, après une seule nuit de réflexion. Cela pesa sur les années suivantes, cela pesa sur tout, selon Antoine. Vu depuis Sarrebourg, où sa sœur avait été mutée et fréquenterait un lorrain qui deviendrait son mari, Antoine suivait en toute logique l'exemple paternel. Aucun drame là-dessous. Le destin est constitué de ces innombrables ajustements de trajectoire. Il repensera souvent à cette décision comme à une connerie. Ce mot résumant tout ce qu'il y a à en penser.
Extrait de "Malvoisie". Roman en cours d'écriture.
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3830
Pendant le siège de Tenochtitlan, les Mexicas voient bien que leur cause est perdue. Toute retraite est coupée, la ville est conquise peu à peu, le lac est sous le contrôle de Cortés et la maladie et les privations font une hécatombe. Pourtant, face à eux, les Espagnols et leurs alliés sont gagnés par le doute : ils manquent de munitions, ils s'épuisent, la résistance de leurs adversaires est acharnée et chaque rue, chaque maison doit être disputée. Ce qui achèvera l'empire aztèque ? Il me semble que c’est une chose assez floue, difficile à exposer : la dynamique de l'Histoire, la fatigue qu'une civilisation a d'elle-même, une sorte de fatalité. Une notion que j'ai essayé de distiller à plusieurs moments, comme ici, au début du deuxième album, lors d'un échange privé (imaginaire, voire impossible) entre Moctezuma, le roi aztèque, et Marina (ou Ce-Malina, en nahuatl), la fameuse interprète et amante de Cortés :
1- Moctezuma : « J'ai frémi, c'est vrai, quand j'ai vu un de leurs casques de métal, il ressemblait... »
2- Marina : « Je me souviens : ils voulaient que vous le remplissiez d'or. » Moctezuma : « Oui, ce casque qu'on m'a apporté. Il ressemblait à la coiffure de Quetzalcoatl. Cela m'a terrifié d'abord. »
3- Moctezuma : « Et puis, les rapports de mes espions ont dit cela : on pouvait tuer les étrangers, ils aimaient l'or, ils puaient. Est-ce que les dieux sont cupides, est-ce que les dieux puent ? Que fais-tu avec eux, Ce-Malina ? »
Marina : « Moi ? Je suis avec Cortés. »4- Moctezuma : « Tu l'as conseillé, tu l'as guidé. Par haine contre nous. »
Marina : « Mexicas… Tout le mal que vous avez fait, tous ces peuples sous votre contrainte… J'ai pu croire, comme vous, que la haine me conduisait. Ce n'est pas sûr. »5- Moctezuma : « L'amour, alors ? Ton amour pour Cortés ? »
Marina : « Je ne peux même pas affirmer que nous nous aimons. Je porte son enfant, et pourtant… Non, ni l'amour, ni la haine. »6- Moctezuma : « C'est affreux. Je suis prisonnier dans ma propre capitale, je vais sans doute mourir ici, mon pays est divisé, et tout cela sans aucune raison ? »
7- Marina : « Quand ils sont arrivés, que j'ai vu leur puissance, j'ai su que votre vieux monde devait céder la place. Je ne suis qu'un instrument du destin, Uey Tlatoani. »
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3827
On puise dans la documentation plus de péripéties et d'anecdotes qu'il n'en faut pour faire vivre une histoire. Il faut donc choisir. Or, le tri ne se fait pas en fonction de l'esthétique, de l'exemplarité ou du spectaculaire d'une scène, il doit répondre à une nécessité : le sens que les événements permettent d'induire. Un acte de bravoure, une bataille anonyme, un renversement, un retournement, une défaite… N'exploiter dans ce matériau que ce qui va enrichir les personnages, clarifier une situation, sans négliger la dynamique générale du récit. Cette contrainte ne vient pas compliquer les choses, elle filtre efficacement les scories. Par contre, admettons qu'une certaine expérience n'est pas inutile pour reconnaître ce qui va faire sens et contribuer à l'histoire.Par exemple, les notes (un peu « nettoyées » déjà) pour la prise de Tenochtitlan :
Le 28 avril 1521. 86 chevaux, 118 arquebusiers et arbalétriers, 700 fantassins, 3 gros canons de fer, 15 pièces de bronze et dix quintaux de poudre.
Courriers aux trois provinces dont Texcala et Cholula pour des renforts, l'assaut final. Il les attendra dix jours. Il en arrive très vite 50 000 de Texcala.
Il divise son armée en trois garnisons, une pour chaque ville entourant Mexico : un corps commandé par Alvarado pour Tacuba, un corps commandé par Cristobal de Oli pour Culuacan ; un corps par Gaonzalo de Sandoval pour détruire Istapalapa, rejoindre Culuan sous la protection des brigantins en passant par une des chaussées,
pour chaque brigantin, 25 espagnols, un capitaine, un pilote, et 6 arquebusiers et arbalétriers.
Cortés ne les mobilisera contre la capitale que quand les autres auront assuré leurs positions.
Cortés est dans un brigantin, il y a une première bataille sur un piton entouré d'eau.
Cri de guerre de Cortés : « Santiago ! »
Ils massacrent tout le monde (cf, pdf 200) mais l'alerte a été donnée depuis le piton et les aztèques affluent en acali. Cortés rejoint les brigantins. Un vent de terre s'élève, favorable aux Espagnols. Les brigantins foncent sur les acali et les massacrent, les poursuivent jusque dans les rues de Mexico. Ils sont rejoints par la garnison de Culua (de Oli) qui emprunte une des voies de terre en luttant contre une foule de mexicas. Cortés fait débarquer des canons (ils sont aussitôt assaillis mais repoussent les courageux attaquants) puis tire sur les ennemis amassés sur une digue.
Ils passent la nuit dans un temple, au sommet d'une pyramide. Il a envoyé des messagers pour que les gens de Culuacan le rejoigne le lendemain.
Ils sont attaqués à minuit par la chaussée et par le le lac. Tirs depuis les brigantins et depuis le temple par les arbalétriers et les arquebusiers. Attaque repoussée. Reste de la nuit tranquille. Au matin, les renforts arrivent alors que Cortés est en pleine bataille. Les brigantins entrent dans la ville par certains canaux.
Tlapaltecatlopochtzin, un guerrier aztèque, s'illustre particulièrement par sa bravoure et sa force. Les texcaltèques le redoutent, et les Espagols aussi. Son nom devient célèbre dans les rangs aztèques. Cuauthemoc l'apprend.
Sandoval blessé au pied.
Les maisons incendiées.
Les Espagnols parviennent à détruire toutes les chaussées qui permettraient une retraite.
Cortés décide de s'enfoncer encore plus dans la ville, les autres armées convergent. Ils emportent une barricade avec fossé noyé qu'ils franchissent à la nage.
La place est reprise par les Mexicas, acharnés. Puis reprise par Cortés, puis perdue à nouveau.
Deux jours plus tard, « Don Fernando » envoie 30 000 guerriers en renfort.
Pendant le répit, les fossés comblés etc. ont été à nouveau détruits. « Ils ne se rendront pas. Ils vont au massacre. Tant pis. » Ils tirent tellement qu'ils risquent de manquer de balles et de poudre.
Cortés décide d'en finir. Ils s'enfoncent loin dans la ville, jusqu'à la grande place, il brûle le palais où ils avaient vécu, naguère.
Alvarado essuie une défaite, par enthousiasme, en allant trop vite vers le marché, par orgueil, pour devancer Cortés. Des hommes sont fait prisonniers.
Cortés reprend l'assaut (le lendemain ?), remonte au nord jusqu'au marché de Tlatelolco. Mais ça se passe mal, il est repoussé. Cortés se retrouve piégé dans Mexico, les digues coupées derrière lui. Sa garde rapprochée parvient à l'extraire, blessé. Nombre d'Espagnols sont faits prisonniers lors de ce revers. Ils seront sacrifiés.
Cuauthemoc et ses lieutenants.
Il les encourage à résister jusqu'au bout. Ils doivent accepter de mourir pour le Mexique...
Il convoque Tlapaltecatlopochtzin et le faire couvrir des armes de Quetzalcoatl, censées faire fuir les ennemis « elles ont appartenu à mon père, tu vas t'en revêtir et marcher au combat avec elles. On te confie aussi l'arc et la flèche de Uitzilopchjtli, reliques sacrées gardées au temple.
Cortés sait qu'un de ses lieutenants et le jeune chef Texcalan Xicotencatl fomentent un complot contre lui. Il les fait pendre en public tous les deux, et se dote d'une garde rapprochée de 6 hommes absolument sûrs.
Cuauthemoc a envoyé dans les villages des messagers avec les têtes des chevaux pris comme preuve de sa grande victoire.
Expédition dans une ville reprise par les Mexcicas. Un des capitaines Texcaltèques, Chichimecatl, emporte sans l'aide des Espagnols, une barricade.
On le presse d'en finir. De prendre coûte que coûte le marché, à partir duquel toute la ville tombera. Mais Cortés voit que les Mexicains se sont puissamment retranchés et sont résolus à mourir. Chaque maison devient une forteresse entourée d'eau.
Cortés a failli être emporté, sans le sacrifice d'un jeune soldat, d'un de ses pages, Cristobal, de plusieurs chevaux. Il est blessé à la jambe. 40 Espagnols tués ou emportés. On les sacrifie à la vue des combattants.
« désastre permis par Dieu, pour nos péchés. »
Dans la troupe, on se désespère. La situation est critique, d'autant plus qu'il faut porter secours à des villages extérieurs, alliés menacés.
Depuis leurs postes, les soldats doivent assister le lendemain au sacrifice de leurs compagnons, cœurs arrachés, membres découpés, têtes tranchées balancées depuis les barricades…
Les pluies tropicales se mettent à tomber, donnant de l'eau aux assiégés. Cortés envoie des messages pour exhorter à ses rendre. Rien n'y fait.
Tlapaltecatlopochtzin réussit à mettre en fuite quelques Espagnols, récupérer des larcins en haut d'un temple. Puis on en n'entend plus parler.
Cortés décide de détruire la ville, maison par maison, pour éviter d'en faire des fortins à la moindre retraite. Les Mexciains se moquent d'eux : « Allez-y, détruisez, de toute façon, même si nous mourons, les Espagnols vous les feront rebâtir. »
Cortés : « Tu te souviens, Alvarado ? De notre éblouissement quand nous avons vu, au loin, cette immense capitale, flottant au dessus du lac ? Peuplée, riche, colorée… Nous en étions muets d'admiration. »
La situation est intenable. Cuauthemoc, qui avait promis de mourir avec ses hommes, est surpris fuyant la capitale à bord d'une petite embarcation avec sa famille. Une autre version est qu'il s'est rendu de lui-même, en grand apparat, à Cortés.
Fin juillet, Mexico est reconquise.
Mexico est livrée après 3 mois de siège. Le sac de la ville est horrible. On viole, on pille, on marque les indiens au fer rouge, aux armes de Charles Quint.
Que fait Cortés, à ce moment-là ? Il est dépassé par cette conclusion pourtant prévisible, mais ne peut rien faire pour calmer la fureur de ses hommes et leur désir de vengeance.
Tlatelolco. La délégation espagnole avance parmi les monceaux de cadavres dans une puanteur épouvantable.
Sous un dais aménagé, Cortés et Marina reçoivent les dignitaires, en tenue d'apparat ; Cuauthemoc pour Mexico et d'autres rois et conseillers. Ils déposent tous les trésors qu'ils possèdent. Cortés : « C’est tout ? Et l'or que vous nous avez repris pendant notre fuite ? Tout le trésor de Moctezuma, où est-il ? »
« Nous n'avons que cela. Nous pensions que vous aviez conservé l'or. »
« Réunissez tout ! Il me faut l'or tout entier. »
« Si quelqu'un a repris ce trésor, nous vous l'apporterons, mais pour l'heure, c’est tout ce que nous avons. »Etc .
Autre contrainte, puisque nous sommes dans une BD : la pagination. Je me suis donné 8 planches pour raconter le siège. C'est relativement confortable, mais si vous connaissez un peu ce médium, vous savez que les scènes d'action (si on les détaille et qu'on ne se contente pas d'une illustration légendée, genre : « la bataille dura trois jours... ») sont particulièrement gourmandes.
Ce que je dois retenir (et je vais vous laisser avec ça, parce que ce billet est déraisonnablement long), c'est, a minima :
1- la dynamique du récit. En l'occurrence : Les deux albums conduisent à cette fin, cette apocalypse. Ces pages sont l'accélération finale pour chaque individu et pour les forces en présence. Elles doivent entrer dans le mouvement global du récit, en être à la fois le paroxysme et préparer la conclusion (nous sommes dans les pages 34 à 41, pour un album de 45 planches).
2- La dramaturgie intime des personnages principaux : Cortés, Marina, Cuauthemoc, Alvarado, Diaz.
3- Le point de vue plus général sur ce qui a motivé tout le projet de la BD : la finalité de tout ça. Comment penser désastre et victoire quand on sait l'avenir ? Quelle lecture s'autoriser, quelle leçon tirer de ces événements ?Voilà, c’est un peu comme ça que j'avance mes machins. C'était pour vous laisser jeter un œil en coulisses.
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3826
Tenochtitlan est tombée au terme de plus de trois mois de siège, après une héroïque défense des Mexicains, aiguillonnés par leur chef Cuauthemoc. Cortés raconte comment les derniers résistants pleurent derrière leurs barricades : ils préféreraient se rendre, mais leur Uey Tlatoani, leur Orateur Vénéré, leur roi (lui-même poussé dans cette impasse par les religieux, selon Bernal Diaz), le leur interdit. Quelques semaines encore et, en août 1521, c'est la débandade. Les Aztèques, décimés par la variole, la soif, la faim, les combats incessants, abandonnent. Et là, les récits divergent : dans celui de Sahagun, écrit d'après les témoignages faits en nahuatl, la langue aztèque, Cuauthemoc se rend de son propre chef, en costume d'apparat, à Cortés. Dans celui de Cortés, un capitaine de brigantin (un gros bateau construit pour naviguer sur le lac), découvre le roi avec ses dignitaires, en train d'essayer de se carapater honteusement sur une pirogue, au milieu des milliers d'embarcations de civils qui fuient (mais Cortés ne se permet pas de parler de fuite, il relate seulement ces faits en précisant le nom du capitaine qui capture le roi). Bernal Diaz ajoute, à un récit encore plus détaillé de cette prise, une anecdote crédible : la brouille du capitaine avec son commandant Sandoval pour savoir à qui revient le mérite de ce fait d'armes décisif (et donc la récompense afférente).
Dans ce passage, comme dans d'autres qui racontent la conquête du Mexique, la version espagnole est souvent considérée comme suspecte car l'histoire est écrite par les vainqueurs, on le sait bien. Cependant, dans la plupart des cas, au fil de l'écriture du scénario que je suis en train d'achever, je dois admettre que, si je suis pourtant attentif aux versions des vaincus, je reviens presque toujours aux versions espagnoles. Pourquoi ? D'abord parce que, souvent, les textes nahuatl n'apportent guère d'informations intéressantes (ils ont obstrué tel passage, un tel a revêtu tel costume sacré pour combattre). Ensuite et tout simplement parce que Diaz ou Cortés ont vécu ces moments, tandis que, hélas (puisque cela dit aussi l'immense hécatombe de ce peuple), les témoignages aztèques sont rares, et sont des recensements par ouï-dire. Il n'y a pas de témoin direct, et je vous assure que cela se sent, à la lecture. Ce qui n'empêche pas de rester prudent : si Cortés en rajoute sur sa bonne volonté, sa magnanimité envers ses ennemis, Diaz ne le loupe pas sur certains aspects peu glorieux de sa personnalité : sa cupidité, sa cruauté parfois, son côté roublard, ses promesses à peu de frais, son impétuosité qui fait prendre des risques inconsidérés. Je veux dire, en conclusion, qu'il peut arriver que les textes des vainqueurs soient plus fiables que ceux des vaincus.
Quant à l'hypothèse que Diaz et Cortés soient la même personne, selon la brillante démonstration de Christophe Duverger, les nombreuses lectures que j'ai faites des deux relations m'interdisent d'y croire. -
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En avant-première, un extrait du scénario de la BD "Cortés" pour Glénat. Dessin Cédric Fernandez, couleurs Franck Perrot. Histoire de montrer, en coulisses, comment c'est fait, un scénar de BD (en tout cas, comment je les écris, moi). Quand Cédric aura avancé sur la première planche, je reviendrai montrer les différentes étapes de réalisation, avec son accord. En attendant qu'on mette sur pied un site dédié. Les [] indique une vignette facultative (parce que le découpage est dense, ici).
Planche 3Légende : San Juan de Baracoa, Cuba. 1517.
Intérieur jour. Chambre de Leonor. Le soleil irradie un rideau de drap blanc, tendu devant une fenêtre. Quelques éléments précieux aux murs, tableau et tenture, des coffres sur le plancher, ouverts sur des robes pliées aux motifs complexes. Le reste est assez sobre.
1- Leonor (belle femme de type indien : c'est une Taïno de Cuba) nue étendue sur un lit défait. Elle fait jouer entre ses doigts un collier superbe : « Hernan… tu es complètement fou. » Un homme est assis près d'elle, il se rhabille. Il est à contre-jour sur l'écran de la fenêtre. C'est Cortés (il a 32 ans) : « Ne l'ébruite pas. On me croit le plus sage des hommes. »
2- Leonor : « Je suis sûre que tu offres les mêmes bijoux à ta femme. Exactement les mêmes. »
Cortés : « Tu es jalouse ? »
Leonor, moqueuse : « Non, je m'interroge sur ton sens moral. »3- Cortés : « Catalina me fatigue en ce moment. Elle veut me retenir. »
Leonor : « Si je t'aimais vraiment, moi aussi, je t'empêcherais de partir. »[4- Cortés : « Heureusement que tu ne m'aimes pas vraiment. »
Leonor : « Heureusement. Je serais folle d'inquiétude. »]5- Cortés : « Léonor… Je n'ai pas le choix. La proposition de Diego Velasquez ne se refuse pas. Une expédition à la gloire de la Couronne... »
6- Léonor : « Allons ! Je te connais. Tu ne peux pas résister à l'appel de l'aventure. Sinon, tu serais resté en Espagne. Un courtisan en vue, un ministre du roi, qui sait ? Rusé comme tu es. Avec le sens moral qui est le tien... »
Cortés : « Mon sens moral te préoccupe beaucoup, décidément... »7- Leonor : « … Mais son absence, chez toi, me rassure, hi hi. Allons, je sais bien que ton encomienda de San Juan n'est pas assez grande pour toi, ni La Havane, ni Cuba, ni l'Espagne. »
8- Cortés se regarde dans un miroir : « Je ferai mieux que Grijalva ou Cordoba. Je prendrai langue avec les autochtones, je marchanderai, je bâtirai un pays nouveau, avec eux. Je serai riche, affranchi de tous les gouverneurs et empereurs. Et alors, tu me rejoindras, avec notre fille. » Leonor : « … Et ta femme ? Aha, ton sens moral, Hernando, ton sens moral ! »
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Un ami écrivain au superbe parcours me confie le constat qu'il fait de son impuissance littéraire. Sans effroi, sans tristesse, il voit simplement qu'il n'a plus rien à dire. Même, le refus de son éditrice sur son dernier manuscrit sonne pour lui comme une libération. Il ne se sent plus obligé de proposer des textes. Mon rôle serait de le contredire, de le pousser à écrire encore, il est impensable qu'un auteur comme lui 'sèche' soudain ou se complaise dans le mutisme. Mais je comprends si parfaitement son état d'esprit, que je me contente de compatir, de lui souhaiter ce si paisible silence, ce repos de l'âme que seules nos manies d'écrivant combattent et rejettent. Un écrivain refuse souvent d'admettre qu'il ferait mieux de se taire. Je rends hommage à ceux qui ont le courage et la modestie d'accepter ce verdict avant que ce soient les lecteurs qui le lui imposent.
A qui le tour ?
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Chers amis, ce 6 juin 2023, je reprends momentanément ce blog, notamment les billets concernant "Demain, les origines", pour supprimer les liens avec les fichiers. Pourquoi ? Parce qu'il se pourrait bien, selon certain éditeur, qu'une vie publiée attende ce gros machin, et je veux limiter à présent la diffusion d'un texte qui va être repris et, j'ose espérer, amélioré. Merci de votre compréhension.
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A la manière de
Récemment, un précieux ami m'adressait un florilège d'exercices où il s'était amusé à des pastiches littéraires sur notre actualité. Le résultat m'a assez amusé et intrigué pour me joindre à lui, et je vous propose, aujourd'hui et pendant quelques jours, de petits textes "à la manière de". On commence par Hugo, noblesse oblige.
"Des abîmes où l'obscure terreur vit naître sa puissance, le virus couronné déploya ses prodiges. Il embrassa l'Asie, déposa sur l'innocente Afrique ses lèvres vénéneuses, submergea la Perse et l'Arabie, étendit ses noirs effarements sur les populations d'Europe et, contre l'Amérique, précipita sa sombre vague. Dieu voyait ce mal coucher les créatures, et lui-même pleura, à ce que dirent les anges."
Demain : Céline.
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Besoin d'espace ?
"D'Amprosy pendant dix jours, puis de Benter, abordé sans que rien ne distingue ce pays du précédent, les étendues sans limites vibraient et jouaient comme roule et s'étale l'océan sous le ciel. Les contours d'une montagne qui émergeait sur l'écran du ciel n'étaient pas modifiés par la progression de la marche, après plus d'une semaine. L'horizon intact s'associait aux étoiles ou à l'aube. Il était inatteignable. Les orages s'y acheminaient avec une mollesse d'obèses ; on les distinguait à la limite du perceptible, naître dans un lointain aux profondeurs de songe, s'amonceler en bleuissant, devenir masses et colonnes tandis que la cape du ciel jetait sa transparence sans accidents, sur le reste du monde. Là-bas, dans une parcelle exiguë du pays gagnée par l'obscurité, des régions entières fondaient sous l'écroulement noir des nuages, et les éclairs s'agitaient, muets, tonitruances étouffées par les immenses distances qui les séparaient de la caravane. Les voyageurs assistaient à ces cataclysmes avec la candeur tranquille du spectateur qui voit des massacres sur la scène, sans craindre d'être atteint. L'enfant inspirait l'espace dont l'air parcourait, en accélérant, les plats abîmes, il s'enivrait d'immensité."
"Sans titre" roman en cours d'écriture.
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Récemment un journaliste relevait que trois ans séparaient la sortie de « Noir Canicule » de celle de mon précédent roman, « La Vie volée de Martin Sourire ». C'est vrai. On pourrait croire à de la paresse, une suspension dans l'écriture, un manque d'inspiration. Rien de tel, et vous allez comprendre. Rappelons d'abord que quelques réalisations sont venues rompre ce long silence : La parution de « Rives, Mines et Minotaure », au Réalgar, suite à une résidence à Saint-Etienne ; la pièce « Le sort dans la bouteille » créée cette année par la troupe 360 degrés ; ajoutons ce qui va être réalisé et a été écrit pendant ce laps : la nouvelle version de la pièce « Peindre » pour la compagnie NU ; les scénarios pour Cédric Fernandez, qui seront publiés chez Glénat ; des albums pour le dessinateur Sarujin ; quelques petites chansons pour une amie...
Surtout, ce qui m'a pas mal occupé pendant ces trois ans de relatif silence éditorial, a été l'écriture de pas moins de quatre romans : « Le Radical Hennelier » et « Demain les origines » pour Mnémos ; « Mado » et « Les inconsolables » pour Phébus. Quatre romans, dont un, énorme, de presque 700 pages. Tous refusés. Oui. Autant dire que ce temps, s'il a pu paraître long à certains lecteurs (je n'ai pas eu de plainte, mais imaginons), m'a semblé, à moi, un interminable calvaire. J'en étais à m'interroger sur le statut d'écrivain que je revendique (car un écrivain qu'on ne publie pas est-il encore digne de ce titre ?). Les amis, je peux vous dire que ça a été une dure épreuve à négocier, cette série de refus. Je commençais à croire que je ne serais plus jamais publié. A peine cicatrisé, je ne peux même pas être sûr que « Noir Canicule » est le signe d'un retour à l'édition régulière. Enfin, c'est une sorte de reprise. D'autres manuscrits sont en cours ou déjà envoyés.
Ceci pour anticiper sur la question traditionnelle : « Et le prochain ? » Ben, j'en sais rien. Je sais ce que je fais ; j'ignore ce qu'on fera de ce que je fais. -
3756
Une des toutes premières critiques à propos de "Noir Canicule" me fait vraiment chaud au cœur. Sur le blog de cannetille, la lectrice qui a parfaitement compris le sens et les thèmes du livre. J'en suis tout chamboulé.
Elle écrit : "Cette canicule a au final des accents vaguement apocalyptiques, ressentis dans leur chair et dans leur âme par des personnages atteints dans leur intégrité et leurs fondamentaux. Elle est la représentation au sens propre de leur surchauffe personnelle, dans un monde qui doute et se sent à la dérive, vers un inconnu inquiétant et dangereux.
Etrange et dérangeant, voici un livre dont on sort pas indemne et qui laisse des questions plein la tête, tant cette histoire reflète le mal-être d'une société de plus en plus sujette à la peur, rationnelle ou non, de ne pas maîtriser son avenir."En plus, elle ne divulgâche pas. Merci, chère lectrice inconnue.
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3752
Hier soir, nous célébrions l'ouverture d'un chantier d'importance qui va, Cédric Fernandez (au dessin), Franck Perrot (à la couleur) et moi (au scénario), nous embarquer pour une collaboration de deux ans, au bas mot : la réalisation, pour Glénat, d'une BD en deux volumes sur la conquête du Mexique par Hernan Cortés. Un projet lancé il y a une dizaine d'années sous l'impulsion de Cédric, et qui a mis tout ce temps pour trouver un éditeur.
Hier, avant de déboucher le champagne, tandis que je transférais de la documentation sur mon ordinateur, Cédric et moi nous amusions du nombre de fichiers contenus dans le dossier qui, par thésaurisation, résume notre collaboration : 11 titres. Et tous d'un bon niveau, je vous assure. De la piraterie fantaisiste à l'adaptation littéraire, d'un récit d'histoire contemporaine à un drame shakespearien ayant pour cadre la Scandinavie du VIIIe siècle en passant par la mythologie grecque, nous avons exploré tous les thèmes qui nous interpellaient. Le plus étonnant, encore, est la durée que l'ensemble symbolise : une vingtaine d'années. Dire que nous sommes têtus serait un euphémisme, vous l'avez compris, mais est-ce bien cet entêtement qui s'est révélé payant ? En partie seulement : le facteur déterminant est que Cédric et Franck assurent depuis pas mal d'années des réalisations qui font des succès de librairie (Saint-Exupéry, Les forêts d'Opale, Les Faucheurs de vent, bientôt Notre-Dame de Paris) et que les éditeurs leur font confiance, désormais. Je ne suis donc qu'un invité, reconnaissant de la chance qui lui échoie. Sans Cédric, je sais que j'aurais pu m'échiner encore des années sans le moindre résultat. L'aventure commence donc, et nous entrevoyons l'énormité du défi. La reconstitution d'une histoire aussi exotique et lointaine, la richesse graphique que nous voulons atteindre, l'ambition du récit, nous font considérer ce diptyque comme un enjeu particulier. Pour le reste, si vous lisez ce billet comme un hommage à mon ami dessinateur qui a si fidèlement tenté de me faire intégrer ce milieu pendant tout ce temps sans rien lâcher, vous avez raison. -
3750
« Le sort dans la bouteille » est une commande, une pièce écrite à l'origine pour être interprétée par un seul comédien : François Frapier (qui fut naguère, un exceptionnel Dédale, dans « Pasiphaé »). J'avais imaginé pour lui un personnage, mauvais et impatient, houspillant le public qui ne s'installe pas assez vite, et presque pressé d'en finir. François aurait interprété tous les rôles, commentant les faits et les actes, et sommant le public d'approuver ou de protester.
L'histoire qui inspire ce spectacle est bien connue des romorantinais. C'est un fait-divers de la fin du XIXe siècle, en Sologne : l'assassinat d'une pauvre vieille par sa fille et son gendre, paysans convaincus de se débarrasser du sort qui s'acharne sur eux, en la faisant brûler vive comme une sorcière. Les deux finiront décapités, sur la guillotine installée devant l'hôtel de ville de Romorantin.
La très belle idée de François a été de chambouler le parti pris initial. Il a confié « Le sort dans la bouteille » aux élèves de son « atelier 360 degrés ». Deux poignées de personnalités, un concentré de jubilation et de curiosité, qu'il a emmené dans ce projet pendant plus d'un an. D'abord, il les a invités à considérer le texte comme une matière à creuser, à malaxer, à domestiquer, à s'en servir aussi de malle au trésor : allez y chercher des pépites, des colliers, des masques, y fouiller les intentions, les mots, les cris, les éclats et les ombres. Une démarche déstabilisante pour qui aborderait le théâtre de façon conventionnelle : distribution des rôles, apprentissage, exploration des personnages, costumes et décors... Là, les comédiens, tous amateurs, ont d’abord dû errer dans l'épaisseur du verbe, comme s'y baignant, s'y égarant parfois. Période difficile, m'ont-ils confié. Difficulté voulue par le metteur en scène. Et puis, lentement, la pièce a émergé, récit choral, voix dépliées, reprises, personnages échangés, prières, colères, peurs, haines, cocasseries et drames… les comédiens se sont appropriés les mots.
J'étais récemment invité à la première représentation du texte, une forme hybride entre interprétation et lecture, une forme vivante, en voie d'achèvement. Expérience passionnante. On ne voit plus tel ou tel, tous les personnages sont comme fragmentés et se reconstituent sous nos yeux, par la magie de l'incarnation à plusieurs.
La salle de la MJC était pleine, la chaleur vite étouffante. L'idée de faire brûler une mèche de cheveux dans un des rares moments « mis-en-scène » de la pièce (un rituel de sorcellerie dans la pénombre), a coloré le moment d'une âpreté bienvenue, tout à fait cohérente avec le propos.
Pour le reste, la troupe s'est démenée, s'est amusée, a capté l'attention et suscité les réactions espérées, rires déployés ou gorge nouée. C'était bien. Et prometteur, car ce n'est qu'une étape : l'expérience sera poursuivie jusqu'à effacement du texte, appropriation et incarnation. Au delà d'une simple interprétation, grâce au travail en profondeur entrepris par François et sa troupe.
Vous pensez bien que, pour un auteur, assister à cette ré-génération, ressemble à une déclaration d'amour. Et comme chaque fois qu'on a dit m'aimer, j'ai d'abord été incrédule, avant d'être soulevé de reconnaissance.
Merci François, merci les amis. -
3746
Tu abordes le roman comme le sculpteur sa pierre. Tu n'as pas fait de maquette d'argile, tout est dans le burin. Et vas-y que tu cognes jusqu'à ce que la forme, enfin, émerge. Ensuite, c'est trop tard, tu ne tailleras pas davantage : le nez est trop court, les jambes mal proportionnées, le marbre avait des défauts. Tant pis. Déjà, un autre bloc se présente et tu empoignes l'outil.
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3745
Comme aux petits dieux, il faut aux auteurs des croyants pour exister. Quand la foi des orants s'éteint, le petit dieu s'étiole et glisse vers l'état de vestige qu'on visitera peut-être un jour.