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Livres - Page 22

  • Extrait

    "Il se peut que l’humanité se fatigue d’elle-même, s’ennuie de porter son grand projet, tu vois ? Son vaste corps n’en peut plus d’œuvrer sans cesse. Ses névroses l’emportent. Elle cherche à en finir. Le problème est qu’elle n’a qu’elle-même pour réaliser ce désir de mort."

    Pavel Khan, à Léo. Mausolées.

  • L'aventurier

    Pendant que vous lisez ce billet, je suis à Paris, magie de la programmation anticipée qui nous rend ubiquistes. Que fais-tu dans la vieille capitale, Ô provincial égaré ? Je vais rencontrer mon futur éditeur, peut-être aussi mon éditeur actuel avec ma correctrice (voir si le portrait que je me suis fait d'elle en guêpière et fouet correspond), retrouver quelques ami(e)s et tenter d'assister aux répétitions des parties musicales de Pasiphaé. Cependant je laisse ma douce, partagée entre le bonheur de me savoir aux prises avec ma passion et son angoisse de me voir emprunter des moyens de transport aussi dangereux que le train, le métro, peut-être même le bus ou le vélib' ! C’est sûrement prétentieux, mais je promets, moi, de faire attention aux camionnettes de blanchisseurs.

  • Quartier lointain

    Un Christian lointain. C’est une bonne définition. Celle d'un ami à la lecture de Mausolées. Un ami de 30 ans, et qui avait donc lu l'ancienne version. L'auteur de ce roman est un Christian lointain, en effet, pas encore moi, mais déjà mobilisé par les mêmes thèmes, incessamment retravaillés depuis. Dans Mausolées, il y a des dialogues, procédé que je n'emploie plus ou très peu, il y a des scènes d'un mauvais goût absolu, de l'action, du sexe, c’est un film à grand spectacle. La littérature, là-dedans ? Je crois que je l'ai inoculée tardivement, lors de la réécriture. Ce n'était pas franchement mal écrit, mais je n'avais pas la même exigence. J'ai tenté d'élever l'ensemble, en m'appuyant sur les bonnes choses de l'existant (il y en avait). Au total, plus que pour n'importe quel autre livre, je suis inquiet et impatient des premiers retours de lecteurs. Il me faut donc des lecteurs (qu'il est malin) et donc, les lyonnais pourront se laisser convaincre de débourser 20 euros pour acquérir Mausolées en venant à ma rencontre demain après-midi (dimanche) à la MJC Montplaisir, 25 rue des frères Lumière, dans le 8e arrondissement, métro Sans Soucis. c’est dans le cadre des Intergalactiques. Je serai sur le stand des éditions Mnémos (ou sur celui de la librairie Omerveilles, je ne suis pas sûr d'avoir compris).

  • Vu par

    Que ma relation de la soirée Littérature et musique par Laurent Cachard et ses complices au Réalgar ne vous retienne pas de lire celle de l'intéressé, sur son blog, ici. Et puis moi, ça me fait un billet sans effort et c'est toujours ça de pris.

  • Frédéric Weil, interviewé par Rue89-Lyon

    Mon éditeur (en tout cas, celui de mon dernier roman, Mausolées), interviewé récemment, c'est à lire ICI. Frédéric Weil, je l'ai enfin rencontré à Ambierle, il y a quelques semaines. Les impressions des contacts précédents, par téléphone ou mail, ont été confirmées alors. Amical, chaleureux, enthousiaste. Le portrait de Rue89 lui rend tout à fait justice, je trouve.

  • Que d'émotions

    Daniel Damart est un jeune homme de 51 ans. Pour qui l'ignorait, Laurent et ses complices se chargent de le faire savoir, cadeau d'anniversaire à l'appui. Et voici le quatuor lancé dans un interprétation métaphysique de Poussin Piou. Œuvre symbolique du XXIe siècle naissant, anti-romantique et post-humaniste, martelant son phrasé régressif dans les oreilles des oisifs en sueur sur les pistes de danse de la perdition. Laurent prononce l'antienne avec une neutralité grand style et les musiciens tentent d'élever leur art à la hauteur de la virtuosité de cette pièce magistrale, écrite pour la postérité. Nos enfants ont bien de la chance, qui hériteront d'un tel manifeste. Après les applaudissements de circonstance, il est temps de revenir à des choses moins graves, moins solennelles, plus distrayantes bien sûr, mais on n'est pas en vie pour se prendre inconsidérément la tête, et le spectacle littérature et musique reprend.
    Tandis que Laurent distille des extraits de Ciao Bella (une nouvelle de son dernier recueil, dont la fin provoque, selon le lecteur, attendrissement ou colère), et de Tébessa 1956 (moment particulièrement émouvant), dans la ville, un couple anonyme sort du restaurant, les enfants sont repus et fatigués, tout le monde est heureux de retrouver la voiture. « C'est la vie, c'est écrit » chante Eric Hostettler. Après le passage bouleversant de Tébessa, premier roman de Laurent, les musiciens concluent la représentation par L'Embuscade. Je crois que nous sommes tous profondément remués. Personnellement, les premières minutes qui suivent, dans le brouhaha et les déplacements des invités, je ne peux émettre et répéter qu'un stupide « Que d'émotions », seule expression qui me vienne, capable d'exprimer ce que je ressens. Heureusement, d'autres ont plus de vocabulaire que moi, Daniel, les amis et parents venus de Lyon soutenir l'auteur, Fabienne Bergery (auteure qui il y a peu, lut ses textes courts et inédits sur la scène du cabaret poétique), que je découvre « en vrai » et qui a la gentillesse de me demander mes projets. La pauvre. Après vingt minutes d'énumération, je propose qu'on boive un verre parce que ça suffit comme ça. Je félicite les musiciens (c'est le truc le plus nécessaire et le plus débile, féliciter ceux qui nous ont donné tellement de bonheur, on ne sait jamais quoi dire, en général, ils sont entre eux, discutent boulot, on arrive comme des intrus : « Que d'émotions, merci. » voilà c’est fait, je suis définitivement un gros bouseux qui passe). J'avise Clara, la violoncelliste, la félicite pour la maîtrise avec laquelle elle joue de son « gros violon », mon humour tombe complètement à plat, il vaut mieux que je prenne un deuxième verre, et un morceau de tarte aux pralines apportée par l'adorable sœur de Laurent. Je ne fais pas connaissance avec la compagne de Laurent, dont je ne capte qu'un sourire (il avait qu'à nous présenter correctement, aussi), j'échange quelques mots émus avec madame Cachard, maman de l'auteur, je découvre le travail d'une artiste argentine et l'artiste elle-même, je me fais dédicacer un exemplaire de Valse, Claudel, par Laurent Cachard bien sûr et simultanément par David Foenkinos (mais oui ! C’est incompréhensible mais j'ai bel et bien un ouvrage dédicacé du parrain de la fête du livre, quelques mots inscrits directement sous la signature de Cachard : « je m'ai bien régaler », agrémenté d'une petite fleur.) Il est temps de prendre la route du retour. Je remercie Laurent, je remercie Daniel, je remercie tout le monde, que d'émotions, mais oui mais oui, on lui dira, je sors. La nuit est douce. Tout imbibé de musique et de mots, je dépasse les limites de Saint-Etienne, m'engage sur la voie expresse qui me conduira jusqu'aux bras de ma douce. Devant moi, à quelques kilomètres, je ne le sais pas encore, mais un couple anonyme avec ses enfants vient de croiser un vieillard qui a pris l'autoroute à contre-sens.
    Après une heure et demie bloqué dans la voiture, quand je croiserai enfin les lieux de l'accident, au milieu des gyrophares et des carcasses défoncées, j'aurai en tête le refrain entonné par Hostettler, « c’est la vie, c’est écrit ». Je ne sais pas, si je n'avais pas assommé Fabienne de mes projets pendant vingt minutes, ma douce ne m'aurait peut-être jamais retrouvé.
    Que d'émotions.

  • Soirée cadeaux au Réalgar (suite du billet d'hier)

    Entourés des peintures et estampes de Mourotte, nous sommes une trentaine de personnes, pieds de chaise enfoncés dans le beau gravier blanc qui tapisse le sol de la galerie. Les toiles exposées sont de puissantes compositions qui mêlent corps drapés et draps musculeux, villes organiques, concrétions, cristallisations, confrontent et articulent des intérieurs et des extérieurs, des réseaux et des fibres qui hésitent entre nature animale et végétale, entre scarifications et écorces, rides des rivières et plis de peaux. Face à nous, instruments et micros sont disposés sur une scène improvisée. Laurent a pris place le premier. Il présente le programme et, donc, nous fait le premier cadeau de la soirée.
    L'un des projets d'écriture de Cachard, défi énorme, est le récit de la vie d'une jeune fille au cœur de la révolution russe. Elle se nomme Aurélia Kreit, et le fait qu'elle n'a jamais existé n'importe pas. Laurent décrit les circonstances de sa création puis lève une feuille imprimée devant lui. Mon cœur bondit : depuis le temps que j'attends ce moment. Difficile d'exprimer ce que je ressens, alors. Comme si ce cadeau était d'abord tourné vers moi. L'écriture de son vaste roman russe est donc lancée et nous, spectateurs du Réalgar ce 19 octobre 2013, sommes les premiers témoins que, cette-fois, il y est et que, désormais, même si ça doit lui prendre « 25 vies », il prend l'engagement moral de venir à bout de son histoire. Une page lue impeccablement, un phrasé proustien qui décrit le départ de la famille Kreit, enveloppe sensations et description dans le même flux, des détails qu'on ne retient pas à l'écoute, mais qui augurent d'une richesse et d'une dynamique à la hauteur de l'enjeu. Si tout le roman est de cette eau-là, Aurélia Kreit sera une expérience littéraire marquante. Première émotion d'une soirée qui en comptera tant (et j'écris comme une brouette aujourd'hui, décidément).
    Quelque part, dans la rue, un couple anonyme et ses enfants, chargés de livres, passent. Ils sont en quête d'un endroit où manger. Ils n'ont pas encore repris la route. A l'intérieur, Laurent invite son vieux complice Eric Hostettler à le rejoindre. Eric empoigne sa guitare et chante un extrait de son premier album solo, une chanson écrite par Laurent, Faire l'hélicoptère. Laurent Cachard est une sorte d'aimant qui attire d'abord la fidélité de ses amis proches puis, dans un mouvement naturel, comme gravitaire, celle des enfants de ses amis. « Face à l'école du profit, celle de l'amitié et de la famille ». Les projets font un lien fort, une marche commune. Pauline, fille d'Eric, a rejoint le casting de la comédie musicale lycéenne Trop pas ! et interprète comme une pro, L'Ecole buissonnière. Ainsi, Gérard Védèche, musicien, arrangeur, est venu avec sa nièce Clara, violoncelliste. Un plus évident dans le registre des thèmes abordés par l'auteur, mis en musique par Eric. Les accents de l'instrument pénètrent le cœur, soulignent l'émotion des lectures que Laurent enchaîne. La formation complète prolonge l'univers de La Partie de Cache-Cache par la superbe chanson Au dessus des eaux et des plaines. Puis Quantifier l'amour fait suite à la lecture d'un extrait du dernier recueil de Cachard La troisième jouissance du Gros Robert et ainsi pour Le Poignet d'Alain Larrouquis ; chaque livre se voit attacher une couleur musicale, dressant un inventaire conjoint des domaines explorés par l'écrivain. L'écoute de ce spectacle très au point (malgré l'impréparation dont s'accuse l'auteur, élégamment) confirme une double cohérence : celle de l'univers littéraire de Laurent Cachard et celle de l'univers musical du compositeur Hostettler.
    C'est le moment que choisit Laurent pour suspendre le fil de la représentation et faire un nouveau cadeau.

    La suite demain.

  • Début de soirée

    D'abord, il s'est agi de franchir un rempart de foule agglomérée. Dans les remugles de la promiscuité, le visiteur égaré pouvait soudain saisir la raison de cet encombrement. Une vieille tête connue. Michel Drucker, je crois, dédicaçait un livre, son livre dit-on sans rire, un objet de papier avec des signes imprimés dessus, tout à fait convenable je suppose pour toute personne qui ne lit pas mais veut serrer la paluche d'une icône de la télé, ou seulement la voir. Mon objectif étant de retrouver Laurent Cachard, je hurlai au dessus du public compacté : « Je ne veux pas voir Michel Drucker, laissez-moi passer. Je ne veux pas voir Michel Drucker, je veux voir Laurent Cachard, laissez-moi passer. » etc. Petit à petit, l'étau se desserra et je pus enfin approcher Laurent. Il était à la foire aux bestiaux du livre de Saint-Etienne, sur le stand de la librairie Quartier Latin, à la même table que Leny Escudero.
    On se salue. Je suis ravi de le retrouver. La foule est moins dense ici mais tout de même, nos fronts luisent, nos barbes (Laurent laisse pousser, ce qui ne lui va pas mal) transpirent. Il dédicace sa Partie de Cache-cache à une de ses anciennes élèves, pas fâchée du souvenir de son prof de français, voire plutôt reconnaissante, venue avec sa maman (j'affirme qu'il existe un lectorat féminin de Cachard, je commence à accumuler des preuves.) Une dame venue voir Leny Escudero demande où il est, nous désignons le vieillard souriant, à quelques places de là mais elle ne comprend pas, elle répète après un moment d'hésitation « Il est là, Leny Escudero ? » Il faudra que je le désigne comme « celui qui ressemble à une vieille dame, là-bas » pour que le regard de la visiteuse s'éclaire et qu'elle émette une sorte d'exclamation désolée, exprimant ainsi un mélange de plaisir (voir enfin son idole) et de déception (Mon Dieu, tu ne nous épargnes donc rien). Laurent a beau expliquer à la dame que lui est plus jeune et qu'il fera de l'usage plus longtemps, ce que je confirme, la visiteuse ne quitte pas son objectif et nous abandonne. Je renonce à tenter d'approcher Delphine Betholon ou Thomas Sandoz, découvre à côté de Laurent l'écrivain Valère Staraselski, auteur d'une biographie d'Aragon. Le placer à côté d'un nizanien était de l'inconscience, mais les deux hommes sont courtois et intelligents et tout de passe très bien.
    Dans la foule, une famille anonyme passe. Les enfants sont fatigués, ils réclament de l'espace, à boire, enfin qu'on arrête de piétiner comme ça au milieu d'une foule absurde.
    J'ai quitté Laurent pour repérer la galerie Le Réalgar où dans quelques heures, ses amis et lui se donneront en spectacle. En reprenant et en déplaçant ma voiture pour la rapprocher, je revois des lieux de ma vie étudiante. C’est émouvant. Aucune nostalgie, pas de paradis perdu, d'âge d'or, rien de tout ça, mais le constat que les lieux sont là et nous, qui les regardons, également. Des survivants. Un effet de boucle aussi (était-il nécessaire que tu pérégrines ainsi pendant des années pour revenir ici, à cette place ? Qu'as-tu fait de tout ce temps ?) et un autre constat : les lieux ont peu changé. Et nous ? Finalement, en présence de son passé, on mesure le chemin parcouru et on réalise qu'on est le même, à peu de choses près. Fatigué, renouvelé, mais foncièrement identique. Bref.
    Le Réalgar (nom étrange emprunté au vocabulaire de l'alchimie) est une galerie d'art dirigée par Daniel Damart qui l'a fondée en 2007, après un parcours professionnel sans rapport avec le monde artistique. L'homme s'est seulement senti un jour, las de travailler comme une brute pour des projets certes enthousiasmant, mais vides de sens. Ses goûts le portaient vers la peinture et la littérature. Il a tout arrêté pour se consacrer à sa galerie stéphanoise et depuis peu, Daniel Damart édite des nouvelles illustrées par les artistes qu'il défend. La première nouvelle publiée est le « Valse, Claudel » de Laurent Cachard, illustrée par un des nombreux complices de l'auteur, Jean-Louis Pujol. Ce dernier est exposé dans une salle attenante, tandis que Laurent, ce soir-là, s'exposait, assis derrière un micro, entouré de ses amis musiciens, devant une assemblée aussi exigeante que bienveillante.
    Là, il commença par offrir un cadeau exceptionnel à l'assistance...

    La suite demain.

  • Entre deux mondes

    Retour dans les salons du livre SF et imaginaire. Étrange plongée dans un monde que j'ai quitté il y a une quinzaine d'années, pour me consacrer à une littérature plus... plus, disons plus « sérieuse » pour faire court. Mais la contre-culture a du bon. Ignorée, méprisée, elle m'a pourtant nourri et a sans doute imprégné mon écriture d'une texture, d'un grain singulier. Je lui dois donc beaucoup. Ce que je retiens de ce premier salon du livre dévolu aux domaines de l'imaginaire, c'est la (re)découverte des murs étanches qui séparent les domaines littéraires. Pendant deux jours, j'ai entendu parler d'auteurs que j'adorais mais que je ne lis plus (Brussolo, Bordage, Wagner) ou que je ne connais pas. Il existe cependant des passerelles. Un lecteur de Lovecraft a sans doute goûté à Houellebecq et un lecteur de Michon s'est sûrement aventuré chez Volodine ; de même il existe des relations entre Flaubert et Herbert, entre Ecco et K. Dick. Mais il m'a semblé percevoir plusieurs fois le contour de sphères quasi hermétiques entre les littératures de l'imaginaire et la littérature actuelle française. Si c’est le cas, et bien, j'aimerais assez être un passeur au milieu du gué, capable de réconcilier les deux lectorats. Où l'on découvre que le garçon a de l'ambition. Et puis enfin, peut-être que j'ai tort, et que cette impression s'évanouira dès le prochain salon. Ce sera à Lyon, dimanche 27 octobre.

  • Repentir

    Si j'écrivais Mausolées aujourd'hui ? Il y aurait des multinationales plus puissantes que les Etats, de vastes migrations poussées par les excès climatiques, et le fait religieux gangrénerait tout. Bref, le monde décrit serait pire, et je peux vous dire que déjà, la version actuelle ne respire pas l'optimisme.

  • Mausolées - extrait

    Une méchanceté séculaire suait des murs et des allées de pierre. Les ruelles sinueuses débouchaient sur des placettes murées par de hautes maisons aux fenêtres aveugles, puis s’élevaient brusquement en pentes impraticables, prolongées encore par d’étranges escaliers que le ciel enfin, coupait net. Avec cela un vide glaçant, des bourrasques perdues cherchant à s’échapper et la curieuse mélopée de vieillards invisibles, réfugiés dans le ventre de leur masure. Les ouvertures petites et curieusement haut perchées, l’ocre ressuyé des façades, la gravité des toits d’ardoise échus bas, parfois à mi-hauteur des maisons, leur couleur de cuirasse mouillée, tout cela se précipitait en meute autour de lui.
    Kargo pressa le pas ; il savait seulement que la forteresse où logeait Khan ancrait ses fondations dans le rocher, au sommet de la partie moyenâgeuse de Sargonne. Il l’apercevait d’ailleurs par bribes, entre deux façades inclinées ou par l’espace dégagé d’une place. Il croisa au détour d’une ruelle, un groupe de citadins en costume folklorique (un brocard où dominaient le rouge et un bleu étonnant, enrichi de perles d’ambre accrochées en pluie sur le buste et les épaules), hommes ou femmes sans âge qui ne le regardèrent pas. Kargo emprunta enfin une voie plus large au pavement régulier et entretenu. Elle grimpait d’un jet jusqu’au rocher qui couronnait le vieux quartier et entaillait les murs de l’ancienne abbaye net et droit, comme une meurtrière. Parvenu à son sommet, le visiteur se retourna : d’ici, les toits d’ardoise de la cité se bousculaient contre les remparts, comme les glaces noircies d’une débâcle. Les façades pastel de la ville moderne s’alignaient ensuite, estompées par la brume née des fabriques. À l’horizon, très loin, des lances cristallines montaient dans les vapeurs du ciel. Ce ne pouvait être que les flèches du mausolée de Movorin. C’était la première fois que le jeune homme apercevait cette construction légendaire. Il resta un temps à admirer le dessin arachnéen des tours sur l’écran du ciel. Puis la vision disparut, effacée par un basculement de lumière.

     

    Le suite dans toutes les bonnes librairies à partir du 17 octobre, et dès le 12 à Ambierle (Loire).

  • ça commence comme ça

    Couv-Mausolées.jpg« Kargo se disait que, personnage de roman, son créateur ne pourrait ouvrir le premier chapitre de son histoire qu’en le présentant devant cette porte massive et baroque. Il se disait aussi que, cette porte franchie, certains mystères têtus fléchiraient enfin et que la vérité, dont il n’espérait rien jusqu’alors, aurait pour lui cette saveur qu’on n’attribue qu’à la victoire.
    Car toute sa vie pouvait naître de cet instant, tout pouvait être dit, accompli, mais aussi recommencé.
    Pourtant, l’auteur en décida autrement, et c’est par une douce nuit de mai que débute cette histoire. »

    La suite est à découvrir, à partir du 12 octobre, en avant-première, à Ambierle (Loire) dans le salon SF et BD et ensuite dans toute la France (voui) à partir du 17 octobre. Je serai également en signature aux Intergalactiques de Lyon, dimanche 27 octobre. Étrange affaire que la publication de ce roman. J'ai espéré si longtemps qu'il soit édité. Mon premier roman (beaucoup travaillé, je vous rassure), mis au jour, exhaussé des tiroirs où je pensais (on devient raisonnable avec l'âge) qu'il dormirait pour toujours. Étrange. Qu'est-ce que ça me fait ? Je suis partagé. De livre en livre j'ai perturbé mon (éventuel) lectorat en lui proposant des récits chaque fois différents, dans un style différent. Celui-ci pourrait concilier les lecteurs de chaque forme, puisque tout mon univers s'y trouve en germe et que toutes les manières y sont, jeunes mais bien là. Le plaisir que j'aurai de ce livre, plus que n'importe quel autre, c’est celui que les lecteurs me renverront ou pas. Vous savez, j'ai failli le publier sous pseudo mais, à force de le travailler, finalement, je crois que je peux le revendiquer. Ce sera à vous de juger. Je vous espère nombreux dès le 12 octobre à Ambierle (mon éditeur vient, il faut faire bonne impression). Ah oui : le roman s'intitule Mausolées, il est édité par Mnémos dans la collection Dédales et... je vous en reparlerai.

  • Confidences

    Le livre n'est pas encore sorti, mais entre écrivains, n'est-ce pas, on se permet de ces relations privilégiées ("tiens, si tu veux lire ça, tu me diras..."), et il arrive que le destinataire se fende d'un grand beau long texte au terme de sa lecture. Je ne vais pas bouder mon plaisir plus longtemps et vous propose de vous rendre sur le Cheval de Troie, le blog de Laurent Cachard. En ce qui me concerne, voici ce que 2014 vous réserve. Je n'en dis pas plus. Et la conclusion est superbe. Cachard est grand, loué soit son nom.

  • Passage du temps

    L'été roule encore sur vos épaules, il va tenir long ses feux plantés dans vos nuques jusqu'à la fin de septembre. Je vois ce soleil énoncer chaque pierre par son éclat, et les bêtes blanchies venir à l'auge, dans l'ombre des feuillards, aspirer à elles l'eau tirée du puits. Je regarde ces hommes par delà le temps, je considère leurs vies, leurs songes interdits, leurs existences abrégées et je vois en eux mes enfants inquiets, mes parents à la tâche, et pour tous la résistance des espoirs, le sérieux des secrets.

     

    Extrait de "L'affaire des Vivants". A paraître.

  • Microbe résistant

    Manifestement, pour le dernier numéro de Microbe, Jean-Jacques Nuel a fait son marché sur le net (le format s'y prête : textes concis, humoristiques, malins et poétiques), mais il a aussi fait appel à quelques pointures de la poésie papier. Ont donc été joyeusement mis à contribution pour ce numéro 79 de la revue belge (par ordre d'apparition) :


    Fabrice Farre
    Frédérick Houdaer
    Christian Cottet-Emard
    Stéphane Prat
    Hervé Merlot
    Alain Helissen
    Stéphane Beau
    Bernard Deglet
    Roland Counard
    Christian Degoutte
    Paola Pigani
    Pascal Pratz
    Grégoire Damon
    Jean-Marc Flahaut
    Marlène Tissot

    et votre serviteur, tout ému de se trouver en aussi belle compagnie.


    On peut aussi s'abonner ici.

  • Incipit

    Depuis la maison, nous traversons les prés bosselés et ponctués de chardons pour nous rendre au bord de la Loire. Ce sont les gasses, les zones inondables, étendues préservées de toute construction, laissées aux charolaises et aux cigognes. Le chemin n’est pas tracé, nous marchons dans les sentes ménagées par les vaches paisibles regroupées sous les arbres, à l'abri du soleil. Une dizaine de minutes de promenade avant de rejoindre le fleuve. Nous sommes habillés léger, l'été nous revêt d'un feu d'âtre dès que nous sommes à découvert. Nous posons les serviettes sous un saule si nous voulons nous baigner, ou sous de vieux acacias plus éloignés de la rive si nous voulons lire ou faire une sieste. Nous paressons dans leur ombre, assis ou allongés, visages éclairés par la réfraction des pages. Parfois, livres reposés, nous restons dans la contemplation de l'amont ou de l'aval du fleuve. Sous cet angle, aucune présence humaine. On peut se croire dans un paysage champêtre du XVIIIe siècle. Nous considérons le panorama silencieusement et puis, après un temps de recueillement sans objet, nous échangeons quelques mots. Ma douce sait que j'ai commencé un nouveau roman. Le dernier est juste sorti de l'imprimante il y a trois jours, et le paquet qui a déjà reçu mes premières corrections veille sur la table de la salle à manger. Ce sera son travail la semaine qui vient, de le lire, de me dire ce qu'elle en pense. En attendant, j'ai couché les premières phrases du prochain. Ces quelques phrases sont celles que vous venez de lire.

     

    Pour la suite, si jamais on veut encore m'éditer, rendez-vous, je ne sais pas : dans deux ou trois ans ?

  • C'est la rentrée

    C’est la rentrée avec Laurent Cachard, qui a présenté sa nouvelle « Valse, Claudel », superbement éditée par la galerie stéphanoise Le Réalgar et illustrée par son complice Jean-Louis Pujol, dans un lieu incroyable : la maison vieille, à Roiron. Tous les détails sont sur son blog, Le Cheval de Troie. Je vous laisse y jeter un œil.

     

    La Maison vieille, c'est un peu le lieu que l'on avait rêvé, ma douce et moi, d'ouvrir un jour. Pour vous dire à quel point on trouve ça chouette.

  • Un repas en hiver

    Nous sommes dans les premiers temps de la solution finale, les chambres à gaz ne sont pas encore construites, les camions avec circuit d'oxyde de carbone fermé ne sont pas encore au point, en attendant ça bricole ; on flingue, on flingue en masse. C'est déjà éprouvant pour les nazis les plus affermis (cela n’est pas dit dans le roman, mais c'est le fond historique qu'on possède avant d'aborder le texte de Mingarelli), ça devient carrément insupportable pour les jeunes appelés du rang. Outre la désertion dont il n’est question à aucun moment, les soldats allemands qui fusillent les juifs à longueur de journée n'ont qu'un choix disponible s'ils veulent échapper à cette ignoble corvée : partir dans la neige à la chasse aux juifs. Alternative peu enviable, mais les trois soldats qui tentent ainsi leur chance n'en peuvent plus de tirer à bout portant sur des hommes, des femmes et des enfants, par centaines, toute la journée. Le massacre est encore plus déprimant pour le bourreau quand il se lie avec sa victime, ce qui peut arriver sans prévenir, avec les types qui lavent son linge par exemple.
    Trois soldats allemands s'enfoncent dans l'hiver polonais et doivent absolument dénicher au moins un juif s'ils ne veulent pas se retrouver le lendemain arme au poing, à faire sauter des cervelles et voir basculer des corps dans des fosses, indéfiniment, comme dans un cauchemar. Bauer, Emmerich et le narrateur dont on n'apprendra pas le nom (parce que, tiens, il pourrait s'appeler comme moi),  débusquent un fugitif au fond des bois. Le froid est prégnant, ils ont le ventre vide pour des raisons trop longues à expliquer, une vieille bicoque abandonnée leur offre la possibilité d'une pause et d'un repas frugal. Alimenter et faire repartir une cuisinière, tiédir un intérieur pénétré de froid, ce n'est pas une mince affaire. Un Polonais de passage les rejoint et négocie sa part du repas. Tout le monde s'observe. Le jeu du huis-clos est la forme dramatique la plus délicate, mais aussi la plus efficace pour qui la maîtrise. Mingarelli maîtrise, et c'est peu de le dire.
    Le narrateur n'est dans aucune posture, aucun mensonge, y compris pour lui-même. Ses camarades sont irrigués d'une conscience identique. Tous savent ce qu'ils font et l'horreur de ce qu'ils font. Sauf que tout ça ne se discute pas. C'est l'Histoire qui se chargera de rendre les décisions discutables. Les soldats font l'Histoire, ils ne la pensent pas. A quoi pensent-ils alors ? A un fils, à un village, à faire fondre la neige pour cuire de la semoule. A se préserver, si possible.
    On préserve quoi, soldat, dans les forêts polonaises, tandis que les camarades, là-bas, exécutent leur sinistre besogne ? Le peu d'humanité qui reste, emmitouflée sous les couches de fringues, tenue fébrile au bout des doigts comme une cigarette, qui tient à peine chaud -et pas longtemps. On fait un prisonnier, on ne l'insulte pas, on ne le malmène pas, on ne se réjouit pas, on préfère ne pas se lier, parce qu'on sait quel mal ça peut faire, après. On pourrait aller plus loin. L'un des trois hommes, celui qui a débusqué sa proie (et ce n'est pas le narrateur, pas ce genre de posture factice qui permettrait au lecteur de se croire le héros une minute), a soudain cette idée : laisser filer, que celui-ci au moins en réchappe. Parce que, plus tard, si au moins on en a sauvé un, ça fera du bien d'y penser. Voici le peu d'humanité qui reste dans cet enfer. Une infime lueur. Mingarelli n'y croit pas. Il fait retomber la chape du réel sur cette arche humaine minuscule ; La raison l'emporte. Les meilleures intentions, le peu d'espace laissé à l'humanité, sera broyé par l'Histoire et la barbarie.
    Sur un mode minimaliste où tout est pourtant dit, sensations et sentiments, images et pensées, Un repas en hiver est un voyage intérieur, sensible et humain, un récit livré depuis le futur (puisqu'on sait ce qu'il adviendra de l'un d'eux) saisissant, émouvant sans les artifices du mélodrame, et loin de là bien sûr. Une tragédie en mode mineur, discrète, anti-spectaculaire mais qui vous hante. Un choix judicieux pour cette nouvelle sélection Lettres-Frontière.

    Un repas en hiver. Hubert Mingarelli. Stock, 2012. 137 pages. 17 euros.
    Sélection Lettres Frontière 2013.

  • Au suivant

    Le roman que je viens de terminer ne trouvera probablement pas sa voie avant longtemps. Fini un mois avant l'échéance que je m'étais fixée, il est destiné pour l'instant au tiroir et à au repos. Une relecture vers la fin de l'année me dira ce que je peux en faire, grâce au recul que le temps permet de prendre avec un texte. Là, je saurai si je le réécris, si je le réorganise, si je l'enrichis, si je le réduis encore ou si, finalement, il doit retourner dans sa boîte pour ne plus jamais en sortir. L'exemple de « L'Affaire des vivants » que vous pourrez lire, si tout se passe bien, l'an prochain chez un grand éditeur, me conforte dans l'idée qu'un manuscrit, quel qu'il soit, doit être laissé en jachère, remisé le temps de vivre un peu avec seulement son souvenir. C'est une période intéressante parce que vous n'êtes plus dans l'acharnement de l'écrit, vous tournez avec légèreté autour des personnages que vous avez créés, vous flânez parmi les situations et les décors, sans enjeu, sans impatience. C'est un temps de grâce où le livre continue de pousser sans qu'on se soucie de lui, par bribes, par notes, par petites pensées inspirées mises de côté en attendant (et parfois par grandes révélations : « Bon sang, mais oui ! »). Pour ce dernier roman, dès la première lecture de la sortie imprimante (passage obligé pour moi, après des mois d'écriture sur écran), déjà se sont imposées des idées qui pourraient approfondir certains thèmes abordés, leur donner plus de corps ; et des coupes à effectuer. Paradoxalement, après avoir lu cette première version avec un certain mépris, une sorte de lassitude, je devine le roman qui pourrait advenir, et qui serait, lui, acceptable. Laissons faire, laissons le temps patiner ces pages, et nous verrons comment tout cela résiste.
    En attendant, comme vous êtes un peu habitués si vous me fréquentez, j'enchaîne avec un nouveau livre. Ce ne sera pas un roman, enfin pas tout à fait, ce sera un texte hybride. Celui-là devrait être terminé en  mai 2014. Et j'ai un beau titre. Un très beau titre. Ça nous fait une page. Ehé.

  • B. A. T.*

    Pas de billet aujourd'hui. Travail de relecture finale sur le manuscrit de Mausolées.

    L'occasion de réaliser que telle scène, très spectaculaire, lue des centaines de fois depuis sa fabrication, pourrait très bien disparaître, sans nuire au récit. Il est juste trop tard à présent. Pourquoi ne voit-on certaines choses qu'à ces moments critiques où tout retour en arrière n'est plus envisageable ? Cela dit, ma douce me rassure : c'est une scène superbe. Et puis je crois qu'elle intervient pour réveiller l'intérêt du lecteur à un moment un peu plus paisible du roman.

    Ah oui, il faut que je vous dise : Mausolées sortira chez Mnemos le 17 octobre. J'en parlerai peu sur Kronix, sinon pour expliquer quel rapport ambigu j'entretiens avec ce roman. Plus que jamais, ce seront les lecteurs qui décideront ce que je dois en penser.

     

    Et finalement, c'était un billet, ça.

     

    *BAT : Bon à tirer, dernière étape d'un livre, formule du métier de l'imprimerie, document que l'on signe pour autoriser le tirage. Rien à voir avec une allusion machiste quelconque, comme une folle a cru pouvoir le faire via ce blog.