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rencontres avec des gens biens - Page 25

  • C'est la rentrée

    C’est la rentrée avec Laurent Cachard, qui a présenté sa nouvelle « Valse, Claudel », superbement éditée par la galerie stéphanoise Le Réalgar et illustrée par son complice Jean-Louis Pujol, dans un lieu incroyable : la maison vieille, à Roiron. Tous les détails sont sur son blog, Le Cheval de Troie. Je vous laisse y jeter un œil.

     

    La Maison vieille, c'est un peu le lieu que l'on avait rêvé, ma douce et moi, d'ouvrir un jour. Pour vous dire à quel point on trouve ça chouette.

  • La rentrée du Labo, c'est samedi

    LE LABO de la Livatte, à ROANNE, OUVRE SES PORTES CE SAMEDI 31 AOÛT ET VOUS PROPOSE :

    UNE SOIRÉE EXCEPTIONNELLE DE 19H30 A 1H30

    DÉCOUVERTE DES SONS BINAURAUX ET PULSATIONS ISOCHRONES :

    SÉLECTION PAR MARC BONNETIN

    SET D'IMPROVISATION AVEC MATHIAS FORGE (TROMBONE),   JEROME BODON-CLAIR (GUITARE ET MACHINES),  FABRICE COTTON (MIX)


    ET POUR BIEN FINIR LA SOIRÉE :

    MIX LIVE :

    THE DARK SIDE OF THE BERLINER MOON

    PAR DJ SAKHOM



    ENTREE : PRIX LIBRE


    L'ENTREE AU LABO SE FERA PAR L'ENTREE PRINCIPALE AU 2E FEU DE LA RUE ALBERT THOMAS, PAR LA COUR INTERIEURE ET LA PETITE PORTE SOUS LE PREAU .


    SOYEZ LES BIENVENUS!!!

  • Un repas en hiver

    Nous sommes dans les premiers temps de la solution finale, les chambres à gaz ne sont pas encore construites, les camions avec circuit d'oxyde de carbone fermé ne sont pas encore au point, en attendant ça bricole ; on flingue, on flingue en masse. C'est déjà éprouvant pour les nazis les plus affermis (cela n’est pas dit dans le roman, mais c'est le fond historique qu'on possède avant d'aborder le texte de Mingarelli), ça devient carrément insupportable pour les jeunes appelés du rang. Outre la désertion dont il n’est question à aucun moment, les soldats allemands qui fusillent les juifs à longueur de journée n'ont qu'un choix disponible s'ils veulent échapper à cette ignoble corvée : partir dans la neige à la chasse aux juifs. Alternative peu enviable, mais les trois soldats qui tentent ainsi leur chance n'en peuvent plus de tirer à bout portant sur des hommes, des femmes et des enfants, par centaines, toute la journée. Le massacre est encore plus déprimant pour le bourreau quand il se lie avec sa victime, ce qui peut arriver sans prévenir, avec les types qui lavent son linge par exemple.
    Trois soldats allemands s'enfoncent dans l'hiver polonais et doivent absolument dénicher au moins un juif s'ils ne veulent pas se retrouver le lendemain arme au poing, à faire sauter des cervelles et voir basculer des corps dans des fosses, indéfiniment, comme dans un cauchemar. Bauer, Emmerich et le narrateur dont on n'apprendra pas le nom (parce que, tiens, il pourrait s'appeler comme moi),  débusquent un fugitif au fond des bois. Le froid est prégnant, ils ont le ventre vide pour des raisons trop longues à expliquer, une vieille bicoque abandonnée leur offre la possibilité d'une pause et d'un repas frugal. Alimenter et faire repartir une cuisinière, tiédir un intérieur pénétré de froid, ce n'est pas une mince affaire. Un Polonais de passage les rejoint et négocie sa part du repas. Tout le monde s'observe. Le jeu du huis-clos est la forme dramatique la plus délicate, mais aussi la plus efficace pour qui la maîtrise. Mingarelli maîtrise, et c'est peu de le dire.
    Le narrateur n'est dans aucune posture, aucun mensonge, y compris pour lui-même. Ses camarades sont irrigués d'une conscience identique. Tous savent ce qu'ils font et l'horreur de ce qu'ils font. Sauf que tout ça ne se discute pas. C'est l'Histoire qui se chargera de rendre les décisions discutables. Les soldats font l'Histoire, ils ne la pensent pas. A quoi pensent-ils alors ? A un fils, à un village, à faire fondre la neige pour cuire de la semoule. A se préserver, si possible.
    On préserve quoi, soldat, dans les forêts polonaises, tandis que les camarades, là-bas, exécutent leur sinistre besogne ? Le peu d'humanité qui reste, emmitouflée sous les couches de fringues, tenue fébrile au bout des doigts comme une cigarette, qui tient à peine chaud -et pas longtemps. On fait un prisonnier, on ne l'insulte pas, on ne le malmène pas, on ne se réjouit pas, on préfère ne pas se lier, parce qu'on sait quel mal ça peut faire, après. On pourrait aller plus loin. L'un des trois hommes, celui qui a débusqué sa proie (et ce n'est pas le narrateur, pas ce genre de posture factice qui permettrait au lecteur de se croire le héros une minute), a soudain cette idée : laisser filer, que celui-ci au moins en réchappe. Parce que, plus tard, si au moins on en a sauvé un, ça fera du bien d'y penser. Voici le peu d'humanité qui reste dans cet enfer. Une infime lueur. Mingarelli n'y croit pas. Il fait retomber la chape du réel sur cette arche humaine minuscule ; La raison l'emporte. Les meilleures intentions, le peu d'espace laissé à l'humanité, sera broyé par l'Histoire et la barbarie.
    Sur un mode minimaliste où tout est pourtant dit, sensations et sentiments, images et pensées, Un repas en hiver est un voyage intérieur, sensible et humain, un récit livré depuis le futur (puisqu'on sait ce qu'il adviendra de l'un d'eux) saisissant, émouvant sans les artifices du mélodrame, et loin de là bien sûr. Une tragédie en mode mineur, discrète, anti-spectaculaire mais qui vous hante. Un choix judicieux pour cette nouvelle sélection Lettres-Frontière.

    Un repas en hiver. Hubert Mingarelli. Stock, 2012. 137 pages. 17 euros.
    Sélection Lettres Frontière 2013.

  • Week end à Deauville.

    Je vous conseille un petit passage chez "le minotaure est fait de chair", le blog d'Oslo Deauville. Épatant, comme on disait d'mon temps.

  • Lectures

    Puisque c'est l'été. Les après-midis sont consacrés à la lecture. Enfin. Ce qui donne :

    Les trois volumes de carnets de Simenon : Quand j'étais vieux. Indispensable. Je découvre l'homme après l'écrivain. Et je me réjouis de constater qu'il est à la hauteur. Que c'est un type que j'aime.

    Lydia Jorge : La couverture du soldat. Du mal à entrer dans le roman de cette auteure lusitanienne (vous me connaissez, dès que je suspecte le gnangnan, la soupe épicée pour dames, le schéma convenu : destin d'une fillette devenue femme, lourd passé familial tagada, je m'irrite) mais très vite le charme de l'écriture arrache l'adhésion, les personnages sont de toute beauté, notamment celui de l'héroïne. Dispensable, contrairement au Simenon, mais vraiment très bien.

    La maison du retour, de Jean-Paul Kaufmann. Presque un journal du regain, quand l'ex otage qui ne peut être que cela aux yeux des autres (il rentre juste de ses années de séquestration), décide de s'installer avec sa famille dans une maison isolée des landes, dont on dit qu'elle abrita un lupanar pour officiers allemands. Tendresse, étonnements, descriptions saisissantes, un peu trop de moraline. Je crois que le journaliste n'était pas encore un écrivain à cette époque-là. Il semble que ses derniers récits de voyage sont plus pertinents et forts.

    De la dernière sélection Lettres frontière :


    Fée d'hiver, d'André Bucher. La découverte d'une maison d'édition, Le mot et le reste, dont la collection Attitudes tourne autour du « nature writing », expression que j'ignorais mais qu'on peut comprendre comme une littérature imprégnée du sentiment de la nature. C'est le cas de ce beau récit où les personnages (Daniel, Richard, Alice, Louis, Pierre et Robert) et qui constituent un microcosme déjà assez perturbé, vont s'allier, se révéler ou s'affronter quand survient un beau bûcheron venu de Serbie. Images poétiques et fortes, et descriptions émouvantes et sensuelles de la nature. A chaque page, j'avais envie de souligner un passage, une expression. L'auteur est  né en 1946, vit depuis trente ans dans la Drôme sauvage qui sert de cadre à l'histoire. Je suis sûr qu'il décrit les saisons et les ciels depuis sa fenêtre. Je devine même que certains paysages ont déterminé des scènes, venues dans l'élan d'un coup de vent, d'une migration d'oiseaux. Grands espaces, caractères forts, il y a du western là-dedans. On craint la tragédie, elle approche dangereusement, mais pour une fois, nom de nom, dans ce monde de brutes, c'est l'amour qui l'emporte. Roman écrit par l'un des pionniers de l'agriculture bio, ce qui me le rend immédiatement sympathique. Ma seule réserve concerne la maquette de ce livre, désastreuse. La typo est absurdement petite, peut-être pour des raisons de coût, une réduction du nombre de pages, faire tenir 300 pages dans la moitié. Ou alors, c’est un souci écologique, dans ce cas je m'incline. Mais merde, on souffre. Allez lire ça dans le car, vous.

    Dans ma tête, je m'appelle Alice. Portrait de femme. De gamine et de femme. D'auteure qui raconte surtout une autre femme : sa mère. Récit poétique à la première personne. Sauf que c'est un homme qui donne sa voix à la narratrice. En tant qu'homme, je trouve ça très bien fait. En réalité, pour avoir fait l'exercice maintes fois, je peux jurer qu'il n'est pas difficile d'écrire les sentiments d'une femme. Et quoi : on est tous fait de la même chair et traversé des mêmes sentiments. Donc, pas d'exploit, mais une vibration juste, un beau portrait en creux. En creux parce que, sous les yeux de la narratrice, et même si on croise un frère, un père, des petits copains, c’est surtout de la mère dont il s'agit. La fille observe la Reine surgir. La Reine, c’est le surnom de la mère terrible, honteuse, de la mère alcoolique. La Reine qui va bousiller la famille, démolir la vie, mais aussi la construire, que voulez-vous, on est fait de cela aussi, pas le choix. C'est un premier roman, oui mesdames, d'un petit gars de 25 ans. C'est parfois plus précieux que vivant, mais c'est toujours fichtrement bien écrit. Entre les chapitres, des parenthèses rapides, foisonnantes, criblées de noms qui font écho dans la mémoire. On comprend vite, on est en terrain connu. La seconde vie de la narratrice, c'est la lecture. Dans ces courts impromptus, les références se télescopent, s'enchaînent dans un sabbat de héros et de phrases. Refuge, monde dans le monde, de quoi permettre à la fille de se blottir quand la Reine monte sur son trône. C’est un livre fort, élégant, habile. De Julien Dufresne-Lamy. 25 ans, je disais. Il y en a qui exagèrent.

  • Ecran noir

    Je reviens demain ou dans quelques jours mais là, je garde ma douce contre moi. Et vous me pardonnerez de ne pas en dire plus.

  • L'air de rien

    Dans le bus, je m'amollis tranquille, un peu dans le brouillard, après une grosse journée de travail. Et puis je me mets à sourire, je me sens même radieux, inexplicablement joyeux. Etat que rien ne laissait présager. Enfin je réalise que depuis quelques minutes, passe en sourdine dans les haut-parleurs du car, Bohemian Rapsody de Queen. Je n'y avais pas pris garde, mais inconsciemment la musique avait fait son travail et généré la jubilation qu'elle me procure aussi dans l'écoute attentive.

  • Premier lecteur

    Ce moucheron qui revient sans cesse sur mes phrases, se colle à l'écran, reprend la lecture plus haut, s'arrête sur un mot. Et là, que fait-il ? Il descend plus bas dans l'espace encore vierge. Je sens qu'il m'invite, me dit : « Dépêche-toi, écris la suite, vite, allez ! » Que c’est exigent un fan !

  • Spathul se confie

     Ce que les gens sont décevants ! La tricherie, la duperie, tout ça ne leur fait ni chaud ni froid s'ils sont persuadés que la situation l'exige, s'ils pensent qu'il vaut mieux un tyran que la délicatesse de la démocratie. Toujours ce fantasme de l'homme providentiel. Je crois que les peuples se fatiguent, qu'à un moment de leur histoire, ils en ont assez qu'on les sollicite pour concevoir leur propre futur, exercice éminemment complexe, angoissant. Alors ils délèguent cette peine à ceux qui en feront quelque chose de compréhensible, d'évident. Cela ressemble à l'attitude des soldats dans la guerre. Plutôt charger, attaquer, foncer, plutôt risquer la mort que d'attendre la fusillade, l'inconnu, l'ennemi embusqué. Tout plutôt que l'angoisse. Et puis la tyrannie donne la sensation d'une certaine égalité pour les plus humbles. Ils se disent que, à partir de là, tout le monde est dans la merde, comme eux. Voilà, les dictatures naissent de prurits insupportables, quand on préfère se gratter au sang plutôt que de subir l'agacement de la démangeaison. Qu'importe ce qui arrivera : ça soulage. C'est assez romantique, en fait, ce désir d'assouvissement d'un besoin, comme la consommation d'une passion, trop puissante pour être retardée.

     

    Extrait d'un scénar de BD en cours. "Renzo et le tyran"

    (et c'est la 1800 ème note)

  • A Gilly, Cachard, élu, est lu

    Il faudrait, maintenant que le temps est venu
    Et que je suis assis devant mon clavier
    Revenir sur hier, conter par le menu
    La rencontre à Gilly, par le monde enviée,
    De Cachard, écrivain, et d'un lecteur ami :
    Chavassieux, de son nom, un auteur lui aussi.
    Je ne me souviens pas, pourtant, avoir promis
    D'écrire un compte-rendu, mais enfin le voici :
    C'était bien, c'était chouette, on y retournera
    Chez Marielle à Gilly, où j'ai laissé Laurent
    Parler, dire, expliquer et lire ce qui sera
    La lecture désormais des nombreux adhérents
    De la Médiathèque où nous étions reçus.
    Je n'en dirai pas plus car je suis fatigué
    Mais pour tous les absents et pour tous les déçus,
    Sachez que sur son blog, Cachard a travaillé.

  • Et de deux !

    Affiche rencontre - Copie.gifCe soir, à partir de 18h30, la Médiathèque de Gilly-sur-Isère nous accueille, Laurent Cachard et moi, dans le cadre d'une première « carte blanche à Christian Chavassieux » (si si, ne prenez pas cet air surpris), événement qui devrait être reconduit chaque année, jusqu'à ce que, je ne sais pas, j'arrête d'écrire par exemple, ou que l'équipe de ce lieu change (choisissez en fonction des probabilités statistiques. Moi, je n'ai envie ni de l'un ni de l'autre). Une soirée qui débutera par la présentation de la nouvelle sélection Lettres-frontière. Sélection qui fut, en 2009, la cause de notre rencontre, Laurent et moi, et le début d'une amitié.
    Les moments proposés par Marielle Gillard et son équipe sont toujours riches et intelligents, soigneusement organisés. La valeur ajoutée, ce qui les rend vraiment extraordinaires, c’est l'humanité et le bonheur qui se dégagent de ces instants. On a envie de les prolonger, de revenir. D'ailleurs, j'y reviens, chaque année, toujours émerveillé de bénéficier d'une telle attention, d'une telle gentillesse. Mon plaisir de partager ce bonheur avec Laurent multiplie si c’est possible, celui de retrouver Gilly.
    La soirée sera consacrée ensuite à Laurent Cachard. Nous parlerons beaucoup de son dernier ouvrage, La troisième jouissance du Gros Robert, mais je veux aussi faire parler l'auteur sur son parcours, sur l'écriture, sur son engagement dans l'écriture et ses choix concernant cet engagement. Toute sa production sera évoquée, y compris ses textes de chansons. Et une lecture de la première nouvelle de son dernier recueil, sera produite par une troupe théâtrale. Personnellement, je pense que vous devriez venir.
    Reversibilités.JPGSur une idée de Laurent Cachard, nous avons commis ensemble une sorte de petit caprice, un recueil édité par Thoba's (qui publia « J'habitais Roanne »), intitulé Réversibilités, deux textes scrupuleusement équilibrés, calibrés à 1600 mots chacun, où nous parlons l'un de l'autre. L'idée est de les offrir aux auditeurs venus ce soir. Une raison de plus pour nous rejoindre.


    Venise.JPGEt puis, je me tâte encore (parce que je viens en train et que c’est lourd) : il se peut que j'apporte le dernier catalogue auquel j'ai participé. Il s'intitule « Venise au XIXe siècle, une ville entre deux histoires ». La commissaire de l'exposition, Camille Perez, a bien voulu me confier la rédaction de deux textes et de plusieurs notices. Elle a ensuite accepté que ces textes y figurent. Le catalogue est beau. Ce serait une façon, en donnant un exemplaire à la Médiathèque, d'un peu remercier de me faire cette confiance sans cesse renouvelée.

     

    A ce soir.

  • Demain

    Je vous en dis plus demain, mais notez déjà le rendez-vous, si vous êtes samedi soir du côté d'Albertville... ou à Gilly, carrément.

    Affiche rencontre - Copie.gif

  • Travails

    Travails_Bougel.JPGIl n'est pas question que de travail dans Travails. Il est question des incertitudes, de la naïveté d'être un jeune garçon. La première épreuve de la vie, le boulot, la première rencontre avec les adultes, hors du contexte familial. L'émotion et le désarroi face à des femmes monumentales et troublantes, des bandits de catégorie C, des patrons, des chefaillons en nœud papillon, des crêpes reblochon-banane et des camarades. Et pour traiter de tout cela, Bougel, il aime pas la poésie qui fait des périphrases, il aime pas les alexandrins. Enfin, là, il peut pas. Là, la versification est brute comme un coup de clé et serre pareil, serre le motif au plus juste de son expression. C'est pile, ajusté, sec, du beau travail de manard qui usine au millimètre. Comme l'annonce Christian Degoutte en quatrième de couverture : « c’est un homme à son établi ; un manuel de la pensée qui serre le temps entre ses outils ». On avait eu un aperçu en prose de la main calleuse avec laquelle Hervé Bougel raconte la vie, et surtout la vie au travail, dans « Les Pommarins ». Dans ce livre, l'auteur prenait le temps, enveloppait une phrase pourtant déjà hachée, tendue, tout en énergie, mais enfin, le lecteur avait la place de respirer. Avec Travails, on retrousse les manches, on respire un bon coup et vas-y, coltine-toi les heures de taf et les pauses au café avec les gars ou le cinoche. Je dis taf et cinoche pour faire genre, mais en réalité, monsieur Bougel évoque le travail en atelier et les cinémas incendiés, pas de raccourcis argotique pour mieux faire sentir le cambouis (sauf celui de sa mob). C'est tout en angoisse rentrée, en beauté, en fascination devant le monde qui s'ouvre. C'est pas les heures passées au guichet de Pôle Emploi qui vont nous fournir une poésie comme ça, enfin je pense pas, quoique. Tiens, là encore, je vous le fais vite avec des absences de négations, mais pareil, pas le genre du poète Bougel. C'est âpre et cru, d'accord, mais personne n'oublie qu'on est dans de la littérature. Le filtre est là. Délicat équilibre entre sophistication et brusquerie des tranches de vie décrites. Il est fort, ce Bougel. Travails peut aussi se lire comme un manifeste de la poésie défendue par Hervé Bougel en tant qu'éditeur au Pré#carré. Une poésie en prise avec aujourd'hui, même quand elle parle d'hier. Vous comprendrez qu'il est impossible d'y trouver de la nostalgie.

    Travails, suivi de Arrache-les-Carreaux. Hervé Bougel. Editions Les carnets du dessert de lune. 80 pages. 11 euros.

  • Lecture, mode d'emploi

    Ce soir, à partir de 18 heures, au jardin médiéval de Saint-Haon-le-Châtel (Loire), débuteront les 24 heures de lecture traditionnelles. 24 heures pour lire, chaque année, une œuvre majeure de la littérature.   Depuis une douzaine d'années, 96 lecteurs se relaient jour et nuit, pour déclamer un grand livre, d'un seul et même souffle choral. Cette année, c'est « La vie mode d'emploi » de Georges Perec qui nous rassemble. La lecture est bénévole, l'audition est gratuite, chacun est là pour le plaisir et l'hommage.
    La dernière page, si vous avez suivi le principe, sera lue dimanche à 18 heures. Ensuite, une petite promenade dans les rues du village en compagnie de Claude Burgelin, spécialiste de Perec, conclura l'événement. Venez nombreux. Et si vous en éprouvez le besoin irrépressible, sachez qu'on a encore besoin de quelques lecteurs pour les passages nocturnes vers 4 heures du matin (mais enfin, rassurez-vous, il y a tout de même au moins un brave qui assure). En cas d'intempérie ou de fraîcheur excessive, auditeurs et lecteurs pourront se mettre à l'abri chez Jean Mathieu, en face du jardin médiéval.

  • Des oranges sentimentales

    Oranges-sentimentales_CDegoutte.JPGToujours aussi dépourvu de mots et d'arguments quand il s'agit de chroniquer de la poésie. Tant pis, mais je voudrais au moins faire savoir à mon peu de lecteurs : voici un livre que j'ai aimé et que je vous conseille de lire. Je viens de refermer le dernier recueil de Christian Degoutte, « des oranges sentimentales », édité chez Gros Textes. Et j'en sors bougé, ébranlé, déplacé de mon axe. Ce que je cherche dans la littérature, essentiellement. Si j'ai bien compris la post-face, nous sommes en présence de textes écrits à plusieurs dizaines d'années d'intervalle parfois (le premier date de 1983), publiés sous des formes diverses dans plusieurs revues, au fil du temps. Un ensemble cohérent malgré cette échelle distendue. Une suite de textes qui aurait eu sa place dans la récente exposition « Corps » du Labo de la Livatte, à Roanne.
    Je ne sais pas parler de poésie, pas plus que je ne sais en écrire, et je ne suis pas bien sûr de savoir la lire. Que vous dire ? Il faudrait d'abord présenter l'auteur en quelques mots, mais sa discrétion décourage les biographes. C'est pourtant un auteur majeur, un écrivain exemplaire. Vous pourrez peut-être vous faire une idée du personnage dans la relation que je fis en son temps, d'une rencontre avec Christian Degoutte organisée par l'écritoire d'Estieugues, à Cours-la-Ville. Oui, commencez par là, puis revenez sur ces lignes.
    (...)
    Les oranges sentimentales sont les fruits ronds et juteux d'une écriture qui ne triche pas. Christian Degoutte nous l'a dit un jour : il n'a rien contre la mièvrerie, contre le pathos, le sentiment. Il n'a pas à s'en défier ou à travailler contre. Quand le sentiment est sincère, d'une source sincère, il prend une forme sincère. Et cela produit chez lui une écriture pleine de noblesse, et bienveillante, comme je les aime. Érotique, oui, gaie, émouvante. Le sexe, sans tourment, comme un dialogue solaire. Estivale, colorée, à peine traversée d'ombres, entre sueur et salive, souffles, haleines, entre les cuisses nombreuses, répétitives, et « la chair lunaire des bras », entre « la bouche sombre des aisselles » et les seins « jaspés de veines » entre pupilles et mains, et « sa bouche sur tes lèvres est un ocarina de glaise fraîche », tout l'inventaire des sources du plaisir des sens, des corps d'hommes et de femmes, accueillants, aimants, doux. Et la vitalité, le bonheur de l'amour, « comme on libère les fauves du souffle », « comme on croque tout le long du corps les petits bulbes des chagrins », « comme on pèse de toute sa chair sur l'impatience d'en venir aux lèvres », « comme on se jette de toute sa bouche de tout son sac de membres sur les récifs poivrés les paupières pétillantes d'une dormeuse ».
    Les couleurs aussi, percent les visions. La couleur d'une pyramide d'oranges dans sa panière bleue, qui éclabousse « l'eau sale des vitres », dans une cabane de chantier. Les voix. Des souvenirs, des paroles, des questions, des échanges. Des conversations. Des répliques italiques dont on devine parfois celle qui les prononce, une voix qui séduit, qui pique, éclaire, s'amuse, relance. Des conversations entre trois générations de femmes, sous la fraîcheur d'un arbre. Et la mort, jamais bien loin, qui cueille au passage le lecteur, lui dit combien c'est précieux et grand, le spectacle d'une conversation de femmes dans un jardin, ou ramasser le linge avant l'orage.
    Les fruits, l'eau, le sexe, boire à cette source, boire, boire. Les oranges, les poires, les coings, les pêches, les mangues, les cerises qui promènent leurs couleurs dans la lumière ou dans la nuit, le jardin qui « grésille d'insectes », l'herbe « embuée d'argent », les insectes, papiers ou aluminiums qui s'éparpillent sous les pas. Le fruit et la bouche, l'air qui sépare ces deux complémentaires destinées à se rejoindre. C'est là que Christian Degoutte fabrique sa poésie, dans cet espace infime entre la soif et la consommation de la soif, cet interstice que ses mots s'emploient à élargir pour qu'il devienne paysage, chambre, jardin, marche longue. c’est là que le lecteur est accueilli et jouit.
    Quatre quartiers d'orange sont alignés sur la table devant elle. Elle, qui est une « eau désirante ». Ces morceaux de fruits posés là deviennent les babouches laissées au seuil de la mosquée, dans un tableau de Delacroix. Elles sont « abandonnées au soleil pour entrer pieds nus dans la fraîcheur comme on dirait : J'ai choisi la voie de la joie ». Et l'auteur conclut, comme nous : « de le dire ça se pourrait / aller pieds nus sur la voie de la joie ». Ça se pourrait bien oui. C'est en effet le sentiment que procure son livre.


    Des oranges sentimentales. Christian Degoutte. Éditions Gros Textes, 2013. 9 euros.

  • Une étape

    Pasiphaé, ma dernière pièce, sera donc programmée -au moins au théâtre de Roanne- dans la saison 2014-2015. Lointain rendez-vous mais enfin, l'enthousiasme du directeur du théâtre après la lecture que nous avons faite de la pièce récemment, sa promesse de nous aider à monter des dossiers, la révélation que notre prestation nous a fait à nous-mêmes, nous donnent des ailes. Aurore Pourteyron, Philippe Noël et François Podetti ont interprété avec une énergie incroyable et une extrême finesse les rôles respectifs de Pasiphaé, Dédale et Minos. Ce n'était qu'une lecture, enrichie des premiers morceaux de musique écrits par Jérôme Bodon-Clair, accompagnée par les premières images de Marc Bonnetin, mais cette seule lecture a stupéfié tout le monde. Il s'est passé quelque chose. Je crois que nous avons franchi un seuil.

  • LA Bibliothèque d'Alexandre


    podcast

    L'an dernier, Corie Bizouard m'avait commandé un texte pour l'insérer dans le parcours de son exposition autour de l'écriture. Un défi important pour moi. L'artiste est extrêmement exigeante et, passées les premières minutes d'excitation, l'angoisse est venue. Les contraintes étaient les suivantes : une fiction qui évoquerait -sans l'aborder directement- le thème de la bibilothèque d'Alexandrie, qui serait vocalisée, sur le mode de la confidence, et durerait environ 5 minutes. Je mets ici l'enregistrement effectué chez moi, dans l'atmosphère feutrée de mon bureau. Une tentative plus "pro", réalisée par l'ami Fabrice, de Calamités quotidiennes, a échoué : j'y étais très mauvais. L'exposition de Corie Bizouard à la Médiathèque de Roanne est en place aujourd'hui. J'en parlerai dès demain, j'espère.

    Je vis ces jours-ci des moments inoubliables, mais qui me laissent peu de temps pour autre chose.

  • Courts métrages

    de Jean-Jacques Nuel

    Courts-metrages_JJNuel.JPGVoici un des rares livres qu'on peut lire en commençant par la fin, le début, le milieu, ou en picorant pour lire à haute voix à ses amis. Des nouvelles ? Oui et non : des miniatures ciselées qui évoquent Dino Buzatti, Éric Chevillard ou Marcel Marïen. Une prose ramassée, malicieuse, qui vous entraîne bord à bord dans une houle ivre et amusée. Grave parfois, au détour de quelques lignes, quand par exemple, la vieillesse, intruse dans un cercle d'amis, sait s'y faire accepter à force de douceur et de discrétion, et promet la visite, plus tard, d'une amie à elle, presque une sœur.
    Jean-Jacques Nuel, dont on peut lire régulièrement les participations à Fluide Glacial, est poète et éditeur, mais aussi romancier. Il a enregistré certaines de ses micro-nouvelles que l'on peut écouter et voir sur Youtube ; on peut aussi le suivre sur son blog littéraire, L'Annexe.
    Ces courts métrages prennent tous les chemins de traverse. La mécanique de récit qui les inspire est assez mystérieuse mais on peut faire l'hypothèse que parfois, l'auteur saisit les failles anodines du réel pour en faire des passages où il s'engouffre. Il suffit de décaler légèrement le curseur pour que le périphérique qui ceinture la capitale se réduise légèrement chaque année, pour qu'un désir de rajeunissement d'une sœur se commue en atteinte aux jours de son frère, que le goût des croûtons ne se découvre que tardivement. Chaque récit amorce une logique qui vous présente sa conclusion imparable, comme une facture à laquelle il est impossible de se soustraire. La logique du monde paraît solide mais il suffit d'un poète pour la déconstruire. Le poète qui a trouvé la faille et a démontré combien c'était un leurre. Il a rassemblé 80 preuves à notre intention. C'est bon de lire parfois.

    Courts métrages. Editions Le Pont du Change, 2013. 70 pages, 12 euros.

  • Top Chef

    J'ignorais que Francis Ford Coppola était un fin gourmet capable de venir à bout des recettes les plus sophistiquées. Et maintenant que je le sais, que puis-je faire de cette information ? Si : refuser de l'inviter même s'il insiste (je vais rester un moment près du téléphone, au cas où).

  • Impitoyable

    Travail de corrections sur la première partie de « Mausolées ». Peu de choses mais des moments ardus. Ma correctrice est à l’affût du moindre poncif, de la moindre facilité. Je ne suis pas complaisant, mais j'admets que, malgré tout mon travail de réécriture sur ce roman ancien, j'ai laissé passer quelques images paresseuses, des idées un peu convenues, par manque de vigilance. Rien de tout ça n'échappe à l'oeil de faucon de ma correctrice. Et c'est tant mieux. Chaque réécriture de ces faiblesses rehausse l'ensemble. Ce que j'attends du travail avec un éditeur.