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Matières à penser - Page 22

  • La fin

    Je ne sais comment l'évoquer sans en dire trop, mais voici que le dernier chapitre de mon roman lui donne enfin un sens. En tout cas, me révèle quel en était le sujet. Plusieurs années que j'accompagne ces personnages, que je les fais vivre dans un vaste décor qui déroule quelque 70 années d'histoire et qu'ils essayent de me dire quelque chose que je voulais, mais ne savais pas. Quelque chose que je devinais, qui était tout le socle de leurs vies, mais qui ne parvenait pas au niveau de ma propre compréhension. Tout s'est réalisé hier quand, prenant des notes pour préparer la scène que je vais écrire aujourd'hui (là, dès ce matin, après avoir posté ce billet), tout s'est révélé, emboîté,  cristallisé. Pourquoi avais-je choisi cette scène finale ? Et bien, le roman me le dit. Que dit le roman ? La scène finale me le dit. Hier, j'ai vécu un moment extraordinaire dans la fabrication de l'écriture. Je ne sais que faire de cette joie qui m'a bouleversé. Dans le chapitre précédent, des soldats sont emmenés loin du front. Ils regardent la mer et méditent : « Cela blessait l'âme d'une reconnaissance envers quelque chose qui les dépassait. » Me voici comme eux, reconnaissant envers cette chose qui me dépasse.
    Et pardon pour le retard du billet de ce matin, j'ai très mal dormi, remuant ce bouleversement toute la nuit.

  • Toi, le monde... un de ces jours !

    Je n'aime pas que le monde fasse du mal à mes petits. Car il arrive que le monde s'acharne sur ces créatures innocentes. Non pas que le monde ait quelque intention de nuire, ou que mes enfants soient cernés par des envieux et des méchants. Non. Mais les circonstances, les aléas de la vie, les accidents, les incidents les imprévus qui s'accumulent, déjà regrettables quand ils arrivent à des tiers que je ne connais pas, sont absolument intolérables, d'une injustice sans nom, quand mes petits en sont les victimes. Je trouve alors au monde une gueule patibulaire, une cruauté de bourreau, je voudrais lui mettre une beigne, au monde, lui en faire voir, le faire rendre gorge. Et puis, que voulez-vous, je ne peux que tenter de calmer leurs sanglots, leur dire ce n'est pas grave, ça va aller, de toute façon je suis là, vous savez bien, mes tendres chéris, mes tout petits tellement désarmés. N'empêche, toi le monde, je te garde un chien de ma chienne.

     

    Et c'était la 1400è note.

  • On achève bien les histoires

    J'écris une scène de rupture. Le téléphone sonne. Un vieux pote m'annonce qu'il s'est séparé de sa copine. Je l'écoute. Il explique, il raconte, demande qu'on l'aide (pas lui : elle). Et moi sans relire je pense à mes dernières lignes, qui racontent le même enjeu, décrivent les mêmes rapports. Qu'est-ce qu'on fait avec la littérature, qu'est-ce qu'on raconte d'autre que la vie ? Alors, oui, je rejoins Céline là-dessus, à quoi bon raconter des histoires que la vie nous fournit déjà, à chaque minute ? La littérature, c'est prendre ce matériau et en faire une étincelle métissée de pensée et de chair. C'est en faire autre chose, un météore inconnu, une paroi, un vertige, ne pas dire l'histoire mais l'éclat et l'ombre de l'histoire.

  • Les enfants prodigues

    Je l'ai toujours défendue auprès de ma douce, quand la discussion approche les clivages politiques : je sais qu'il y a une droite fréquentable, humaniste, digne. Avec celle-là, je veux bien débattre, je veux qu'elle existe, elle est nécessaire à la réflexion. Hier matin j'entends ses ténors : « Dérive droitière », « recomposition » ; ils s'en reviennent tout penaud de leur escapade désastreuse sur les terres brunes. Je suis tenté de leur dire : « Bon retour dans le giron de la République et de la Démocratie, bienvenue, nous sommes heureux de vous revoir. » Mais aussi, me dis-je avec un frisson, si la « stratégie de Grenoble » avait fonctionné, auraient-ils soudain les mêmes scrupules  Où en serait-on aujourd'hui ? Quel crédit donner à une pensée qui s'acclimate si bien de ce qui peut la tuer ?

  • Esprits libres

    Cela fait plus d'un an que leurs voix auscultent avec acuité l'actualité roannaise. Je ne connais personne de la revue Libresprits, même si je me doute de l'identité qui se cache derrière certain pseudonyme. En tout cas, c'est toujours exigeant, toujours suave, subtil, toujours bien écrit. La précieuse "lettre d'outre ville" a eu la gentillesse de témoigner de l'arrivée en librairie de mon nouvel opus. Libresprits le fait, comme toujours, avec beaucoup d'intelligence et de malice. Merci aux esprits libres du Roannais. Il y en a, beaucoup finalement, c'est ce que je tente de démontrer aussi dans mon livre, et je m'aperçois que ce qui ressortait de ma petite analyse se vérifie aujourd'hui, sur le terrain démocratique. C'est une bonne nouvelle.

  • Tellement petit

    Beaucoup de retours très émouvants des premiers lecteurs roannais de « J'habitais Roanne ». Le livre est en vente depuis une dizaine de jours maintenant et déjà des personnes sont venues me voir en dédicace, le livre en main, me remerciant, touchées par tel ou tel passage sur un aspect de la ville qu'elles ont connue. C'était prévisible, mais c'est plus troublant que je pensais : comme si j'avais saisi quelque chose de leur intimité pour la délivrer au grand jour. Une appropriation très forte donc. Celle que j'espérais. Bien sûr, plus tard, les historiens vont entrer dans la danse, ausculteront mon travail et auront des reproches à faire, je n'en doute pas. Je ne peux que promettre d'avoir fait de mon mieux. Me parviennent aussi nombre de courriels, témoignant de lectures en cours ou finies, toutes positives, touchantes, remuantes même. Enfin des lettres. Et notamment une, d'une vieille connaissance. Un écrivain qui eut à ce titre son heure de gloire, qu'il s'amuse à ne pas prendre au sérieux parce que, dit-il, édité par Horvath (un éditeur local de l'époque), son livre à succès aurait péniblement fait mille exemplaires. Mais il a eu la chance d'être repéré par de grands médias parisiens et les ventes ont décollé. Cet auteur, c'est Paul Perrève, et son livre à succès c'est « La Burle ». Des dizaines et des dizaines de milliers d'exemplaires, des rééditions, des versions en langue étrangère, audio, etc. en ont fait l'auteur roannais par excellence. Ceux qui l'ont découvert dans « J'habitais Roanne » ne connaîtront qu'une infime partie de l'étendue de ses talents. Accompagnant la délicieuse lettre de ce « vieil ami », une photocopie de coupure de journal. Il s'agit d'un article du journal le Progrès, peut-être daté de 1972 ou 1973, relatant une réunion de la Société préhistorique de la Loire. A travers le grain de la trame on distingue une série de visages, que Perrève m'aide à identifier de son écriture manuscrite, en légende. La plupart des noms sont suivis d'une croix qui signifie qu'ils sont morts. Presque au centre du groupe, il y a un visage tout blanc, couronné d'une coupe au bol noire : bon sang, c'est moi ! On dirait un tout petit petit garçon. On est si bébé à 12-13 ans ? Tout autour, des messieurs sérieux, une dame (Madeleine, la femme de Paul) et derrière moi, mon père, qui m'a pris sur les genoux, tellement je suis petit, pour que je puisse voir les diapositives de je ne sais quel site récemment fouillé, j'imagine. C'est cette petite créature qui écrivait ses premiers « romans », produisait à jet continu des BD d'aventures, fouillait, connaissait par coeur les animaux préhistoriques et les noms des planètes de notre système, avait décidé d'être végétarien (au collège seulement) ? C'est lui ? C'est moi ? Il m'est étranger. Qui était-il, qui était moi ?

  • La leçon d'anatomie

    Lors d'un vernissage récent, un ami peintre désignait son professeur d'arts plastiques, présent dans la salle, comme celui dont l'influence l'avait marqué, et sans qui peut-être, il n'en serait pas arrivé là. J'aurais aimé pouvoir dire la même chose. Malheureusement, aucun professeur n'a su me faire aimer le domaine où j'essaye de faire de mon mieux aujourd'hui. Mes profs de français posaient les plus beaux textes sur la table d'opération, disséquaient ces choses cadavériques, montraient leurs organes morts. Aucune chaleur dans leurs discours, jamais une interprétation aimante, joyeuse, généreuse d'un livre. De l'anatomie. Le seul instituteur qui lisait avec gourmandise ses dictées, en était l'auteur. Il savourait chaque tournure, chaque vers de ses poèmes habiles et devait se trouver bien bon d'élever nos esprits engourdis par l'offrande de sa littérature. En fait, on devrait aborder en classe la littérature comme on aborde le sport ou les arts plastiques : par une pratique maximum. Les grands auteurs seraient seulement donnés en aperçus, lus par bribes précieuses, appelant l'envie, la gourmandise, donnant la découverte pour horizon. Une pédagogie de la frustration.

  • Barbus

    Ma douce me fait souvent remarquer que les barbus sont des gens biens. Un barbu apparaît à la télé. Discours du barbu. Valeurs humanistes, défense du partage, projets généreux, engagement dans la culture ou la solidarité... Souvent, étrangement, son raisonnement absurde tombe juste : le barbu, selon nos valeurs, est un type bien. Le fait que je sois barbu n'a bien sûr aucune influence sur la manière de voir de ma douce. Et tout aussi certainement, les Talibans sont l'exception qui confirme la règle.

  • Propos de Gilly

    Dans mon pays, l'année Rousseau a avancé à pas mesurés, voire timides. A Chambéry, pays où vécut Jean-Jacques, et dans toute la région, un grand nombre de manifestations fait la part belle à l'auteur des Confessions (je saisis l'occasion pour évoquer ici « l'émail des prés », exposition de la photographe Yveline Loiseur, installée aux Charmettes, lieu où vécut Rousseau, jusqu'à la fin de l'année). La bibliothèque de Gilly-sur-Isère, petite commune non loin d'Albertville, n'est pas restée en retrait et a organisé exposition, rencontres, débats autour de l'écrivain. J'étais invité dans ce cadre pour évoquer le genre autobiographique, puisque « J'habitais Roanne » ressort sans doute de cette forme.
    A Gilly, c'est vrai, je me sens un peu chez moi. Malgré la distance je pense souvent à ce petit monde là-bas qui, sous la houlette de Marielle, s'active pour faire vivre la littérature. Des liens se créent. Trop inhibé pour lancer des déclarations tonitruantes, je dis seulement que je suis heureux d'être invité, alors que j'en suis profondément touché, voire un peu confus. Mais passons. Il était donc question d'autobiographie. On a tendance à chercher de lointains ancêtres du genre, mais force est de constater, rappelait Laetitia Agut, professeur de lettres qui assurait une présentation de cette littérature en première partie, que Rousseau en est l'inventeur. Saint-Augustin ou Montaigne ont produit des essais, souvenirs, formes introspectives certes, mais qui ne répondent pas aux critères du « pacte autobiographique » établi par Lejeune en 1978 avec cette définition célèbre : « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité ». Règle amendée plus tard légèrement (Lejeune est revenu sur le critère de la prose, trop restrictif) mais toujours valable, et que justement les auteurs du vingtième siècle ont tenté d'éprouver. Des auteurs comme Pérec ont questionné les limites du genre (voir « W »), travail qui a ouvert la voie, pour faire court, à l'autofiction. Cette littérature qui provoque agacement et perplexité chez certains auditeurs de la conférence, a initié un débat -orienté ensuite sur la question de la sincérité et de la vérité- avant que j'entre en scène. Laetitia, chauffeur de salle, quelle promotion !
    Ensuite, c'est à nous. Marielle impose le vouvoiement, une façon de ne pas transformer la rencontre en dialogue entre deux vieilles connaissances, et de diriger la parole vers le public. Marielle a beaucoup travaillé comme d'habitude, fait des passerelles entre mon dernier livre et -surprise- un passage d'une préface écrite pour le livre de l'artiste Christine Muller (« êtes-vous débarrassé ? » Réponse : « Non »), saisit dans la conclusion de « J'habitais Roanne » une phrase inattendue (« l'insatisfaction à subir le monde tel qu'il est »), où elle pense me retrouver tandis que je croyais parler de Roanne. Je dois admettre qu'elle a raison. Il sera question du « J' » de « J'habitais Roanne » dont j'explique la valeur d'outil pour la compréhension de ma ville. Il sera question des lieux et des notions qu'ils véhiculent, intimement, pour moi. L'occasion de parler des bibliothèques et de la valeur d'amour de l'humanité dont elles sont, selon moi, la grande preuve. L'occasion d'évoquer des lieux ensevelis, disparus, où l'enfance ne peut plus promener ses pas et de la sensation de l'éphémère du monde. Pas de nostalgie, mais le constat que tout est périssable, y compris les paysages, les habitats, et jusqu'aux villes et aux civilisations, mortelles, comme on sait depuis Paul Valéry.
    Je reviens aussi sur cette notion paradoxale : je considère qu'« on a toujours raison de partir » et pourtant je suis un sédentaire. Ne nourrissant aucune ambition, j'ai décidé (mais vraiment décidé), de rester ici. J'ai donc vécu, hors pour les études, toute ma vie à Roanne. C'est donc ce « J' », (pas « Je », voyez la nuance. Dans mes carnets de notes, le narrateur était noté « J' ») imprégné de ma ville qui sert de guide pour la comprendre. Et il doit être là, ce « J' » , pour incarner les lieux, les rendre vivants et palpables au lecteur. Quel lecteur, demande Marielle : pour qui écrivez-vous ? Dans le cas qui nous intéresse, je réponds sans hésiter : les Roannais, même si les non-roannais sont conviés à venir faire un tour et surtout, à partager mes méditations sur la vie et la ville, devenue la Ville exemplaire, selon Daniel Arsand, le préfacier. La réponse aurait tout autre il y a quelques années. L'idée du lecteur a évolué entre la période où j'écrivais pour moi-même et celle où je sais (par exemple ici) que le livre sera édité. Le lecteur alors prend une épaisseur. Ici, qui est-ce ? J'avais en tête tous les noms que je mets dans le livre. Mais selon un principe d'universalité assez répandu, nous sommes tous ce « J' », cet « homme qui marche ».
    « J'habitais Roanne » ressort donc du genre autobiographique, et il m'a fallu lutter longtemps avec ma préférence, mon appétence naturelle pour la fiction. Quand on dit « je », quand on écrit à la première personne, on se dévoile, pense-t-on. Est-ce difficile ? Pendant sa présentation, Laetitia Agut rappelait que pour Gide, paradoxalement, la fiction nous aide à aller plus loin que dans la supposée sincérité de la vraie vie. Ce n'est pas si difficile donc, puisque je crois que l'on se protège en écrivant « Je » ou en tout cas, on inhibe, on reste en retrait. L'implication de soi importe et va influer, mais n'est pas la garantie d'un dévoilement absolu, bien au contraire.
    Un autre grand théoricien de l'autobiographie, Jean Starobinski s'est intéressé à la recherche de style dans le genre autobiographique. Marielle me demande si l'exigence de l'écriture n'interfère pas avec la recherche de sincérité (Annie Ernaux est-elle plus sincère que moi ? L'écriture sèche et méfiante à l'égard des séductions de la littérature, « mettre de la honte » dans ses livres, est-ce là aussi une garantie d'authenticité ?). J'ai peu de temps pour y réfléchir, face au public, mais je maintiens ma réponse donnée ce soir-là : Je ne pense pas que le style nuise à la sincérité. Et plus largement : l'autobiographie dit-elle une vérité ? Le souvenir est une fiction, ontologiquement, il faut l'admettre. Et il me semble qu'à cette aune, l'autofiction est d'une certaine manière plus honnête que l'autobiographie, puisque la part de fiction qui la traverse est revendiquée.
    « J'habitais Roanne » s'achève par un petit gag. Un épilogue d'une ligne revendique mon appartenance à la fiction, mon véritable univers. Je n'aurai dérogé qu'une fois, ici, pour ce livre, et c'est bien suffisant. Désormais, oui : je retourne à la fiction. Place à la vérité des personnages inventés. En quelque sorte, c'est le sujet d'un roman qu'un éditeur veut bien publier à l'automne 2013. Vous allez être surpris. Je réalise à quel point tout mon travail est en connexion, décidément.

  • Ce soir à Gilly.

    Je suis à Gilly sur Isère ce soir, comme je l'ai annoncé il y a peu. Je vais essayer d'y expliquer comment le « Je » de « J'habitais Roanne » (que j'écris d'ailleurs dans mes notes, le « J' ») est un outil de compréhension, plutôt que la figure incarnée propre à l'autobiographie. Je vais tenter de dire aussi pourquoi, malgré les apparences, les lieux visités de ma ville, ne sont pas les supports de la nostalgie. Je vais surtout essayer de ne pas m'égarer en chemin, car la digression est mon grand mal.
    Je pense bien sûr à ma douce qui n'a pas pu m'accompagner et lit ces lignes.

  • Apartheid

    A l'accueil de ce musée que je connais bien, un couple de retraités se présente. Le monsieur tient un caniche sous le bras. Le garçon à l'accueil a des consignes strictes : les chiens sont interdits dans les salles. Scandale des touristes, réponse aimable du fonctionnaire. Ils insistent, il tente d'expliquer. Enfin, le couple abandonne mais madame glisse une phrase triomphante avant d'abandonner le terrain : « En plus, je suis sûr que les étrangers peuvent entrer, eux. » Le petit caniche était tout blanc.

  • Principe de Heisenberg

    Écrivain, tu as une conscience aiguë du principe d'incertitude. Observant tes créatures, tu déranges l'ordre des choses, et le hasard s'invite pour te surprendre. Et ça, la surprise, tu aimes.

  • Vocable OGM

    On pourrait imaginer former des mots autrement. Les sculpter par exemple, avec des gants face à un écran d'ordinateur. On pétrirait une pâte virtuelle, et voilà qu'un néologisme paraîtrait, tout neuf. Ou bien comme on manipule un code génétique, on couperait un bout de sanskrit, on le collerait dans un noyau sémitique, on ajouterait un accent nordique, créant une chimère lexicale... Le sens ? Parce qu'il faut que les mots aient un sens ? Tout de suite...

  • Entre deux eaux

    Le petit chrétien ne devrait rien connaître de plus pénible et de plus humiliant qu'un coulis d'eau fraîche à son baptême et une légère aspersion d'eau bénite pour son oraison. Pourtant, malgré cette bénédiction, entre les deux, ce qu'il prend comme douches froides !

  • Ejection précoce

    Ce n'est pas fait, rien n'est fait ! Avec les marges d'erreur et sept millions d'indécis (qui sont des gens qui voudraient bien voter à droite mais ont un peu honte de l'avouer), il y a une possibilité qu'on se retrouve avec un Président sortant triomphant du haut de ses 50,3 %. Vous ne viendrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus. Allons plus loin : OK, Sarkozy gagne. Il terrorise son camp, fusille à tout va. La droite, de toute façon, explose, l'extrême-droite se rengorge, la gauche, à mon avis, se renforce dans l'adversité (passée si près, elle ne peut pas accabler Hollande). Forte de près de la moitié des électeurs, elle peut faire du barouf autour de deux ou trois dossiers sulfureux (Karachi, Kadhafi). Les législatives arrivent. Sarkozy n'est toujours pas en position de force, malgré son élection. La gauche soudée l'emporte, et... cohabitation. Hollande, premier ministre de Sarkozy. Hein ? Franchement, je préfèrerais qu'on en finisse plus vite.

  • Sur la balance.

    On devrait comptabiliser nos mesquineries, nos petites bassesses, nos vilénies graves ou pas, se dit-il dans un élan masochiste, avec l'idée de comparer le total à celui de ses courages, ses générosités, ses bienfaits. Il pensa que cet examen intime ressortait des actes de courage, en était même l'expression la plus noble. Tellement même, que le pratiquer fausserait le résultat à l'avantage de ses bonnes actions. Il y renonça donc, par honnêteté intellectuelle.

  • Loupé

    Toutes ces langues, le merveilleux apport de toutes ces manières de penser, de toutes ces visions de la vie, ces cultures incroyablement variées, la richesse humaine infinie des parlers et des littératures du monde... Et on nous présente l'épisode de Babel comme une malédiction divine ?

  • Vivre ensemble

    Écoutez, ce n'est pas compliqué : soyez d'accord avec moi et vous verrez que nous nous entendrons très bien.

  • Naufragé volontaire

    Alain Bombard, célèbre navigateur solitaire pour une cause scientifique (pas pour le sport je veux dire : un altruiste, quoi), ayant programmé des mois d'isolement sur l'océan, avait emporté dans son petit canot un livre de Spinoza. Il n'était jamais parvenu à dépasser les premières lignes et il était persuadé que cette fois, sa solitude de naufragé serait telle qu'il ne pourrait éviter de lire, et de tout lire. Il dut avouer plus tard que, malgré tout, il n'était jamais arrivé à aller plus loin que ses premières tentatives. Spinoza resta à jamais un mystère pour lui. Si je devais embarquer tous les bouquins qui me tombent des mains, ce n'est pas un zodiac qu'il me faudrait, c'est un ferry. Mais va trouver un ferry où tu peux être tout seul, toi.

  • Ce que veut le public

    Le gamin sorti tout juste de son école de journalisme me soutient que, dans l'hebdomadaire où il travaille, il et tout naturel de faire des articles sur « ce que les gens demandent ». Et surtout rien de plus. Courroucé, je relève que c'est l'alibi de toutes les médiocrités, de tous les nivellements par le bas et une sacrée vanité de préjuger de « ce que les gens demandent » à leur place. Je le supplie de considérer que les auteurs, les artistes, les créateurs les plus confidentiels, espèrent aussi toucher un public plus large et qu'au moins, un journal comme le sien peut participer à cet élargissement. Nous nous querellons un moment quand, à bout d'argument, le gamin me lance : « Et bien faites-le vous, faites-le ce journal ». Mais, petit morveux, on l'a fait, il y a longtemps, tu n'étais même pas né. On l'a fait sous toutes les formes : écrite, télévisée, radio. On ne t'a pas attendu. Simplement, on se lasse et puis, après tout, chacun son métier. Ceux qui savent créer doivent se contenter de faire ce pour quoi ils sont nés. Enfin, aujourd'hui, dans notre région (pas au sens administratif, au sens très local), ce médium existe, il est mensuel et s'appelle « La Muse ». Bien que polémique (ou grâce à cela), c'est devenu le magazine culturel majeur et incontournable de ma ville. Il faut dire que la PQR, ici, a laissé tout le champ libre (et pour cause : « moi je suis pour donner aux gens ce qu'ils demandent. » répète le jeune plumitif sans saisir qu'il participe ainsi et bravement à la bêtise systémique dénoncée par Stiegler). J'aurais l'occasion d'en reparler le mois prochain (pas du journaliste inconséquent ni de Stiegler, mais de la Muse).