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rencontres avec des gens biens - Page 26

  • Rencontre avec Michèle Goldstein-Narvaez

    C'est ce soir à partir de 19h30 à la Brasserie Saint Philibert - place Saint Philibert - à Charlieu que j'aurai le plaisir de participer à une  rencontre avec Michèle Goldstein-Narvaez, auteure de "Nous attendons de vos nouvelles", dont je vous avais parlé ICI.

    La soirée est organisée par la librairie Le Carnet à Spirales, à Charlieu, et son responsable, Jean-Baptiste Hamelin, sera également présent (nous ne serons pas trop de deux pour aborder ce livre et ce thème intimidants).

  • Les six jouissances du grand Laurent

    LC_Balance.jpgAbordant un recueil de nouvelles, le lecteur accepte d'emblée le principe de traversée de temps et de modes différents. C'est le genre qui le veut, et l'homogénéité, ou disons la cohérence, des récits courts qui se succèdent, n'est pas forcément désirable. Entre les six nouvelles de La 3ème jouissance du gros Robert de Laurent Cachard, il y a de forts contrastes de style et de thème. Et cela contribue au plaisir de la lecture. Mais implique de parler de chaque nouvelle comme d'un texte spécifique, dégagé du corpus intégral, quasi inconciliable avec la nature du reste. Le plus jouissif, puisqu'il s'agit de cela, c'est que l'ensemble ainsi créé ajoute à la palette déjà très étendue de Cachard, romans, chansons et théâtre, des nuances inédites. Ce dernier ouvrage semble ressortir des domaines alliés de la somme et de l'exploration.
    La première nouvelle du recueil et qui lui donne son titre, est un sobre et émouvant moment de vie de Robert, et de ses amours possibles. Le récit est crédible (en tant que lecteur, j'ai besoin de vraisemblance et ce n'est pas un détail) et touchant, très délicat, juste. Robert est gros, maladivement gros, ne le restera pas, comme il ne restera pas à la Croix-Rousse (décidément, Cachard est l'écrivain de la Croix-Rousse), où le récit prend racine. La vie du héros connaît les hauts et les bas de cette partie  pittoresque de Lyon, et quand son travail de scientifique l'entraînera à Paris, c'est « tout naturellement », qu'il va retrouver les sensations de son quartier dans les escaliers de Montmartre. Sauf qu'entre temps, il a perdu plus de 30 kilos, a rencontré Mathilde et sa fille, et que grâce à elles sa vie a pris l'épaisseur dont son corps s'est débarrassé. À Paris, au CNRS, où il rejoint une équipe qui travaille - tiens, tiens - sur les phénomènes d'ordre et de désordre, il fait la connaissance de Sophie, autre tête chercheuse. Les chercheurs se trouvent, la vie prend un élan, une résolution. Mais quelque chose n'est pas dit, subsiste et gêne. Il faut que Robert s'acquitte d'une dernière expérience. Cela prend la forme d'une installation en terrasse, à la Croix-Rousse, sur les traces d'un passé pas si lointain. Quand il était encore gros, quand la vie allait lui offrir Mathilde. Dans ce beau récit, Cachard articule avec science le déroulement du temps, place le lecteur aux côtés de son héros, permet une transparence des sentiments, tandis que, de la confusion initiale, monte une clarté, s'affirme une décision. On aime chaque personnage, on accompagne chaque mouvement. C'est un récit solaire et bon. Dans Le poignet d'Alain Larrouquis, l'agaçant et pusillanime Herfray oscillait entre deux femmes à peu près également invivables (selon mes propres critères), Dans cette Troisième jouissance, employée sans ironie, Robert est l'objet d'un amour double et généreux. Le choix de sa vie, finalement, s'en trouve facilité. Et le lecteur sourit, car il est heureux pour chacun des protagonistes.
    Valse, Claudel, ressort du domaine évoqué plus haut, de la somme. Voici un texte longuement mûri, sans doute repris souvent, amendé, approfondi à chaque relecture de son auteur. Le résultat est une nouvelle absolument admirable, d'une sophistication extrême malgré sa brièveté, tant au niveau de la forme que du fond. Le narrateur patiente devant le Musée Rodin, rue de Varenne. Il attend une femme évidemment, et dans l'attente, entame un monologue intérieur avec Rodin, qu'il tutoie. Aussitôt, le récit est suspendu, et tout le jeu littéraire consiste en une exploration à partir du narrateur comme point géographique immobile, vers mille thèmes, mobiles et fuyants. La pensée vagabonde entre l'art et l'intime, l'histoire (de Camille et d'Auguste, de Lui et de Elle), l'attente, la fixité des statues ou de l'homme qui espère, les pensées, la danse, les regards, le mouvement, la réflexion prend son élan et un deux trois, un deux trois, se met à valser. L'irruption d'un gardien, figé dans son rôle, ne bouleverse pas longtemps l'équilibre tenu entre pose et pas-de-deux. Tout le texte explore la dualité fragile du balancement et du stable. C'est un superbe moment d'écriture d'un auteur en pleine possession de ses moyens. Cependant, on est loin de l'exercice littéraire stérile qui afficherait une virtuosité. La sophistication ne rompt pas le charme, elle l'augmente et l'enrichit par moult considérations sur l'art et les rapports de l'artiste à son travail. On reste dans l'humain, l'instant de vie, entre histoire de l'art documentée et remuements intimes, une somme disais-je. J'attendais beaucoup de cette Valse, promise depuis longtemps. Je constate que c’est un condensé d'émotion et d'intelligence. Un des textes les plus riches et les plus passionnants de son auteur. Le genre de littérature qu'on recherche avec avidité, parce qu'elle précipite en son creuset tout ce qu'on aime dans l'écriture, et vous le restitue avec clarté.
    Il est aussi question de danse, dans la nouvelle suivante, avec une scène joliment décrite d'un couple qui sur la piste, s'approche et s'éloigne, joue le rituel de la tentation et du retrait. Ciao, Bella ! décrit une brève rencontre. Il y a tant de brèves rencontres dans la littérature. Celle-ci ne déroge pas aux schémas attendus, amorce anodine, complicité, déambulation nocturne (Lille offre le cadre), incertitude, bienfaisant abandon, mais la fin est un bijou de finesse, qui va faire craquer le lectorat féminin de Laurent. On ne la révélera pas ici, mais ces quelques pages concentrent les rapports entre deux êtres sur une question essentielle : le faire ou pas ? Il y a du In the Mood for Love dans cette valse-hésitation. Un texte extrêmement délicat et subtil. Une réussite.
    Tombe la neige et Marius Beyle (ce dernier texte, déjà édité sous une autre forme, mais retravaillé ici), qui se succèdent dans le recueil, parlent de la guerre et des lendemains de la guerre. Tombe la neige pourrait être vue comme une suite de Tébessa, 1956, puisque ses héros reviennent de l'Algérie. Gérard est resté là-bas, comme on sait, mais son alter ego anonyme revient avec son copain Polo. Le monde a changé, un peu, les femmes ont changé, pas mal. Enfin, les guerriers doivent trouver leur place. Les deux récits parlent de l'identité, de la transmission, et de la place qu'on prend entre les vivants et les morts (ce qui rapproche ce récit d'un roman à venir, le mien, mais nous en reparlerons en temps utile -pardon pour cet aparté). Cachard entreprend la description documentée d'une société passée, avec sa langue et ses modes, qu'elle soit la France populaire des années 60 ou les champs de bataille de 14-18. Dans les deux cas, il retrouve les formes et les accents des monodies intérieures du Gérard de Tébessa, à la première personne. Les portraits et les visions surgissent des pensées, les événements majeurs se mêlent aux souvenirs infimes, la vérité d'une vie et d'une période se construit sans que le lecteur en prenne conscience, par l'accumulation des touches impressionnistes. Les lecteurs qui ont aimé le premier roman de Cachard seront en terrain de connaissance.
    Je soupçonne l'auteur d'avoir eu à convaincre pour ajouter la dernière nouvelle du recueil. Non pas qu'elle constitue un point de faiblesse ou qu'elle ternisse l'ensemble, mais je devine que le burlesque n'est pas la forme littéraire préférée de son fidèle éditeur. Car Rififfi chez les Aplagnet-Tartat est une incursion de Cachard dans le comique le plus roboratif, avec anarchie dionysiaque, jubilation infantile dans la destruction, crescendo dans le désastre (bien que tout rentre dans l'ordre au prix d'un effort absolument admirable du plus mature des protagonistes). On est dans la délectation la plus joyeusement primaire, la régression la plus réjouissante. Une très bonne idée que cette conclusion désopilante qui fait parfois penser au petit vélo à guidon chromé de Perec. Un autre écrivain qui savait employer toute l'étendue de sa verve malicieuse pour offrir à ses lecteurs une occasion supplémentaire de jouissance. Il n'y a pas que trois jouissances pour le lecteur, dans ce recueil, vous l'aurez compris.

    La troisième jouissance du gros Robert (et autres nouvelles). Laurent Cachard. Editions Raison et Passions. 138 pages. 14 euros.

  • Peine à jouir

    J'espérais produire ici une relation de ma lecture de « La 3ème jouissance du gros Robert », mais un autre chantier d'écriture (étrangement lié à l'auteur dont je voulais parler), m'a pris plus de temps que prévu. Ce sera pour demain. Peut-être.
    En tout cas, hier matin, lors du vernissage de l'exposition d'un ami, je me suis "fait" un candidat UDI, anciennement FN, qui a réussi à se recycler sous cette nouvelle étiquette et serre maintenant les paluches de tout le monde culturel local (poignées de mains que personne ne lui refuse, car le voici devenu propre). Pas mécontent de l'avoir renvoyé dans ses buts vert-de-gris. Me sens un peu seul, malgré tout. Heureusement, ma douce me soutient.

    Je parlerai de l'expo aussi, elle en vaut la peine.

  • Sans ciel au dessus

    Athée, en prière tout de même, une manière de concentration pour mieux supporter les colères du monde, et dans cette concentration, savourer la douce épice du dérisoire.

  • A propos de l'été slovène.

    LEte-Slovene.JPGOn imagine Clément Bénech intelligent et délicat, drôle et tendre, malicieux (pardon de ces qualificatifs pour gendre idéal, il vaut mieux que ça). Enfin, ses textes (ses, oui : avant ce premier roman, il fut permis d'apprécier sa pertinence sur son blog humoétique -en lien ici depuis au moins un an, sinon plus-  et dans Décapage, la revue de l'éditeur Flammarion, où il fut sans doute repéré), ses textes, disais-je, dessinent ce portrait de leur auteur. Jeune, très jeune (21 ans, édité chez Flammarion ! que les autres jaloux prennent la file, je suis devant), fin, drôle (je l'ai déjà dit, non?), cultivé. Amoureux. En tout cas le narrateur de L'été slovène. Le narrateur, qu'on se figure être Clément comme on s'imagine Marcel en lisant La Recherche (mais on peut raisonnablement supposer qu'il s'agit d'un leurre). Le narrateur, donc, parti avec sa copine Eléna en Slovénie pour un petit périple. Voyage doux-amer. Lucide. Lucide comme l'était un autre jeune garçon de la littérature, Musset. Lucide au point de disséquer en quelques phrases le lent évanouissement des amours inconséquentes. Celles que la jeunesse permet justement, et dont on peut plus tard se pardonner le peu d'ambition.
    L’été slovène est écrit avec la même délicatesse, le même humour, la même lucidité que l'auteur donne à ses personnages. A notre échelle européenne, la Slovénie est un pays jeune, une terre incertaine, propice au tourisme neuf, errant, dérivant. Un paysage qu'un jeune couple arpentera tout en restant concentré sur son doux écroulement. La France n'aurait pas pu, ni les États-Unis. Il fallait bien que cet été soit de là-bas, slovène. Lointain et coutumier. Banal et exotique. Paradoxal.
    Ceux qui me connaissent savent que j'aime les fables hirsutes et malsaines, les grandes orgies de littérature tonitruantes, les récits où se puisent les mythologies des siècles à venir. Mais enfin, un roman court, profond sans avoir l'air d'y toucher, musical, léger comme la gravité qui nous tient debout, ma foi, j'aime. Et je conseille.
    Et on voit encore une fois que les chroniques littéraires, c’est pas mon fort.

  • Copernicien

    Galilée a commencé en fabriquant une lunette inspirée d'un jouet pour enfants. Va révolutionner la science avec un GI Joe, toi, maintenant !

  • Du côté du petit Marcel

    Appréciation de monsieur Humbert, au sujet de son élève de 5e D, le petit Marcel Proust. Premier trimestre : « Cet élève fera beaucoup mieux quand il se laissera moins entraîner par son imagination déréglée ». Au deuxième trimestre : « Bon élève, absent et malade depuis la fin de janvier. » troisième trimestre : « A le plus vif désir de bien faire, mais se laisse trop entraîner par son imagination (l'expression peu ordinaire qui suit est barrée). »
    Appréciation de M. Darlu, en philosophie, 6 ans plus tard : « Travaille autant que sa santé le lui permet. » Au deuxième trimestre, le même : « Beaucoup de facilité et de goût. Travaille autant que sa santé le lui permet. »
    Tout Proust est là, en germe, dans ces notes.


    Moi, en 6e, j'avais : « L'élève Chavassieux est incompréhensible. » Voyez ?

  • Arsand parle de Que Tal

    J'avais aimé le livre de Daniel Arsand. Ici, son interview sur France Culture, pour aller plus loin.

  • Parole et pensée

    « La grammaire est un art qui enseigne à parler et à écrire correctement. Cet art, composé de différentes parties, a pour objet la parole, qui sert à énoncer la pensée.
    La grammaire admet deux sortes de principes : les uns sont d'une vérité immuable et d'un usage universel ; ils tiennent à la nature de la pensée même ; ils en suivent l'analyse, ils n'en sont que le résultat. Les autres n'ont qu'une vérité hypothétique et dépendante de conventions libres et variables, et ne sont d'usage que chez les peuples qui les ont adoptés librement, sans perdre le droit de les changer ou de les abandonner, quand il plaira à l'usage de les modifier ou de les proscrire. »

    Grammaire des grammaires, par Girault Duvivier, 1822.

    D'une époque où un traité de grammaire était aussi de la littérature. (Merci Jean).

  • Echange de bons procédés

    Un texte de Fabrice Pousserot, de Calamités quotidiennes


    Au départ, l’idée paraissait rigolote : 7 Mars 2012- 7 Mars 2013, une année complète de « Calamités Quotidiennes », il fallait marquer le coup, un billet mémorable, un dessin avec un gâteau des bougies et des « tsoin tsoins », ça aurait pu le faire.
    Et puis, bon, quand même, tout cela aurait à mes yeux, détonné, égard à l’humour parfois potache, mais discret au regard des chiffres de fréquentation de ce blog nouveau né.
    Quelle idée donc, quel trait de génie permettrait de marquer dignement le 365ième jour d’existence de mon défouloir quotidien ?
    Un Génie ? Mais, bonsangmaiscébiensurje m’exclamait ! Un Génie ? Un Génie ! Je l’avais trouvé ! Ne me restais plus qu’à contacter par mail l’imenssissime Christian Chavassieux qui m’avait chaudement recommandé, plus d’un an avant, de compiler sur un blog les inepties que je semais à tout vent sur un célèbre réseau social : « Ouvre un blog ! » qu’il m’avait écrit, laconique et impératif, « Ouvre un blog ! », j’avais imaginé, fertile penseur que je suis la suite de ce court message :

    « Ouvre un blog ! »

    Ou je te pète la gueule
    Ou je te crève tes pneus
    Ou je te scie ta canne

    J’avais donc imaginé tous les scénarios possibles devant cette simple suggestion bienveillante de ce vieux Chavass’ ( je sais, Christian, je suis certainement le premier à t’affubler de ce sobriquet ridicule, mais c’était simplement une volonté facile de créer une intimité fictive, une espèce de vieille camaraderie qui me pousserait à t’interpeller ainsi en te gratifiant d’une solide bourrade alors que nous dégusterions un verre de « Préfontaines » accoudés à un zinc minable, mon vieux Chavass’ alors que je le sais bien, moi, que tu préfères le Chivas, mais cessons là cette parenthèse incongrue qui m’amène une fois de plus bien loin du sujet dont c’est y que je voulais causer, ça m’énerve quand je m’éloigne comme ça du thème  que je voulais traiter, vous ne pouvez pas savoir à quel point ça m’angoisse cette tendance lourde à la digression, ça me coûte une fortune chaque semaine, allongé sur un divan freudien à me demander s’il est bien judicieux de………)

    Le mail que j’envoie à Christian est également concis, précis : je lui propose de lui laisser, ce 7 Mars, la page blanche de mon blog !

    10 minutes après le mail

    Réponse de Christian, l’idée l’amuse, l’intrigue même, il me propose donc carrément d’échanger nos blogs ce jour là ! Mince alors, moi qui  comptait me la couler douce ce jour là, non seulement il va falloir que j’écrive mais , de plus, en essayant d’y glisser un peu de talent, écrire sur « Kronix », quand même, ça mérite de transpirer un peu……….
    L’idée me vient d’un Conte, d’une Fable, une aventure improbable qui mettrait en scène l’Auteur du « Psychopompe » et du « Baiser de la Nourrice ».
    Café, noir, fort, gnole de coing dans le café, les doigts transpirent sur le clavier comme lorsque ,enfant, je participais aux auditions de piano de l’école de musique, l’histoire commence, Chavassieux, tel un Jack Torrance hexagonal, décide, le temps des quelques mois nécessaires  pour écrire un roman , de devenir gardien d’un Musée, on ne se refait pas, fermé l’hiver, dans un coin perdu d’une lointaine cambrousse de montagne, loin des stations à la mode, on imagine la neige , le vent dans les sapins. Le Musée, on n’en doute pas est hanté des âmes des personnages qu’il présente, et, tout au long du temps, la terre est durcie par le froid, Christian ne peut, pour se détendre, chasser les taupes, Chavassieux est gagné par une psychose, une folie violente, qui le pousse au Crime.
    A la toute fin du film, de ce « Shining » franco rural, gros plan, sur une photo jaunie, au fond de la vitrine qui présente la maison du rebouteux, du sorcier, on reconnaît sans peine le visage halluciné de Christian Chavassieux, en paria du village tel le Zorg inquiétant de «  La Maison assassinée ».

    L’idée est bonne, amusante même, mais………………………………..
    ….. Mais la pensée, tout soudain que Christian Chavassieux  puisse, ne serait ce même que moralement persécuter sa Douce, me semble intolérable, si ce n’est inqualifiable !!!!!!!!

    Au panier donc le Kubrick de pacotille, parodie avortée, il me faut une autre idée ! Et je repense à l’insolent et inachevé : « Radical Hennelier ».
    Coup de main que j’imagine précieux à l’auteur en panne je décide de terminer l’histoire qui nous laissait sur notre faim, agacé, ou désespéré, cochez les mentions inutiles,  au matin du 4 Janvier sur ces derniers mots :
    « Dans le sourire de mes frères et sœurs, je perçois la vie nouvelle et libre qui nous attend. Dès que nous serons assez nombreux. »
    Que je conclus, désintéressé que je suis par un glorieux :
    « TSOIN TSOIN ! »


    Calamiteusement……………..

     

    Ehé. Et voilà, rendez-vous donc, vous l'aurez compris, ce même jour, sur le blog de Fabrice pour considérer l'autre facette de l'échange. On aurait pu se dire, pour rester du côté de Jack Torrance : "Viens jouer avec moi."

  • Du Ghetto

    Nous attendons de vos nouvelles est le récit croisé des parents de l'auteur à partir des lettres qu'ils lui ont laissées. Cette correspondance, dont Michèle Goldstein-Narvaez a toujours su l'existence, mais qu'elle n'avait jamais osé lire avant la disparition de sa mère, est le point à partir duquel l'écrivain greffe ses propres souvenirs, son rapport avec ses parents, les récits de sa jeunesse à Lyon, des points de sa vie, enfin tout ce qui la constitue et qui, réalise-t-elle alors, est imprégné de ce passé.
    Janka, sa mère, et Stasio, son père, juifs polonais de Lodz, se sont évadés du ghetto de Varsovie et ont survécu aux bombardements, au siège, aux combats pour la prise de la ville à la fin de la seconde guerre mondiale.
    C'est un livre terrible et intelligent, précis, généreux. Le récit de juifs qui échapperont à la Shoah, avec tout ce que ce statut de survivant peut avoir d'heureux et d'inconfortable.
    La lecture de Nous attendons de vos nouvelles a été un temps suspendu. C'est un livre à plusieurs niveaux de lecture dont il n’est pas facile de parler succinctement. Il faut dire d'abord la qualité de son écriture. Ce n'est pas une surprise quand on a lu les moindres travaux de Michèle, mais c’est le viatique de tout le reste, et c'est essentiel. Pas de sophistication inutile, de virtuosités qui auraient amoindri l'hommage en jouant le pathos ou l'emphase. C'est l'élégance, une écriture intelligente et sobre, un phrasé sûr, de la force, la forme nécessaire.
    Le croisement des récits, l'organisation des histoires dans l'Histoire, chevauchements complexes, sont rendus fluides grâce à un travail que l'on devine énorme, à partir des lettres traduites, des ouvrages référents (de la grande histoire à Sept dans un bunker de Charles Goldstein en passant par le Karski de Haenel, etc.), de la voix des parents, de la mémoire collective. Tout cela est parfaitement tissé au long du livre. Le déroulement des faits est clairement exposé, le chapitrage est fait dans une volonté d'informer. Seule ma méconnaissance des lieux et la difficulté du français avec les patronymes juifs ou est-européens m'ont obligé parfois à des retours en arrière, des vérifications. Mais que l'auteur soit louée pour l'effort didactique qu'elle a privilégié en rédigeant. A la fin, avec la lecture des lettres, le peu de doutes s'éclaircit tout à fait.
    Il est très difficile, alors que je sors juste de ma lecture, de donner une vue en hauteur et pertinente de ce texte émouvant. La première chose qui me vient, sans aucune analyse, c'est cette scène où l'auteur est sur le quai de la gare (c'est dans l'introduction, je crois, véritable livre dans le livre, déjà un formidable morceau de littérature), quand un train de marchandises stoppe ses wagons vétustes devant elle et que, pendant quelques terribles secondes, Michèle sent comme une aspiration, ses pas attirés vers eux, vers un destin inéluctable. C'est magnifique, c'est vertigineux, je crois qu'on n'a jamais traduit de façon aussi puissante la force de ce traumatisme particulier, et aussi ce que c’est que d'en hériter. On n'en finit jamais, et le monde et ses visions sollicitent constamment le survivant avec l'éternelle question du pourquoi. Un wagon qui s'arrête et c'est l'incompréhensible qui vous saute à la figure.
    Survivante, petite Thérèse (Oui, son autre prénom est Thérèse, malgré les réticences de la famille, mais cette trouvaille trouve son explication dans le beau passage du bombardement et du garçon à qui Janka sauve la vie), miraculée parce que ses parents ont eu la chance de vivre (la chance, insiste Lipietz dans sa superbe postface, car l'argent, la volonté et le courage n'ont pas suffi pour la grande majorité, hélas), il y a donc cela que l'auteur doit supporter. Comme il faut supporter que l'humanité un jour, se révèle sous l'angle de sa plus néfaste nature. Je rejoins encore Lipietz quand il souligne cette scène où les domestiques polonaises, tout à leur joie carnassière, volent rideaux et objets, dans l'appartement et sous les yeux de leurs employeurs, avec la bénédiction des soldats allemands (quand je vois l'effet qu'ont sur moi les minuscules trahisons, les petits désordres de l'amitié, je me dis qu'être témoin de toutes ces bassesses doit être absolument dévastateur, et d'une dévastation durable). Avoir confiance en l'humanité après ça... Heureusement, comme toujours, il y a les exceptions. L'étonnante Jula, polonaise catholique, qui cache des juifs  en plein Varsovie, se brosse innocemment les cheveux tandis que les nazis fouillent son appartement, en est un merveilleux exemple. Quel courage !
    Les témoignages des parents seront livrés au fil des ans à leur fille avide de détails, livrés par bribes ou par distraction, avec de l'humour souvent. On saisit comment tout cela a construit l'identité de l'auteur. Et comment les lettres disent l'angoisse pour ceux dont on doit se séparer, malgré ou à cause de l'amour qu'on leur voue, les tracas quotidiens, les espoirs même dans les moments les plus sombres, et la façon dont la vie triomphe, au bout du compte. L'importance du quotidien est peut-être un des apports les plus importants de ce livre. Il n'est pas absent des grands textes exemplaires sur la Shoah ou le Ghetto de Varsovie, de Primo Levi ou de Martin Grey, il n'est pas oublié par Lanzmann, mais il est toujours livré sur le mode édifiant, pour expliquer la dureté de la vie, donner un détail significatif (ce pourrait être ici la façon de se laver dans un verre d'eau, par exemple). L'idée de citer les lettres in extenso ou presque, au cours et surtout à la fin du livre, renvoie à celle de l'impensable. Je m'explique. Au jour le jour, un cataclysme inédit est impossible à analyser, parce que le quotidien l'emporte. Se nourrir, se vêtir, trouver un travail, s'informer sur tel ou tel, sur une mère ou un fiancé, voilà ce qui importe. Les grandes colères des nations et les idéologies ont le caractère des éruptions volcaniques. S'en inquiéter ne changera rien et, de toutes façons, on le saura quand ça arrivera. C'est cela que les lettres disent. C'est pour cela que la mémoire est importante. C'est pour cela que, disant le quotidien, les lettres familiales, quelques objets, ce minuscule trésor tassé dans une enveloppe repliée ou dans une boîte métallique, disent aussi combien la litanie des jours est un danger. Un danger mais aussi la substance de la vie. La marque de son obstination. Que l'auteur aie, toute jeunette, dressé ses poings pendant mai 68, soutenu la résistance chilienne, n'est pas anodin. C'est qu'elle avait compris le désastre de l'autisme face aux mouvements idéologiques. C'est un autre héritage.
    Je trouve remarquable et significatif que Michèle Goldstein-Narvaez ait attendu la disparition de sa mère, dernière survivante, pour se lancer dans ce travail. Je comprends cet atermoiement. Je crois qu'il s'agit davantage d'une maturation nécessaire que d'une hésitation à se confronter au passé, aux événements trop durs, à la mémoire de ses parents, d'êtres trop proches pour qu'on leur substitue une traduction scripturaire, aussi respectueuse soit-elle. Il s'agit de transmettre, et je me dis là aussi que le  métier de l'auteur (elle est professeur) n'est pas venu par hasard, mais qu'il est bien le fruit de cette idée, née quelque part sur un coin de table, à la cuisine, quand Janka et Stasio lui racontaient, encore une fois, la survie dans les égouts.
    Michèle Goldstein-Narvaez a produit là une belle œuvre de transmission, importante, que je vous invite à découvrir.


    Nous attendons de vos nouvelles : voix du Ghetto de Varsovie.

    Michèle Goldstein-Narvaez. Editions Max Milo. 18 euros.

  • Espérant la réciproque

    Une part méconnue mais non négligeable du statut d'écrivain est la lecture des textes des amis écrivains, manuscrits ou achevés. D'où l'importance de sélectionner ses amis parmi les bons écrivains. J'avoue que j'ai cette chance.

  • Repentir

    J'avais d'abord exhibé ici ma rage envers certaines choses dans un billet virulent. Et puis, il se trouve qu'à l'instant, alors que je viens de demander à ma douce de mettre de la musique sur l'ordinateur, elle avoue en être incapable. Mais, lui dis-je, tu m'as bien vu faire, plusieurs fois même ? "C'est que, me répond-elle, quand je suis à côté de toi et que tu es sur l'ordinateur, je n'ai aucune idée de ce que tu fais, ce n'est pas l'écran que je regarde, c'est ton visage, tes yeux, tes cheveux, c'est toi."

    Infatigablement, ma douce me réconcilie avec l'humanité. je ne vois pas qui pourrait refuser d'aimer une telle personne, et je ne vois pas comment je ferais pour l'aimer moins.

  • Le bon sens

    « C'est vrai que des livres, y'en a beaucoup », conclut-il. Je le regarde et comprends qu'il faut passer à un autre sujet. Je tente : « Le temps s'est rafraîchi, ce soir, non ? »

  • J'écoute donc je suis

    écoute-1.jpgDemain soir 19 février à Roanne, à 19 heures, au Diapason, une performance-spectacle-récit de Mathias Forge, sans qui Roanne perdrait quelques couleurs culturelles et beaucoup d'attention à son univers sonore; c'est inouï, inédit, c'est Mathias. Soirée extra-ordinaire en perspective.

     

    Tous les détails ci-contre (cliquer sur l'image)

  • Que Tal, par Daniel Arsand

    Daniel Arsand, auteur de En silence, La province des Ténèbres et récemment du terrible Un certain mois d'avril à Adana, est de ces écrivains dont on dit qu'ils sont rares, parce que leur voix est singulière, véritablement. Arsand élabore des récits au style soigné, mêlant délicatesse et puissance. Son dernier ouvrage est un texte court, publié en début d'année (Kronix a plus d'un mois de retard, mais bon), un récit autobiographique dans la veine de L'ivresse du fils ou Lilly, mais absolument différent par le sujet, l'énergie, la vitesse, l’enchaînement des thèmes, qui ressort autant de la prose poétique que de l'essai. Le livre s'intitule Que Tal. C'est le nom d'un chat. Son chat.

    Qui est-il, ce chat, qu'on déposa un jour entre les bras de Daniel Arsand, ce chat au pelage blanc qui ne se soucie pas du temps qui passe, enseigne ainsi à qui veut bien l'observer, que le temps n'est que l'appréciation qu'on en fait ; une affaire personnelle ? Un animal, d'accord, mais c'est tellement réducteur, ce terme. Incompatible, pour l'humain borné, avec l'idée de l'amour. Et pourtant. Voici une histoire d'amour, placée d'emblée sous l'angle du deuil et de l'altérité, voire de la presque gémellité, entre un homme et son chat. C'est une tragédie.

    Entre eux, il y eut un apprivoisement réciproque. Long. Quand tout va bien, Que Tal rejoint son compagnon dans la nuit, les ténèbres qui « matelassent l'appartement ». L'auteur qui n'est pas encore écrivain alors, n'ose pas fumer, ce qui insupporterait l'Autre. La nuit, c’est leur domaine à tous les deux, ils y sont à l'aise. Que Tal et lui couchent ensemble, vraiment, et le chat aux amarres de son Autre, est source de sensualité, de phrases qui entretiennent un trouble malicieux.

    Il y a, prestement esquissée mais vite résolue, une crainte (plutôt un ennui) qu'on ne le saisisse pas, cet amour. La difficulté de faire comprendre cet absolu éprouvé pour un être d'habitudes, pour quelqu'un. Quelqu'un qui donne la paix et grâce à qui tout est limpide. Quelqu'un ET un animal.

    Dans l'obscurité, dans le désœuvrement, c'est l'éclatante lassitude d'un type qui parfois se déteste. Un corps qui ressasse ses pensées, la monotonie du corps. La lassitude telle une bête dans la nuit. Voulue, désirée, préservée. La part animale, qui est cette parcelle de sincérité et d'angoisse, confinée là, au creux du corps. La part animale, précieuse, c’est aussi ce qui permet de s'éveiller, de réagir. Solitude et lassitude prennent l'être incertain en tenaille, l'obligent à des contours et à des décisions : une posture d'homme, alors qu'il voudrait être flou, négligeable. Parmi toutes les lassitudes, il en existe une, impérieuse : celle de ressusciter ses morts. Mais le garçon voudrait oublier qu'ils le hantent. Alors Que Tal, qui s'allonge contre lui, l'accompagne sans poser de questions, semble une solution, permet une réponse. Il a l'avantage d'être là, tangible et discret. Il n'est pas tonitruant, ne réclame rien que de l'amour. Il l'apaise.

    A 42 ans, orphelin et célibataire, au chômage, peu content d'être lui, incapable d'écrire, infichu d'aimer, l'homme s'insulte, se traite de vieille carne rouspéteuse. Il comprend enfin l'autre solution, l'autre réponse : il lui faudra écrire, écrire dix mots pour en retrancher onze, écrire ce qu'il est, purin et or. Écrire enfin ses morts pour s'en désencombrer, écrire ce qu'ils ont été, les remettre à leur place. La place légitime qui est la leur, celle des fantômes. Que Tal ne le tolère que sain de corps et d'esprit. Ce qui oblige son compagnon à refuser les privilèges que revendiquent ses morts. Il le met au défi d'être écrivain, en somme.

    Lui est parti souvent, métier oblige. Il est souvent venu avec d'autres hommes, ivresse oblige. Le cœur de Que Tal s'est usé à l'attendre. « En sa compagnie, j'étais un orphelin, j'étais seul et veillé ». Vivre à deux, ce fut cela, écrire entre transe et sérénité. Quand l'écriture sonne faux, Que Tal apporte son aide, sans rien faire, il lui suffit de rester sous la caresse du regard de l'homme, d'exposer son animale sincérité. L'homme devient écrivain « avec ange gardien ».


    Après douze ans de vie commune, Que Tal meurt en 2005. D'une embolie. Le chagrin, cette érotisation de la mort, ne se discute pas. Incrédulité, stupéfaction, on le vit, point. Et ce deuil en rappelle d'autres, qui furent longtemps remisés pour mieux avancer. Des deuils qu'il n’est plus possible de négliger. La mort de ses parents qu'il lui avait fallu attendre pour révéler son homosexualité. Et les fantômes resurgissent. Sa mère, sa langue maternelle même, Arsand ferme les paupières à ces deux morts. Le français est trop proche du chagrin, insupportable. Le chômage est loin maintenant, il est éditeur de textes étrangers. Il lit en anglais. L'amour physique, l'illusion du contact des autres, est un piètre réconfort. Une griserie qui finalement, rappelle cruellement le manque. Et le fantôme du père, ramené des limbes par Que Tal, messager bénévole surgit dans un retour fulgurant, radical. Le père « revint et fut mis en mots, il existait pour une seconde fois ».

    La confrontation au deuil rend à l'auteur la conscience soudaine, à l'exemple de Que tal, que d'autres sont morts, que tout meurt, qu'il est mortel lui-même. C'est l'évidence, mais quand l'évidence prend corps, quand il devient manifeste qu'un corps recèle les cendres détestables... Il se produit un déclic. Au bout du compte, Que Tal a appris à son compagnon tout ce qui lui est essentiel : à vivre et à mourir, à écrire. On comprend alors quel vide il laisse. Une étrange transmission, rarement dite, s'est produite entre l'homme et l'animal. Celui qui nourrit l'autre n'est pas celui qu'on croit. Que Tal a nourri la part animale de l'auteur. Cette part animale, c’est l'authenticité, ce qui échappe à l'écriture, même la plus sincère, la plus obsessionnelle, toujours menacée de frôler le possible et le faux. Se moquer de ses affres, et s'en réjouir, en jouir, aller vite, écrire. Que Tal ? Comment ça va ? Il écrit. L'écrivain écrit, alors ça va.

    Je vous invite à découvrir ce texte fiévreux et noir. Une élégie qui mute en hymne frénétique, dans un superbe déferlement final.

    Que Tal. 88 pages. Phébus, littérature française.

  • Dernières retouches

    Ce week-end, c'est la dernière session avant de rendre ma copie. Un mois d'avance. J'ai énormément travaillé, je vous assure, pas laissé une phrase indemne, un mot qui ne soit réfléchi, une situation qui ne soit pesée. Mausolées, nouveau titre (en tout cas, celui qui émerge des propositions échangées entre l'éditeur et moi) de ce roman de (presque) jeunesse initialement intitulé A la droite du Diable est devenu, à force de repentirs et de réécriture, un texte dont je n'ai pas à rougir. La matière était là, mais la forme d'origine était démesurément verbeuse, prolixe, bavarde, inutilement riche en termes rares. Enflée, pour tout dire. Je dois à Frédéric Weil et à son équipe d'avoir eu envie de ce livre, assez pour que j'entreprenne un chantier que je n'aurais jamais accompli sans la perspective d'une édition. Mausolées est très différent des précédents, bien sûr : je ne crains pas d'y placer des scènes d'action et, parfois mais j'assume, un peu de mauvais goût, mais il me semble enfin à la hauteur de ce qu'un lecteur de mes livres actuels peut exiger. Je ne dis pas que mon niveau d'écriture ou que l'ambition de mes thèmes soient exceptionnels, entendons-nous bien, je dis que mes récits se situent à un certain degré et que, quel que soit ce degré, je ne veux pas descendre en dessous. C'est une sorte de contrat moral avec mes lecteurs. Je sais aussi qu'il va toucher un autre lectorat, peu habitué à cette forme de littérature. Le souhait de Mnémos est d'apporter à des lecteurs, fatigués de se voir proposer des combats de guerrières à forte poitrine et des récits immatures de mondes imaginaires, une forme plus adulte, peut-être plus littéraire. Je n'ai pas théorisé une telle démarche, c'est mon éditeur qui a cru reconnaître dans ce manuscrit une réponse aux désirs d'une partie de son lectorat. Nous allons donc savoir, dès la fin du mois d'août de cette année, si le pari est gagné. Je crois que c’est un gros risque pour Mnémos, et j'espère que les lecteurs seront au rendez-vous, malgré cette période peu propice aux récits sombres et désespérés (car, hélas, Mausolées n'est pas une bluette).

  • Ne bougez plus

    Visage figé, immobile, cou dégagé, sans lunettes. Me voici déguisé en photo d'identité.

  • Les dits du Labo

    Cadeau : le texte déclamé en pédalant, vendredi soir, au Labo de la Livatte. Texte inspiré par les photos de marc Bonnetin, visages et dos, nuques et faces. Tout cela mis en son et en musique par Jérôme Bodon-Clair.

     

    Pile ; Assez d'énergie pour tenir la Face en miroir.
    Reste dans l'ombre, expose son revers au soleil
    Face ; Assez de clarté pour en donner à Pile
    Pile ; Tout le corps est Pile, tout supporte Face, tout est déterminé par Face
    Face ; Reçoit le monde, conduit le jour jusqu'aux plantes des pieds
    Pile ; Qui est discret, par force
    Face ; Qui s'exhibe, par nature
    Pile ; Le Soi qui se dérobe
    Face ; Que l'on veut enrober,
    Face ; Que tant de tranchants veulent faire rejoindre Pile.

    Pile. Face.

    Pile. Ce qui s'appelle Pile. L'un des pôles de la personne. Pile au nord, Pile des perdants qui plient sous l'épée. Dos pâle, col sans hâle. Sur le revers, pile-poil épilées, ancre d'échine des vertèbres empilées de la tête aux épaules qu'on hausse. Toute la nuque est énucléée, rasée, hérissée, dressée, stressée, méprisée, la risée du matin, fait la gueule dès qu'on l'engueule, tournée, boude, courbe, dégage, de dos, fin du dos, sommet du dos mais sans ailes hélas, se faufile et file.
    Laissons là Pile d'ascètes. Mettons un terme à Pile et passons en Face.
    Car en face, de l'autre côté, sur l'autre rive, passé le seuil des oreilles et des tifs, sur l'avers à voir, à boire, la face, à poil et pelure, à découvert, moitié velue et moitié nue, moitié voulue et moitié niée, la face sans peur s'épanche et rit, sape les sagesses trop sûres et se régale de sa farce, peaufine ses phrases féroces, fait de franches fatrasies, fait face fière, s'affirme, affiche sa frimousse féline, fait la fête, farandole, festoie, se fiche de soi et se fend la fiole, fait des figures affriolantes de faunes frémissants, fait volte-face et finalement fascine. C'est fou mais ça, ça fout les foies à des fêlés de la foi. Forcément, car c'est trop de face, trop de femme, trop de chair femelle et d'humaine fêlure, trop de présence, trop de vie, face obscène, face offerte que des fondus foudroient et fouettent, que ces frères fervents se figurent convoitée par d'autres, convoitée comme un con ouaté, comme une fesse, une foufoune, alors sous de telles foudres les forces défaillent, la face affolée effarée s'efface et se voile et se cache se scelle et s'éclipse, se fait face de lune. Ou bien, c'est aussi effrayant : soumise à la fièvre des fenestrons et des foules, à la folie des fascismes fashion, la face enfin se farde et se floute, s'effeuille en photos sulfureuses, se vautre dans les frasques que financent des trafiquants, s'enfonce sous le factice des faux-cils et les fastes foutrement falsifiés.
    Il faut sauver la face ! Il faut sauver la Face !
    Sauvons la face fauve des sagesses éphémères. Songeons pour ce faire aux faces défaites des défunts, aux reliefs flasques des aïeux, affligés d'infortune, tous gisant sous le fardeau froid des cénotaphes, sans fanfreluches, sans frayeurs, sans fantaisies, inflexibles et blafards. Faisons aux fades et aux peaux hâves des fêtes de fadas, foutons le feu aux fatwas des faussaires. Il faut faire flancher la fébrile farce des fidèles forcenés autant que la frénésie des people frivoles et des riches tête d'affiche. Vlan, dans leur face à tous, gifle les furieux et claque les futiles ! Fonce fissa et fends les faux-semblants des salafistes ; fous les fards félons au fond funèbre des flacons, défends les fondations des formes sans fantasmes, fais saillir les faces enfin sans effets, fais front. Exhibe ton faciès et luis des feux des astres. Resplendis ! Splendides visions de visages, de vies vraies, de rire de fous-rires et de sourires. Dévoilés, les lèvres veloutées, la ride véloce à venir ou venue et le vague des veines qu'on voit sous le vernis du derme. Et puis merde, et qui daigne damner l'épiderme, donne des mots aux émois maniaques de Mars, les machos soumettent les masques et les muqueuses aux sangles et aux cilices, sinon les vouent au sang et au supplice, les moustaches font des taches aux frimousses, font souche aux Femen, font touche-touche aux hymens, attachent les charmes, s'alarment des désirs des dames, déclenchent les larmes des drames, s'agacent, crament carrément la grâce des gazelles, clament à leur guise les gammes des crimes que les calames déguisent, aiguisent leur glaive à la gorge glabre de prétendues aguicheuses.
    Mais les regards toujours vers eux tournés triomphent, les images de faces surgies de sous le tissu ou lavées de leur grimage, faces insurgées éplorées ou sèches levées devant les sabres, les visages clairs débarrassés de maquillage, les yeux ouverts, les têtes dénudées, les joues sans fard, les cils sans khôl, les fossettes, les pommettes, les mentons, les fronts, les nez et les creux, les tempes venues au jour, les temps venus, les dents montrées, les faces dévoilées et crues, sans apprêt sans artifices, à peine nées vous disent : foutez-nous la paix.

  • Notre labo

    Inaug_Labo-Livatte.jpgCe soir, à partir de 18h30, à Roanne, 17 rue Camille benoît, au deuxième étage de l'ancienne école primaire de la Livatte, les compagnies Dynamo, Micro et Nu inaugurent ensemble un lieu de création, ouvert par la mairie, et qu'elles partagent. Appelons-le Le Labo de la Livatte. On lui trouvera un nom plus tard, mais enfin, Labo, ça définit bien ce que l'on a envie d'y faire. Tenter, chercher, croiser, mélanger, touiller, détonner. A cette occasion, sur une musique de Jérôme Bodon-Clair, devant un montage photographique de Marc Bonnetin, j'aurais l'angoisse de débiter en pédalant et en public, un texte écrit pour l'occasion : « Pile/Face ». Aussi, Dynamo et Micro, nos partenaires et amis, s'adonneront à de courtes prestations. Il s'agit de permettre de faire entrevoir quel type de travail nous faisons et les pistes que nous explorons.
    On espère vous voir nombreux.

     

    (le visuel est signé Marc Bonnetin.)