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Livres - Page 23

  • Lectures

    Puisque c'est l'été. Les après-midis sont consacrés à la lecture. Enfin. Ce qui donne :

    Les trois volumes de carnets de Simenon : Quand j'étais vieux. Indispensable. Je découvre l'homme après l'écrivain. Et je me réjouis de constater qu'il est à la hauteur. Que c'est un type que j'aime.

    Lydia Jorge : La couverture du soldat. Du mal à entrer dans le roman de cette auteure lusitanienne (vous me connaissez, dès que je suspecte le gnangnan, la soupe épicée pour dames, le schéma convenu : destin d'une fillette devenue femme, lourd passé familial tagada, je m'irrite) mais très vite le charme de l'écriture arrache l'adhésion, les personnages sont de toute beauté, notamment celui de l'héroïne. Dispensable, contrairement au Simenon, mais vraiment très bien.

    La maison du retour, de Jean-Paul Kaufmann. Presque un journal du regain, quand l'ex otage qui ne peut être que cela aux yeux des autres (il rentre juste de ses années de séquestration), décide de s'installer avec sa famille dans une maison isolée des landes, dont on dit qu'elle abrita un lupanar pour officiers allemands. Tendresse, étonnements, descriptions saisissantes, un peu trop de moraline. Je crois que le journaliste n'était pas encore un écrivain à cette époque-là. Il semble que ses derniers récits de voyage sont plus pertinents et forts.

    De la dernière sélection Lettres frontière :


    Fée d'hiver, d'André Bucher. La découverte d'une maison d'édition, Le mot et le reste, dont la collection Attitudes tourne autour du « nature writing », expression que j'ignorais mais qu'on peut comprendre comme une littérature imprégnée du sentiment de la nature. C'est le cas de ce beau récit où les personnages (Daniel, Richard, Alice, Louis, Pierre et Robert) et qui constituent un microcosme déjà assez perturbé, vont s'allier, se révéler ou s'affronter quand survient un beau bûcheron venu de Serbie. Images poétiques et fortes, et descriptions émouvantes et sensuelles de la nature. A chaque page, j'avais envie de souligner un passage, une expression. L'auteur est  né en 1946, vit depuis trente ans dans la Drôme sauvage qui sert de cadre à l'histoire. Je suis sûr qu'il décrit les saisons et les ciels depuis sa fenêtre. Je devine même que certains paysages ont déterminé des scènes, venues dans l'élan d'un coup de vent, d'une migration d'oiseaux. Grands espaces, caractères forts, il y a du western là-dedans. On craint la tragédie, elle approche dangereusement, mais pour une fois, nom de nom, dans ce monde de brutes, c'est l'amour qui l'emporte. Roman écrit par l'un des pionniers de l'agriculture bio, ce qui me le rend immédiatement sympathique. Ma seule réserve concerne la maquette de ce livre, désastreuse. La typo est absurdement petite, peut-être pour des raisons de coût, une réduction du nombre de pages, faire tenir 300 pages dans la moitié. Ou alors, c’est un souci écologique, dans ce cas je m'incline. Mais merde, on souffre. Allez lire ça dans le car, vous.

    Dans ma tête, je m'appelle Alice. Portrait de femme. De gamine et de femme. D'auteure qui raconte surtout une autre femme : sa mère. Récit poétique à la première personne. Sauf que c'est un homme qui donne sa voix à la narratrice. En tant qu'homme, je trouve ça très bien fait. En réalité, pour avoir fait l'exercice maintes fois, je peux jurer qu'il n'est pas difficile d'écrire les sentiments d'une femme. Et quoi : on est tous fait de la même chair et traversé des mêmes sentiments. Donc, pas d'exploit, mais une vibration juste, un beau portrait en creux. En creux parce que, sous les yeux de la narratrice, et même si on croise un frère, un père, des petits copains, c’est surtout de la mère dont il s'agit. La fille observe la Reine surgir. La Reine, c’est le surnom de la mère terrible, honteuse, de la mère alcoolique. La Reine qui va bousiller la famille, démolir la vie, mais aussi la construire, que voulez-vous, on est fait de cela aussi, pas le choix. C'est un premier roman, oui mesdames, d'un petit gars de 25 ans. C'est parfois plus précieux que vivant, mais c'est toujours fichtrement bien écrit. Entre les chapitres, des parenthèses rapides, foisonnantes, criblées de noms qui font écho dans la mémoire. On comprend vite, on est en terrain connu. La seconde vie de la narratrice, c'est la lecture. Dans ces courts impromptus, les références se télescopent, s'enchaînent dans un sabbat de héros et de phrases. Refuge, monde dans le monde, de quoi permettre à la fille de se blottir quand la Reine monte sur son trône. C’est un livre fort, élégant, habile. De Julien Dufresne-Lamy. 25 ans, je disais. Il y en a qui exagèrent.

  • Action writing

    Il devrait être dans l'action, dans l'écriture, mais l'auteur publié est dans une situation qu'il n'imaginait pas, et qui est tout le contraire de ce pour quoi il s'est engagé dans la littérature. Avant d'écrire, il redoute ce qu'on pensera de sa production. Entre deux publications, il doit parler souvent du livre précédent, mort pour lui, dépourvu d'intérêt puisqu'écrit, tandis que le roman qu'il veut écrire est retardé par la mise en route du livre en cours d'édition, qu'il corrige encore, amende, repense, dont il dispute la couverture et la diffusion, dont il attend la sortie, dont il ne sait plus quoi penser, cependant qu'un ou plusieurs autres manuscrits sont en lecture chez d'autres éditeurs, attente qui le préoccupe, obsède son esprit et le retient de se mettre au travail. En fait, il est constamment dans l'acte éditorial, qui dévore le temps de l'acte scripturaire.


    Et puis, il se souvient du temps où être édité était un rêve impossible, espoir qu'il empoignait pour le noyer au fond de lui, ne plus l'entendre, le faire taire. Et il se fiche une calotte, un coup de pied au cul, et il se remet au boulot avec le sourire.

  • A Gilly, Cachard, élu, est lu

    Il faudrait, maintenant que le temps est venu
    Et que je suis assis devant mon clavier
    Revenir sur hier, conter par le menu
    La rencontre à Gilly, par le monde enviée,
    De Cachard, écrivain, et d'un lecteur ami :
    Chavassieux, de son nom, un auteur lui aussi.
    Je ne me souviens pas, pourtant, avoir promis
    D'écrire un compte-rendu, mais enfin le voici :
    C'était bien, c'était chouette, on y retournera
    Chez Marielle à Gilly, où j'ai laissé Laurent
    Parler, dire, expliquer et lire ce qui sera
    La lecture désormais des nombreux adhérents
    De la Médiathèque où nous étions reçus.
    Je n'en dirai pas plus car je suis fatigué
    Mais pour tous les absents et pour tous les déçus,
    Sachez que sur son blog, Cachard a travaillé.

  • Et de deux !

    Affiche rencontre - Copie.gifCe soir, à partir de 18h30, la Médiathèque de Gilly-sur-Isère nous accueille, Laurent Cachard et moi, dans le cadre d'une première « carte blanche à Christian Chavassieux » (si si, ne prenez pas cet air surpris), événement qui devrait être reconduit chaque année, jusqu'à ce que, je ne sais pas, j'arrête d'écrire par exemple, ou que l'équipe de ce lieu change (choisissez en fonction des probabilités statistiques. Moi, je n'ai envie ni de l'un ni de l'autre). Une soirée qui débutera par la présentation de la nouvelle sélection Lettres-frontière. Sélection qui fut, en 2009, la cause de notre rencontre, Laurent et moi, et le début d'une amitié.
    Les moments proposés par Marielle Gillard et son équipe sont toujours riches et intelligents, soigneusement organisés. La valeur ajoutée, ce qui les rend vraiment extraordinaires, c’est l'humanité et le bonheur qui se dégagent de ces instants. On a envie de les prolonger, de revenir. D'ailleurs, j'y reviens, chaque année, toujours émerveillé de bénéficier d'une telle attention, d'une telle gentillesse. Mon plaisir de partager ce bonheur avec Laurent multiplie si c’est possible, celui de retrouver Gilly.
    La soirée sera consacrée ensuite à Laurent Cachard. Nous parlerons beaucoup de son dernier ouvrage, La troisième jouissance du Gros Robert, mais je veux aussi faire parler l'auteur sur son parcours, sur l'écriture, sur son engagement dans l'écriture et ses choix concernant cet engagement. Toute sa production sera évoquée, y compris ses textes de chansons. Et une lecture de la première nouvelle de son dernier recueil, sera produite par une troupe théâtrale. Personnellement, je pense que vous devriez venir.
    Reversibilités.JPGSur une idée de Laurent Cachard, nous avons commis ensemble une sorte de petit caprice, un recueil édité par Thoba's (qui publia « J'habitais Roanne »), intitulé Réversibilités, deux textes scrupuleusement équilibrés, calibrés à 1600 mots chacun, où nous parlons l'un de l'autre. L'idée est de les offrir aux auditeurs venus ce soir. Une raison de plus pour nous rejoindre.


    Venise.JPGEt puis, je me tâte encore (parce que je viens en train et que c’est lourd) : il se peut que j'apporte le dernier catalogue auquel j'ai participé. Il s'intitule « Venise au XIXe siècle, une ville entre deux histoires ». La commissaire de l'exposition, Camille Perez, a bien voulu me confier la rédaction de deux textes et de plusieurs notices. Elle a ensuite accepté que ces textes y figurent. Le catalogue est beau. Ce serait une façon, en donnant un exemplaire à la Médiathèque, d'un peu remercier de me faire cette confiance sans cesse renouvelée.

     

    A ce soir.

  • Demain

    Je vous en dis plus demain, mais notez déjà le rendez-vous, si vous êtes samedi soir du côté d'Albertville... ou à Gilly, carrément.

    Affiche rencontre - Copie.gif

  • Travails

    Travails_Bougel.JPGIl n'est pas question que de travail dans Travails. Il est question des incertitudes, de la naïveté d'être un jeune garçon. La première épreuve de la vie, le boulot, la première rencontre avec les adultes, hors du contexte familial. L'émotion et le désarroi face à des femmes monumentales et troublantes, des bandits de catégorie C, des patrons, des chefaillons en nœud papillon, des crêpes reblochon-banane et des camarades. Et pour traiter de tout cela, Bougel, il aime pas la poésie qui fait des périphrases, il aime pas les alexandrins. Enfin, là, il peut pas. Là, la versification est brute comme un coup de clé et serre pareil, serre le motif au plus juste de son expression. C'est pile, ajusté, sec, du beau travail de manard qui usine au millimètre. Comme l'annonce Christian Degoutte en quatrième de couverture : « c’est un homme à son établi ; un manuel de la pensée qui serre le temps entre ses outils ». On avait eu un aperçu en prose de la main calleuse avec laquelle Hervé Bougel raconte la vie, et surtout la vie au travail, dans « Les Pommarins ». Dans ce livre, l'auteur prenait le temps, enveloppait une phrase pourtant déjà hachée, tendue, tout en énergie, mais enfin, le lecteur avait la place de respirer. Avec Travails, on retrousse les manches, on respire un bon coup et vas-y, coltine-toi les heures de taf et les pauses au café avec les gars ou le cinoche. Je dis taf et cinoche pour faire genre, mais en réalité, monsieur Bougel évoque le travail en atelier et les cinémas incendiés, pas de raccourcis argotique pour mieux faire sentir le cambouis (sauf celui de sa mob). C'est tout en angoisse rentrée, en beauté, en fascination devant le monde qui s'ouvre. C'est pas les heures passées au guichet de Pôle Emploi qui vont nous fournir une poésie comme ça, enfin je pense pas, quoique. Tiens, là encore, je vous le fais vite avec des absences de négations, mais pareil, pas le genre du poète Bougel. C'est âpre et cru, d'accord, mais personne n'oublie qu'on est dans de la littérature. Le filtre est là. Délicat équilibre entre sophistication et brusquerie des tranches de vie décrites. Il est fort, ce Bougel. Travails peut aussi se lire comme un manifeste de la poésie défendue par Hervé Bougel en tant qu'éditeur au Pré#carré. Une poésie en prise avec aujourd'hui, même quand elle parle d'hier. Vous comprendrez qu'il est impossible d'y trouver de la nostalgie.

    Travails, suivi de Arrache-les-Carreaux. Hervé Bougel. Editions Les carnets du dessert de lune. 80 pages. 11 euros.

  • Lecture, mode d'emploi

    Ce soir, à partir de 18 heures, au jardin médiéval de Saint-Haon-le-Châtel (Loire), débuteront les 24 heures de lecture traditionnelles. 24 heures pour lire, chaque année, une œuvre majeure de la littérature.   Depuis une douzaine d'années, 96 lecteurs se relaient jour et nuit, pour déclamer un grand livre, d'un seul et même souffle choral. Cette année, c'est « La vie mode d'emploi » de Georges Perec qui nous rassemble. La lecture est bénévole, l'audition est gratuite, chacun est là pour le plaisir et l'hommage.
    La dernière page, si vous avez suivi le principe, sera lue dimanche à 18 heures. Ensuite, une petite promenade dans les rues du village en compagnie de Claude Burgelin, spécialiste de Perec, conclura l'événement. Venez nombreux. Et si vous en éprouvez le besoin irrépressible, sachez qu'on a encore besoin de quelques lecteurs pour les passages nocturnes vers 4 heures du matin (mais enfin, rassurez-vous, il y a tout de même au moins un brave qui assure). En cas d'intempérie ou de fraîcheur excessive, auditeurs et lecteurs pourront se mettre à l'abri chez Jean Mathieu, en face du jardin médiéval.

  • Changer de chaîne

    En Grèce, ils ont peut-être déjà fermé les bibliothèques, mais personne ne s'en est ému ?

     

  • Des oranges sentimentales

    Oranges-sentimentales_CDegoutte.JPGToujours aussi dépourvu de mots et d'arguments quand il s'agit de chroniquer de la poésie. Tant pis, mais je voudrais au moins faire savoir à mon peu de lecteurs : voici un livre que j'ai aimé et que je vous conseille de lire. Je viens de refermer le dernier recueil de Christian Degoutte, « des oranges sentimentales », édité chez Gros Textes. Et j'en sors bougé, ébranlé, déplacé de mon axe. Ce que je cherche dans la littérature, essentiellement. Si j'ai bien compris la post-face, nous sommes en présence de textes écrits à plusieurs dizaines d'années d'intervalle parfois (le premier date de 1983), publiés sous des formes diverses dans plusieurs revues, au fil du temps. Un ensemble cohérent malgré cette échelle distendue. Une suite de textes qui aurait eu sa place dans la récente exposition « Corps » du Labo de la Livatte, à Roanne.
    Je ne sais pas parler de poésie, pas plus que je ne sais en écrire, et je ne suis pas bien sûr de savoir la lire. Que vous dire ? Il faudrait d'abord présenter l'auteur en quelques mots, mais sa discrétion décourage les biographes. C'est pourtant un auteur majeur, un écrivain exemplaire. Vous pourrez peut-être vous faire une idée du personnage dans la relation que je fis en son temps, d'une rencontre avec Christian Degoutte organisée par l'écritoire d'Estieugues, à Cours-la-Ville. Oui, commencez par là, puis revenez sur ces lignes.
    (...)
    Les oranges sentimentales sont les fruits ronds et juteux d'une écriture qui ne triche pas. Christian Degoutte nous l'a dit un jour : il n'a rien contre la mièvrerie, contre le pathos, le sentiment. Il n'a pas à s'en défier ou à travailler contre. Quand le sentiment est sincère, d'une source sincère, il prend une forme sincère. Et cela produit chez lui une écriture pleine de noblesse, et bienveillante, comme je les aime. Érotique, oui, gaie, émouvante. Le sexe, sans tourment, comme un dialogue solaire. Estivale, colorée, à peine traversée d'ombres, entre sueur et salive, souffles, haleines, entre les cuisses nombreuses, répétitives, et « la chair lunaire des bras », entre « la bouche sombre des aisselles » et les seins « jaspés de veines » entre pupilles et mains, et « sa bouche sur tes lèvres est un ocarina de glaise fraîche », tout l'inventaire des sources du plaisir des sens, des corps d'hommes et de femmes, accueillants, aimants, doux. Et la vitalité, le bonheur de l'amour, « comme on libère les fauves du souffle », « comme on croque tout le long du corps les petits bulbes des chagrins », « comme on pèse de toute sa chair sur l'impatience d'en venir aux lèvres », « comme on se jette de toute sa bouche de tout son sac de membres sur les récifs poivrés les paupières pétillantes d'une dormeuse ».
    Les couleurs aussi, percent les visions. La couleur d'une pyramide d'oranges dans sa panière bleue, qui éclabousse « l'eau sale des vitres », dans une cabane de chantier. Les voix. Des souvenirs, des paroles, des questions, des échanges. Des conversations. Des répliques italiques dont on devine parfois celle qui les prononce, une voix qui séduit, qui pique, éclaire, s'amuse, relance. Des conversations entre trois générations de femmes, sous la fraîcheur d'un arbre. Et la mort, jamais bien loin, qui cueille au passage le lecteur, lui dit combien c'est précieux et grand, le spectacle d'une conversation de femmes dans un jardin, ou ramasser le linge avant l'orage.
    Les fruits, l'eau, le sexe, boire à cette source, boire, boire. Les oranges, les poires, les coings, les pêches, les mangues, les cerises qui promènent leurs couleurs dans la lumière ou dans la nuit, le jardin qui « grésille d'insectes », l'herbe « embuée d'argent », les insectes, papiers ou aluminiums qui s'éparpillent sous les pas. Le fruit et la bouche, l'air qui sépare ces deux complémentaires destinées à se rejoindre. C'est là que Christian Degoutte fabrique sa poésie, dans cet espace infime entre la soif et la consommation de la soif, cet interstice que ses mots s'emploient à élargir pour qu'il devienne paysage, chambre, jardin, marche longue. c’est là que le lecteur est accueilli et jouit.
    Quatre quartiers d'orange sont alignés sur la table devant elle. Elle, qui est une « eau désirante ». Ces morceaux de fruits posés là deviennent les babouches laissées au seuil de la mosquée, dans un tableau de Delacroix. Elles sont « abandonnées au soleil pour entrer pieds nus dans la fraîcheur comme on dirait : J'ai choisi la voie de la joie ». Et l'auteur conclut, comme nous : « de le dire ça se pourrait / aller pieds nus sur la voie de la joie ». Ça se pourrait bien oui. C'est en effet le sentiment que procure son livre.


    Des oranges sentimentales. Christian Degoutte. Éditions Gros Textes, 2013. 9 euros.

  • Lecquetures

    Le clan des Otaries

    Légumes du jour

    Le Chapeau de Kafka

  • Point final

    Et il y a un jour, à force de travailler dessus, où votre roman vous devient odieux. Cela coïncide en général avec le moment où il est publié.

  • Courts métrages

    de Jean-Jacques Nuel

    Courts-metrages_JJNuel.JPGVoici un des rares livres qu'on peut lire en commençant par la fin, le début, le milieu, ou en picorant pour lire à haute voix à ses amis. Des nouvelles ? Oui et non : des miniatures ciselées qui évoquent Dino Buzatti, Éric Chevillard ou Marcel Marïen. Une prose ramassée, malicieuse, qui vous entraîne bord à bord dans une houle ivre et amusée. Grave parfois, au détour de quelques lignes, quand par exemple, la vieillesse, intruse dans un cercle d'amis, sait s'y faire accepter à force de douceur et de discrétion, et promet la visite, plus tard, d'une amie à elle, presque une sœur.
    Jean-Jacques Nuel, dont on peut lire régulièrement les participations à Fluide Glacial, est poète et éditeur, mais aussi romancier. Il a enregistré certaines de ses micro-nouvelles que l'on peut écouter et voir sur Youtube ; on peut aussi le suivre sur son blog littéraire, L'Annexe.
    Ces courts métrages prennent tous les chemins de traverse. La mécanique de récit qui les inspire est assez mystérieuse mais on peut faire l'hypothèse que parfois, l'auteur saisit les failles anodines du réel pour en faire des passages où il s'engouffre. Il suffit de décaler légèrement le curseur pour que le périphérique qui ceinture la capitale se réduise légèrement chaque année, pour qu'un désir de rajeunissement d'une sœur se commue en atteinte aux jours de son frère, que le goût des croûtons ne se découvre que tardivement. Chaque récit amorce une logique qui vous présente sa conclusion imparable, comme une facture à laquelle il est impossible de se soustraire. La logique du monde paraît solide mais il suffit d'un poète pour la déconstruire. Le poète qui a trouvé la faille et a démontré combien c'était un leurre. Il a rassemblé 80 preuves à notre intention. C'est bon de lire parfois.

    Courts métrages. Editions Le Pont du Change, 2013. 70 pages, 12 euros.

  • Recours aux forêts

    N'en a pas fini avec la tentation de s'abstenir de lire de nouveaux auteurs, s'abstenir d'écouter de la musique actuelle, d'aller voir des artistes contemporains et des films récents et de rester connecté à l'actualité. Parce que, à un certain moment, le cerveau se fatigue de n'être que médiocrement stimulé, ou découvre que toute cette soif de culture contribue, paradoxalement, à l'engourdir. Alors, reprendre les livres et les musiques, reconsidérer les œuvres qui nous ont déjà émerveillés, et celles-là seulement. Quant à l'actualité, son triste bégaiement rabâché par les échotiers assoupis, quelle nécessité ?

    Et puis, soudain, une invention hallucinante, un livre remarquable, une musique inouïe, un tableau bouleversant... C'est désespérant, ce déferlement incessant de merveilles.

  • L'essor

    Le papillon sans ses ailes, une espèce de vilain ver à la trompe monstrueuse. Pareil, le poète qui s'agite mais ne décolle pas.

  • Impitoyable

    Travail de corrections sur la première partie de « Mausolées ». Peu de choses mais des moments ardus. Ma correctrice est à l’affût du moindre poncif, de la moindre facilité. Je ne suis pas complaisant, mais j'admets que, malgré tout mon travail de réécriture sur ce roman ancien, j'ai laissé passer quelques images paresseuses, des idées un peu convenues, par manque de vigilance. Rien de tout ça n'échappe à l'oeil de faucon de ma correctrice. Et c'est tant mieux. Chaque réécriture de ces faiblesses rehausse l'ensemble. Ce que j'attends du travail avec un éditeur.

  • çui qui dit qui est

    Dans La Vache, la deuxième sourate du Coran, il est clairement expliqué que les mécréants le sont par la volonté expresse de Dieu (« Quant aux incrédules (...) Dieu a mis un sceau sur leurs cœurs et sur leurs oreilles ; un voile est sur leurs yeux »). Si on se demande bien dans quel but, on peut en tout cas se réjouir que l'athée ne soit en rien responsable de sa philosophie et puisse même exiger du croyant le respect le plus haut, ayant bénéficié, contrairement à lui, de l'attention particulière de son créateur.

  • Rencontre avec Michèle Goldstein-Narvaez

    C'est ce soir à partir de 19h30 à la Brasserie Saint Philibert - place Saint Philibert - à Charlieu que j'aurai le plaisir de participer à une  rencontre avec Michèle Goldstein-Narvaez, auteure de "Nous attendons de vos nouvelles", dont je vous avais parlé ICI.

    La soirée est organisée par la librairie Le Carnet à Spirales, à Charlieu, et son responsable, Jean-Baptiste Hamelin, sera également présent (nous ne serons pas trop de deux pour aborder ce livre et ce thème intimidants).

  • Les six jouissances du grand Laurent

    LC_Balance.jpgAbordant un recueil de nouvelles, le lecteur accepte d'emblée le principe de traversée de temps et de modes différents. C'est le genre qui le veut, et l'homogénéité, ou disons la cohérence, des récits courts qui se succèdent, n'est pas forcément désirable. Entre les six nouvelles de La 3ème jouissance du gros Robert de Laurent Cachard, il y a de forts contrastes de style et de thème. Et cela contribue au plaisir de la lecture. Mais implique de parler de chaque nouvelle comme d'un texte spécifique, dégagé du corpus intégral, quasi inconciliable avec la nature du reste. Le plus jouissif, puisqu'il s'agit de cela, c'est que l'ensemble ainsi créé ajoute à la palette déjà très étendue de Cachard, romans, chansons et théâtre, des nuances inédites. Ce dernier ouvrage semble ressortir des domaines alliés de la somme et de l'exploration.
    La première nouvelle du recueil et qui lui donne son titre, est un sobre et émouvant moment de vie de Robert, et de ses amours possibles. Le récit est crédible (en tant que lecteur, j'ai besoin de vraisemblance et ce n'est pas un détail) et touchant, très délicat, juste. Robert est gros, maladivement gros, ne le restera pas, comme il ne restera pas à la Croix-Rousse (décidément, Cachard est l'écrivain de la Croix-Rousse), où le récit prend racine. La vie du héros connaît les hauts et les bas de cette partie  pittoresque de Lyon, et quand son travail de scientifique l'entraînera à Paris, c'est « tout naturellement », qu'il va retrouver les sensations de son quartier dans les escaliers de Montmartre. Sauf qu'entre temps, il a perdu plus de 30 kilos, a rencontré Mathilde et sa fille, et que grâce à elles sa vie a pris l'épaisseur dont son corps s'est débarrassé. À Paris, au CNRS, où il rejoint une équipe qui travaille - tiens, tiens - sur les phénomènes d'ordre et de désordre, il fait la connaissance de Sophie, autre tête chercheuse. Les chercheurs se trouvent, la vie prend un élan, une résolution. Mais quelque chose n'est pas dit, subsiste et gêne. Il faut que Robert s'acquitte d'une dernière expérience. Cela prend la forme d'une installation en terrasse, à la Croix-Rousse, sur les traces d'un passé pas si lointain. Quand il était encore gros, quand la vie allait lui offrir Mathilde. Dans ce beau récit, Cachard articule avec science le déroulement du temps, place le lecteur aux côtés de son héros, permet une transparence des sentiments, tandis que, de la confusion initiale, monte une clarté, s'affirme une décision. On aime chaque personnage, on accompagne chaque mouvement. C'est un récit solaire et bon. Dans Le poignet d'Alain Larrouquis, l'agaçant et pusillanime Herfray oscillait entre deux femmes à peu près également invivables (selon mes propres critères), Dans cette Troisième jouissance, employée sans ironie, Robert est l'objet d'un amour double et généreux. Le choix de sa vie, finalement, s'en trouve facilité. Et le lecteur sourit, car il est heureux pour chacun des protagonistes.
    Valse, Claudel, ressort du domaine évoqué plus haut, de la somme. Voici un texte longuement mûri, sans doute repris souvent, amendé, approfondi à chaque relecture de son auteur. Le résultat est une nouvelle absolument admirable, d'une sophistication extrême malgré sa brièveté, tant au niveau de la forme que du fond. Le narrateur patiente devant le Musée Rodin, rue de Varenne. Il attend une femme évidemment, et dans l'attente, entame un monologue intérieur avec Rodin, qu'il tutoie. Aussitôt, le récit est suspendu, et tout le jeu littéraire consiste en une exploration à partir du narrateur comme point géographique immobile, vers mille thèmes, mobiles et fuyants. La pensée vagabonde entre l'art et l'intime, l'histoire (de Camille et d'Auguste, de Lui et de Elle), l'attente, la fixité des statues ou de l'homme qui espère, les pensées, la danse, les regards, le mouvement, la réflexion prend son élan et un deux trois, un deux trois, se met à valser. L'irruption d'un gardien, figé dans son rôle, ne bouleverse pas longtemps l'équilibre tenu entre pose et pas-de-deux. Tout le texte explore la dualité fragile du balancement et du stable. C'est un superbe moment d'écriture d'un auteur en pleine possession de ses moyens. Cependant, on est loin de l'exercice littéraire stérile qui afficherait une virtuosité. La sophistication ne rompt pas le charme, elle l'augmente et l'enrichit par moult considérations sur l'art et les rapports de l'artiste à son travail. On reste dans l'humain, l'instant de vie, entre histoire de l'art documentée et remuements intimes, une somme disais-je. J'attendais beaucoup de cette Valse, promise depuis longtemps. Je constate que c’est un condensé d'émotion et d'intelligence. Un des textes les plus riches et les plus passionnants de son auteur. Le genre de littérature qu'on recherche avec avidité, parce qu'elle précipite en son creuset tout ce qu'on aime dans l'écriture, et vous le restitue avec clarté.
    Il est aussi question de danse, dans la nouvelle suivante, avec une scène joliment décrite d'un couple qui sur la piste, s'approche et s'éloigne, joue le rituel de la tentation et du retrait. Ciao, Bella ! décrit une brève rencontre. Il y a tant de brèves rencontres dans la littérature. Celle-ci ne déroge pas aux schémas attendus, amorce anodine, complicité, déambulation nocturne (Lille offre le cadre), incertitude, bienfaisant abandon, mais la fin est un bijou de finesse, qui va faire craquer le lectorat féminin de Laurent. On ne la révélera pas ici, mais ces quelques pages concentrent les rapports entre deux êtres sur une question essentielle : le faire ou pas ? Il y a du In the Mood for Love dans cette valse-hésitation. Un texte extrêmement délicat et subtil. Une réussite.
    Tombe la neige et Marius Beyle (ce dernier texte, déjà édité sous une autre forme, mais retravaillé ici), qui se succèdent dans le recueil, parlent de la guerre et des lendemains de la guerre. Tombe la neige pourrait être vue comme une suite de Tébessa, 1956, puisque ses héros reviennent de l'Algérie. Gérard est resté là-bas, comme on sait, mais son alter ego anonyme revient avec son copain Polo. Le monde a changé, un peu, les femmes ont changé, pas mal. Enfin, les guerriers doivent trouver leur place. Les deux récits parlent de l'identité, de la transmission, et de la place qu'on prend entre les vivants et les morts (ce qui rapproche ce récit d'un roman à venir, le mien, mais nous en reparlerons en temps utile -pardon pour cet aparté). Cachard entreprend la description documentée d'une société passée, avec sa langue et ses modes, qu'elle soit la France populaire des années 60 ou les champs de bataille de 14-18. Dans les deux cas, il retrouve les formes et les accents des monodies intérieures du Gérard de Tébessa, à la première personne. Les portraits et les visions surgissent des pensées, les événements majeurs se mêlent aux souvenirs infimes, la vérité d'une vie et d'une période se construit sans que le lecteur en prenne conscience, par l'accumulation des touches impressionnistes. Les lecteurs qui ont aimé le premier roman de Cachard seront en terrain de connaissance.
    Je soupçonne l'auteur d'avoir eu à convaincre pour ajouter la dernière nouvelle du recueil. Non pas qu'elle constitue un point de faiblesse ou qu'elle ternisse l'ensemble, mais je devine que le burlesque n'est pas la forme littéraire préférée de son fidèle éditeur. Car Rififfi chez les Aplagnet-Tartat est une incursion de Cachard dans le comique le plus roboratif, avec anarchie dionysiaque, jubilation infantile dans la destruction, crescendo dans le désastre (bien que tout rentre dans l'ordre au prix d'un effort absolument admirable du plus mature des protagonistes). On est dans la délectation la plus joyeusement primaire, la régression la plus réjouissante. Une très bonne idée que cette conclusion désopilante qui fait parfois penser au petit vélo à guidon chromé de Perec. Un autre écrivain qui savait employer toute l'étendue de sa verve malicieuse pour offrir à ses lecteurs une occasion supplémentaire de jouissance. Il n'y a pas que trois jouissances pour le lecteur, dans ce recueil, vous l'aurez compris.

    La troisième jouissance du gros Robert (et autres nouvelles). Laurent Cachard. Editions Raison et Passions. 138 pages. 14 euros.

  • Peine à jouir

    J'espérais produire ici une relation de ma lecture de « La 3ème jouissance du gros Robert », mais un autre chantier d'écriture (étrangement lié à l'auteur dont je voulais parler), m'a pris plus de temps que prévu. Ce sera pour demain. Peut-être.
    En tout cas, hier matin, lors du vernissage de l'exposition d'un ami, je me suis "fait" un candidat UDI, anciennement FN, qui a réussi à se recycler sous cette nouvelle étiquette et serre maintenant les paluches de tout le monde culturel local (poignées de mains que personne ne lui refuse, car le voici devenu propre). Pas mécontent de l'avoir renvoyé dans ses buts vert-de-gris. Me sens un peu seul, malgré tout. Heureusement, ma douce me soutient.

    Je parlerai de l'expo aussi, elle en vaut la peine.

  • A propos de l'été slovène.

    LEte-Slovene.JPGOn imagine Clément Bénech intelligent et délicat, drôle et tendre, malicieux (pardon de ces qualificatifs pour gendre idéal, il vaut mieux que ça). Enfin, ses textes (ses, oui : avant ce premier roman, il fut permis d'apprécier sa pertinence sur son blog humoétique -en lien ici depuis au moins un an, sinon plus-  et dans Décapage, la revue de l'éditeur Flammarion, où il fut sans doute repéré), ses textes, disais-je, dessinent ce portrait de leur auteur. Jeune, très jeune (21 ans, édité chez Flammarion ! que les autres jaloux prennent la file, je suis devant), fin, drôle (je l'ai déjà dit, non?), cultivé. Amoureux. En tout cas le narrateur de L'été slovène. Le narrateur, qu'on se figure être Clément comme on s'imagine Marcel en lisant La Recherche (mais on peut raisonnablement supposer qu'il s'agit d'un leurre). Le narrateur, donc, parti avec sa copine Eléna en Slovénie pour un petit périple. Voyage doux-amer. Lucide. Lucide comme l'était un autre jeune garçon de la littérature, Musset. Lucide au point de disséquer en quelques phrases le lent évanouissement des amours inconséquentes. Celles que la jeunesse permet justement, et dont on peut plus tard se pardonner le peu d'ambition.
    L’été slovène est écrit avec la même délicatesse, le même humour, la même lucidité que l'auteur donne à ses personnages. A notre échelle européenne, la Slovénie est un pays jeune, une terre incertaine, propice au tourisme neuf, errant, dérivant. Un paysage qu'un jeune couple arpentera tout en restant concentré sur son doux écroulement. La France n'aurait pas pu, ni les États-Unis. Il fallait bien que cet été soit de là-bas, slovène. Lointain et coutumier. Banal et exotique. Paradoxal.
    Ceux qui me connaissent savent que j'aime les fables hirsutes et malsaines, les grandes orgies de littérature tonitruantes, les récits où se puisent les mythologies des siècles à venir. Mais enfin, un roman court, profond sans avoir l'air d'y toucher, musical, léger comme la gravité qui nous tient debout, ma foi, j'aime. Et je conseille.
    Et on voit encore une fois que les chroniques littéraires, c’est pas mon fort.