France Culture à midi, hier. Alain Finkielkraut est annoncé : il va s’exprimer sur les mauvais résultats de l’équipe de France. Je ne sais rien des problèmes de notre équipe, je comprends seulement qu’il y en a, puisqu’on tend le micro à un de nos plus éminents intellectuels, mais avant les premiers mots du philosophe, je sais déjà ce qu’il va dire : en gros, c’est la faute des musulmans. Et en effet, j’écoute le penseur fustiger une équipe qui est le reflet de la société communautariste et dont les comportements sont inspirés de ceux des banlieues, etc. Du Finkielkraut, quoi. Sans surprise aucune. La même obsession anti-musulmane dans laquelle tous ses concepts se fondent, au feu de quoi toutes ses pensées bouillonnent et s’éclairent. Un journaliste de l’excellente radio expliquait peu après l’intervention de A. F. que d’autres équipes étaient concernées par les mêmes dissensions et excès que la nôtre sans qu’aucun clanisme ou tribalisme n’entre en ligne de compte. Mais Alain, lui, sait : il a sûrement vu autant de matches qu’il avait vu de films de Kusturica avant de pareillement le vouer aux gémonies, mais il a trouvé la faille. Elle est toujours la même à ses yeux : tout procède de la banlieue (ce qui signifie qu’il a une idée de la banlieue, mais une seule). Le mal, c’est la banlieue, le mal c’est le noir, l’arabe, le musulman et leur indécrottable, atavique, génétique besoin de se retrouver entre eux et de repousser l’autre. J’ai beaucoup de respect pour l’intelligence et la pensée abstraite, mais quand je suis capable, moi, quasiment inculte, autodidacte sans bagage, de deviner avant le premier mot ce qu’un intellectuel de ce niveau va dire, je perds confiance en ses capacités d’analyse, et je me dis que le plus beau cerveau, le plus roué, le plus huilé, ne sert plus à rien quand il est stérilisé par l’obsession et le fantasme. Et me reviens l’exemple du pauvre Michel Chasles. Un génie, ce mathématicien, une pensée également huilée et rompue aux exercices abstraits les plus délicats. Pourtant, son obsession patriotique, sa rage xénophobe l’ont conduit à acheter des lettres francophiles de (tenez vous bien si vous ne connaissez pas cette incroyable affaire): Vercingétorix, Galilée, Aristote, Jésus-Christ, César, Cléopâtre, Newton, Alexandre le Grand et j’en passe (il me semble même qu’il y avait Bouddha, mais sous réserve), toutes écrites dans un faux vieux-français quasi parodique. L’abnégation de toute intelligence au profit d’un fantasme. La peur qui submerge toute capacité à prendre du recul. La capacité d’analyse, l’aptitude à prendre du recul par rapport aux faits et aux émotions, c’est ce qu’on demande avant tout à un intellectuel. Non pas que je néglige la montée du communautarisme et ses dangers potentiels, mais il est absurde (et paresseux) d'y voir l'origine de tous les maux de la société. Finkielkraut devrait aller se promener un peu en banlieue, y vivre quelques jours, histoire d'affiner son jugement et éventuellement de le revoir complètement. Une expérience très simple qu’il ne devrait pas refuser. Mais hélas, hélas…