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  • Oxymore de rire

    "La Force tranquille" sonnait majestueusement, donnait une ampleur, avait des accents hugoliens.

    "La rupture tranquille" me fait ricaner. Je ne peux pas m'empêcher de trouver ça minable. Genre "Tu vas voir ce que tu vas voir, je vais tout casser, vous allez m'entendre, houlà"... Suivi d'un "oui non, j'm'excuse pour tout à l'heure, je suis un peu soupe au lait, faut m'excuser hein. Mettons que j'ai rien dit."

  • Les blogs que j'aime visiter (1)

    Cités par ordre d'apparition dans ma liste 

     

    Baluchon

    Restée quoiqu’il advienne dans la liste de mes blogs, parce que Baluchon fut la première personne (en dehors de mes potes) à me laisser un commentaire. C’était en réaction à un billet venimeux sur Cali, il y a des années. Tout retourné, j’étais. Bises à toi, Baluchon, si d’aventure tu passes ici.

     

    Finis Africae

    Puissamment intelligent, terriblement cultivé, le bougre, et doué pour tout : cuisine, latin, informatique, photo, écriture, musique, science… Peut-être le patin à glace et le dessin échappent-ils à la liste de ses dons, mais c’est qu’il n’a pas essayé vraiment. Quand j’ai besoin de ma dose de tolérance et de finesse, je vais lui rendre une petite visite. Tous les jours donc.

     

    Manutara

    Découvert à l’occasion d’une réponse à un billet sur la Polynésie. Manutara alias Esteban est un baroudeur des mers, un nomade des îles ; Le type qui a roulé sa bosse. Et d’aventure en aventure, de pensée en coup de gueule, il vous embarque. Assez de souvenirs dans ses cales pour remplir cent blogs pendant cent ans.

     

    Pierre Assouline

    Là, c’est le quota culturel de Kronix. Assouline, qu’on soit en sympathie ou pas avec ses choix et ses rejets, a l’immense avantage sur ma pomme, qu’il lit beaucoup. Comme il est passionné et subtil, vous êtes alertés sur, par exemple, « les bienveillantes », avant qu’un effet de mode ou une vague de scandale ne s’empare de la chose. Grâce à Assouline, je lis sans savoir ce que le tout Paris aboie. Merci, monsieur Assouline.

     

    Céline

    Céline, comment l’ai-je découverte ? Je ne sais plus. Je lisais, je lisais, billet après billet, et il se trouve qu’un jour je réalise qu’elle écrit depuis son fauteuil roulant, et je réalise que je le savais, mais que, parce qu’elle est juste et intelligente, et bien… son handicap était passé loin derrière.

     

    La suite le 1er décembre.

     

  • La nigelle de France - Fin

    Le land-car du guide déboula enfin dans la clairière à toute allure. Marcus afficha une mine incrédule et désespérée :

    “Mon Dieu, Pilescù, je ne sais pas ce qui est arrivé, c’est terrible !”. Derrière lui, l’incendie roulait comme un flot rouge, arrachait sauvagement des nuées de particules noires aux sapins engloutis. Pilescù, qui était un scientifique lui aussi, écarta les bras, impuissant : “ Je ne comprends pas, à cette saison...C’est incroyable. Tu as commis une imprudence ?”. Marcus se renfrogna : “ Mais enfin pour qui me prends-tu ? Je suis botaniste, ne l’oublie pas. Ce doit être quelqu’un d’ici. un braconnier, un paysan qui défriche, je ne sais pas.” Marcus discerna dans le regard briévement croisé de Pilescù un évident septicisme. Ce dernier se saisit des sacs qui trainaient et commença à enfourner le tout dans le coffre de la voiture.

    “Tu aurais dû m’en parler, me rappeler”

    “Cela vient juste de se déclarer, hurla Marcus, j’ai été tellement effrayé que je n’ai pensé qu’à reculer le matériel et je suis resté là...”

    “Un tel incendie n’éclate pas d’un coup, comme ça. Tu n’as rien senti, rien entendu ?”

    “Non, bon sang ! C’est arrivé tout d’un coup, je te dis.”

    Pilescù hocha la tête : “En plus, le vent est face à la forêt. Le feu ne peut pas venir du coeur, il progresse en profondeur à partir d’ici.”

    Marcus, qui s’activait lui aussi pour ranger le camp et se soustraire aux réflexions embarrassantes de son équipier, saisit une bonbonne de gaz pleine et le rejoignit. Pilescù avait sans doute l’intention de téléphoner depuis la voiture mais son collègue ne lui laissa pas le temps de saisir le combiné. La bonbonne rebondit à plusieurs reprises sur le crâne du traître et Marcus répéta son geste jusqu’à ce que son bras douloureux lui interdise de soulever à nouveau l’arme improvisée. Epuisé, au bord de l’évanouissement, Marcus poussa le corps de sa victime sur le siège du passager et s’installa au volant du véhicule. Il respira plusieurs fois profondément avant de démarrer. Il précipita le véhicule au coeur de l’incendie, sautant par la portière comme un héros de cinéma pour éviter l’imminente explosion. Comme il se redressait, il vit la voiture s’engouffrer en geignant dans la fournaise. Quelques secondes passèrent puis une boule éclatante déchira le rideau de feu, multipliant le grondement de l’incendie qui continuait de se propager. Marcus contemplait son oeuvre, puis il s’attarda sur ses vêtements éclaboussés, sur ses mains rougies, sur le camp désolé qu’envahissait une fumée âcre. Alors il rassembla ses forces pour s’éloigner en courant. Il plongea dans la première rivière qu’il rencontra, la traversa, s’enfonça dans les bois et disparut.

    On le retrouva pourtant, quelques mois plus tard, sale, affamé, halluciné. Il venait pour la troisième fois ce jour-là, d'agresser un promeneur dont il avait cru deviner qu’il connaissait un endroit, pas loin, où poussaient quelques nigelles.

     

  • La nigelle de France - 3/4

    La vue de Marcus se brouilla. Soudainement furieux, il se dressa sur la rive, s’assura de la fermeté du terrain et écrasa la maudite bestiole à grands coups de pieds libérateurs. Un frisson parcourait son échine. Il s’acharna sur les restes dispersés de la plante, enfouit en pesant sur eux, les pétales immaculés que son geste avait répandus sur la peau luisante de la tourbe. Son forfait accompli, haletant, halluciné, happé par le vertige de ses pulsations sanguines, Marcus hurla et, l’oeil hagard, scruta la sombre forêt, silencieuse et sévère, autour de lui. Il cria encore une fois, comme pour couvrir le tumulte de son coeur et effrayer le monde qui semblait juger son acte. Ivre, affolé, Marcus donna encore quelques coups de pieds rageurs au sol puis se précipita dans les marais.

    Quand il regagna son campement, l’explorateur quitta ses cuissardes et en lava soigneusement les semelles qu’il inspecta ensuite longuement à la loupe, plusieurs fois, pour être certain de ne laisser subsister aucune souillure. Il reprit alors le chemin qu’il venait de parcourir pour masquer toute trace de son passage, estompant avec une pierre ses empreintes de pas, maquillant les cassures qu’il avait pu causer aux branches en se frayant son chemin, redressant même les brindilles écrasées, disposant subtilement des branchages aux endroits où son passage pourrait sembler trop évident. Ce faisant, il ne cessait de regarder autour de lui, inquiet, aux aguets, furieux. Il lui sembla, une fois, entendre un murmure. Il lança dans le vide quelques invectives, fouilla l’endroit d’où il avait cru provenir les voix, une forte branche à la main, puis, bredouille, revint sur ses pas.

    Enfin, il entreprit de plier la tente et de ranger ses affaires. Il recouvra assez de calme pour téléphoner à son guide de venir le chercher et l’attendit, sagement assis sur un sac-à-dos, au milieu des valises qui contenaient son laboratoire ambulant. Il faudrait à son équipier environ deux heures pour le rejoindre. Marcus ne cessait de repenser à ses empreintes, aux restes toujours identifiables de la nigelle martyrisée et prit une nouvelle décision : incendier la forêt ! Car il existait sans doute encore quelques exemplaires de la plante dans les parages. Et si l’on en trouvait un jour, même par hasard, on devinerait que le scientifique de renom qu’il était, avec son expérience, sa ténacité, lui aussi... Et l’on murmurerait, et on le soupçonnerait d’avoir caché quelque chose. Son crime serait découvert. Alors qu’un bon incendie effacerait toute trace, éradiquerait de la surface de la terre ces petites saletés malfaisantes...

    Convaincu, Marcus s’empara rapidement de l’essence du générateur qu’il n’avait pas encore utilisée et s’assura que son briquet se trouvait bien dans l’une des poches de sa veste de campagne.

    Quelques dizaines de minutes plus tard et après de nombreuses tentatives infructueuses qui lui avaient valu de terribles instants d’angoisse, d’immenses volutes de feu tourbillonnaient entre les fûts des sapins, dont la sève surchauffée explosait sporadiquement

  • En aparté

    Eh, l'autre ! T'as vu ? C'est pas du Thalium qu'ils ont utilisé, mais du Polonium. Une forme d'humour typiquement KGB, peut-être ? En tout cas, tu peux plus la faire "la loi du Thalium". Dommage, hein ?

  • PSG - Pathétique Sport de Ganaches!

    Quoi, comment qu'est-ce ? On découvre soudain que le foot stigmatise les différences, stimule un patriotisme de bazar, emballe joliment la pire xénophobie, engendre la haine et exalte la connerie ? Ben merde, quelle surprise !

    Moi qui croyais que les : "Lyonnais je te hais", "Paris on t'encule", "Va crever Saint-é" étaient de simples formules d'affection !

    Moi qui croyais qu'on sifflait l'hymne des autres juste pour rigoler, que les morts du Heisel n'étaient qu'un paroxysme sans lendemain, que le fait de distinguer "trop de noirs dans l'équipe" était une saillie désinvolte, merde, ce serait donc sérieux ? Il s'y jouerait donc davantage qu'un simple score ?

    Aidez-moi à comprendre, tous, supporters de milliardaires qui courent, journalistes gueulant leur passion pour un T-Shirt bleu, spectateurs enthousiastes de petits trucs ronds qui rentrent dans de grands trucs rectangulaires, foules hurlantes en choeur, aidez-moi à comprendre comment vous ne voyez pas que vous cautionnez une guerre constante faite aux autres, à tous les autres pourvu qu'ils soient d'ailleurs : d'un autre pays, d'un autre continent, d'un autre patelin, d'un autre quartier.

    Mais vous ne serez donc jamais dégoûtés de ces tribunes en sueur, de ces beuglements avinés, de ces harangues martiales, de ces victoires et de ces défaites qui n'ont aucun sens ?

    Je vous mets tous dans le même sac ? Non, je sais, il y a parmi vous des êtres solaires. N'empêche : Tout amoureux que je sois de l'architecture, de la photo ou de la littérature, je n'applaudis pas aux architectures de Speer, je ne m'enthousiasme pas aux clichés de Rifenstahl et la prose de Céline me révulse.

    Au moins, au moins, boycottez un sport quand il devient dégueulasse !

  • La nigelle de France - 2/4

    Quarante ans plus tard, Marcus cherchait encore. Même aux temps difficiles de ses études, même à la dure époque de ses premiers emplois de botaniste, dévolus à d’autres tâches, même au moment de ses égarements amoureux, il n’avait eu de cesse de parcourir le pays et ses frontières puis l’Europe au sud, puis l’Europe au nord...

    La Roumanie et ses vastes contrées encore préservées, son alternance de saisons et ses températures, en certaines lattitudes acceptables, lui sembla digne, cette année-là, de son attention.

    Il avait su convaincre les décideurs du CNRS du bien-fondé de ses recherches et était donc, ce jour-là, perdu dans la forêt de ... où rodent encore le loup gris, le chat sauvage et le tortionnaire fugitif. Marcus aimait ce pays.

    Au petit matin, il émergeait de sa tente rudimentaire, élevait son regard jusqu’aux cimes embrumées des arbres et respirait, respirait... S’étonnant chaque fois de la chance qu’il avait de faire EXACTEMENT le métier dont il avait rêvé et que, de plus, il lui soit une joie perpétuelle, une source d’émerveillements. Comme de se trouver seul ici, au milieu des bois. La troisième guerre mondiale pourrait bien éclater. Lui, ici, n’en saurait rien et continuerait d’explorer les tourbières détrempées que la forêt recelait.

    Le lecteur aura bien deviné, compte tenu de la mécanique conventionnelle d’un récit tel que celui-là, que si l’auteur s’attarde à décrire ces instants de la vie de Marcus Cornélius Eischer, c’est qu’il doit y trouver sans doute l’objet de sa quête. Pourquoi en effet, ménager un suspense qui n’en est pas un : oui, notre biologiste trouva bien, au coeur de la forêt de ..., dans les replis d’un terrain difficile d’accès, au fond d’un marais profond, noir et malsain,  dont les moustiques impitoyables défendaient le secret, une nigelle ! Ou même deux ou trois plants, blottis l’un contre l’autre. Décrire l’excitation du chercheur ou plutôt même la confusion, le vertige d’émotions mêlées qui submergeaient alors Marcus serait une tâche bien difficile et lui-même ne pourrait s’en acquitter.

    Avant même de les avoir vraiment vues, alors que, les jambes embourbées jusqu’aux cuisses dans le marécage nauséabond, les fleurs de la nigelle n'étaient que d’imprécis éclats blancs, Marcus savait déjà qu’il touchait au but. Sa lente progression lui laissa tout loisir de voir se concrétiser, plus tangible à chaque pas, l’aboutissement de ses recherches. La petite plante indifférente était là, ramassée sur elle-même, ses fleurs mollement balancées par les remous épais que provoquait le chercheur.

    Elle attendait, proche et lointaine à la fois, distante et tangible, modeste et orgueilleuse. Incroyablement présente malgré sa taille débile. Marcus fut enfin près d’elle. Comme un automate, il caressa les pétales, les feuilles, épouvanté du silence qui le gagnait tout entier, jusqu’au ventre.

    Il dominait cette petite chose ridicule qui lui avait valu quarante ans de passions dont seize de recherches exclusives. Dans son ombre, les minuscules pétales blancs rayonnaient, comme de petits mots chagrins et blessants. Si petite et arrogante... Comme une funeste bestiole, comme une fillette moqueuse dont le rire éclate et tranche. Elle toisait de ses quelques centimètres des années d’abnégation et d’efforts, raillait son adolescence perdue, ses amours négligées. Une saillie aiguë, une écharde mauvaise et dure qui traverse la chair. Un concentré de sarcasmes malfaisants.

  • Les vérités vraies d'Herald Wladymeer

    Découvert cette merveille (belge, comme beaucoup de merveilles), grâce à une note de Ron.

    Extraits :

    XX - Stephen Hawking, si en plus il était balaise en kick-boxing, ce serait vraiment un coup à avoir des complexes.

    LXVII – Il a fallu des centaines de milliers d’années pour passer de Lucy à Descartes, et moins de quatre siècles pour passer de Descartes à Omer Simpson… D’Oh !!

    LXX – Certaines personnes pensent qu’un matin ensoleillé ne peut s’accompagner que d’accords parfaits et de musique classique stricto sensu : c’est faux ! Un voisin con qui tombe dans l’escalier, c’est du Boulez et ça fonctionne très bien aussi.

    CCXII - O tempora, O mores. C'est comme ça que les latins se disaient "Bé oui, c'est comme ça ma brave dame".

    Il y en a des centaines comme ça (plus de 300 exactement pas loin).

    Ah oui, l'adresse : http://veritas.hautetfort.com

  • La nigelle de France - 1/4

    I

      Ironie, malfaisant mépris du destin dont les gloussements moqueurs salissent les élans les plus généreux ! Marcus Cornélius Eischer, épuisé par seize années de quête, avait planté sa fruste tente d’explorateur dans les marais de ... Car c’est en Roumanie qu’il cherchait la Nigelle de France.

    Le pays qui avait donné son nom à la modeste plante n’en comptait plus qu’une, séchée et douloureusement laide, entre les pages d’un herbier du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. Un botaniste prévoyant avait, au siècle dernier, jugé bon de conserver ce spécimen anodin parmi la foultitude des plants qui encombraient alors les zones encore humides du bassin parisien. Quelques décennies de progrès urbain et agricole avaient sonné le glas de la fragile essence.

    Marcus, dont la vocation de chercheur remontait à la plus tendre enfance, avait brutalement choisi de se consacrer à la botanique et même, exclusivement, à la plante disparue, le jour où son oncle Borg l’avait emmené dans le Saint des Saints de ce musée et que, sur le ton que mettent les conteurs d’histoires pour envelopper de mystère un instant crucial du récit, le brave homme avait montré l’immense feuille jaunie où la nigelle crucifiée achevait de se momifier : “Tu as devant toi Nigella gallica jordan, le seul exemplaire connu de cette plante aujourd’hui totalement disparue. Le seul exemplaire au monde, tu m’entends ? alors, regarde bien et souviens-toi.”

    Le petit Marcus avait ouvert grand ses yeux et avait longuement observé cette petite misère de bout de feuillage raide, avec ses radicelles rabougries, ses pauvres fades pétales, blanc passé et son allure de bonzaï fossilisé. Son âme de futur chercheur se gonfla à l’idée qu’il assistait en privilégié à l’appel désespéré du seul témoin d’une espèce disparue. Il se souviendrait jusqu’à sa mort sans doute, tant était intense son effort de concentration, de la lumière tamisée par les voiles aux fenêtres et qui tombait en rais incertains sur la grande page de l’herbier. Il n’oublierait jamais l’odeur acide des livres, les exhalaisons poussiéreuses qu’avaient réveillé l’irruption des visiteurs, le silence écrasant des lieux, et jusqu’aux murmures respectueux, aux bruits de pas lointains qui mêlaient leurs échos sous les voûtes de la salle.

    Lorsque son oncle décida de ramener son protégé à la lumière du jour, le monde avait changé. Rien n’avait la même couleur et les gestes des badauds affichaient la lenteur agaçante de la futilité. Pour Marcus désormais la vaine agitation de ses contemporains lui serait étrangère : il retrouverait au moins un autre exemplaire de la fleur disparue. Lui avait un but, une quête, un absolu.

    Déjà, alors que l’oncle Borg l’invitait à s’extasier sur l’architecture des serres monstrueuses devant lesquelles ils passaient, Marcus s’abîmait dans la vision d’une nigelle vivante, dodelinant doucement au rythme de la brise, nimbée de lumière nacrée, ponctuant de quelques fleurs blanches la tourbe séculaire qui la nourrissait.

  • Les détournements de Géronimo

    Découvert grâce à Oliv', ce site d'un fondu qui détourne tout ce qui bouge. Excellent !!!

    http://geronimoz.free.fr/

     

    Des parodies télé et ciné. Tout y passe : Star Wars, Bond -James Bond, le JT, Cosmos 1999...

  • BUREAU

    Bureau : Etrange que l’origine du nom de ce meuble indispensable soit si confuse. Les latinistes, les gallicistes, les spécialistes s’y perdent et proposent l’hypothèse médiocre d’une étoffe de bure, couvrant une table et, par métonymie, d’un mot désignant « la table ainsi couverte », le bureau. L’extension métonymique ne s’arrêtera pas en si bon chemin, puisque c’est bientôt la pièce dans laquelle trône le meuble, qui sera baptisée du même nom vers le XVIè siècle. Et le sens s’élargit encore… Le bureau finit par désigner l’ensemble des personnes travaillant dans un même bureau (le bureau fête un anniversaire, choisit par hasard le Robert).

  • Gash la rage

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    Sans s’éloigner de son inspiration manga et de ses thèmes de prédilection, Petelus esquisse une vision minimaliste de l’apocalypse.

    Toutes les fins du monde connaissent un climax, un point de non-retour que tout bon sauveur se doit d’anticiper. Toutes les fins du monde sont interrompues dans leur processus. Et pour cause. Mais Gash est un sauveur-en-retard.

    Car l'humanité s’est consciencieusement suicidée au long d'un immémorial combat fratricide. La boue engloutit lentement cet interminable amoncellement de cadavres, et la brume achève d’effacer le souvenir des hommes. Les immenses Maurks, des ogres descendus des montagnes, n’ont eu qu’à finir le boulot. Tout est accompli. Le monde est perdu. C’est l’heure que Gash a choisi pour apparaître, lui et sa redoutable épée. A quoi pense Gash ? Est-ce qu’il culpabilise, est-il happé par la folie d’un dernier espoir, la volonté d’en découdre ou par un désir de vengeance ? Personne ne le sait, pas même l’auteur. Tout ce que Petelus connaît de sa créature, c’est qu’elle est née pour se battre contre les Maurks. C’est son seul talent, c’est sa seule fonction, c’est son unique pensée. Alors, Gash se bat. Minimaliste, vous disais-je.

    Gash la rage, par Petelus. Onabok éditions. Sur souscription.

    Voir aussi chez Hector

     

  • TROIS VOYAGEURS - Fin

    Allez, courage, on arrive au bout... 

     

    Ricardo fixa Mazetto de ses immenses yeux bleus : “C’est étrange. Avez-vous remarqué ?” Les deux convives se dévisageaient sans comprendre. Ricardo poursuivit : “Vos deux récits n’ont pas seulement des points communs ; ils pourraient se compléter. C’est-à-dire, être les deux actes d’une même pièce, deux chapîtres d’une même histoire. Dîtes-moi Theruel, après avoir enterré le comte Salina, qu’avez-vous fait ?”

    Theruel haussa les épaules : “J’ai repris mon chemin en direction de la frontière”

    -”Vous n’avez pas essayé de retrouver la personne qui vous avait lancés tous les deux dans cette folle équipée ?”

    -”Ma foi, il n’y avait pas de nom sur le billet. Je n’avais aucune description. Comment la retrouver?”

    -”Allons, dit Ricardo, une femme très belle, d’une certaine condition sans doute, dans un petit village comme Toffoli ! Ne pensez-vous pas qu’avec un peu de persévérance vous n’auriez pas fini par la retrouver ?”

    Theruel semblait soudain convaincu :”Oui, peut-être...c’est facile à dire maintenant, mais à l’époque je n’ai même pas trouvé cela envisageable.”

    Le vieil homme posa sa large main sur l’épaule du voyageur. “Rassurez vous Theruel, je ne vous blâme pas. Les actes, les choix que l’on fait ont une logique que seul le moment explique. Il est en effet facile, des années plus tard, de remettre en cause, de réécrire les heures de nos vies. A quoi bon ? Encore une fois, vous avez agi comme il fallait et pas un mot ne sortira de ma bouche pour vous condamner, mais, pardonnez-moi d’insister, j’ai envie d’approfondir vos récits dans cette perspective d’une même histoire que vous auriez partagée sans vous connaître encore, et qui met en relief toute la perverse puissance des ressorts de la destinée. Imaginons, cher Theruel, qu’après avoir enterré le cadavre du comte Salina, vous soyiez à Toffoli et que vous y trouviez, après disons un ou deux jours de recherches intensives, la jeune signorina dont nous a parlé Mazetto. Car je veux croire qu’il s’agit de la même beauté qui causa sans le savoir la mort du comte. Imaginez donc que vous lui expliquiez les raisons -on ne peut plus acceptables- du retard de son amant. Voilà une jeune femme qui ne vivrait plus dans le remords d’avoir trahi la mort de son frère pour un amoureux ingrat et oublieux. Le destin est d’autant plus malicieux d’ailleurs que, grâce à vous, cher Mazetto, la jeune femme est arrivée en retard à son rendez-vous...” Theruel coupa Ricardo : “...Et que, par conséquent, le comte n’avait pas de raison de se précipiter de la sorte.” -”Il se croyait en retard et serait arrivé en avance” ajouta Mazetto. -”C’est tragique” dit simplement Ricardo avec un terrible sourire. Puis il ajouta, alors que la plupart des voyageurs s’étaient retirés des tables autour d’eux, pour reprendre la route :” Mais après tout, ce n’est qu’une vue de l’esprit. Les similitudes de vos récits ne sont peut-être que des coïncidences, comme notre rencontre, et l’influence que chacun de nous vient d’apporter à chacune de nos vies. Nos routes vont se séparer, et notre destin n’est plus celui qui nous était tracé, ce matin encore. Tout cela parce que nous avions faim et que nous souhaitions un peu de compagnie. Je crois qu’il est temps de se quitter.”

    Et Ricardo se leva pour disparaître dans la lumière aveuglante de l’extérieur. Sans un mot, Mazetto et Theruel l’imitèrent. Dehors, ils se regardèrent un moment puis, étreignant leur bâton de marche et ajustant leur sac sur l’épaule, ils prirent ensemble la direction de Torino.

    FIN

  • TROIS VOYAGEURS - 8/9

    Cinq jours s’écoulèrent. Je ne passais plus régulièrement chez les Grandini. Aussi, un jour, arrivai-je nonchalamment en fin de journée, prendre des nouvelles auprès de Nathanael. Ce fut la jeune servante qui m’ouvrit, toute surprise de me trouver là. Elle me précéda jusqu’au salon où je m’installai en habitué et alla chercher sa maîtresse.

    Dès qu’elle entra dans la pièce, je remarquai à quel point elle avait changé en si peu de temps. Ses adorables joues s’étaient creusées et l’arc de ses épaules n’avait plus la belle assurance que je lui avais -quoique brièvement- connue. Je m’enquis de sa santé, elle me rassura sans conviction et vint s’assoir en face de moi. Je lui dis que maintenant qu’elle était entrée, je pouvais partir de Torino ; mais sa visible faiblesse, sa mélancolie navrante me serraient le coeur. Je lui demandai de me parler de ses tourments, comme à un ami véritable. Elle se leva, visiblement troublée, esquissant un pas puis renonçant, elle se mit à marcher très vite, de long en large devant moi, en se tordant les mains.

    -”Qu’allez-vous penser de moi ?”

    Qu’étais-je pour la juger ? Elle ne me laissa pas le temps de protester et vint se rassoir à mes côtés. La signorina conta ce qui suit sans me regarder à aucun moment.

    “Je suis allée retrouver l’homme que j’aime. Je suis partie sans hésiter alors que je venais d’apprendre la mort de mon frère. Mon adorable grand frère qui me protégeait quand nous allions au marché en cachette, mon gentil Masino qui savait me chanter inocenta tortorella... Je n’ai pas hésité à trahir son souvenir, à piétiner mon chagrin pour courir plus vite dans les bras de mon amant. Un homme que mes parents m’avaient défendu de voir. Et savez-vous le plus triste de l’histoire ? Je suis arrivée trop tard. Ô, si vous saviez combien j’ai maudit la précieuse soirée que nous avions passé ensemble.

    Après tout, que savais-je de lui ? Si peu de choses. Je l’ai attendu, je suis partie pour le dernier village où on l’avait vu... Rien. J’ai laissé des messages partout et envoyé une lettre pour vous, qui m’a fait souvenir d’un autre chagrin, d’un devoir plus impérieux que mes peines de coeur. Je suis donc revenue. Mais mon coeur est toujours là-bas, plus angoissé et impatient de le revoir que pendant ces quelques jours passés à l’attendre dans notre douillet petit nid d’amour.

    A présent, je vous prie de m’excuser et d’oublier à jamais la mauvaise personne que je suis. J’aurais aimé vous connaître en d’autres circonstances. Adieu”.

    Sur ces mots, elle se précipita dans la pièce voisine et verrouilla la porte derrière elle. Je ne sais trop ce que je ressentais à ce moment précis ; mais il y avait, je crois, autant de compassion que de colère. J’ai tourné les talons et suis resté le moins longtemps possible à Torino.”

     

  • TROIS VOYAGEURS - 7/9

    Pourtant, au plein coeur de la nuit, un vacarme confus me réveilla brutalement. Je tendis l’oreille et reconnus le piaffement des chevaux dans la rue et le remue-ménage caractéristique d’un départ précipité. Profondément marqué par mon expérience de la guerre, j’envisageai immédiatement le pire : une réquisition ou une chasse aux déserteurs. Je risquai un oeil par la porte de ma chambre. La domestique qui m’avait accueilli s’encadra dans l’entrebâillement : “La signorina a finalement décidé de partir” souffla-t-elle. Elle était déjà toute habillée et portait un gros sac de voyage. J’enfilai prestement mon pantalon et sortis sur le pallier, qui donnait par une coursive, sur le vestibule. En bas, la jeune maîtresse dirigeait le départ. Levant la tête, elle me vit. “Je suis désolée, je ne peux pas retarder mon départ comme j’ai cru pouvoir le faire. Je vous laisse l’usage de la maison. Nathanael reste avec vous. Je serai de retour dans une semaine au plus. Me ferez-vous la grâce d’attendre mon retour ?”. Sans attendre ma réponse, elle sortit et grimpa lestement dans une calèche dont je ne voyais que l’ombre, depuis ma place. Le cocher fit claquer son fouet comme au départ d’une course et l’attelage disparut dans la nuit. Le domestique, resté seul en bas, ferma la porte et retourna se coucher après m’avoir gratifié d’un regard las et désabusé. J’hésitai encore un instant, debout devant ma chambre ; la soudaineté des événements m’avait laissé désarmé. Je résolus de suivre l’exemple de Nathanael.

    Une semaine passa où je profitai sans grand remords de l’hospitalité de la maison Grandini, mais la signorina ne revint pas. J’attendis encore un jour ou deux puis décidai d’aller coucher au couvent des capucins car il me pesait d’abuser ainsi d’une gentillesse vite acquise. Je revenais chaque jour, régulièrement, frapper à la maison pour obtenir des nouvelles. Au terme d’une nouvelle semaine, Nathanael me tendit une lettre, à mon attention. C’était la soeur de Tomasino. Elle s’excusait de son retard mais des affaires importantes la retenait et elle ne pourrait sans doute pas rentrer avant encore une dizaine de jours. Elle me remerciait encore pour la délicate mission dont j’avais su m’acquitter et me priait de bien vouloir rester le temps qu’il me plairait dans sa maison. La lettre n’avait pas été affranchie et aucune provenance n’y était inscrite. Malgré mon insistance, Nathanael ne voulut pas me donner la moindre indication sur l’endroit où était sa maîtresse. Je pus seulement savoir, à force de ruses, que c’était un courrier militaire qui avait apporté la lettre. Je rentrai au couvent, intrigué. “Secret militaire ?” Je décidai de trouver un travail et un logement à Torino jusqu’à ce que l’étrange jeune femme soit de retour. Par ailleurs, ma situation de prisonnier évadé était régularisée.

  • Les mauvaises gens - Etienne Davodeau

    Les Mauges, entre Cholet et Angers, une région vallonnée du Maine-et-Loire, rurale, catholique et ouvrière de l’ouest. Le récit débute dans les années 50.

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    Racontée par leur fils, par la grâce d’une BD exemplaire, voici l’histoire de Maurice et Marie-Jo, ouvriers qui s’éveillent à la conscience politique et au combat syndicaliste. Dans un pays extrêmement conservateur et catholique, cela demande du courage, beaucoup de courage.

    Dans ce double portrait tendre et respectueux, drôle et souvent émouvant, c’est l’histoire de toute une région, et au-delà, celle d’une France en pleine mutation que l’auteur, Etienne Davodeau, raconte.

    Souvenons-nous qu’il y a eu et qu’il existe encore une classe ouvrière, qu’elle est oubliée de la parole politique et récupérée par les plus cyniques. Il y a encore un combat à mener, des conditions de travail à faire évoluer, malgré la marche du monde. Et ce combat, des gens de peu l’ont mené. Ils avaient pourtant beaucoup à perdre. Une leçon.

    « Les mauvaises gens » a reçu le prix du public, le prix du scénario, le Grand Prix de la Critique en 2006 à Angoulême, un palmarès rêvé auquel est venu encore s’ajouter le prix France Info 2006.

    Je sors de cette lecture avec une pensée en marche, et de l’espoir. C’est assez rare pour que j’aie envie de vous faire partager immédiatement cette impression.

  • TROIS VOYAGEURS - 6/9

    Torino était passé sous contrôle de l’armée française, dans le calme. J’avisai un jeune paysan qui se rendait en ville et lui transmis un message écrit, en piémontais, à l’intention d’un frère du couvent des capucins que je connaissais bien, afin qu’il me rejoigne en marge du petit village où je m’étais réfugié. Dans la journée, je reçus la visite de Fra Angelico, un ami de mes parents, un brave homme, porteur d’habits civils propres, de nouvelles et d’une bonne collation. Je lui contai mon aventure et lui révélai donc ma mission.

    Le frère connaissait bien la ville et se proposait de me guider jusqu’à la soeur de Tomasino. Je dois dire qu’après un bon repas, une toilette soignée et des habits frais, on est un autre homme. Le sens de ma mission et son poids véritable se faisaient à présent plus cruellement sentir. Après une courte halte au couvent, mon ami me fit traverser le Pô et nous entrâmes dans Torino. En d’autres circonstances j’aurais apprécié de flâner un peu, de m’enivrer du bruit des rues commerçantes, des conversations qui trainaient sur la via dell’Academia, les rires des enfants... Les bruits de la paix, que je n’avais pas entendus depuis si longtemps. Nous fûmes bientôt dans l’ombre de Santa Christina et l’une des maisons était celle de mon ami, et donc celle de sa soeur. Fra Angelico eut la gentillesse de me proposer encore son aide, j’eus le courage de la refuser et, comme il s’éloignait, je goûtai la douceur de l’air avant de frapper, résolument.

    Une jeune femme m’ouvrit, c’était une domestique, je lui expliquai que j’étais un ami du frère de la signorina Grandini et que j’avais une nouvelle importante à lui communiquer. Le ton de ma voix devait exprimer assez de quelle “nouvelle” il pouvait bien s’agir. La jeune femme s’effaça pour me laisser entrer et se précipita dans une salle contiguë, me laissant un peu penaud dans le vestibule. La signorina apparut. Elle était très belle. Si belle. Ô, la plus belle femme que j’aie jamais vu. Le teint pâle, des yeux violet, un visage de madone aux lèvres sensuellement dessinées, le cou et les épaules finement déliés. Elle portait ce jour-là une robe pâle, couverte de dentelle. J’avais côtoyé Tomasino pendant des semaines sans me douter un instant de sa  condition bourgeoise. Enfin, devant mon air grave, elle me pria de parler en s’excusant de ne pouvoir m’accorder que quelques instants, parce qu’elle devait partir. En effet, je remarquai à ce moment là une malle de voyage toute prête. Je dus donc m’exécuter, debout dans le vestibule, face à cette créature superbe. Quelle épreuve ! Je finis tout de même par lui annoncer la mort de son frère et lui assurer que ses dernières pensées avaient été pour elle. Elle trouva appui sur la malle et secoua la tête en répétant : “Masino, Zino, mon Masaccio. je ne comprends pas...”

    Je fréquente peu la compagnie des femmes et ne savais trop que dire pour la réconforter mais, fort heureusement, elle sembla prendre le dessus et se donner assez de contenance pour paraître surmonter son chagrin. Après de nombreux atermoiements, elle me pria de souper avec elle pour me parler de son frère et prévint sa maisonnée que le départ était finalement  remis au lendemain.

    Malgré les circonstances, je dois dire que je fus reçu magnifiquement. Le souper, passé en tête-à-tête avec la plus belle femme de ma vie, fut agréable, malgré l’ombre de Tomasino qui planait au-dessus de nous. La chambre qu’on mit à ma disposition me récompensa de mes douloureuses nuits de fugitif.

  • TROIS VOYAGEURS - 5/9

    Dans l'auberge, les deux auditeurs de Theruel s'étaient approchés pour mieux écouter la fin de son récit, raconté sur le ton de la confidence. Mazetto était songeur et Ricardo s'abîmait dans la contemplation de son assiette vide. “C’est curieux, dit Mazetto, ton aventure m’en rappelle une autre où il est question de lettre, de femme, de guerre et de mort”. Et Mazetto, ayant ainsi appâté son auditoire, entama son récit :

    “J’étais engagé contre les Français, avec les Autrichiens, par idéal, et je me liai d’amitié avec deux compagnons de combat. L’un déserta dès le premier feu ; l’autre, Tomasino, mourut dans mes bras le soir de la bataille de Rivoli pendant laquelle la cavalerie française nous tailla en pièces. J’étais parmi les milliers de prisonniers, tous plus ou moins mal-en-point, rassemblés en colonnes compactes par nos vainqueurs. Je soutenais tant bien que mal Tomasino, mais le pauvre se vidait de son sang et j’avais beau réclamer des soins pour mon ami (dans un français approximatif, il est vrai), les soldats passaient, indifférents, ou me hurlaient d’avancer. Il y eut un moment où Tomasino ne tint plus sur ses jambes et où je n’eus plus la force de l’épauler. Je m’effondrai avec lui sur le talus du chemin. Il essaya de me dire quelque chose, refusant vivement l’eau que je lui proposai. Un soldat s’arrêta près de nous. Il vit mon camarade murmurer à mon oreille et, à ma grande surprise, nous laissa en paix pendant tout ce temps. Il jetait même un coup d’oeil autour de nous, au cas sans doute où surviendrait un officier. Masino eut donc le temps de me demander d’aller chez sa soeur à Turin et de la prévenir de sa mort ; il la suppliait aussi de dire une prière pour lui. Il mourut. Ma misérable situation et l’importance de ma mission m’obligèrent à taire mon chagrin. Plusieurs  jours s’écoulèrent pendant lesquels notre colonne s’éclaircit considérablement. Nous avions faim, nos gardiens et nous-mêmes, aussi il n’était pas rare que les français nous utilisent pour aller réquisitionner de la nourriture dans la campagne. Nous étions encadrés évidemment, mais tout cela se faisait avec assez de bonhomie et l’on voyait, sur les places de village, des français, des autrichiens et des italiens se partager en riant des quartiers de boeuf. Guerre étrange. Donc, au cours de ces excursions, je me retrouvai avec quatre hommes de ma compagnie qui avaient commis de nombreuses rapines et s’étaient faits une réputation de pourvoyeurs de nourriture de part et d’autre de notre étrange convoi.

    On nous avait laissés à la garde de deux soldats -seulement- parce qu’on connaissait le zèle que mettrait mes camarades à s’acquitter de leur glorieuse tâche. Comme vous pensez bien, je faussai compagnie à ce petit monde solidaire à la première occasion et pris par la montagne le chemin pour Torino. Je marchai seul pendant des jours, en toute quiétude dans ces contrées désolées et me retrouvai enfin, sale et déprimé, en vue de la plaine. Encore une journée de marche, et je verrais les tours de la grande ville.

  • TROIS VOYAGEURS - 4/9

    Durant les deux jours de marche pénible que nous fîmes ensemble, je fus frappé par l'énergie et le courage inépuisables de mon compagnon. Rien ne l'arrêtait, ni les passages escarpés, ni les villes en flammes, ni la peur de la mort et, chaque fois qu'il extirpait de ses vêtements déchirés et sales la carte froissée qui lui servait de guide, l'impatience et la rage le défiguraient. "Nous n'allons pas assez vite" disait-il en repliant la carte ; puis nous nous lancions à nouveau dans notre folle équipée. La nuit du premier jour, je l'obligeai à nous reposer un peu. Je ne pouvais plus avancer et j'avais horriblement faim. Lui voulait continuer coûte que coûte. Il m'insulta, me bouscula, mais j'en avais vraiment assez. Finalement, il parvint à se calmer et se résolut à faire un feu pendant que je cherchais de quoi manger dans une ferme abandonnée que j'avais repérée.

    Les lits de la ferme étaient accueillants mais nous ne voulions pas risquer d'y être surpris. La forêt semblait un refuge plus sûr. Je m'endormis profondément après un consistant repas. Je me surprenais à recouvrer un peu le moral après toutes les difficultés de ces dernières heures. J'avais une gibecière pleine de vivres, du pain et du vin, un bon feu, une douce nuit... et notre marche forcée nous éloignait des combats. Lorsque le comte me réveilla il faisait nuit noire et les braises rougeoyaient encore entre les pierres.

    "Allons, dépêchons, en route soldat !"

    "Je ne suis pas soldat !".

    Le comte ne releva pas ma remarque et m'expliqua que, attiré par un bruit d'équipage, il s'était approché discrètement de la ferme et y avait surpris deux cavaliers, deux mercenaires dont l'un était blessé, se réfugiant dans la bâtisse. Selon lui, ils avaient fait l'erreur que nous n'avions pas commise. C'était l'occasion de se procurer deux montures pour  filer au plus vite vers Toffoli : toujours cette obsession d'arriver à l'heure à son rendez-vous. Nous pourrions ainsi y être au petit matin et rattraper le retard "causé  par (ma) fatigue".

    Je suis un voyageur, un peu aventurier certes, mais voler un cheval à des mercenaires ne me disait rien. Je lui signifiai que notre collaboration ne pourrait se prolonger. Il m'injuria, bien sûr, me traîta de lâche et d'ingrat, tout prêt à en découdre avec moi pour me faire entendre raison. Enfin, plus pressé que résigné, il m'abandonna pour courir vers la ferme. "Si vous la connaissiez..." me lança-t-il en disparaissant. Un peu plus tard, alors que, trop énervé, je tentais de retrouver le sommeil, j'entendis des hennissements, une cavalcade, puis le silence. Je pensai avec un brin d'attendrissement à cet amoureux fou et m'endormis. Le lendemain matin, tout cela me semblait un rêve vague. Je me glissai furtivement jusqu'à la bâtisse pour découvrir les deux mercenaires enfourchant leur monture, laissant derrière eux, au milieu de la cour, le cadavre de mon comte trop pressé.

    Je fouillai ses habits pour savoir s'il avait un proche, un parent à prévenir, et trouvai la carte, de l'argent et une lettre pliée. C'était un billet d'amour signé "Ta douce", un rendez-vous galant, donné à Toffoli, pour le jour même, à midi. A midi, je posai une croix improvisée sur la tombe de fortune du comte Salina, mort par impatience."

  • TROIS VOYAGEURS - 3/9

    Je me demandais ce que je faisais là et ce qu'il allait advenir de nous lorsqu'une main se pose sur mon épaule. C'était un homme de quarante ans, un italien. Il m'adresse le premier sourire de cette terrible journée et m'attire dans un coin.

    "Tout-à-l'heure, je vous ai vu traverser les lignes pour nous rejoindre. J'attends une lettre de la plus haute importance. Je suis le comte Salina. Peut-être êtes-vous mon messager ?"

    Je le détrompai, et lui expliquai les péripéties qui m'avaient conduit ici. Le comte hocha la tête. Il avait l'air furieux.

    "Alors, il faut que j'aille à Toffoli, il le faut. J'ai assez attendu." Il jeta un regard circulaire à la foule blottie sous la dérisoire protection des balcons.

    "Si vous êtes aussi peu concerné que moi par ces combats, et si vous voulez être en vie demain, aidez-moi à fuir la ville."

    Sur l'instant je n'ai pas trouvé curieux qu'un homme, apparemment impliqué dans la défense de la ville, et attendant un message de l'armée, puisse se dire "peu concerné" par les combats qui avaient massacré bon nombre de ses concitoyens ; alors j'ai acquiescé.

    Et nous voilà tous les deux, abandonnant les pauvres gens à leur sort, zigzaguant à travers la mitraille qui se rapprochait, à la recherche d'un attelage abandonné. Le trouver était facile, mais maîtriser les chevaux affolés... Bref, j'y parviens et le comte s'empare des rênes au moment où, comme par magie, le bombardement cesse, laissant place à un silence terrible. "Ils vont charger" dit-il et il lance la carriole à travers les rues de la ville.

    Comment sommes-nous sortis de là, je ne sais pas, mais je me souviens de la fureur et de la hargne du comte, aux commandes de l'attelage. Il hurlait, rageait, insultait les bêtes, tirait avec tant de force sur les guides qu'il semblait lui-même faire tourner la voiture. J'observais mon compagnon de fortune, fasciné : son visage était un masque de haine et de colère formidables, ses yeux avaient un éclat magnétique qui m'ôtait toute énergie. Notre carriole se trouva bientôt au milieu d'une large rivière. Les chevaux épuisés par notre course démente se laissèrent mourir en touchant la rive opposée. Derrière nous, une clameur lointaine s'éleva de la ville en flammes.

    "Le sac a commencé" dit le comte, sans exprimer la moindre émotion.

    Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai commencé à le détester. J'avais une dette envers lui : il m'avait sauvé la vie certainement, mais je lui demandai de m'en acquitter immédiatement. Le comte retrouva son sourire aimable et posa sa main sur mon épaule. "Je dois me rendre à Toffoli, rejoindre celle que j'aime. Pour moi, rien n'est plus important que cela. Je vous demande seulement de m'accompagner, mon rendez-vous se trouve à moins de vingt lieues d'ici. Je vous laisserai ensuite, avec de bonnes pièces d'or pour continuer votre voyage. Qu'en dites-vous?”

    Evidemment, rien ne me retenait, et pourquoi ne pas aller dans cette ville que je ne connaissais pas ? J'acceptai.