Dans mon pays, l'année Rousseau a avancé à pas mesurés, voire timides. A Chambéry, pays où vécut Jean-Jacques, et dans toute la région, un grand nombre de manifestations fait la part belle à l'auteur des Confessions (je saisis l'occasion pour évoquer ici « l'émail des prés », exposition de la photographe Yveline Loiseur, installée aux Charmettes, lieu où vécut Rousseau, jusqu'à la fin de l'année). La bibliothèque de Gilly-sur-Isère, petite commune non loin d'Albertville, n'est pas restée en retrait et a organisé exposition, rencontres, débats autour de l'écrivain. J'étais invité dans ce cadre pour évoquer le genre autobiographique, puisque « J'habitais Roanne » ressort sans doute de cette forme.
A Gilly, c'est vrai, je me sens un peu chez moi. Malgré la distance je pense souvent à ce petit monde là-bas qui, sous la houlette de Marielle, s'active pour faire vivre la littérature. Des liens se créent. Trop inhibé pour lancer des déclarations tonitruantes, je dis seulement que je suis heureux d'être invité, alors que j'en suis profondément touché, voire un peu confus. Mais passons. Il était donc question d'autobiographie. On a tendance à chercher de lointains ancêtres du genre, mais force est de constater, rappelait Laetitia Agut, professeur de lettres qui assurait une présentation de cette littérature en première partie, que Rousseau en est l'inventeur. Saint-Augustin ou Montaigne ont produit des essais, souvenirs, formes introspectives certes, mais qui ne répondent pas aux critères du « pacte autobiographique » établi par Lejeune en 1978 avec cette définition célèbre : « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité ». Règle amendée plus tard légèrement (Lejeune est revenu sur le critère de la prose, trop restrictif) mais toujours valable, et que justement les auteurs du vingtième siècle ont tenté d'éprouver. Des auteurs comme Pérec ont questionné les limites du genre (voir « W »), travail qui a ouvert la voie, pour faire court, à l'autofiction. Cette littérature qui provoque agacement et perplexité chez certains auditeurs de la conférence, a initié un débat -orienté ensuite sur la question de la sincérité et de la vérité- avant que j'entre en scène. Laetitia, chauffeur de salle, quelle promotion !
Ensuite, c'est à nous. Marielle impose le vouvoiement, une façon de ne pas transformer la rencontre en dialogue entre deux vieilles connaissances, et de diriger la parole vers le public. Marielle a beaucoup travaillé comme d'habitude, fait des passerelles entre mon dernier livre et -surprise- un passage d'une préface écrite pour le livre de l'artiste Christine Muller (« êtes-vous débarrassé ? » Réponse : « Non »), saisit dans la conclusion de « J'habitais Roanne » une phrase inattendue (« l'insatisfaction à subir le monde tel qu'il est »), où elle pense me retrouver tandis que je croyais parler de Roanne. Je dois admettre qu'elle a raison. Il sera question du « J' » de « J'habitais Roanne » dont j'explique la valeur d'outil pour la compréhension de ma ville. Il sera question des lieux et des notions qu'ils véhiculent, intimement, pour moi. L'occasion de parler des bibliothèques et de la valeur d'amour de l'humanité dont elles sont, selon moi, la grande preuve. L'occasion d'évoquer des lieux ensevelis, disparus, où l'enfance ne peut plus promener ses pas et de la sensation de l'éphémère du monde. Pas de nostalgie, mais le constat que tout est périssable, y compris les paysages, les habitats, et jusqu'aux villes et aux civilisations, mortelles, comme on sait depuis Paul Valéry.
Je reviens aussi sur cette notion paradoxale : je considère qu'« on a toujours raison de partir » et pourtant je suis un sédentaire. Ne nourrissant aucune ambition, j'ai décidé (mais vraiment décidé), de rester ici. J'ai donc vécu, hors pour les études, toute ma vie à Roanne. C'est donc ce « J' », (pas « Je », voyez la nuance. Dans mes carnets de notes, le narrateur était noté « J' ») imprégné de ma ville qui sert de guide pour la comprendre. Et il doit être là, ce « J' » , pour incarner les lieux, les rendre vivants et palpables au lecteur. Quel lecteur, demande Marielle : pour qui écrivez-vous ? Dans le cas qui nous intéresse, je réponds sans hésiter : les Roannais, même si les non-roannais sont conviés à venir faire un tour et surtout, à partager mes méditations sur la vie et la ville, devenue la Ville exemplaire, selon Daniel Arsand, le préfacier. La réponse aurait tout autre il y a quelques années. L'idée du lecteur a évolué entre la période où j'écrivais pour moi-même et celle où je sais (par exemple ici) que le livre sera édité. Le lecteur alors prend une épaisseur. Ici, qui est-ce ? J'avais en tête tous les noms que je mets dans le livre. Mais selon un principe d'universalité assez répandu, nous sommes tous ce « J' », cet « homme qui marche ».
« J'habitais Roanne » ressort donc du genre autobiographique, et il m'a fallu lutter longtemps avec ma préférence, mon appétence naturelle pour la fiction. Quand on dit « je », quand on écrit à la première personne, on se dévoile, pense-t-on. Est-ce difficile ? Pendant sa présentation, Laetitia Agut rappelait que pour Gide, paradoxalement, la fiction nous aide à aller plus loin que dans la supposée sincérité de la vraie vie. Ce n'est pas si difficile donc, puisque je crois que l'on se protège en écrivant « Je » ou en tout cas, on inhibe, on reste en retrait. L'implication de soi importe et va influer, mais n'est pas la garantie d'un dévoilement absolu, bien au contraire.
Un autre grand théoricien de l'autobiographie, Jean Starobinski s'est intéressé à la recherche de style dans le genre autobiographique. Marielle me demande si l'exigence de l'écriture n'interfère pas avec la recherche de sincérité (Annie Ernaux est-elle plus sincère que moi ? L'écriture sèche et méfiante à l'égard des séductions de la littérature, « mettre de la honte » dans ses livres, est-ce là aussi une garantie d'authenticité ?). J'ai peu de temps pour y réfléchir, face au public, mais je maintiens ma réponse donnée ce soir-là : Je ne pense pas que le style nuise à la sincérité. Et plus largement : l'autobiographie dit-elle une vérité ? Le souvenir est une fiction, ontologiquement, il faut l'admettre. Et il me semble qu'à cette aune, l'autofiction est d'une certaine manière plus honnête que l'autobiographie, puisque la part de fiction qui la traverse est revendiquée.
« J'habitais Roanne » s'achève par un petit gag. Un épilogue d'une ligne revendique mon appartenance à la fiction, mon véritable univers. Je n'aurai dérogé qu'une fois, ici, pour ce livre, et c'est bien suffisant. Désormais, oui : je retourne à la fiction. Place à la vérité des personnages inventés. En quelque sorte, c'est le sujet d'un roman qu'un éditeur veut bien publier à l'automne 2013. Vous allez être surpris. Je réalise à quel point tout mon travail est en connexion, décidément.
rencontres avec des gens biens - Page 30
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Propos de Gilly
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Ce soir à Gilly.
Je suis à Gilly sur Isère ce soir, comme je l'ai annoncé il y a peu. Je vais essayer d'y expliquer comment le « Je » de « J'habitais Roanne » (que j'écris d'ailleurs dans mes notes, le « J' ») est un outil de compréhension, plutôt que la figure incarnée propre à l'autobiographie. Je vais tenter de dire aussi pourquoi, malgré les apparences, les lieux visités de ma ville, ne sont pas les supports de la nostalgie. Je vais surtout essayer de ne pas m'égarer en chemin, car la digression est mon grand mal.
Je pense bien sûr à ma douce qui n'a pas pu m'accompagner et lit ces lignes. -
Belle journée
Simultanément, tandis que je soupesais le beau livre réalisé par Thoba's, m'arrivait un courriel que j'attendais. Réponse d'un éditeur au sujet d'un roman remanié l'an dernier et à lui confié. Réponse positive, positive et enthousiaste. Le contact par téléphone qui a suivi a confirmé que cet enthousiasme n'était pas qu'une formule. Voilà ce qu'on attend d'un éditeur ; qu'il vous dise oui oh oui je le veux ton texte donne-moi ton texte oui ! Avec plus ou moins de sobriété bien sûr, mais qu'il vous dise : c'est ce texte que je veux. Je le veux absolument, pour moi, je ne veux le laisser à personne d'autre. S'il précise : « ça fait dix ans que j'attends ce texte » et bien, que voulez-vous, les écrivains sont des gamines comme les autres... ça se pâme et ça frétille, ça en redemande. Plus sérieusement, avec ce roman et cet éditeur, on va passer un cap. Je vous tiens au courant, les amis, comme d'habitude, mais vous devinez que, tandis que la sortie de « j'habitais Roanne », déjà, me comble de satisfaction, l'avènement d'une nouvelle édition pour un texte auquel je tiens particulièrement, qui est la souche de mon travail d'écriture depuis plus de dix ans, ajoute à la satisfaction un bonheur presque insupportable.
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Si ça vient de moi, ça va de soi ? *
Depuis quelques années et la sélection du « Baiser de la Nourrice » au prix lettres-frontière, auteurs et médiathèques accueillant(es) ont tissé parfois des liens privilégiés. J'ai eu cette chance avec les médiathèques de Bozel puis de Gilly-sur-Isère. Grâce à Marielle Gillard, sa responsable, j'ai même l'honneur d'être le parrain du club de lectures de cette dernière structure (qui aurait cru qu'un jour... Faudrait que j'envoie ça à ma prof de français de sixième, tiens). En plus de cette majesté, l'équipe de Gilly a pensé faire le lien entre le récit d'inspiration autobiographique qu'est « J'habitais Roanne » et une série d'animations autour de Jean-Jacques Rousseau (c'est l'année, savez-vous ?). Une soirée est donc organisée le samedi 26 mai à partir de 18 heures, qui commencera par un exposé de Laetitia Agut, professeur de lettres, intitulé « l'autobiographie, histoire d'un genre » et sera suivie d'une rencontre autour de mon livre. On abordera « J'habitais Roanne » sous deux angles principaux. Le « J' », notion évidemment autobiographique (mais il faut se méfier des évidences), qui guide et conclut mon livre. C'est en questionnant cette « évidence » que des surprises peuvent surgir, je crois. Il sera aussi question de la notion de lieu, lieu traversé, lieu « hanté » par la mémoire, en écho à l'exposition en place dans la médiathèque : « 7 territoires où vécut Jean-Jacques Rousseau », ce sera pour moi l'occasion d'évoquer le « habiter quelque part », que je tente de définir tout le long de mon texte.
Comme toujours, je suis persuadé de ne pas être à la hauteur et, comme toujours, Marielle parvient à me convaincre du contraire.
* Jeu de mots piqué au poète Jean-Luc Lavrille.
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Haonthologie de la poésie
Nous devons ce beau mot-valise reprenant le nom du village amoureux de la poésie : Saint-Haon-le-Châtel, à Jean Mathieu. Jean est un féru de littérature. On peut retrouver un savoureux portrait de lui dans le dernier livre de Jean-Yves Loude "Voyage en Côte roannaise avec mes ânes". Surtout, Jean est l'organisateur avec la Bibliothèque dudit village et l'association Demain dès l'Aube, de rencontres autour de la poésie exceptionnelles cette année (pas cette ânée, ne soyez pas bêtes).
Au programme :
Samedi 19 mai 2012 à 17h dans "Les Ruines" (ce sera fléché) : LECTURE d’Antonin ARTAUD par Thierry Mortamais
A partir de 19 h Salle Bel Air, au cours d’un Repas –Buffet (15€ -inscription au 06 45 88 79 73) : CONFERENCE MUSIQUE ET CHANSON sur ARAGON (je sens que ça va plaire à Cachard, ça) "Au bout des brouillages" par Suzanne Vengeon et Edouard PioletEt à 21h 30 : SLAM par José Simon NARVAEZ (accompagné par la guitare Jean-Philippe Géressy). José-Simon Narvaez dédicacera son livre "Excursion nocturne" lors de la soirée.
Dimanche 20 mai de 14h30 à 17h, Jardin Cazamian ( ce sera fléché on vous dit). Table ronde animée par Michèle Naravez, entre quatre poètes et non des moindres :
René Pons, Pierre Présumey, Lionel Bourg et Jean-Luc Lavrille.C'est un week-end chargé, je sais bien, mais prendre le temps d'écouter ce qu'ont à dire des poètes, aujourd'hui, c'est de l'ordre de l'urgence.
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Bon, parlons d'autre chose
« J'habitais Roanne », mon prochain livre, sort la semaine prochaine. Vous ne le trouverez qu'à Roanne, c'est logique : il est écrit pour cette ville, pour ses habitants. La première critique parue dans La Muse n'est pas enthousiasmante, même si elle est plutôt positive. Que voulez-vous, on aimerait chaque fois emporter l'adhésion la plus complète. Et puis, on pense à l'éditeur, aux risques qu'il prend, au travail effectué par toute une équipe, aux treize mois passés sur l'écriture, aux sacrifices demandés à l'entourage pour obtenir ce résultat. Je mets ICI le lien de l'article de Franck Guigue pour la Muse (lire pages 24-25). Même si, comme dit un copain « ça donne pas envie de le lire », je soutiens la liberté critique.
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effet domino
On a vidé les hôpitaux psychiatriques et rempli les prisons en ajoutant les malades les plus dangereux et dont il fallait bien faire quelque chose. Les prisons surpeuplées génèrent des névroses ingérables en milieu carcéral. On sera donc obligé de rouvrir les hôpitaux psychiatriques pour y mettre d'anciens détenus devenus déments, qui s'ajouteront aux malades dangereux enfin réintégrés. Je ne sais pas qui a cru gagner quoi que ce soit dans l'opération, mais il mérite de faire un séjour dans l'une ou l'autre institution.
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Naufragé volontaire
Alain Bombard, célèbre navigateur solitaire pour une cause scientifique (pas pour le sport je veux dire : un altruiste, quoi), ayant programmé des mois d'isolement sur l'océan, avait emporté dans son petit canot un livre de Spinoza. Il n'était jamais parvenu à dépasser les premières lignes et il était persuadé que cette fois, sa solitude de naufragé serait telle qu'il ne pourrait éviter de lire, et de tout lire. Il dut avouer plus tard que, malgré tout, il n'était jamais arrivé à aller plus loin que ses premières tentatives. Spinoza resta à jamais un mystère pour lui. Si je devais embarquer tous les bouquins qui me tombent des mains, ce n'est pas un zodiac qu'il me faudrait, c'est un ferry. Mais va trouver un ferry où tu peux être tout seul, toi.
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L'homme qui sauva King Kong
Dans « j'ai grandi à Hollywood », magnifique livre de souvenirs d'un enfant dans l'usine à rêves de l'Amérique des années 20-30 et plus (ed. Ramsay), le futur grand réalisateur Robert Parrish raconte avec humour comment il a sauvé King Kong. En effet, à la RKO, rachetée par Seilznick à ce moment-là, le jeune employé est chargé de contrôler les négatifs (la cellulose a tendance à se rétrécir avec le temps. Au bout de quelques années, les perforations ne correspondent plus au système et on doit jeter les bobines) de tous les films stockés. Pour certains, abimés mais jugés assez importants, Parrish a la possibilité de commander un nouveau négatif. Il faut l'imaginer seul dans un vaste hangar, déroulant sur la moviola des kilomètres de pellicule et jugeant en son âme et conscience ce qu'il va sauver ou non (le budget est évidemment limité). Parrish sauve ainsi, un jour, le négatif de King Kong, 1933. Sans lui, je n'aurais pas pris de plein fouet ce basculement de l'autre côté du miroir magique du cinoche, quand, soudain, un grand chef noir appelle une créature géante venue de la jungle et de la nuit, quand les cris de Fay Wray s'élèvent dans la nuit, quand les petits bonshommes venus du XXème siècle s'apprêtent à entrer de plain-pied dans la préhistoire. Sans la décision initiale de Parrish, je n'aurais pas connu le travail de Willis O'brien, je ne me serais pas intéressé à la préhistoire, à l'histoire, à l'art, à l'histoire de l'art, je n'aurais pas réalisé de films, pas écrit de scénarii, pas écrit de romans, pas écrit du tout peut-être. Sans lui, je serais un autre. Sans lui, des millions de spectateurs seraient autres. C'est vertigineux quand on y pense.
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La déconvenue
J'appris des tas de choses, découvris à leur contact un vaste champ de la culture qui m'était insoupçonnable. Surtout, je m'émerveillai de l'originalité des points de vue de mes nouveaux modèles. Et puis un jour, je me rendis compte qu'ils ânonnaient les jugements lus dans Télérama ou les Cahiers du Cinéma. Ils avaient juste l'assurance nécessaire pour laisser croire qu'ils avaient mûri, réfléchi, livré leur interprétation personnelle d'un film, d'un peintre ou d'une pièce. Je vous jure, j'ai détesté découvrir cette tromperie.
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Nous, les faibles.
Ces combats que nous n'avons pas menés, laissés à d'autres. Plus forts que nous, plus intelligents que nous, plus combattifs ou résolus que nous. Et qu'ils ont perdus. Nous n'avions pas perçu que nous étions les renforts, l'assise, l'arrière. Qu'en notre sein naissait la vague suivante. Tout accablés de notre faiblesse, nous n'avions pas vu que nous étions leur socle. Et qu'ils avaient besoin de nous.
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Pré#Carré
Vendredi 23 mars
A la Médiathèque de Neulise
Hervé Bougel a dit :
« Ce qu'on a à dire d'essentiel aux autres me paraît tenir en quelques mots :
Je t'aime, tu m'emmerdes, etc.
Après, c'est autre chose »
(il n'a pas dit « c'est de la littérature » mais il a ajouté :
« ...c'est Victor Hugo et c'est un autre monde. »)
Pour illustrer le principe,
Christian Degoutte a lu
un texte édité par Bougel au Pré#Carré
« Il neige », de Joseph Beaude.
« Vient un jour où les images
n'infectent plus la langue
on peut dire il neige quand il neige »
Typique de cette poésie précise et légère à la fois,
défendue selon Degoutte par Hervé Bougel
(« la poésie considérée comme parole première se tient bien à l'aise dans ces petits formats »)
qui suit en cela les pas tracés par Roland Tixier, du pré de l'Age.
Hervé Bougel (RVB par goût du signe et du langage)
publie cette année son 72ème recueil carré, plié et cousu main,
avec ses belles couvertures
précieuses et pensées.
Si l'on ajoute d'autres publications aux formats différents
(autres collections : « pas à pas », co-éditions ; des textes de Pierre Présumey, de Christian Degoutte, de Fabrice Vigne...)
on réalise que RVB a mieux que poursuivi le travail de Tixier, il l'a prolongé, conforté, peut-être dépassé d'une certaine manière.
Pour se faire une idée, mieux vaut aller batifoler du côté de son blog,
de mauvaise foi et très intéressant
Plein de gens voudraient aider Bougel, à plier, coudre, f
aire ce « travail d'abruti » qu'il affectionne,
mais il est de son propre aveu « très difficile à aider »
Non, le mieux, pour lui donner un coup de main, c'est de s'abonner.
Recevoir quatre fois par an ces petits bijoux.
« On peut avoir des dizaines de livres chez soi,
mais ça, ce n'est pas n'importe quels livres,
après des années, on peut y revenir,
leur qualité est toujours là. »
explique Christian.
Et c'est vrai. -
La petite maison
Une promenade sous un beau ciel de février a mené nos pas loin de chez nous, parmi les collines qui arriment la Bourgogne au Charolais. Quatre heures de marche sereine et émerveillée. En haut d'un coteau, contre la crête d'une forêt, nous remarquons une maison. Nous l'avons repérée de loin parce qu'elle est seule dans ce paysage. C'est une vieille maison de bois mais retapée intelligemment avec de grandes ouvertures vitrées et sûrement pas mal de moyens. Et puis, dans le grand pré qui la sépare de la petite route où ne passe pas une voiture par demi-journée, un jeune père joue avec son petit garçon au cerf-volant. Les seuls bruits que nous percevons sont ceux de nos pas et de nos respirations, le feulement de l'air contre le cerf-volant et les cris de joie du gamin. Nous avons dépassé leur hauteur, avons continué le chemin presque en baissant la tête, se faire le plus petits et discrets possibles, comme si nous risquions de déranger un ordre sain par notre intrusion. En nous retournant, nous découvrons qu'aucun fil électrique ne relie la maison aux poteaux électriques les plus proches, au bord de la route. On ne peut s'empêcher d'imaginer le bonheur d'une petite famille, fermée autour d'un poêle et quelques livres, des gens qui ont fait le choix de l'isolement pour vivre, au moins quelque temps, un an ou deux, coupés du monde. En paix. Nous en conservons le souvenir jusqu'au retour, le souvenir qui nous marque d'un sourire tenace. Sourire que je retrouve tandis que j'écris ces lignes, deux semaines après.
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Christian Degoutte à l'écritoire d'Estieugues
Au centre de Cours-la-Ville (Rhône), où je m'arrête pour demander mon chemin, un panneau avertit que « la ville est sous vidéo-surveillance ». La taille de la commune le permet je suppose. Quant au Syndicat d'initiative où j'espère un renseignement, il est sécurisé par un sas à ouverture électrique commandée depuis le bureau, à l'intérieur, comme une banque. Je me dis qu'on a vraiment le sens de l'accueil dans ce patelin. Du coup, l'existence de « L'écritoire d'Estieugue », association dédiée à la poésie, prend un sens particulier. On défendrait ici une poésie de résistance à la bêtise et à la frilosité, une poésie de l'ouverture et de la générosité, que ça ne me surprendrait pas. En tout cas, les amis de l'écritoire (Gilles Cherbut et Anne Vaucanson en tête) honorent le printemps de la poésie par plusieurs rencontres et lectures. Ce samedi 17 mars au matin, c'est Christian Degoutte qui était l'invité du « conversatoire de poésie ».
La voix de ce poète est rare malgré le nombre et la qualité de ses publications. Nous étions une trentaine à avoir tenté de ne pas louper ce rendez-vous. Christian est comme ces animaux rares, furtifs, rayonnants, qui s'effraient de la lumière et sous l'haleine des ténèbres... Merde, voilà que je me mets à écrire comme Bobin. Non : Christian Degoutte est d'abord un insatiable lecteur de poésie, un guide bienveillant, s'amusant à décontenancer : « c'est bien, la mièvrerie, moi j'aime bien les trucs mièvres. Pourquoi ce serait mal, la mièvrerie, le pathos ? » et qui, deux minutes après, vous cisaillent le cœur et les tripes en lisant des extraits de « Il y a des abeilles », texte sensuel et désarmé, apaisé mais traversé par une colère, loin très loin de toute mièvrerie. Son intervention alternera pendant deux heures, lecture de ses textes et des textes des autres. Les parentés, les influences, les complicités et les allusions sont constamment rappelées. Christian nous propose d'emblée de distinguer une poésie « d'estrade », Jaccottet, Ponge..., éditée dans de grandes maisons et reconnue (une poésie qu'il aime lire mais pas celle vers laquelle il va naturellement, en tant qu'auteur) et une poésie que pour faire vite il qualifiera d'underground. Disons, confidentielle. Enfin, encore plus confidentielle que la poésie d'estrade, c'est dire. Sans un guide comme lui, qui en une matinée nous défriche quarante ans de littérature faite « au cordeau », un piètre lecteur comme moi (pas assez curieux, voilà le drame) n'aurait jamais eu vent de l'existence de poétesses actuelles comme Ariane Dreyfus, Sophie Lucas ou Amandine Marembert.
Un poète n'écrit rien qui ne soit rattaché à la littérature qui est sa famille. Ses premiers textes, « Sybilles ocres », « l'homme de septembre », repris à l'envi dans des anthologies, reflètent la manière de René Char, dont la densité des textes lui est toujours une énigme. On sait que le travail d'un artiste est de se déprendre de l'empreinte de ses maîtres. Lire beaucoup, beaucoup d'auteurs exigeants, c'est-à-dire multiplier les influences en fait, aide assurément à trouver sa voix. La lecture et le silence qu'impose cette avide fréquentation des autres textes. La plume de Christian se tait pendant vingt ans, après ses publications des années 70. « C'est comme ça, dit-il pudiquement, je n'écrivais rien, enfin rien d'utile. » Rien d'utile... Que les écrivaillons ruminent cette notion (je la prends pour moi aussi, d'ailleurs : ma prolixité (surtout mon peu de réticence à partager la moindre ligne), me fatigue moi-même. 'f'rais mieux de savoir si j'écris quelque chose « d'utile » parfois. Mais passons.)
Retour à l'écriture dans les années 90 (je n'ai pas saisi, car Christian digressait, s'égarait, revenait, si « 34 cordeaux » écrit en hommage à Apollinaire, se situe dans cette phase de regain mais qu'importe), les années 90 donc, avec de « faux » poèmes. De faux poèmes, comment ça ? C'est que pour leur auteur, ces textes n'avaient pas grand chose à voir avec la poésie. Il se pense « incapable d'écrire un poème », alors il fait « fictionner » la poésie. Par exemple avec cette merveilleuse idée du recueil « paroles cuites ». les paroles cuites, ce sont des textes fragmentaires, exhumés de la terre des jardins et des talus, des signes vitrifiés sur des bouts de faïence que les naïfs croient être d'anodins morceaux de vaisselle cassée mais que le poète reconnaît comme les vestiges d'une civilisation nomade disparue. Il a suffi de traduire leur langue, « l'archaïque », pour produire un recueil, illustré de dessins scientifiques. Christian fait encore des fictions de poésie à partir des catalogues de la Redoute, où il a remarqué que les lingeries étaient assorties de textes aux teintes « poétiques », pour convaincre les clientes d'acheter tels bas, telle nuisette, telle culotte. Dans ce cas, « faire fictionner la poésie », c'est pousser les curseurs un peu plus loin, mener la tentative au terme. Appuyer sur les curseurs est question de dosage. Christian rappelle la frontière imperceptible qui sépare un bon poème d'un poème ridicule. Enfin, « comme on ne peut pas toujours faire semblant... » Christian accepte d'écrire vraiment des poèmes. Il ne s'agit plus de fictionner, il s'agit de se confronter à la genèse de cette forme. C'est très risqué : « La seule volonté d'écrire un poème suffit à tuer le poème », principe d'incertitude appliqué à l'écriture. Une source pourtant est utilisable : cueillir dans sa prose quotidienne les éclats qui sont l'amorce de textes. En revenant sur ces phrases, livrées sans ordre aux carnets, dans le flot des notes « on est éclairé à rebours par ses propres formules ».
Et la poésie, qu'est-ce que c'est ? Personne n'a posé la question, mais on sait bien qu'elle va surgir. Apprendre de lui comment il a pensé la chose. Il devance l'interrogation, sûrement parce que, à force de réflexion, Christian est en mesure de définir la poésie comme « ce qui nous conduit au langage à l'intérieur de nous » et l'écriture ? « une érotisation du langage ». Je me souviens que Pierre Michon voulait écrire avec le Français comme s'il s'agissait d'une langue morte. J'ai eu le sentiment que les deux approches n'étaient pas si éloignées. Écrire, enchanter le langage. Érotiser, oui, comme sont sûrement érotiques les courbes surhumaines du sculpteur Henri Moore qui lui inspira le superbe « Henri Moore à Nantes », que mon ami Jean a saisi le premier. Il n'y avait qu'un exemplaire. Mais je sais bien qu'il va me le prêter...Lire les textes de Christian Degoutte : Le Pré#carré éditeur (Il y a des abeilles notamment, deux éditions différentes dont la plus récente est bilingue, français et allemand).
Son premier roman Trois jours en été, chez l'Escarbille.
On le trouve aussi dans des anthologies : le recueil III de « Poésie d'aujourd'hui en Rhône-Alpes » et dans « La poésie de A à Z » de Jacques Morin.
Christian tient aussi une rubrique dans la revue Verso, où il chronique les revues de poésie. -
C'est l'printemps, les poètes planent
Ils écrivent et lisent aussi.
Relayons donc l'avis de l'excellent Christian Degoutte qui sera l'invité de l'écritoire d'Estieugues, au Château de la Fargette (à Cours-la-Ville, ne faites pas semblant de ne pas savoir où c'est), printemps des poet-poet qui se déroulera comme suit :
-Vendredi 16 mars à 20h30 : lecture du Prophète, de Khalil Gibran, par Charles Simond.
-Samedi 17 mars à 10 h 45 : conversatoire de poésie contemporaine, animé par Christian Degoutte.*
-Samedi 17 mars à 16 h : poèmes de Gaston Couté, interprétés par Hervé Mercier.En soirée, Michel Grange viendra avec sa guitare (enfijn je suppose) entonner ses propres chansons.
Qu'on se le dise !
* Ce rendez-vous était suivi dans l'annonce par la formule : "Suivi d’un apéritif gratuit" mais je ne l'ai pas mise parce que je sais que vous n'êtes pas comme ça. Moi par contre...
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Sûrs de nous
De toute façon, notre choix est fait. On va arrêter de s'angoisser en regardant la télé, en écoutant la radio et en suivant les analyses de chacun. Nous n'irons pas voir Cloclo, et puis c'est tout.
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Moebius la boucle
Pour ceux de ma génération, Giraud alias Moebius et vice-versa, est un maître hors-norme, un surdoué en même temps qu'un patriarche. Je viens d'apprendre son décès à l'instant, et j'écris sous le choc, ce qui fait que je suis un peu démuni pour dire tout ce qu'il a pu apporter. Je n'idolâtre personne, ne sacralise aucun artiste, mais quand même, on vient de perdre un sacré bonhomme.
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A chaque jour suffisent deux peines
Saluons comme il se doit la naissance d'un blog nouveau (comme il se doit, c'est-à-dire en la saluant, c'est un peu redondant je vous l'accorde, mais ce doit être l'émotion) : Calamités quotidennes. Au pluriel, "calamités", parce qu'il commence d'emblée avec deux billets, le bougre.
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L'accident
Quelques heures d'écriture et puis basta, ce jour-là, je sors de mon écran, de mes notes, etc. Je fais un peu de rangement dans le bureau, classe quelques dossiers, des livres, en profite pour passer un coup d'éponge dans la cuisine, nettoyer deux ou trois bricoles. Soudain, des pas dans l'escalier, une escalade précipitée. Irruption de ma douce, affolée, remontée en urgence de l'appartement du dessous où elle assiste ses parents : « ça va ? Tu es malade ? » (aucun second degré, elle est vraiment angoissée à l'idée que je m'occupe d'autre chose que d'écrire). Je la rassure : j'avais prévu un coup de balai mais comme je ne veux pas l'inquiéter davantage, je m'arrête immédiatement. Après quelques négociations, je parviens à obtenir de faire à manger, exceptionnellement. La vie est dure.
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Essaye encore
Oui, j'avais promis de vous tenir au courant : un de mes textes avait été sélectionné en première lecture chez un éditeur dont je peux maintenant révéler le nom : Gaïa. Un mail récent m'a annoncé que, finalement, il ne sera pas retenu. La directrice de collection a eu la gentillesse d'argumenter son refus et je dois dire que, plutôt que de me désespérer, les suggestions qu'elle fait me donnent envie de reprendre le propos et d'opérer les coupes nécessaires. Car il y a de bonnes choses et, après tout, je me dis qu'on peut réinventer, « réenchanter » dirait un autre, une version mal en point. J'attends d'autres réponses, d'autres romans. Toutes les révélations ne se feront pas ici, pour certaines raisons (il y a du pseudo dans l'air). Enfin, malgré cet échec relatif, ça va pas mal pour moi, merci.