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  • Incinéré ou enterré ?

    Je suis depuis longtemps partisan de l'incinération des corps (après la mort, je souligne : on ne sait jamais. Qu'on ne me prête pas d'intentions malsaines), comme beaucoup d'entre nous. Une certaine poésie de la dispersion des cendres, une humilité en réaction à la prétention de corps qu'on essaie de conserver relativement intègres le plus longtemps possible, l'argument humaniste de "laisser la place pour les vivants", tout cela entrait dans mes convictions.

    Depuis peu, je m'interroge. Non pas que mon avis ait changé quant aux critères ci-dessus, mais un fait majeur a imposé que je revisite ces certitudes : le réchauffement climatique. Soudaine considération d'effets et cause sans doute disproportionnée, mais je me demande aujourd'hui s'il n'est pas extrêmement vaniteux de faire consommer X litres de carburant pour satisfaire une vision surtout romantique, dont je n'aurais manifestement plus rien à cirer à l'heure de l'opération.

    Il faut beaucoup d'énergie pour faire brûler un corps (relativement gras qui plus est, si je poursuis pendant les années qui me restent à vivre, ma déplorable tendance à l'embonpoint que seule ma compagne trouve à peu près seyante), aucune pour enterrer un corps. Pour la place, il se trouve que dans mon cas particulier, ma famille bénéficie d'un caveau. On me fera donc une petite place auprès de mes aïeux. Je promets de ne pas exiger de mausolée. Mon enterrement n'empiètera donc pas sur le domaine des vivants plus qu'une incinération.

    J'en suis là de mes réflexions. Je me laisse du temps pour me décider. Disons jusqu'à ma mort. Je vais tâcher d'avoir un témoin lors de mon dernier souffle, si jamais je suis enfin déterminé : "En terre... AArgfh."

  • Premiers retours des éditeurs

    Premier retour d'UN éditeur, plus précisément.

    J'avais dit que je vous tiendrais au courant. Retour de chez Grasset ; négatif bien sûr. La lettre habituelle "votre livre ne correspond pas à notre ligne éditoriale", réponse faite en tel nombre qu'ils ne se donnent même plus la peine d'insérer le titre du bouquin dans un espace préparé à cet effet. Normal, je connais. Ma douce était très déçue. Ce qui m'a fait rire "Faudra t'habituer, parce que ce n'est qu'un début." En tout cas, ça me donnera le sujet d'autant de billets de Kronix, pour tenir ma promesse.

    Allez, on passe à autre chose.

  • Grenelle de l'environnement

    Une insomnie, et je me retrouve à écouter les discours de Sarko.

    Quand il fait un truc bien, j'ai toujours été d'accord pour le saluer. Je le salue : discours de conclusion après le fameux "grenelle de l'environnement".

    Cela dit, il y a des choses... Quand il parle de ne coller les éoliennes que sur les friches industrielles... je pouffe devant pareille aberration (il y a déjà si peu de "couloirs" de vent utilisables en France ; trouver pile une friche sur le passage...) ; quand il postule l'équivalence d'investissement dans la recherche entre nucléaire et énergie renouvelable "1 euro pour le nucléaire, 1 euro pour les énergies renouvelables", alors qu'un retard énorme a été pris dans la recherche des deuxièmes... Je pouffe aussi.

    Sur les OGM aussi, je ne suis pas sûr qu'il parvienne à résoudre les contradictions entre principe de précaution et directives européennes. Quant à la baisse de la facture énergérique de 40 % pour les ménages d'ici 2020... C'est dit sans tenir compte des privatisations en chaîne que Sarko prône par ailleurs.

    Mais, à part ça... un bon point. Sincèrement.

  • Paranoïd Park

    de Gus Van Sant

    8a06e06a1910230146d98423006c1863.jpgOn a beaucoup glosé sur la capacité du réalisateur d'Elephant à explorer la psychologie de l'adolescence. Mais dans Elephant, la forme sophistiquée du récit établissait comme un exercice parallèle, presque manifeste, de l'argument dramatique qui lui servait de support.

    Il m'a semblé que Paranoïd Park était la version affinée et aboutie -mais aussi finalement plus sincère- d'Elephant. La maîtrise formidable, l'élégance de la forme, sont à l'exact unisson du sujet et de l'interprétation. L'isolement cotonneux de l'adolescence est traduit par quantité de moyens formels (profondeur de champ, ralentis, bande-son, trucages...) qui sollicitent plus que les souvenirs : les sensations de ce temps de nos vies. Comment est-il perçu par les adolescents eux-mêmes ? J'ai entendu des rires gênés dans la salle, venus des rangs où s'étaient installés justement les clones des acteurs à l'écran, et quand les lumières de la salle se sont rallumées, quelques échanges décontenancés sur la morale douteuse de la fin (formatés comme ils sont, il leur fallait une résolution coutumière : l'arrestation du meurtrier. Car il s'agit accessoirement d'un polar). C'est une erreur de croire que Paranoïd Park est adressé à ce public.

     

  • Les amours d'Astrée et de Céladon

    d'Eric Rohmer

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    Rohmer connaît les principes de l'envoûtement. C'est patent dans chacun de ses films ; Rohmer est un sorcier. Chaque fois, la magie opère : toujours, une image, un plan, un moment parvient à faire oublier ce que, dans notre inculture cinéphilique, nous prenons abusivement pour des faiblesses, habitués à l'efficacité que nous sommes. Rohmer n'est pas efficace, il se balade dans son oeuvre, filme placidement les drames et les bonheurs, sans s'émouvoir, et sans nous demander si ça nous plaît.

    Ainsi, tente-t-il peut-être, avec l'Astrée, de récidiver l'exploit de nous plonger dans l'univers d'une littérature méconnue, comme il le fit avec Perceval le Gallois (Luchini à ses débuts, grotesque et subtil à la fois), et, comme toujours avec Rohmer*, malgré la pauvreté de moyens, l'indigence des décors, le professionalisme bridé des acteurs, la terne sobriété des plans, le ridicule antédiluvien des situations, le raccourci opéré dans l'oeuvre monumentale d'Honoré d'Urfé, l'absence de rythme), on se prend au jeu et l'histoire se met à fonctionner, à suivre son flux naturel. En l'occurence, on suit les aventures absurdes de Céladon. C'est peu dire que les engagements et la vision de l'amour ont changé depuis Honoré d'Urfé. Le décalage est énorme, et je dois dire qu'on pouffe. On pouffe beaucoup. On en a marre de pouffer, parfois. Mais Rohmer n'a pas cherché à être plus malin que l'original, il a imposé le premier degré. Céladon et l'Astrée sont un peu cons ? Ben oui, c'est la façon précieuse et baroque (le XVIIè) de voir l'innocence de l'amour, alors...

    Cependant, tout de même, refaire deux ou trois plans manifestement ratés (les "nymphes" qui descendent un talus en regardant obstinément où elles mettent les pieds pour ne pas s'entraver dans leur jupe, une robe qui se soulève laissant apparaître une grosse culotte noire de maintien...) n'aurait pas nui à la tenue de l'ensemble.

    Enfin, on aura noté le visage remarquablement beau d'Andy Gillet (Céladon).

    Kronix ne reculant devant aucun sacrifice vous offre (mais oui), LE NUMERO DE TELEPHONE DE L'ACTEUR : 01.43.17.33.00. Alors les filles, on dit merci qui ?

     

    * (excepté la marquise d'O)

  • 06, et après...

    Un de mes potes recevait sur la messagerie de son nouveau portable (anonyme longtemps, il ne s'était pas occupé de la personnaliser, ce qui donnait : "Orange sfr, bonjour, vos êtes en relation avec le répondeur du 06..."), la logorrhée exutoire d'une femme inconnue, l'accusant d'être le dernier des salauds et de s'être barré lâchement, suivaient en général toutes sortes de vociférations qui saturaient le haut-parleur. Il s'empressa de personnaliser sa messagerie, en énonçant clairement son nom, de façon à avertir toute méprise. Ce qui fut efficace.

    L'autre jour, souhaitant dire mon soutien à un ami dont un parent venait de disparaître, j'appelle sur son portable, laisse un long message pathétique et affectueux. Le soir-même, ma compagne cite par hasard le numéro de l'ami en question : nos agendas différaient. On avait donné l'ancien numéro de mon ami à quelqu'un d'autre qui, hier, dut être très surpris qu'on lui apprenne la mort d'un parent, et qu'on lui exprime des condoléances attendries.

    Il devrait y avoir un système prévenant des changements d'attribution des numéros de portable, changements tellement plus fréquents et rapides que pour les fixes. Les modalités sont à inventer, mais ça éviterait ce genre de mésaventure. Je dis ça...

  • le baiser de la mort

    Vite passée dans le fourmillement médiatique -mais néanmoins assez largement relayée- cette information, ce fait divers qui fustigea une visiteuse de musée à Avignon, artiste elle-même, tellement enamourée d'un tableau de Twombly, qu'elle y posa les lèvres.

    Une trace de rouge à lèvres, le peintre s'est dit "horrifié" (connard), et voici un procès exemplaire.

    Je travaille dans un musée, au contact permanent des oeuvres. Je peux vous dire qu'une telle agression, immédiatement repérée, vite nettoyée par un restaurateur, malgré la nocivité des graisses qui constituent le rouge à lèvres, n'a rien de catastrophique.

    La vandale va sûrement (je n'ai pas suivi l'affaire jusqu'au bout) écoper d'une méchante amende. L'exemplarité, toujours.

    J'ai pour ma part toujours en tête la destruction par des paysans enragés du parlement de Bretagne en 1994. Une merveille architecturale, avec ses tableaux, ses tapisseries (la plupart sauvées mais tout de même...), des sculptures, ses plafonds, ses ors... Un procès ? On cherche les coupables ? Non. Et notre hyperprésident -à l'époque où il ne traitait pas encore les bretons de connards- qui s'empresse même de bénir les incendiaires, en disant qu'il les comprend. Il n'a jamais compris la colère des pyromanes de banlieue, par contre.

    Je ne m'énerve pas, j'explique.

  • Quel Môquet ?

    Grâce à contre-journal, la mise en ligne de ce petit poème de Guy Môquet, trouvé sur lui le jour de son arrestation. A votre avis, pourquoi Sarko n'a-t-il pas demandé plutôt qu'on lise celui-ci à l'école ?  

    « Parmi ceux qui sont en prison
    Se trouvent nos 3 camarades
    Berselli, Planquette et Simon
    Qui vont passer des jours maussades

    Vous êtes tous trois enfermés
    Mais patience, prenez courage
    Vous serez bientôt libérés
    Par tous vos frères d’esclavage

    Les traîtres de notre pays
    Ces agents du capitalisme
    Nous les chasserons hors d’ici
    Pour instaurer le socialisme

    Main dans la main Révolution
    Pour que vainque le communisme
    Pour vous sortir de la prison
    Pour tuer le capitalisme

    Ils se sont sacrifiés pour nous
    Par leur action libératrice
     

    Et aussi, pour mieux comprendre comment Sarko utilise l'histoire en la pervertissant : http://cvuh.free.fr/spip.php?article82, comment se discours sont une déclinaison des fantasmes barrésiens où l'instinct du peuple est une protection contre le défaitisme des intellectuels (l'intellectuel : figure en pointe de la représentation du mal, déjà bien exploitée par Raffarin), comment enfin Sarko s'inscrit dans la ligne réthorique de la droite nationaliste la plus dure, celle de Vichy.

  • Et toujours la nausée...

    (extrait d'un communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme - Limoges) 

    Mercredi 17 octobre 2007, le Réseau Education Sans Frontières de Haute Vienne organisait une conférence de presse à la Maison des Droits de l’Homme de Limoges. Il s’agissait de dénoncer l’indignité à laquelle en ont été réduite des jeunes filles obligées de se soumettre à un examen de puberté.

    Depuis plusieurs années, les autorités administratives et judiciaires avaient pris pour habitude de présumer coupables des jeunes étrangers arrivant à Limoges et en possession d’un titre d’état civil indiquant un age inférieur à 18 ans. Ainsi le parquet de Limoges décidait d’utiliser des compétences médicales en astreignant ces jeunes mineurs à devoir passer une radio des os. A plusieurs reprises, des jeunes mineurs ont été poursuivis pour faux et usage de faux avec pour seule pièce à l’appui, le rapport d’un médecin concluant que la personne était probablement majeure.

    Cependant, plusieurs fois, le Tribunal de Grande Instance de Limoges et la Cour d’Appel ont renvoyé les autorités locales dans les cordes en se déclarant incompétents. Par cette prise de position, ils ont clairement signifié que les tests osseux, avec une marge d’incertitude qui peut atteindre les 18 mois, ne permettaient pas d’établir juridiquement l’âge de la personne.

    Loin d’avoir renoncé, dans ce harcèlement judiciaire, la justice n’hésite plus depuis quelque mois à demander à un médecin de procéder à un examen de puberté pour tenter d’établir l’âge de la personne. Il faut imaginer la situation subie par ces deux jeunes filles à Limoges en étant contraintes à un examen dont le seul but était d’établir un rapport médical destiné aux juges. Il faut dire que les éléments figurant dans le rapport comme la description du "système pileux" ou du "sexe" constituent plus un outrage voire une humiliation pour la personne jugée qu’un élément judiciaire probant.

    Ces faits sont aussi à remettre dans le contexte actuel où le gouvernement tente de faire adopter un texte de loi sur les tests ADN. Tout cela s’inscrit dans des pratiques qui visent de plus en plus à instrumentaliser les techniques de la médecine pour en faire des armes contre les êtres humains. On peut surtout s’inquiéter que le rejet de l’étranger se traduise ainsi dans les faits.

  • La douleur des autres

    En ce moment, mes amis souffrent. L'un m'adresse des messages de douleur auxquels je n'ai pu répondre qu'avec un retard coupable (quoiqu'argumenté), un autre divorce pour la deuxième fois et demande au contraire un peu de temps et de distance pour retrouver un entrain dont il se fait une exigence de politesse, un autre encore se morfond dans un hôpital, à moitié paralysé par une attaque cérébrale, enfin, une personne que je connais bien s'inquiète pour sa santé au vu de récents examens... Et je sais que d'autres, qui me sont moins proches, trimbalent leur peine quotidienne sans que j'en sache rien. En fait, je me rends compte que l'approfondissement des relations, le contour des amitiés les plus riches et les plus intimes, sont une confrontation à la douleur des autres. L'amitié dépasse un certain degré de complicité lorsque nous sommes confirmés dans le rôle du soutien aux souffrances des autres. Partager de bons moments, rire ensemble, s'éclater", c'est aussi l'amitié, mais c'en est la face la plus dérisoire, et la moins tangible.

  • De l'origine des dieux

    Bernardino de Sahagun (1500-1590). Traduit par Michel Butor (excusez du peu).

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    De Sahagun est arrivé en Nouvelle Espagne (le Mexique) en 1529. Il entreprit de collecter les légendes du peuple indien et toute sorte de documentation sur les peuples d'avant la conquête. Après avoir transcrit les témoignages, il en réalise une version en langue nahuatl, puis en espagnol. Son travail est resté clandestin, réservé aux prêtres agréés, pendant plus de deux siècles. De Sahagun semblait être animé d'une passion pour les peuples dont il recueillait l'histoire, autrement appelée à disparaître avec ses derniers représentants.

    Ce petit opuscule, traduit par Michel Butor, est constitué d'extraits de l'oeuvre énorme de De Sahagun (12 livres), mais recèle suffisamment de trésors pour justifier que je vous mette l'eau à la bouche. Il y est conté en partie l'histoire de Quetzalcoatl, le serpent à plumes.

    On apprend ainsi que Serpent-à-plumes séduisit la fille du seigneur Huemac, en se pointant nu au marché, vendre des piments verts. La jeune fille remarqua la virilité (sûrement assez spectaculaire) du héros (une sorte de demi-dieu, à la manière d'Hercule) et n'en dormit plus, jusqu'à ce que son père inquiet lui demande la source de son trouble, et qu'elle le lui avoue. Ni une ni deux, le papa, pour apaiser sa fifille toute émoustillée, fait chercher le bougre et en fait son gendre. Le récit décrit encore nombre d'aventures du héros, curieusement préoccupé à imaginer des blagues, meurtrières pour nombre de ses compatriotes toltèques. A tel point qu'on se demande pourquoi, lorsque Serpent-à-plumes décide de voyager et de partir au-delà de l'océan, vers Tula la rouge, le peuple le regrette aussi vivement. Cet exil volontaire de Quetzalcoatl sera, rappelez-vous, l'origine de la prophétie de son retour et causera la fin de l'empire aztèque lorsque, des siècles plus tard, Cortez débarqua et fut pris par Moctezuma, pour Serpent-à-plumes (via l'entremise d'une femme du pays, victime avec sa tribu, de la violence des maîtres aztèques. Mais c'est une autre histoire).

    Chronique un peu rapide, il y aurait encore des milliers de choses à dire, mais elles ressortiront à l'occasion, je vous assure...

  • Flagrant délit

     

    8c907ceedb5d38da5a4a931eae869fc5.jpgAndré Breton surprend toujours ! Même un petit fascicule, acheté au hasard de l'étalage d'un bouquiniste, dépasse par l'intérêt de son contenu, les promesses que vous vous délectiez de faire.

    Il y eut, en 1949, qui s'en souvient ? Une affaire de la "chasse spirituelle", qui permit de déboulonner quelques censeurs convaincus de leur science, quelques experts auto-proclamés, et qui donna à Breton l'occasion d'acérer sa plume à l'acier de ses meilleurs élans de révolte. Ce pour quoi il n'était pas nécessaire de beaucoup le pousser, d'ailleurs.

    La "Chasse spirituelle" est un inédit soudain réapparu de Rimbaud. En 1949, des extraits d'un livre à paraître au "Mercure de France", furent publiés dans la revue "Combat". Breton lut, intrigué. Immédiatement convaincu d'avoir affaire à un faux, il acheta néanmoins le livre pour parfaire son opinion. Définitivement sûr, il écrivit au chroniqueur littéraire de la revue et la polémique commença. Elle enfla dans des proportions drôles et terribles jusqu'au moment où deux comédiens, jadis éreintés par la revue Combat, révélèrent la supercherie : ils étaient les auteurs du pastiche.

    « Flagrant délit » est un pamphlet écrit par le maître du surréalisme, pour faire le point sur l'affaire, et régler leur compte aux critiques inconséquents qui avaient cru reconnaître dans ce style maladroit, des éclats rimbaldiens suprêmes.

    A la suite de ce texte réjouissant, Jean-Jacques Pauvert a eu l'excellente idée d'ajouter les correspondances nées de la polémique entre Breton et les critiques, ainsi que deux textes de Breton sur la peinture réaliste-socialiste, qu'il lamine avec une rigueur et une humanité délectables.

    Je pense que c'est plus ou moins introuvable (imprimé en 1964) autrement que chez des bouquinistes spécialisés. Tant pis pour vous ! Ehe he he...

  • L'émotion rend service à Sarko. Luttons avec la raison

    De la part des enseignants du lycée-collège Carnot, que fréquentait Guy Môquet
       

        Elu président de la République, Nicolas Sarkozy a décidé de faire commémorer dans toutes les écoles de France la mémoire de Guy Môquet, jeune lycéen arrêté en octobre 1940 par la police française et fusillé par l’armée d’occupation le 22 octobre 1941 avec 26 de ses camarades communistes. Voulant ne retenir que son attitude de courage et d’abnégation devant la mort, instruction a été donnée à tous les enseignants de lire à leurs élèves, le 22 octobre 2007, la lettre adressée par Guy Môquet à sa famille peu avant son exécution. Ils sont en outre invités à célébrer dans leur classe les « valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui font la force et la grandeur de notre pays et qui appellent le sens du devoir, le dévouement et le don de soi [...] et les valeurs de courage et d'engagement ». 
        En tant qu’enseignants, nous refusons d’obéir à cette injonction, aussi louable puisse-t-elle paraître sur un plan moral et émotionnel. Et devant l’annonce du président de la République de venir accomplir cette cérémonie commémorative dans notre établissement qui fut aussi celui de Guy Môquet, nous voulons expliquer les raisons de ce refus aussi simplement et aussi précisément que possible.

        Enseignants à Carnot, nous connaissons de longue date cette histoire singulière ; et nombre d’entre nous considèrent de leur devoir ou plus simplement de leur fonction éducative d’expliquer à leurs élèves pourquoi le hall de leur établissement porte le nom d’un jeune homme dont la mémoire fut longtemps inconnue voire oubliée, hors de la tradition communiste. Mais l’évocation de cette histoire s’inscrit pour nous, comme d’ailleurs pour tout enseignant, dans la transmission d’un programme ordonné des connaissances historiques sur cette période, de même qu’elle s’accompagne d’une réflexion critique sur les constructions de mémoire, sur les obéissances aveugles et sur les formes de résistance à l’oppression.

        Comme enseignants, nous avons d’abord et essentiellement à expliquer, à mettre en perspective, à éclairer les zones plus obscures de la mémoire collective qui a tendance à déformer ou à transformer les réalités historiques, y compris pour les réduire, les simplifier, les falsifier ou les instrumentaliser dans un sens ou dans un autre. Pas plus que notre enseignement sur Guy Môquet ne consistait jusqu’ici à exalter ou à condamner son appartenance politique et son statut de résistant, pas plus il ne nous semble aujourd’hui historiquement juste et moralement acceptable d’en réduire l’itinéraire à une leçon de morale édifiante dictée par le seul désir ou le seul calcul du chef de l’exécutif de notre pays. Notre travail d’enseignant n’est pas de renchérir sur des constructions qui magnifient, arrangent, voire manipulent la réalité historique aux fins de masquer les méandres de l’histoire réelle ou aux fins de glorifier, dans une pure contagion émotionnelle, la valeur héroïque et sublime d’une attitude indéniable de courage devant la mort.

        Or, en nous enjoignant de lire à tous les élèves cette lettre simple et poignante d’un jeune homme à sa famille alors qu’il va être exécuté, c’est exactement ce geste de commande émotionnelle qu’on nous demande de faire. Cette injonction relève expressément de la volonté de construire une morale d’Etat dont les enseignants seraient chargés de porter la bonne parole d’autant plus impérieuse qu’elle ferait communier la nation enfantine dans un recueillement fusionnel présenté comme indiscutable, sous peine d’être taxé d’esprit « anti-patriotique ». Contrairement à ce qu’ont pu dire ou écrire certains publicistes, il ne s’agit pas de prétendre que l’enseignement exclut par principe les sentiments et les émotions, et que c’est cette dimension « émotionnelle » qui effraierait les enseignants que nous sommes, trop méfiants à cet égard, trop « intellectuels » comme on dit parfois avec une curieuse insistance. Nous n’avons pas à nier ni à refuser toute dimension émotionnelle, mais nous savons aussi qu’il est très facile, à l’évocation des violences et injustices extrêmes de l’histoire, de faire communier élèves et adultes dans les pleurs, sans apporter pour autant le moindre élément de connaissance ni de compréhension du passé.

        Comme le rappelait l’un d’entre nous dans une tribune rendue publique, seul le cadre d’un enseignement structuré et réfléchi permet d'aborder la complexité de l'histoire en résistant à sa caricature, voire à son déni pur et simple dans une construction idéologique qui ne conserverait que des gestes héroïques déliés de toute épaisseur historique. Cette cérémonie d’édification morale à laquelle on nous enjoint d’apporter notre concours d’enseignants ne correspond en rien à l'idée qu’on est en droit de se faire d'un service public et laïque d'éducation nationale ; elle tend bien davantage à instrumentaliser cette mission pour mener une stricte opération de communication politique d’autant plus détestable qu’elle se couvre de manière insistante d’un manteau de grandeur morale.

        Il ne s’agit donc pas d’opposer une mémoire à une autre, une idéologie à une autre, mais de rappeler sans faux-fuyants que notre mission d’enseignants n’est pas d’être des prêcheurs de morale officielle, même si nous sommes aussi des éducateurs au sens plein du terme comme le rappelait le président de la République dans sa récente « Lettre » aux enseignants. Par conséquent, nous demandons que le ministre de l’Education nationale applique avec clarté et simplicité la volonté réaffirmée dans cette lettre de « laisser aux professeurs le libre choix de leur pédagogie » (Nicolas Sarkozy,  Lettre aux éducateurs, p. 28). Forts de cette « confiance » qui nous est reconnue du fait de notre statut et de notre mission institutionnelle, nous savons et saurons user de notre « capacité de jugement » pour solliciter en cours les documents que nous jugeons appropriés à l'étude réfléchie des programmes que nous avons la charge d’enseigner. C’est le meilleur usage de la « valeur de liberté » pédagogique qui est précisément la nôtre, seule justification de notre métier comme le rappelait encore cette « Lettre ». A moins que les mots utilisés en la circonstance par le président de la République ne soient précisément que des mots de circonstance, aussi vite oubliés que proférés — ce que nous nous refusons à croire.

        C’est pourquoi nous serons présents ce lundi 22 octobre devant le lycée Carnot, non pour obéir à une injonction qui n’a rien à voir avec notre travail d’enseignants, mais pour exprimer notre volonté de poursuivre sereinement ce travail de transmission des connaissances et de réflexion sur les valeurs, loin de l’agitation médiatisée et de la récupération politicienne dont la commémoration de la mémoire de Guy Môquet n’est aujourd’hui que le triste prétexte.

  • Deuil intransmissible

    Il y a des concepts qui ressortissent de notre histoire personnelle de façon tellement intime qu'ils restent à jamais intransmissibles. Je me suis ainsi résigné à ne pas savoir faire partager aux autres le deuil que je porte de la disparition des néandertaliens. C'est ainsi, il a bien fallu que je m'y fasse, mais je ne peux que regretter l'indifférence de mes interlocuteurs lorsque, mobilisé par une émotion réelle, j'essaie d'expliquer la tristesse dont nous devrions tous être submergés en pensant à la disparition de l'homme de Néandertal.

    Et, au fait, moi, pourquoi m'émeus-je de cela ? C'est que, il y a 28 000 ans (l'an dernier, j'aurais écrit 50 000, mais de nouvelles découvertes... Bref), disparaissait la seule AUTRE espèce humaine. Comprenez-vous ce vertige ? Une AUTRE ESPECE HUMAINE... Avec une pensée, une culture, un langage, des rites, une compréhension autre, dont nous sommes aujourd'hui -j'en suis certain- en manque. Ils nous manquent, nos frères néandertaliens, nous en sommes orphelins sans espoir de chance nouvelle. Il fut un temps où sur le globe, deux espèces humaines se côtoyaient. Cela seul me donne le vertige.

    Ils seraient encore là, nos frères néandertaliens, quelles fautes nous auraient-ils empêché de commettre, quelles idées nous auraient-ils aidé à réaliser, quel souci de l'autre nous obligeraient-ils à avoir ?

    Bien sûr, vous n'avez pas tenu en main une pointe levallois ou un racloir moustérien, alors vous ne pouvez peut-être pas comprendre le frisson qui parcourt l'échine de qui touche du doigt la trace manifeste d'une autre intelligence. Ce que devrait ressentir le premier homme qui saisira l'objet abandonné par quelque extraterrestre, je suppose.

  • Malaise dans les musées

     

    Jean Clair, grand conservateur de musées, spécialiste de l'histoire de l'art éminent et commissaire de plusieurs expositions à succès, fait le point sur la logique muséale aujourd'hui. Au terme d'un livre subtil et impitoyable, sa conclusion sans appel est que l'histoire des musées, qui aura duré deux siècles : de la révolution à nos jours, s'achève aujourd'hui.

    f7014ec0039df5c36c596e9c1395bd3d.jpgLes premiers chapitres, malgré toute l'affection que je porte à cet auteur remarquable et à ses capacités d'analyse, m'ont quelque peu agacés. Jean Clair y fait le constat atterré de l'art dévoyé, détaché de ses origines cultuelles, depuis que les musées en font une série d'images culturelles, propices aux visites décérébrées du tourisme de masse. Le culturel, voilà la fatalité : le cultuel, le sacré est perdu, les oeuvres nées de cette confrontation avec le divin ont perdu leur sens, des madones de Raphaël aux masques bambaras exposées quai Branly, les objets de culte, devenus objets d'art, ne résonnent plus dans le coeur discipliné des foules en extase, que par écho d'un a priori culturel. Clair regrette que les oeuvres soient ainsi livrées aux masses, aux peuples hébétés qui piquent un cent mètres au Louvre pour aller voir La Joconde, parce qu'on leur a dit que c'était beau. Les élites seules savent, les élites seules devraient avoir accès, elles qui peuvent goûter, comprendre, aimer une oeuvre dans toutes ses dimensions, et pas seulement en tant qu'icône du temps.

    La démonstration est par contre enthousiasmante sur les dérives des musées aujourd'hui et sur, aboutissement absurde de cette dérive commerciale, le louvre d'Abou Dabi. Quelles oeuvres, quelle logique scientifique dans un pays que les nus offusquent, quelle image d'un musée de France, perdu au milieu d'un lunapark des sables, entre un golf, un hôtel de luxe et des attractions abrutissantes ? Comment en est-on venu à faire entrer la logique commerciale (louer des tableaux, louer la « marque » louvre comme un logo, et pour même pas cher : 1 milliard d'euros pour 30 ans) dans la politique culturelle de notre pays, au mépris même de la loi (où il est dit que le patrimoine ne peut pas faire l'objet d'une cession à caractère pécuniaire) ?

    Tout cela parce que la France devait absolument vendre des armes à la famille royale des E.A.U. (une première encore : on loue des oeuvres à des particuliers désormais), et la location d'un louvre (il perd aussi sa majuscule), faisait partie de la corbeille de mariage, pour faire bonne mesure. Les collections, patiemment constituées par des générations de conservateurs et de donateurs, aujourd'hui utilisées comme argument commercial.

    Dire que pendant la guerre, des hommes ont risqué leur vie pour que des tableaux ne tombent pas aux mains des nazis. Nos élites (sous la gouvernance Chirac), complotant entre économistes, sans demander leur avis aux experts et aux conservateurs, ont réussi à faire pire. Cela, Jean Clair ne le dit pas. Permettez-moi de dépasser sa pensée. Mais j'enrage.

  • Régimes spéciaux

    Réformer les régimes spéciaux ? D'accord. Mais on commence par qui ?

    Merci à Hector pour l'info :

    http://www.dailymotion.com/video/x329rf_elus-le-regime-special

  • Manu

    Il faisait beau. Une marche agréable en prenant le chemin de la maison. Devant moi, la silhouette d'un type que je connais un peu. Il promène un landau. Manu. Je le vois là en père de famille rangé, rasé de près, retournant sagement chez lui. Manu, que j'ai connu il y a vingt ans, jeune chevelu rougissant, mélange de furie anarchiste et de froideur méfiante. Surtout détonateur en explosions textuelles. Les murs de l'atelier où il travaillait affichaient les aphorismes sortis sans prévenir de son cerveau fécond.

    Pardon, mais 20 ans plus tard, je ne me souviens que de ces deux-là :

    "Fumer provoque le bélier" et "le tabac nuit de la pleine lune".

    Tous les autres, tous ceux que j'ai oubliés, mais qui me faisaient rire, étaient de cette même eau, poétique et drôle.

    Est-ce qu'il continue, Manu, tandis que son bébé vagit dans la poussette qu'il entraîne chaque soir de beau temps, à produire de ces assertions dérisoires et bidonnantes ?

    Sûrement, sûrement. On ne se défait pas comme ça de la bénédiction de créer.

  • Affligeant

    Lui, il ne sait pas... Il se trouve que plus de la moitié du public non plus.

    Foucaud reste calme. Foucaud est grand.

    Dire que Giordano Bruno a été brûlé pour avoir répondu juste à la question. Des fois...

  • Quelques mois d'octobre

    Ce matin, tandis que je descendais la rue pour me rendre au travail, mon regard avait enregistré le titre du fait divers, placardé devant les magasins : "un enfant de 14 ans se suicide". Le quotidien de la presse quotidienne me dis-je, une tristesse de plus sous le ciel de notre ville. Les matinales sordides avec lesquelles, vaille que vaille, nous composons. Je me rendais au travail, l'esprit déjà occupé par des futilités professionnelles.

    Plus tard dans le matin, JW est passé me voir, pâle. Il avait mal dormi ; il n'avait pas dormi. Il m'a raconté. Le gamin de 14 ans, il le connaissait. Il savait beaucoup de choses sur cet enfant, il savait son nom, son visage, sa voix, la façon dont il marchait et la couleur de son regard. Il savait le détail de sa dernière journée, jusqu'au moment mystérieux, invisible, abyssal, où le gamin s'est avancé tout seul, loin des autres, loin de ses copains et de sa famille, se foutre une balle dans la tête.

    A 14 ans. Une balle dans la tête.

    Après le passage de JW au bureau, repris par le silence des objets millénaires qui veillent sur moi, je me suis assis face à l'écran. J'ai même recommencé à travailler. Et puis, soudain, l'air s'est mué en une pâte de tristesse irrespirable. La douleur de JW m'a soudain traversé, j'ai senti un froid de lame planté dans l'échine. J'étais accablé. La journée s'est poursuivie pourtant. Les enfants du même collège que le gamin, ont visité une exposition, leur prof d'art plastique parlait, les oeuvres aux murs souriaient de leur immuable façade de couleurs, la ville dehors poussait son flot d'âmes vers le soir. Je suis parti plus tôt que d'habitude.

    Le petit n'aura vu que quatorze mois d'octobre, et même pas.

    Que m'a dit JW, ce matin, en me quittant ? Il m'a dit "la vie va reprendre ses droits". Voilà, c'est vrai. C'est irrépressible. La vie est là, elle nous arrache aux larmes et à l'attendrissement, elle nous pousse dehors, chaque fois.

    Demain, je descendrai la rue comme chaque matin, et sur les placards de la presse quotidienne, on l'aura déjà oublié, le petit. JW ne l'oubliera pas et moi qui ne l'ait pourtant pas connu, non plus. Par contre, nous pourrons y penser sans tristesse. Avec de la révolte oui, mais sans tristesse.