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Livres - Page 13

  • 2641

    Je suis aujourd'hui aux Aventuriales, à Ménétrol, près de Riom, à parti de 10 heures et jusqu'au soir.

    th.jpegPremière édition de ce festival. ET pour moi, première rencontre avec le lectorat des "Nefs de Pangée".

    Le salon se poursuit demain, mais je serai reparti quant à moi, le temps est précieux, l'écriture est exigeante. Si vous venez tout de même à Ménétrol demain, n'oubliez pas de jeter un œil à l'expo du seigneur Caza. Des dizaines d'originaux pour se régaler, et d'aller écouter le grand Andrevon et son complice Bruno Pochesci (deux guitares, une voix)
    pour une quinzaine de chansons, des classiques comme "Je viens d'un pays" et "Le Vieux 68tard" d'autres beaucoup plus récentes ou inédites comme "Salut Wolinski". (Les albums seront à la vente à la fin du concert). C'est à 18 heures.

  • 2639

    Je suis aujourd'hui à Cruas dans la Drôme, avec les autres auteurs de la rentrée Rhône-Alpes, à l'invitation de l'ARALD, pour parler de mes « Nefs », lire des extraits, et tenter de faire comprendre qu'un roman de genre (voire sous-genre) n'est pas forcément douteux, qu'il peut-être même écrit aussi sérieusement que, par exemple, « L'Affaire des Vivants », avec pas moins de profondeur. Pari difficile si j'en crois la réaction de certains : « Vivement La Grande Sauvage ! » (comme si "Les Nefs..." était un accident, une faute de goût qu'il faut charitablement oublier pour ne pas me nuire) ou celle d'une auteure, l'autre jour, après les salutations amicales d'usage : « Alors ? T'as fait un truc de Science-Fiction ? (énonciation appuyée) Je me suis dit : Qu'est-ce que c'est que ça ? » (ricanement incrédule).

    Ça, chère amie, comme vous avec vos poèmes, je prétends que c'est de la littérature.

  • Le feuilleton de l'été - Fin de la boucle

    Pieds nus sur les ronces - 45



        de toute façon ce n’est pas compliqué, c’est évident, inutile d'espérer. Je regagne ma chambre, je renonce à plonger dans la faille du miroir pour m'y trouver autre, plus besoin de visions, tout cela est puéril. Je n'ai pas besoin d'aller voir, pas besoin de suivre chacun. C'est simple. Je peux tout imaginer. Tout écrire depuis mon bureau, c’est facile. Comme d'aligner les mots sous la dictée d'un autre.
        Le pick-up ne dépassa pas la grille du parc, quand Lucien s'engagea sur la route, ils surgirent des deux côtés en brandissant leurs manches de pioche et leurs barres de fer et bloquèrent la chaussée, le véhicule n'avait pas pris assez de vitesse, il en percuta quelques uns, les autres s'agrippèrent, brisèrent vitres et pare-brises, Lucien tenta de dégainer le fusil mais trop tard, un pieu vint lui perforer la tempe, le pick up fit une embardée, s'abîma dans un fossé, Madeleine à l'arrière bascula et chuta sur la route, elle fut immédiatement piétinée et tabassée, à l'avant la portière était arrachée et des bras innombrables attrapèrent Mina d'abord, la jetèrent sur le goudron, brisèrent ses membres à coups de barre de fer, la vieille fut pareillement extirpée, fardeau léger, mais elle était déjà morte, saisie de terreur, ils abandonnèrent son corps aux flammes.
        Et puis peut-être, Syrrha ne reste pas dans la chambre, elle abandonne le clavier, referme l'ordinateur, l'exercice vient de lui apparaître dans toute sa vanité, elle quitte précipitamment la pièce dont le ventre est malaxé par les projections de l'incendie à travers la fenêtre, laisse la porte ouverte qui s'abîme dans les ténèbres d'encre. Le plan frémit dans un vent coulis, le papier se soulève et les tracés se déforment, arrangent autrement les pièces et les murs, des feuilles se séparent, des arches dérivent, des ailes s'envolent. Elle aborde l'escalier, son nombre de marches recompté avec ses contours retouchés, la verrière et son motif dilué, les parois agrégées striées, la rambarde qui articule ses pleins et ses déliés. Elle traverse le hall, ses pas froissent les ombres hachurées, le dessin gommé des dalles, les statues et leur cerne qui bave. Du bruit dehors. Ils sont encore à la grille, ou bien ils ont caillassé les fenêtres et des éclats de verre mouillés du rougeoiement des flammes jonchent les dalles, ou bien l'incendie les a précédés contrairement à ce que pensait Alexandre, et ils ont rebroussé chemin, les flammes ont atteint les baromets qui se tortillent dans le bûcher en hurlant, flanchent, s'épaulent, s'accouplent une dernière fois tandis que des flammèches grimpent le long de leur échine. Syrrha s'en moque, elle s'enfonce dans le lavis des couloirs et des salles et entre dans la bibliothèque.
        Arbane a préparé du thé ; elle dépose un plateau chargé de tasses et de biscuits sur un coin de table, demande s'il y a autre chose et, sur une réponse négative d'Alexandre, tourne les talons et sort. Joël repose le livre offert par Syrrha, un sourire mélancolique aux lèvres, il vient de lire la dernière phrase des chroniques de Sei « C'est, je pense, à la suite de cet accident, que mon livre commença sa carrière ». De son côté, Alexandre a ouvert son exemplaire fatigué de L'Iliade, celui qu'il annote depuis des années. L'incendie, invisible dans cette pièce sans ouvertures, produit un ronflement lointain, un agréable ronronnement de cheminée. Ils lèvent le regard quand Syrrha pénètre dans la pièce, sourient comme en rêve et replongent dans leur travail. Elle parcourt les rayons, veut se saisir d'un livre au hasard, mais Joël l'appelle. Il lui montre une liasse de papiers reliée, qu'il pousse sur la table dans sa direction. Syrrha lit sur la couverture Pieds nus sur les ronces. Joël a une expression étrange, inquiète. Il dit « J'ai fini. Si tu veux... » Elle acquiesce, heureuse de ce geste, soulève le manuscrit. Elle choisit un bon fauteuil et se rencogne, pose la liasse sur les cuisses. L'incendie ne les atteindra pas, tant qu'elle tiendra le livre ouvert devant elle. Alexandre lit, Joël écrit, elle comprend, trouve cela logique, puisque Joël n'a jamais attribué de pouvoir à la littérature. Elle, elle a renoncé, pour un temps, pour toujours, elle ne sait plus, attend à présent de vérifier si fonctionne encore la grande illusion du livre.

     

    Voilà. Je ne crois pas que quiconque ait eu le courage de lire ce récit du début à la fin, mais si le cœur vous en dit, vous pouvez retrouver l'intégrale de ce feuilleton en cliquant sur "Pieds nus sur les ronces", dans la marge, rubrique "Catégories". Ce texte n'est protégé par rien d'autre que ma foi en la moralité des lecteurs. Si on me pille, je ne ferais pas de procès, mais je sais faire du mal avec ou sans batte de base ball.

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 44

     

        « Syrrha ! » C'était la voix de Mina. Venue me chercher. J'ai eu la sensation plus crue de la transformation des choses que j'avais notée avant cela, le changement devenu basculement. La couleur du ciel, le couchant qui se formait, là où le soleil se lève d'habitude. Je me suis habillée vite, un peu sonnée à regret mais tout de même, je crois que je voulais voir. Vérifier. Nous sommes descendues. Tout le monde était là, même les trois générations de Cruchen, virées de leur thébaïde. Très bien mais maintenant, que faire ?


        Que faire ? a dit Arbane, en se tournant vers Alexandre. Il était calme. Il savait. Il avait rêvé tout cela, ou l'avait peut-être vécu, après tout, que savaient les autres de son passé ? Peut-être n'était-il pas resté sa vie entière entre les rayons de sa bibliothèque. Alexandre s'est adressé à Lucien, qui avait gardé le bras tendu vers Mina pour l'engager à le suivre « C'est différent, cette-fois. Ils seront là avant l'incendie ». Arbane a pris le bras de sa mère en gémissant. Lucien s'est exclamé qu'importe, moi je pars. Il a entraîné Mina et s'est retourné sur le seuil. Les battants de la grande porte ouverts brusquement ont alors vomi une lumière de fournaise qui a jeté son haleine jusqu'aux dernières marches de marbre. Mina et lui faisaient deux silhouettes noires découpées contre l'écran écarlate du dehors. « Ceux qui veulent survivre, c'est le moment, je n'attendrai pas ! Syrrha, Arbane, venez ! » Arbane a gémi en serrant plus fort le bras de sa mère, toujours muette « Je ne peux pas ! » Syrrha n'a pas répliqué. Elle avait interrompu ses retrouvailles et il lui tardait de remonter dans sa chambre. Joël a simplement demandé à Lucien : Vous avez votre fusil ? Lucien a acquiescé et n'a rien ajouté. Alexandre a dit qu'il pouvait prendre le sien, en plus, que lui ne l'utiliserait pas. Il a regardé Joël : « Toi, tu le veux ? » Joël a fait non de la tête, il a lancé un regard triste à Syrrha. Il a compris qu'elle non plus ne bougerait pas. De toute façon ils arrivaient, ils seraient là avant l'incendie. Lucien s'impatientait. « Arbane aidez-moi ! Au moins votre mère, au moins votre mère et sa mère... » Arbane sembla sortir d'un songe, elle s'avança vers Lucien et Mina, poussant Madeleine qui prit par la main sa mère. Elles marchèrent somnambules, tellement lentes, si lentes. Dehors, Lucien fit basculer le hayon du pick-up. Il dégagea un entassement de valises, des cartons, il hurlait « Vite, vite ! » Syrrha et Joël se joignirent aux efforts de Mina pour faire grimper la plus vieille à l'avant et Madeleine à l'arrière parmi les bagages. Mina s'engouffra à son tour dans l'habitacle en poussant la vieille folle sans ménagement. Le pick-up démarra en arrachant le gravier. Arbane, Joël et Syrrha, sortis comme aspirés par la dynamique de la scène, virent le véhicule disparaître au bout de l'allée. Ils se tournèrent. Le ciel à présent était à moitié dévoré par les flammes, un rempart de feu se dressait au delà du domaine, avalait la forêt, des lances éclatantes grimpaient le long des fûts et les faisaient exploser. Le parc avait pris une couleur de sang frais et les murs du château ondulaient, ses ombres s'allongeaient et se rétractaient sous la lumière vibrante, comme une respiration. Joël revint en arrière, gravit les marches qui menait à la grande porte, il exposa son visage à l'éblouissement de l'incendie. « De toute façon... »

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 43

     

        C'est tout ce qui s'est passé, quoi d'autre ? J'écrivais, que sont-ils venus faire ? Que voulaient-ils tous ? J'ai quitté mon reflet ma jumelle de verre à quoi bon, et me voici descendue dans le hall, tout le monde est là. Je découvre Madeleine et sa mère, deux vieilles soudées l'une à l'autre, puant la pisse, je suis déçue : la très vieille, la plus que centenaire, est un épouvantail malhabile recouvert de vilaines fringues accumulées par les ans sur une échine qui n'en peut mais ; quant à Madeleine, je la voulais pleine de dignité et de noblesse, c’est une femme quelconque, abandonnée depuis tant de temps, ses dernières séductions brûlées au contact du père Cot, une fiancée délaissée qui a scellé ses lèvres dans une moue douloureuse et fermé ses bras sur le plaisir. Arbane est à côté d'elles mais ne les regarde pas, comme elle ne regarde pas les moisissures de tapis, chez elle.

     



        Chez elle, Syrrha avait perçu l'altération de la couleur du ciel, un couchant s'exprimait là où le soleil se lève. Les timbres de la nuit aussi avaient muté. Elle eut peur soudain. Il se pourrait que le temps s'arrête. C'était une information complexe à assimiler. Elle se leva pour se diriger vers la salle de bains, ce faisant elle marcha sur le plan du château qu'elle avait terminé à présent. Les feuilles solidarisées par maints moyens formaient un névé abîmé de traits noirs, déposé sur le sol de la chambre, froissé aux angles des murs, remonté en congères contre les meubles. Le plan était terminé, mais probablement les dessins qui en schématisaient les contours s'étaient-ils émancipés de la forme initiale, du respect dû à la forme initiale, et s'étaient-ils aventuré vers des lointains, avec de nouvelles tours, des salles prolongées, d'autres pièces, greffées selon la complexion secrète du récit de la jeune femme. Un labyrinthe proliférant, bourgeonnant, plein d'excroissances maladives. Elle alluma la pièce et se posta devant la glace. Un visage plus ou moins étranger la considérait avec un air curieux. Syrrha, dit-elle. Dans le miroir, les lèvres du visage s'étaient contractées pour prononcer son nom. C'était il y a longtemps, juste après les ronces, cet exercice face au miroir lui était familier, ensuite le vertige fut plus laborieux à conquérir, mais il se produisait tout de même. Syrrha, dit le reflet, Syrrha dit Syrrha, Syrrha Syrrah, Syrrah, SYRRAH

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 40

     

        Une semaine, c'est une étendue variable, une onde que l'on remue du bout des pieds, un ciel qui change de couleurs, mille choses d'un bout à l'autre de la planète. C'est une portion d'existence pour les créatures douées d'une longue vie, un vaste cycle pour celles qui naissent, s'accouplent et meurent dans cet intervalle. Sauf pour Mina et Lucien, gestes rivés aux contraintes quotidiennes et capables d'en apprécier, par les muscles et la peine, les minuscules triomphes ou défaites, sauf pour ceux-là, cette durée n'a pas beaucoup de sens à Malvoisie. Alexandre Cot y déroule des siècles de culture en attendant la fin de tout ; Joël Klevner s'y abreuve et s'y perd, que certains jours s'évanouissent sans crier gare, que d'autres s'imposent à sa pensée heure par heure, dans tous les cas, il en saisit l'essence et la traduit dans une forme écrite ; les Cruchen, vestales séquestrées, repliées sur leur énigme, n'en savent rien, le jour grisâtre faiblit derrière les fenêtres closes sans qu'elles y prêtent attention ; Arbane Cruchen note les visites et les dépenses, les travaux à faire, les commandes à effectuer, elle connaît la valeur des jours mais le temps ouvre l'éternité devant elle, la poussière, la crasse et les moisissures ajoutent leurs strates aux choses qui l'entourent, un mouvement naturel, un temps géologique intégré à la fabrique des heures, elle a renoncé à s'inquiéter de cela, les femmes qui l'ont précédée sont des repères suffisants, elle se fie à elles pour estimer la seule mesure qu'elle doit avoir de l'écoulement de la vie ; Syrrha écrit, son corps est versé entier sur le clavier qui maintenant enchaîne les lignes reprises du papier, elle est dedans, tout entière là, dévorée par une force qui déborde, alimente une crue, les mots ont une fluidité qui ne la surprend plus, c'est naturel, tout vient, elle respire elle écrit, elle écrit, tout s'épanche et jubile, les souvenirs affluent, s'organisent sans effort, elle ne sait pas quand cette grâce finira de bercer son récit, elle ignore jusqu'aux noms qui s'égrènent sur l'écran, tout est bien, tout vient, elle écrit. Quel était ce projet qui devait l'arracher à une telle joie, lui commander d'en finir, de mettre un point au terme des pages ? C'est une histoire ancienne, une promesse, un conte, rien qui vaille, seul le temps offert à l'écriture est essentiel, les appels et les prières, les suppliques de sa mère, du médecin, de son éditeur, de Katrine Viognier, toutes les peurs et les colères s'essoufflent et se taisent au seuil de la chambre ou dans le secret de la bibliothèque, les gens de l'extérieur ont un langage confus qui ne sait rien lui dire, les paroles s'éparpillent dans le hall parmi les marbres et les tentures, les mots qui disent c'est fini, tu as fini, reviens, et tant de choses indifférentes, se diluent le long des parois, se désarticulent aux marches des grandes salles. Une semaine ? La galaxie tourne encore, il y a des soleils plus loin, qui éclaboussent des mondes inconnus, le temps n'est pas achevé, il vient juste d'entamer son cycle, elle peut écrire encore. Elle a rejoint Joël dans ce songe dérivé, Joël qui la comprend, l'encourage. Alexandre veille sur eux et sourit, car la fin n'est pas dite, Arbane caresse les fronts d'une femme qui caresse le front d'une femme, organise le quotidien autour du songe des écrivants. Il n'y aura bien que l'incendie. Il n'y aura bien que l'incendie. Et en l'attendant, deux semaines, trois semaines sont passées, une autre et une autre encore. Et d'autres et d'autres,

     

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 39

     

          Vivre comme ça, non merci. Quelle horreur ! La grand-mère Cruchen, c'est la femme de Rochester dans Jane Eyre, enfermée folle dans une tour. C'est angoissant. Tous ces gens qui ne peuvent échapper au domaine. C'est stimulant, aussi. Oui, c'est terrible mais je dois dire que c’est stimulant, ces présences fantomatiques tout près d'ici. Je connais encore mal la configuration des lieux mais si je reprenais mes explorations, je suis bien certaine que les tracés de mon plan atteindraient les limites des appartements des Cruchen (ou Cot, ou Malvoisie, tout se mélange). En recoupant la source des voix de l'autre fois, perçues à travers la cloison, ce que j'ai pu saisir de l'appartement d'Arbane, contigu avec celui de sa mère, je suppose qu'une seule porte les sépare, je dois pouvoir définir la surface que leur appartement occupe. La vie des deux prisonnières (tiens, je revois les affreuses images de la sœur et de la mère de Ben Hur dans leur minuscule cachot, le choc de mon enfance ! Quel mal on fait aux femmes, toujours sur elles que l'on s'acharne, qu'est-ce qu'ils veulent nous faire payer, tous ?) Je n'ose pas parler de tout cela à Alexandre, même si je suis persuadée qu'il ne m'en voudrait pas, qu'il verrait dans ma curiosité une déformation professionnelle d'écrivain à l'affût de destins singuliers. Par contre, je n'ai pas hésité à cuisiner Joël à son propre sujet. Donc, il serait condamné à mort s'il quittait les lieux ? Je rigolais franchement, je lui ai même donné un coup de coude, geste détestable, parce que je n'avais pas prêté le moindre crédit aux propos de Lucien, mais le regard que m'a lancé Joël m'a fait ravaler mon rire. Je me suis réfugié ici, il m'a dit, réfugié ! Sa mâchoire était tombée et ses yeux s'arrondissaient : « On me menaçait, Alexandre m'a recueilli. Il me connaissait bien, je venais souvent dans sa bibliothèque pour lire. On me menaçait, ici je suis en sécurité. Dehors, ils veulent ma peau. Et je te trouve bien inconséquente de sortir comme ça. Tu mets la vie de tout le monde en danger. » J'ai soudain réalisé combien il était encore un enfant, entré à dix-huit ans ici, seulement nourri de lectures, confiné entre ces murs, vierge certainement (ou seulement instruit de l'amour via les partouzes sado-maso d'Alexandre, ce qui n'est pas le meilleur moyen de s'en faire une idée.) Rien à voir avec le petit prétentieux dans sa tour d'ivoire, tel que je l'avais décrit à mon arrivée. J'ai pensé à Gaspard Haüser, aux ennemis réels ou imaginaires qu'il avait. J'ai demandé qui, On ? Je ne suis pas fou, il m'a dit. « Peut-être qu'ils m'ont oublié mais je ne veux pas prendre le risque. » Le risque ? Je lui ai alors raconté ma sortie dans le village le plus proche, mes achats, je lui ai promis un livre que j'avais acheté pour lui dans une bouquinerie. Tout s'était bien passé, aucun danger en vue. Je n'ai pas évoqué ma frustration dans ces rues désolées, les rares silhouettes paresseuses qui traversaient les rues, les volets qui se fermaient à mon passage, des chiens errants, vaguement inquiétants. Le silence inerte autour de moi.
        Lucien m'avait déposée sur la place où gisait une fontaine éteinte, il allait chercher des graines pas loin, m'a dit de faire attention. On s'est donné rendez-vous au même endroit, une heure plus tard. J'ai flâné sans but, un peu déstabilisée de reprendre contact avec l'extérieur, comme sont ivres les prisonniers quand ils sortent d'une longue captivité. Peu de gens donc, tous âgés, pas de cris d'enfants, pas de circulation. L'air était brûlant, tout le monde était calfeutré. J'aurais dû demander à Lucien qu'on pousse jusqu'à Malbec. Ici, c'était vraiment mort. J'ai trouvé un étal de vieux bouquins sur la rue, avec un bonhomme en costume défraîchi qui fumait au soleil, il vendait aussi des jouets d'occasion, un peu de matériel informatique réformé. À l'intérieur, c'était sombre et ça sentait le salpêtre. J'ai jeté un œil tout de même. C'était un entassement d'objets de mauvaise qualité, la plupart déglingués et sales. Je voulais absolument acheter quelque chose, je suis retournée dehors pour choisir un livre. Parmi tout un fatras de littérature bas de gamme, il y avait une édition de la Librairie orientale et américaine Maisonneuve, à Paris : Les notes de chevet de Sei Shonagon', dame d'honneur au palais de Kyoto, traduites par André Beaujard d'après le texte fameux d'une dame du Japon ancien, rédigé au Xe siècle de l'ère chrétienne. Une édition de 1934, aux reliure et papier modestes. La seule rareté du lot, le reste n'avait aucun intérêt. Persuadée qu'Alexandre le possédait déjà, je l'ai achetée pour Joël et sinon, me disais-je, ce sera pour moi. Je suis entrée dans le premier café que j'ai trouvé. Le patron ne s'est pas tourné vers moi. Avec son unique client, accoudé au comptoir et pas plus intéressé que lui par mon arrivée, il regardait les images des derniers pillages. La chaîne les passait sans commentaire sur un fond de musique classique ronflante. Une grande symphonie romantique à la façon de Glazounov. Les coups de timbales étaient synchronisés sur un montage de bâtiments en feu et d'hélicoptères qui explosent et les violons surgissaient quand un milicien agonisait sur le trottoir. Fascinés par l'écran, les deux hommes ne me prêtaient toujours aucune attention ; l'un d'eux grommelait, insultait les protagonistes, disait, répétait : « Z'ont qu'à venir là, tu vas voir... » l'autre répondait systématiquement : « Ouais... » J'ai renoncé à commander et suis sortie en direction de la place. Là, j'ai attendu le retour de Lucien, sagement assise sur la margelle de la fontaine silencieuse en feuilletant le livre, sans projet plus abouti que de faire coïncider le texte avec le moment que je vis. Une page ouverte au hasard, au milieu du livre. Un passage où Dame Shonagon' reçoit un billet de l'Impératrice qui exige de savoir si elle doit l'aimer, sans doute parce que dame Shonagon' lui avait dit un jour qu'elle préférait être haïe plutôt qu'être aimée en seconde place. Et, comme l'Impératrice lui donne papier et pinceau pour la mettre à l'épreuve en quelque sorte, la dame écrit ce poème symbolique : « Parmi les sièges de lotus des neuf degrés [qui sont au Paradis] même le dernier [me suffirait] ». À la lecture d'un texte aussi désabusé, l'Impératrice lui reproche de s'être trop vite découragée et lui conseille de continuer à penser qu'elle devrait être la première. Dame Sei est ravie, car elle sait désormais combien l'Impératrice l'aime. Quand le pick-up s'est profilé au bout de la place, je dois admettre que j'étais soulagée. Je n'ai pas raconté tout cela à Joël, j'ai seulement dit une vérité : aucun danger dehors, tout est calme.
        Joël m'a pris la main, une posture mélodramatique qui me met mal à l'aise. Il a répété : « Bien sûr, tu pourrais avoir cette impression, mais je ne suis pas fou. » J'ai retiré ma main un peu brusquement. Il a compris que son geste était déplacé. Je me suis sentie coupable, je lui ai souri comme j'aurais souri à Gaspard Haüser, m'étonnant au fond de cette inversion des rapports. Lui qui m'intimidait, je le voyais maintenant dépendant de moi, suppliant que je le rassure. Alors, visage livide, mine désemparée, il m'a dit : « Tu pars quand ? » et j'ai ressenti un frisson. La convention avec la ville de Malbec prenait fin bientôt. J'ai dû faire un rapide calcul (ce qui signifiait que j'écrivais depuis des semaines sans plus me préoccuper de l'écoulement du temps, et cette découverte me fit prendre conscience que j'étais peut-être bien ici, que Malvoisie était idéale pour moi). Je crois que j'étais aussi triste que lui quand j'ai prononcé à voix sourde : « Dans une semaine. »

  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    Nouvelle chronique, également enthousiaste. La récompense après tant de travail (je vous jure, l'écriture de ce bouquin m'a valu quelques pénibles aléas cardiaques.) J'espère vraiment qu'il rencontrera des lecteurs en dehors des habitués du genre (parce que, de ce côté là, on dirait que ça s'annonce bien).

    Je serai samedi 26 septembre aux Aventuriales de Ménétrol. Si vous souhaitez une 'tite dédicace, agrémentée d'un 'tit dessin...

  • Les Nefs de Pangée - Divers rendez-vous

    Le premier grand rendez-vous des Nefs avec le public, se déroulera à Paris, pour une manifestation organisée par Les Indés de l'imaginaire (alliance des éditeurs : Mnémos, Les Moutons électriques et ActuSF), ce samedi 12 septembre, au Motif (Passage de l'Atlas, 6 villa Marcel-Lods, 75019 Paris).

    A partir de 17 h et jusqu'à 19 h : A l'occasion de la rentrée, Mnémos, Actusf et Les Moutons électriques publient chacun un auteur français : Claire Krust, Chloé Chevalier, Christian Chavassieux. Conférence et dédicaces.

    Ensuite, les présentations s'enchaînent : le 14 septembre, Villa Gillet, à Lyon à 9h30 : Petit-déjeuner de la rentrée littéraire des auteurs de Rhône-Alpes, en partenariat avec Libraires en Rhône-Alpes. Présentations animées par l'excellente Danielle Maurel.

    Idem, le 24 septembre à Cruas, dans la Drôme, à 10 heures, en partenariat avec la Bibliothèque départementale de l'Ardèche et la Médiathèque départementale de la Drôme.

    Je serai ensuite aux Aventuriales de Ménétrol, près de Clermont-Ferrand, sur le stand de Mnémos, samedi 26 septembre. Puis, aux Octogônes à Lyon, le 3 octobre. Et à Lyon encore, pour les INtergalactiques, le 24 octobre.

     

    A Roanne, ma première séance de signatures dans ma région, aura lieu à la librairie Mayol, vendredi 9 octobre de 15h à 18 h.

    D'autres dates suivent en novembre et jusqu'en mars 2016, mais n'allons pas trop vite. Je reviendrai sur ces différents rendez-vous en temps et heures.

  • Les Nefs de Pangée - Critiques et rendez-vous

    En attendant le samedi 12 septembre, à Paris, pour la rentrée des Indés, où j'aurai le plaisir de présenter mes Nefs, je lie ici, pour mémoire ou pour info, d'autres critiques de mon dernier roman. Les auteurs ont, dans la mesure du possible, préservé un minimum de révélations et je les en remercie (parce que, au moins pour l'une d'elles, la surprise est essentielle, et pas seulement pour l'effet produit, mais pour la sensation du lecteur, sa place, son implication, ses choix, dans tout le reste du livre. Un peu abscons ce que je dis là, mais vous comprendrez en le lisant).

    Yozone ;

    Elbakin ;

    et

    Gromovar.

     

    Suivront les rencontres de l'ARALD les 14 et les 24 septembre, puis des salons, des signatures... Je ferai un point bientôt, septembre et octobre promettent d'être chargés.

  • Les Nefs de Pangée - L'interview

    "(...) ce qui importe, c’est la façon dont ces récits sont fixés et transmis. Le problème devient aigu quand il s’agit de se demander à qui sont destinés les récits d’un monde qui ne laisse pas d’héritiers... C’est l’horrible questionnement d’un des personnages essentiels du roman : Hammassi, la conteuse, quand il s’agit de boucler la légende. Pour qui écrire et pour quoi écrire ? Tous les auteurs aujourd’hui, qui perçoivent que leurs textes n’auront aucune postérité, sont confrontés à la vanité de leur entreprise."

    Interview assez complète, plutôt riche. Les très bonnes questions de ACTU-SF et mes réponses, aussi claires que possible.

  • Chronique

    Les Nefs de Pangée ? Un coup de foudre pour ce chroniqueur du site ACHERON.

  • 2579

    Des avis de lecteurs de "Mausolées", qui poursuit son petit bonhomme de chemin.

  • 2578

    Ce soir, à 21h, au jardin des Ruines ancien Passage Secret à Saint-Haon-le-Châtel (Loire) (le village où la lecture est aimée), l'association Demain dès l'Aube, lira des œuvres de Maupassant. Le lieu est magique, qu'il fasse bon ou qu'il pleuve, et Maupassant, eh bien... vous savez déjà à quel point ses nouvelles sont savoureuses.

    Je suis chargé, quant à moi, de lire "Un Normand", extrait des Contes de la Bécasse. Je vais tenter d'en faire passer la drôlerie émouvante.

  • 2570

    Quand on écrit, bien sûr, le retour des lecteurs est essentiel, mais la cerise sur le gâteau, le jugement qui sait émousser les doutes, c'est celui de ses pairs, et notamment d'auteurs qu'on admire. Après Daniel Arsand, Laurent Cachard, Christian Degoutte, Maryse Vuillermet, Clément Bénech, Alice Ferney et Lionel Duroy, ce sont les mots d'Axel Kahn que je découvre, sur son blog, à propos de "L'Affaire des Vivants". C'est aussi un peu plus de pression pour "La Grande Sauvage". Je crois aussi que Laurent connaît M. Kahn et je suppose qu'il fut mon héraut en l'occurrence.

    Extrait : " Plus encore que l’histoire fort bien troussée, quoique parfois un peu “à la manière de “, c’est le style éblouissant qui mérite vraiment que tous ceux qui aiment la littérature, ses images, sa musique et sa langue, lisent cet ouvrage sans tarder. Une vraie découverte littéraire."

    Si on m'avait dit qu'un jour...

  • 2562

    Vacances, canicule... je laisse à d'autres le soin de se fendre d'un texte.

    Ici, une critique assez riche et soignée de "Mausolées", paru en 2013 chez Mnémos. Et qui n'est pas disponible autrement que sous le format "Calameo" (si on peut parler de format, disons : sous cette application seulement).

  • 2561

    Grâce à ma veille informatique, je découvre ce blog gourmand où l'auteure associe un livre et une recette. Le 3 juillet, le livre c'était "L'Affaire des vivants" et la recette, le faisan au cidre et aux pommes. Plutôt un plat automnal, mais pas de raison de se priver. Merci, chère lectrice que je ne connais pas (mais qui connaît Saint-Haon, apparemment, ce qui nous fait un autre savoureux point commun) et au plaisir de partager une table, un jour.

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    Render Nefs de Pangée OK.pngC'est parti !

    Les Nefs de Pangée, sortie le 21 août 2015. 496 pages d'aventures, de drames intimes, de batailles épiques et de tempêtes.

    L'avènement d'un nouveau genre : la fantasy opera.

    Accrochez-vous au bastingage !

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    Pas de Kronix aujourd'hui. Relire scrupuleusement un BAT de 496 pages, canicule ou pas, ça prend du temps. Alors...