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choses vues - Page 24

  • Recours aux forêts

    N'en a pas fini avec la tentation de s'abstenir de lire de nouveaux auteurs, s'abstenir d'écouter de la musique actuelle, d'aller voir des artistes contemporains et des films récents et de rester connecté à l'actualité. Parce que, à un certain moment, le cerveau se fatigue de n'être que médiocrement stimulé, ou découvre que toute cette soif de culture contribue, paradoxalement, à l'engourdir. Alors, reprendre les livres et les musiques, reconsidérer les œuvres qui nous ont déjà émerveillés, et celles-là seulement. Quant à l'actualité, son triste bégaiement rabâché par les échotiers assoupis, quelle nécessité ?

    Et puis, soudain, une invention hallucinante, un livre remarquable, une musique inouïe, un tableau bouleversant... C'est désespérant, ce déferlement incessant de merveilles.

  • çui qui dit qui est

    Dans La Vache, la deuxième sourate du Coran, il est clairement expliqué que les mécréants le sont par la volonté expresse de Dieu (« Quant aux incrédules (...) Dieu a mis un sceau sur leurs cœurs et sur leurs oreilles ; un voile est sur leurs yeux »). Si on se demande bien dans quel but, on peut en tout cas se réjouir que l'athée ne soit en rien responsable de sa philosophie et puisse même exiger du croyant le respect le plus haut, ayant bénéficié, contrairement à lui, de l'attention particulière de son créateur.

  • Insomnie

    Et pendant que les heures sur l'écran s'affichent, je tourne dans le lit, comme les aiguilles.

  • A l'usure

    Comment percer le flanc d'une haine toute faite d'un bloc ? Il faut bien espérer que dans la cuirasse subsiste quelque défaut. Et s'il n'y en a pas, il faut attendre la fatigue. Car la haine demande de l'énergie. Son carburant est la peur. La peur vient de l'inconnu. Il suffit que l'inconnu entre dans la vie, se fasse connaître, s'installe. La bête s'accoutume. Il est même possible que la présence de l'autre lui plaise. Le bloc de haine s'use et s'épuise. S'estompe, disparaît. On ne sait bientôt plus pourquoi et comment la bête s'était construite. Tout rentre dans l'ordre. Enfin, bref, je veux dire, pour le mariage des homos, il faut tenir bon.

  • Protoproverbes

    Passés à la moulinette des traductions en ligne (traduits en hébreu, puis en chinois, puis en arabe, en allemand et versés dans la langue d'origine), des proverbes produisent ces phrases intrigantes :

    Quand il n'a pas de dent maintenant, une telle chose a du pain

    Tant que le pichet (lanceur) de l'eau ceci a interrompu

    On le considère pour être le mieux du sienne

    Quant au début de La Recherche, suivant un procédé complexe (français > chinois ; chinois > arabe ; arabe > japonais ; japonais > hébreu ; hébreu > français, le voici : "La longue période de temps où ceci est très premier pour dormir".

    Ce n'est pas si mal. Maintenant, essayez de retrouver les vrais proverbes qui se cachent sous les traductions (qu'est-ce qu'on s'amuse sur kronix !).

  • Les six jouissances du grand Laurent

    LC_Balance.jpgAbordant un recueil de nouvelles, le lecteur accepte d'emblée le principe de traversée de temps et de modes différents. C'est le genre qui le veut, et l'homogénéité, ou disons la cohérence, des récits courts qui se succèdent, n'est pas forcément désirable. Entre les six nouvelles de La 3ème jouissance du gros Robert de Laurent Cachard, il y a de forts contrastes de style et de thème. Et cela contribue au plaisir de la lecture. Mais implique de parler de chaque nouvelle comme d'un texte spécifique, dégagé du corpus intégral, quasi inconciliable avec la nature du reste. Le plus jouissif, puisqu'il s'agit de cela, c'est que l'ensemble ainsi créé ajoute à la palette déjà très étendue de Cachard, romans, chansons et théâtre, des nuances inédites. Ce dernier ouvrage semble ressortir des domaines alliés de la somme et de l'exploration.
    La première nouvelle du recueil et qui lui donne son titre, est un sobre et émouvant moment de vie de Robert, et de ses amours possibles. Le récit est crédible (en tant que lecteur, j'ai besoin de vraisemblance et ce n'est pas un détail) et touchant, très délicat, juste. Robert est gros, maladivement gros, ne le restera pas, comme il ne restera pas à la Croix-Rousse (décidément, Cachard est l'écrivain de la Croix-Rousse), où le récit prend racine. La vie du héros connaît les hauts et les bas de cette partie  pittoresque de Lyon, et quand son travail de scientifique l'entraînera à Paris, c'est « tout naturellement », qu'il va retrouver les sensations de son quartier dans les escaliers de Montmartre. Sauf qu'entre temps, il a perdu plus de 30 kilos, a rencontré Mathilde et sa fille, et que grâce à elles sa vie a pris l'épaisseur dont son corps s'est débarrassé. À Paris, au CNRS, où il rejoint une équipe qui travaille - tiens, tiens - sur les phénomènes d'ordre et de désordre, il fait la connaissance de Sophie, autre tête chercheuse. Les chercheurs se trouvent, la vie prend un élan, une résolution. Mais quelque chose n'est pas dit, subsiste et gêne. Il faut que Robert s'acquitte d'une dernière expérience. Cela prend la forme d'une installation en terrasse, à la Croix-Rousse, sur les traces d'un passé pas si lointain. Quand il était encore gros, quand la vie allait lui offrir Mathilde. Dans ce beau récit, Cachard articule avec science le déroulement du temps, place le lecteur aux côtés de son héros, permet une transparence des sentiments, tandis que, de la confusion initiale, monte une clarté, s'affirme une décision. On aime chaque personnage, on accompagne chaque mouvement. C'est un récit solaire et bon. Dans Le poignet d'Alain Larrouquis, l'agaçant et pusillanime Herfray oscillait entre deux femmes à peu près également invivables (selon mes propres critères), Dans cette Troisième jouissance, employée sans ironie, Robert est l'objet d'un amour double et généreux. Le choix de sa vie, finalement, s'en trouve facilité. Et le lecteur sourit, car il est heureux pour chacun des protagonistes.
    Valse, Claudel, ressort du domaine évoqué plus haut, de la somme. Voici un texte longuement mûri, sans doute repris souvent, amendé, approfondi à chaque relecture de son auteur. Le résultat est une nouvelle absolument admirable, d'une sophistication extrême malgré sa brièveté, tant au niveau de la forme que du fond. Le narrateur patiente devant le Musée Rodin, rue de Varenne. Il attend une femme évidemment, et dans l'attente, entame un monologue intérieur avec Rodin, qu'il tutoie. Aussitôt, le récit est suspendu, et tout le jeu littéraire consiste en une exploration à partir du narrateur comme point géographique immobile, vers mille thèmes, mobiles et fuyants. La pensée vagabonde entre l'art et l'intime, l'histoire (de Camille et d'Auguste, de Lui et de Elle), l'attente, la fixité des statues ou de l'homme qui espère, les pensées, la danse, les regards, le mouvement, la réflexion prend son élan et un deux trois, un deux trois, se met à valser. L'irruption d'un gardien, figé dans son rôle, ne bouleverse pas longtemps l'équilibre tenu entre pose et pas-de-deux. Tout le texte explore la dualité fragile du balancement et du stable. C'est un superbe moment d'écriture d'un auteur en pleine possession de ses moyens. Cependant, on est loin de l'exercice littéraire stérile qui afficherait une virtuosité. La sophistication ne rompt pas le charme, elle l'augmente et l'enrichit par moult considérations sur l'art et les rapports de l'artiste à son travail. On reste dans l'humain, l'instant de vie, entre histoire de l'art documentée et remuements intimes, une somme disais-je. J'attendais beaucoup de cette Valse, promise depuis longtemps. Je constate que c’est un condensé d'émotion et d'intelligence. Un des textes les plus riches et les plus passionnants de son auteur. Le genre de littérature qu'on recherche avec avidité, parce qu'elle précipite en son creuset tout ce qu'on aime dans l'écriture, et vous le restitue avec clarté.
    Il est aussi question de danse, dans la nouvelle suivante, avec une scène joliment décrite d'un couple qui sur la piste, s'approche et s'éloigne, joue le rituel de la tentation et du retrait. Ciao, Bella ! décrit une brève rencontre. Il y a tant de brèves rencontres dans la littérature. Celle-ci ne déroge pas aux schémas attendus, amorce anodine, complicité, déambulation nocturne (Lille offre le cadre), incertitude, bienfaisant abandon, mais la fin est un bijou de finesse, qui va faire craquer le lectorat féminin de Laurent. On ne la révélera pas ici, mais ces quelques pages concentrent les rapports entre deux êtres sur une question essentielle : le faire ou pas ? Il y a du In the Mood for Love dans cette valse-hésitation. Un texte extrêmement délicat et subtil. Une réussite.
    Tombe la neige et Marius Beyle (ce dernier texte, déjà édité sous une autre forme, mais retravaillé ici), qui se succèdent dans le recueil, parlent de la guerre et des lendemains de la guerre. Tombe la neige pourrait être vue comme une suite de Tébessa, 1956, puisque ses héros reviennent de l'Algérie. Gérard est resté là-bas, comme on sait, mais son alter ego anonyme revient avec son copain Polo. Le monde a changé, un peu, les femmes ont changé, pas mal. Enfin, les guerriers doivent trouver leur place. Les deux récits parlent de l'identité, de la transmission, et de la place qu'on prend entre les vivants et les morts (ce qui rapproche ce récit d'un roman à venir, le mien, mais nous en reparlerons en temps utile -pardon pour cet aparté). Cachard entreprend la description documentée d'une société passée, avec sa langue et ses modes, qu'elle soit la France populaire des années 60 ou les champs de bataille de 14-18. Dans les deux cas, il retrouve les formes et les accents des monodies intérieures du Gérard de Tébessa, à la première personne. Les portraits et les visions surgissent des pensées, les événements majeurs se mêlent aux souvenirs infimes, la vérité d'une vie et d'une période se construit sans que le lecteur en prenne conscience, par l'accumulation des touches impressionnistes. Les lecteurs qui ont aimé le premier roman de Cachard seront en terrain de connaissance.
    Je soupçonne l'auteur d'avoir eu à convaincre pour ajouter la dernière nouvelle du recueil. Non pas qu'elle constitue un point de faiblesse ou qu'elle ternisse l'ensemble, mais je devine que le burlesque n'est pas la forme littéraire préférée de son fidèle éditeur. Car Rififfi chez les Aplagnet-Tartat est une incursion de Cachard dans le comique le plus roboratif, avec anarchie dionysiaque, jubilation infantile dans la destruction, crescendo dans le désastre (bien que tout rentre dans l'ordre au prix d'un effort absolument admirable du plus mature des protagonistes). On est dans la délectation la plus joyeusement primaire, la régression la plus réjouissante. Une très bonne idée que cette conclusion désopilante qui fait parfois penser au petit vélo à guidon chromé de Perec. Un autre écrivain qui savait employer toute l'étendue de sa verve malicieuse pour offrir à ses lecteurs une occasion supplémentaire de jouissance. Il n'y a pas que trois jouissances pour le lecteur, dans ce recueil, vous l'aurez compris.

    La troisième jouissance du gros Robert (et autres nouvelles). Laurent Cachard. Editions Raison et Passions. 138 pages. 14 euros.

  • Peine à jouir

    J'espérais produire ici une relation de ma lecture de « La 3ème jouissance du gros Robert », mais un autre chantier d'écriture (étrangement lié à l'auteur dont je voulais parler), m'a pris plus de temps que prévu. Ce sera pour demain. Peut-être.
    En tout cas, hier matin, lors du vernissage de l'exposition d'un ami, je me suis "fait" un candidat UDI, anciennement FN, qui a réussi à se recycler sous cette nouvelle étiquette et serre maintenant les paluches de tout le monde culturel local (poignées de mains que personne ne lui refuse, car le voici devenu propre). Pas mécontent de l'avoir renvoyé dans ses buts vert-de-gris. Me sens un peu seul, malgré tout. Heureusement, ma douce me soutient.

    Je parlerai de l'expo aussi, elle en vaut la peine.

  • Sans ciel au dessus

    Athée, en prière tout de même, une manière de concentration pour mieux supporter les colères du monde, et dans cette concentration, savourer la douce épice du dérisoire.

  • Boîte à meuh

    Il y a ces jouets vieillots qui n'ont pas de nom, vous savez, ces boîtes cylindriques qu'on retourne et qui font Meuh. On peut bien se moquer, mais moi je trouve qu'elles constituent un sacré progrès. Pensez qu'avant, il fallait retourner une vache pour obtenir le même son.

  • La tentation encyclopédique

        Mon modèle était ces vieux Larousse aux couvertures épaisses, rouge ou verte. Leur poids en s'ouvrant chassait l'air sous les ais, la masse de feuilles s'épanouissait de part et d'autre dans un soupir. Je lisais les définitions, les coudes écartés à chaque extrémité de la reliure, menton collé entre les deux rives de papier, index sur la ligne. Les mots s'étageaient en colonnes ; ils étaient si nombreux et petits que leur accumulation faisait un gris subtil, grenu sous la pulpe des doigts, leur compacité était rompue par de somptueux dessins que des artistes anonymes avaient eu la bonté de produire pour moi. Ce n'était pas un souci de connaissance, mais une avidité de beauté qui me conduisait sans cesse à me plonger dans ces ouvrages. À l'époque -j'avais peut-être dix ans- je collectionnais les fossiles, les minéraux, les cristaux, les curiosités. Il y en eut bientôt un tel nombre que mes parents débarrassèrent une pièce qui servait d'atelier pour que j'y organise une sorte de musée. J'y arrangeai soigneusement mes trouvailles sur les rayons montés par mon père, légendai chaque objet d'une étiquette approximative et quand tout cela fut fini, j'entrepris une « Encyclopédie de la préhistoire ». Le projet ne me semblait pas si monstrueux. Il me prendrait du temps, bien sûr, mais je n'y voyais qu'une longue perspective de jours consacrée à l'écriture et au dessin, mes activités préférées.
        On me trouva un superbe cahier relié, dont les grandes pages n'étaient pourvues que de quelques horizontales fines. La couverture était cartonnée et solide, ornée du motif de taches qu'on voyait sur certains cartons à dessins. La virginité de ces pages ne m'intimida pas pour autant, et j'entrepris mon ouvrage. Un stylo bille noir en main, je traçai avec application mon titre immodeste sur la page de garde sans oublier de m'en octroyer par avance le mérite en écrivant mon nom en dessous, puis tournai la page. Les choses sérieuses commençaient. Je dessinai un « A » au moins aussi alambiqué que les lettrines de l'encyclopédie Larousse puis j'improvisai une définition de l'Archéologie. Elle fut succincte : m'intéressait surtout le mot suivant. Archéoptéryx. Le premier oiseau, le premier dinosaure à plumes, selon les connaissances de l'époque. J'écrivis un article assez complet, mais ni vérifié ni documenté, puis traçai un cadre et dessinai la bête. Se succédèrent ainsi une dizaine de définitions. Les lignes serrées et sans ratures faisaient un gris agréable à l’œil, et les dessins rythmaient les quelques pages fournies. L'effet était assez proche de celui de mon modèle.  Cette vaste entreprise s'arrêta après deux ou trois jours. Ce qui distingue l'enfance de la maturité, ce n'est pas l'ampleur du projet, mais l'estimation du temps, l'appréciation de l'effort nécessaire pour y parvenir. Ce qui n'implique pas que l'on en vient à bout, mais y contribue. Ainsi, je commence à travailler sur un projet qui me prendra vingt ans. Et alors ?

  • Les choses sérieuses

    Une vente aux enchères. Un public d'habitués, la commissaire-priseur connaît tout le monde, l'ambiance est sympathique. La vente commence. On vend des livres par cartons entiers. Les cartons de beaux livres montent à 200, 400 euros. Etonnement des p'tits gars derrière moi, pour qui le livre est un objet bizarre, sans valeur. Qu'ils se rassurent, on arrive aux bouquins d'occasion, et là des séries de un, deux, puis trois gros cartons pleins se négocient à 3 ou 5 euros. Même pas le prix du papier. Enfin, le calvaire s'achève et le préposé aux cartons s'empare du premier objet de la suite de la vente aux enchères : un vieil escabeau. J'entends une voix, derrière, soulagée : "Ah, on passe aux choses sérieuses !" En effet.

  • Copernicien

    Galilée a commencé en fabriquant une lunette inspirée d'un jouet pour enfants. Va révolutionner la science avec un GI Joe, toi, maintenant !

  • Aucune fatalité

    Les foules décimées pour la joie d'un Livre majuscule
    C'était pas obligé

    L'argent devant tout le reste, le goût du profit
    Non,
    Faut pas croire
    C'était pas obligé

    Le dépeçage du monde au bénéfice de si peu
    C'était pas obligé

    On n'était obligé de rien

    Obligé

    de

    rien !


    Va savoir ce qui nous a pris.

  • Le sport contre la migraine

    Le fameux Jeu de Front se pratiquait à l'origine avec des carreaux d'arbalète que les joueurs tentaient d'arrêter avec la tête. Cette pratique n'eut qu'un temps. On s'avisa qu'on pourrait remplacer les flèches par des ballons. Le jeu perdit en intensité ce qu'il gagna en nombre de survivants à la fin d'une partie. Mais un certain ennui se fit jour et le jeu tomba rapidement en désuétude. Glorieuse histoire du sport.

  • La barbe

    Je ne me suis laissé pousser la barbe et ne la coupe très court, que pour entendre ce bruit soyeux et frêle quand, dubitatif, je passe ma paume sur les joues et me saisis le menton. La réflexion ne s'en trouve pas enrichie mais la concentration y gagne en esthétique. Et c'est toujours ça de pris dans ce monde barbare.

  • Du côté du petit Marcel

    Appréciation de monsieur Humbert, au sujet de son élève de 5e D, le petit Marcel Proust. Premier trimestre : « Cet élève fera beaucoup mieux quand il se laissera moins entraîner par son imagination déréglée ». Au deuxième trimestre : « Bon élève, absent et malade depuis la fin de janvier. » troisième trimestre : « A le plus vif désir de bien faire, mais se laisse trop entraîner par son imagination (l'expression peu ordinaire qui suit est barrée). »
    Appréciation de M. Darlu, en philosophie, 6 ans plus tard : « Travaille autant que sa santé le lui permet. » Au deuxième trimestre, le même : « Beaucoup de facilité et de goût. Travaille autant que sa santé le lui permet. »
    Tout Proust est là, en germe, dans ces notes.


    Moi, en 6e, j'avais : « L'élève Chavassieux est incompréhensible. » Voyez ?

  • Prétentieux

    Un avion passe dans le ciel. Bang supersonique. Tout le bâtiment est ébranlé et les fenêtres vibrent. Un petit gamin sort des toilettes, visage inquiet. Pendant que sa mère le rhabille, je l'entends lui confier : « Maman, j'ai pété très fort ».

  • Plié

    Alors, je t'explique : le lumbago, ça te plie en deux, et tu marches comme Quasimodo, tout recroquevillé, râlant et gémissant. Et si, en te dirigeant vers ta voiture, tu prends le même chemin que deux jeunes femmes qui marchent, légères, devant toi, la scène prend carrément des allures de cartoon. Les filles se retournent, inquiètes, persuadées que tu es un vieux pervers infirme qui les poursuit en bavant et en couinant de désir. Et tu te prends la honte de ta vie et tu rigoles quand même mais pas trop : les secousses te font un mal de chien.

  • Echange de bons procédés

    Un texte de Fabrice Pousserot, de Calamités quotidiennes


    Au départ, l’idée paraissait rigolote : 7 Mars 2012- 7 Mars 2013, une année complète de « Calamités Quotidiennes », il fallait marquer le coup, un billet mémorable, un dessin avec un gâteau des bougies et des « tsoin tsoins », ça aurait pu le faire.
    Et puis, bon, quand même, tout cela aurait à mes yeux, détonné, égard à l’humour parfois potache, mais discret au regard des chiffres de fréquentation de ce blog nouveau né.
    Quelle idée donc, quel trait de génie permettrait de marquer dignement le 365ième jour d’existence de mon défouloir quotidien ?
    Un Génie ? Mais, bonsangmaiscébiensurje m’exclamait ! Un Génie ? Un Génie ! Je l’avais trouvé ! Ne me restais plus qu’à contacter par mail l’imenssissime Christian Chavassieux qui m’avait chaudement recommandé, plus d’un an avant, de compiler sur un blog les inepties que je semais à tout vent sur un célèbre réseau social : « Ouvre un blog ! » qu’il m’avait écrit, laconique et impératif, « Ouvre un blog ! », j’avais imaginé, fertile penseur que je suis la suite de ce court message :

    « Ouvre un blog ! »

    Ou je te pète la gueule
    Ou je te crève tes pneus
    Ou je te scie ta canne

    J’avais donc imaginé tous les scénarios possibles devant cette simple suggestion bienveillante de ce vieux Chavass’ ( je sais, Christian, je suis certainement le premier à t’affubler de ce sobriquet ridicule, mais c’était simplement une volonté facile de créer une intimité fictive, une espèce de vieille camaraderie qui me pousserait à t’interpeller ainsi en te gratifiant d’une solide bourrade alors que nous dégusterions un verre de « Préfontaines » accoudés à un zinc minable, mon vieux Chavass’ alors que je le sais bien, moi, que tu préfères le Chivas, mais cessons là cette parenthèse incongrue qui m’amène une fois de plus bien loin du sujet dont c’est y que je voulais causer, ça m’énerve quand je m’éloigne comme ça du thème  que je voulais traiter, vous ne pouvez pas savoir à quel point ça m’angoisse cette tendance lourde à la digression, ça me coûte une fortune chaque semaine, allongé sur un divan freudien à me demander s’il est bien judicieux de………)

    Le mail que j’envoie à Christian est également concis, précis : je lui propose de lui laisser, ce 7 Mars, la page blanche de mon blog !

    10 minutes après le mail

    Réponse de Christian, l’idée l’amuse, l’intrigue même, il me propose donc carrément d’échanger nos blogs ce jour là ! Mince alors, moi qui  comptait me la couler douce ce jour là, non seulement il va falloir que j’écrive mais , de plus, en essayant d’y glisser un peu de talent, écrire sur « Kronix », quand même, ça mérite de transpirer un peu……….
    L’idée me vient d’un Conte, d’une Fable, une aventure improbable qui mettrait en scène l’Auteur du « Psychopompe » et du « Baiser de la Nourrice ».
    Café, noir, fort, gnole de coing dans le café, les doigts transpirent sur le clavier comme lorsque ,enfant, je participais aux auditions de piano de l’école de musique, l’histoire commence, Chavassieux, tel un Jack Torrance hexagonal, décide, le temps des quelques mois nécessaires  pour écrire un roman , de devenir gardien d’un Musée, on ne se refait pas, fermé l’hiver, dans un coin perdu d’une lointaine cambrousse de montagne, loin des stations à la mode, on imagine la neige , le vent dans les sapins. Le Musée, on n’en doute pas est hanté des âmes des personnages qu’il présente, et, tout au long du temps, la terre est durcie par le froid, Christian ne peut, pour se détendre, chasser les taupes, Chavassieux est gagné par une psychose, une folie violente, qui le pousse au Crime.
    A la toute fin du film, de ce « Shining » franco rural, gros plan, sur une photo jaunie, au fond de la vitrine qui présente la maison du rebouteux, du sorcier, on reconnaît sans peine le visage halluciné de Christian Chavassieux, en paria du village tel le Zorg inquiétant de «  La Maison assassinée ».

    L’idée est bonne, amusante même, mais………………………………..
    ….. Mais la pensée, tout soudain que Christian Chavassieux  puisse, ne serait ce même que moralement persécuter sa Douce, me semble intolérable, si ce n’est inqualifiable !!!!!!!!

    Au panier donc le Kubrick de pacotille, parodie avortée, il me faut une autre idée ! Et je repense à l’insolent et inachevé : « Radical Hennelier ».
    Coup de main que j’imagine précieux à l’auteur en panne je décide de terminer l’histoire qui nous laissait sur notre faim, agacé, ou désespéré, cochez les mentions inutiles,  au matin du 4 Janvier sur ces derniers mots :
    « Dans le sourire de mes frères et sœurs, je perçois la vie nouvelle et libre qui nous attend. Dès que nous serons assez nombreux. »
    Que je conclus, désintéressé que je suis par un glorieux :
    « TSOIN TSOIN ! »


    Calamiteusement……………..

     

    Ehé. Et voilà, rendez-vous donc, vous l'aurez compris, ce même jour, sur le blog de Fabrice pour considérer l'autre facette de l'échange. On aurait pu se dire, pour rester du côté de Jack Torrance : "Viens jouer avec moi."

  • Du Ghetto

    Nous attendons de vos nouvelles est le récit croisé des parents de l'auteur à partir des lettres qu'ils lui ont laissées. Cette correspondance, dont Michèle Goldstein-Narvaez a toujours su l'existence, mais qu'elle n'avait jamais osé lire avant la disparition de sa mère, est le point à partir duquel l'écrivain greffe ses propres souvenirs, son rapport avec ses parents, les récits de sa jeunesse à Lyon, des points de sa vie, enfin tout ce qui la constitue et qui, réalise-t-elle alors, est imprégné de ce passé.
    Janka, sa mère, et Stasio, son père, juifs polonais de Lodz, se sont évadés du ghetto de Varsovie et ont survécu aux bombardements, au siège, aux combats pour la prise de la ville à la fin de la seconde guerre mondiale.
    C'est un livre terrible et intelligent, précis, généreux. Le récit de juifs qui échapperont à la Shoah, avec tout ce que ce statut de survivant peut avoir d'heureux et d'inconfortable.
    La lecture de Nous attendons de vos nouvelles a été un temps suspendu. C'est un livre à plusieurs niveaux de lecture dont il n’est pas facile de parler succinctement. Il faut dire d'abord la qualité de son écriture. Ce n'est pas une surprise quand on a lu les moindres travaux de Michèle, mais c’est le viatique de tout le reste, et c'est essentiel. Pas de sophistication inutile, de virtuosités qui auraient amoindri l'hommage en jouant le pathos ou l'emphase. C'est l'élégance, une écriture intelligente et sobre, un phrasé sûr, de la force, la forme nécessaire.
    Le croisement des récits, l'organisation des histoires dans l'Histoire, chevauchements complexes, sont rendus fluides grâce à un travail que l'on devine énorme, à partir des lettres traduites, des ouvrages référents (de la grande histoire à Sept dans un bunker de Charles Goldstein en passant par le Karski de Haenel, etc.), de la voix des parents, de la mémoire collective. Tout cela est parfaitement tissé au long du livre. Le déroulement des faits est clairement exposé, le chapitrage est fait dans une volonté d'informer. Seule ma méconnaissance des lieux et la difficulté du français avec les patronymes juifs ou est-européens m'ont obligé parfois à des retours en arrière, des vérifications. Mais que l'auteur soit louée pour l'effort didactique qu'elle a privilégié en rédigeant. A la fin, avec la lecture des lettres, le peu de doutes s'éclaircit tout à fait.
    Il est très difficile, alors que je sors juste de ma lecture, de donner une vue en hauteur et pertinente de ce texte émouvant. La première chose qui me vient, sans aucune analyse, c'est cette scène où l'auteur est sur le quai de la gare (c'est dans l'introduction, je crois, véritable livre dans le livre, déjà un formidable morceau de littérature), quand un train de marchandises stoppe ses wagons vétustes devant elle et que, pendant quelques terribles secondes, Michèle sent comme une aspiration, ses pas attirés vers eux, vers un destin inéluctable. C'est magnifique, c'est vertigineux, je crois qu'on n'a jamais traduit de façon aussi puissante la force de ce traumatisme particulier, et aussi ce que c’est que d'en hériter. On n'en finit jamais, et le monde et ses visions sollicitent constamment le survivant avec l'éternelle question du pourquoi. Un wagon qui s'arrête et c'est l'incompréhensible qui vous saute à la figure.
    Survivante, petite Thérèse (Oui, son autre prénom est Thérèse, malgré les réticences de la famille, mais cette trouvaille trouve son explication dans le beau passage du bombardement et du garçon à qui Janka sauve la vie), miraculée parce que ses parents ont eu la chance de vivre (la chance, insiste Lipietz dans sa superbe postface, car l'argent, la volonté et le courage n'ont pas suffi pour la grande majorité, hélas), il y a donc cela que l'auteur doit supporter. Comme il faut supporter que l'humanité un jour, se révèle sous l'angle de sa plus néfaste nature. Je rejoins encore Lipietz quand il souligne cette scène où les domestiques polonaises, tout à leur joie carnassière, volent rideaux et objets, dans l'appartement et sous les yeux de leurs employeurs, avec la bénédiction des soldats allemands (quand je vois l'effet qu'ont sur moi les minuscules trahisons, les petits désordres de l'amitié, je me dis qu'être témoin de toutes ces bassesses doit être absolument dévastateur, et d'une dévastation durable). Avoir confiance en l'humanité après ça... Heureusement, comme toujours, il y a les exceptions. L'étonnante Jula, polonaise catholique, qui cache des juifs  en plein Varsovie, se brosse innocemment les cheveux tandis que les nazis fouillent son appartement, en est un merveilleux exemple. Quel courage !
    Les témoignages des parents seront livrés au fil des ans à leur fille avide de détails, livrés par bribes ou par distraction, avec de l'humour souvent. On saisit comment tout cela a construit l'identité de l'auteur. Et comment les lettres disent l'angoisse pour ceux dont on doit se séparer, malgré ou à cause de l'amour qu'on leur voue, les tracas quotidiens, les espoirs même dans les moments les plus sombres, et la façon dont la vie triomphe, au bout du compte. L'importance du quotidien est peut-être un des apports les plus importants de ce livre. Il n'est pas absent des grands textes exemplaires sur la Shoah ou le Ghetto de Varsovie, de Primo Levi ou de Martin Grey, il n'est pas oublié par Lanzmann, mais il est toujours livré sur le mode édifiant, pour expliquer la dureté de la vie, donner un détail significatif (ce pourrait être ici la façon de se laver dans un verre d'eau, par exemple). L'idée de citer les lettres in extenso ou presque, au cours et surtout à la fin du livre, renvoie à celle de l'impensable. Je m'explique. Au jour le jour, un cataclysme inédit est impossible à analyser, parce que le quotidien l'emporte. Se nourrir, se vêtir, trouver un travail, s'informer sur tel ou tel, sur une mère ou un fiancé, voilà ce qui importe. Les grandes colères des nations et les idéologies ont le caractère des éruptions volcaniques. S'en inquiéter ne changera rien et, de toutes façons, on le saura quand ça arrivera. C'est cela que les lettres disent. C'est pour cela que la mémoire est importante. C'est pour cela que, disant le quotidien, les lettres familiales, quelques objets, ce minuscule trésor tassé dans une enveloppe repliée ou dans une boîte métallique, disent aussi combien la litanie des jours est un danger. Un danger mais aussi la substance de la vie. La marque de son obstination. Que l'auteur aie, toute jeunette, dressé ses poings pendant mai 68, soutenu la résistance chilienne, n'est pas anodin. C'est qu'elle avait compris le désastre de l'autisme face aux mouvements idéologiques. C'est un autre héritage.
    Je trouve remarquable et significatif que Michèle Goldstein-Narvaez ait attendu la disparition de sa mère, dernière survivante, pour se lancer dans ce travail. Je comprends cet atermoiement. Je crois qu'il s'agit davantage d'une maturation nécessaire que d'une hésitation à se confronter au passé, aux événements trop durs, à la mémoire de ses parents, d'êtres trop proches pour qu'on leur substitue une traduction scripturaire, aussi respectueuse soit-elle. Il s'agit de transmettre, et je me dis là aussi que le  métier de l'auteur (elle est professeur) n'est pas venu par hasard, mais qu'il est bien le fruit de cette idée, née quelque part sur un coin de table, à la cuisine, quand Janka et Stasio lui racontaient, encore une fois, la survie dans les égouts.
    Michèle Goldstein-Narvaez a produit là une belle œuvre de transmission, importante, que je vous invite à découvrir.


    Nous attendons de vos nouvelles : voix du Ghetto de Varsovie.

    Michèle Goldstein-Narvaez. Editions Max Milo. 18 euros.