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kronix - Page 181

  • Donnez-nous nos autoroutes quotidiennes

    Qu'on se rassure, après le Grenelle de l'environnement, rien ne changera. C'est ce que se tue à nous expliquer, par chez nous, un député de la région, ex-ministre, UMP, qui a rencontré Borloo (vous savez : le type que Sarko a mis à l'environnement parce qu'il paraissait plus débraillé que les autres). Les projets d'autoroute (rien que deux dans le coin) seront poursuivis. Et d'énoncer toutes les bonnes raisons qui font déroger ces chantiers de la directive présidentielle, en conclusion du Grenelle de l'environnement. "Répondre à des problèmes de sécurité, contourner des villes, mettre fin à des situations de congestion". Y-a-t'il des projets autoroutiers ou des voies expresses qui ne répondent pas à ces critères ? Non, n'est-ce pas ? A part de vagues tronçons destinés, comme ce fut le cas un temps, d'accéder à un musée présidentiel au fond de la Corrèze...

    Autrement dit, on va continuer de construire, on va continuer de polluer, on va continuer, on va continuer. Décidément, jusqu'au mur brutal qui nous arrêtera tous, on va continuer.

    Qui regrettera l'humanité, une fois disparue ?

  • Regrets

    Demain, un très cher ami va réaliser, avec mon aide contrite, une monstruosité. Il va prendre en photo une très très très mauvaise écrivaillonne, inculte, arriviste et bête, dans le décor d'une bibliothèque magnifique, lieu dérudition et d'exigence, pour illustrer le portrait qu'un magazine local fait de cette dame, par ailleurs certainement très gentille.

    J'ai plaisanté avec lui, tenté avec tact de le dissuader de ne pas produire cette image contre-nature, vide de sens, monstrueuse, déviante, perverse, sale. Je crois qu'il s'est un peu vexé, parce que c'était son idée. Je crois aussi qu'il n'a pas deviné à quel point cette imposture m'est insupportable. Il a besoin de moi pour lui ouvrir les portes de ce saint-des-saints et je vais me plier lâchement à sa demande, parce que je ne veux pas lui faire de peine. Mais il m'en coûte, je vous assure qu'il m'en coûte. Au point que Kronix devienne le réceptacle de ma frustration rentrée.

    Voilà, c'est dit.

  • Le mec qui ne comprend pas

    Il ne comprend pas, il ne sait pas, il ne voit pas le monde, il n'en comprend pas la nécessaire tolérance, la vitale générosité. Il est d'un autre temps.

    Je ne suis pas surpris, je suppose que vous non plus. J'en devine même qui sont d'accord. Vous n'avez rien compris non plus, alors.

  • Toute proche

    Elle est passée tout près, a emporté le frère d'un ami. Hier. Elle nous entoure. La mort. Elle est partout ; parfois plus manifeste et jamais épuisée. Sur les fresques des églises, en partie effacée, la camarde entraîne le bourgeois et ravit l'enfant au berceau, elle est aveugle et ricane. "C'est injuste", me disait P. hier. Pas plus que la vie n'est juste. L'une et l'autre n'ont aucun sens, ne disent rien du monde, ne donnent aucune clé. Nous sommes seuls toujours, côtoyant ces deux forces sans repos. Parfois, l'on peut croire que l'une l'a emporté sur l'autre, mais c'est une vue de l'esprit. Me revient souvent la phrase terrible de Beckett dans "en attendant Godot", qui résume exactement et complètement ce que je pense de tout cela : "(les femmes) accouchent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant, puis c'est la nuit à nouveau."

    Voilà pourquoi je vous somme d'être heureux, le temps de cette brève brillance du jour.

     

  • Scénarii du futur

    En attendant des billets plus substantiels (beaucoup de travail en ce moment), je vous invite à lire ce court article du Monde.fr. Il y est question des différents scénarii de politique économique (du tout-libéral au tout-écologique) élaborés par l'ONU. Résultats sans appel. Mais qui s'en étonnera ?

  • Les Arcandiers, le film

    Peut-être un peu parce que c'est des copains, sûrement parce qu'ils sont complètement tapés, enfin parce que j'aime ce qu'ils font : Les Arcandiers.

  • Réponse d'éditeurs

    La Table ronde (tiens, on avait envoyé à la Table ronde ?), répond négativement, mais par courriel. Economie (rien à dire, d'ailleurs). Dans un livre sur l'édition en général, j'avais appris que, après un mois écoulé, il est inutile d'espérer une réponse positive d'un éditeur. En effet, quand les choses doivent se faire, elles se font vite. Point.

    Plus d'un mois est écoulé. Ce ne sera donc pas pour cette fois. Entretemps, j'ai fini mon court recueil "L'ermite", enfin une version courte publiable. On essaiera ça, et puis un autre roman très "particulier". Promis, je vous tiens au courant.

  • des cons alléchés

    Communiqué par l'ami Caza, dans sa lettre ouverte, ce truc rigolo : 

    "JE SUIS NOIRE MAIS JE SUIS BELLE" (Cantique des cantiques)

    Une petite annonce est parue dans la presse (me demandez pas où) en ces termes :

    "Jeune Noire cherche compagnon. Origine ethnique sans importance. Je suis belle et j'adore m'amuser. Je raffole des grandes promenades dans les bois, de ballades en 4x4, de chasse, de camping, de sorties de pêche et de soirées où je suis confortablement allongée auprès du feu. Je serai à votre porte quand vous rentrerez du travail, ne portant sur moi que ce que la nature m'a donné.

    Embrassez-moi et je suis à vous. Composez le (404) 875-WXYZ et demandez Daisy."

    Plus de 15.000 hommes ont répondu à cette annonce et ont découvert qu'ils avaient appelé la SPA au sujet d'une chienne Labrador de 8 semaines...

  • Joyeux anniversaire

    Vous ne savez pas qui c'est (enfin, peu de lecteurs de Kronix savent), mais elle est ma douce compagne depuis une dizaine de mois, et c'est son anniversaire aujourd'hui. Aucun intérêt pour vous, mais un blog étant particulièrement l'émanation d'un égocentrisme, je me permets de lui souhaiter un joyeux anniversaire aussi par ce biais-là.

    Bisou ma douce.

  • Une autre BD

    Extrait d'un album de BD, écrit pour Body (Thibaut Mazoyer). Il effectue en ce moment le lourd travail préparatoire (persos, décors, costumes, ton...) tandis qu'il affine son style sur d'autres projets. Body m'a demandé de mettre en BD certains thèmes qu'il avait aimé dans un vieux roman que j'avais écrit : "A la droite du Diable". Nous avons retenu les thèmes de la dictature et de la fascination qu'exerce un tyran sur son entourage. Le mode de récit est celui de la comédie à l'italienne : le grotesque côtoie le sordide et le tragique. Dans cet extrait, Lamorphe est un laquais, venu apporter son thé à Spathûl, le tyran. Spathûl est en train de converser tout en se promenant dans les jardins du palais avec son ministre Hoquet. Il fait très froid, le fidèle et vieux laquais n'a sur lui que la livrée officielle, trop légère. Son corps tremble et fait tinter le service qu'il tient sur un plateau, attendant patiemment que son maître veuille bien se servir.

    Planche 4

    1- Spathul, souriant, tourné vers Hoquet, oubliant sciemment son laquais et son geste suspendu. Spathul : « Oui ? » Hoquet : « Voilà. Ma femme est enceinte, comme vous ne l’ignorez pas… » Spathul (autre bulle) : « Ah ? euh… Certes, certes… » (tintement du service)

    2- Plan poitrine. Hoquet : « Oui. Elle accouchera à la fin du mois… Grâce à votre remarquable programme de soutien à la natalité dans le pays, nous savons pouvoir bénéficier d’une allocation de 15000 zoltecs par mois dès la naissance… » Spathul, regardant ailleurs, un peu agacé : « Oui, oui. Certes, certes… » (tintement du service)

    3- Plan d’ensemble, avec Lamorphe qui grelotte. Hoquet : « Vous vous souvenez sans doute que madame Hoquet a eu de grandes attentions –justifiées- pour vous, par le passé… Euh… » Spathul : « Mmoui… Certes… Oui, en effet, de grandes attentions… Et donc ? » (tintement du service)

    4- Gros plan de Spathul. Voix off de Hoquet : « L’enfant qui va naître n’est sans doute pas sans rapport avec les bontés que vous avez eues pour ma femme, euh… » (tintement du service)

    5- Plan poitrine sur Lamorphe, yeux mi-clos, blanc, figé (on n’entend plus le tintement du service). Voix off de Hoquet : « Nous nous demandions elle et moi, si un effet de votre bonté ne serait pas d'augmenter significativement l’allocation de maternité, considérant le caractère exceptionnel de ce futur enfant. »

    6- Plan d’ensemble. Spathul reste fixé sur Lamorphe, comme fasciné par sa soudaine immobilité. Spathul : « Certes, certes… » 

    7- Plan en pied. Spathul pousse d’un doigt le laquais qui s’effondre.

    8- Plan général. Spathul s’éloigne, mains dans le dos. Spathul : « Accordé, bien sûr. Avant de partir, passez par l’intendance, dites au majordome d’embaucher un autre laquais. Je retourne dans ma chambre, il fait froid, ici. »

  • Pièce de théâtre

    Pourquoi ne pas le dévoiler, le titre de la pièce (mais un titre-bidon, provisoire, une sorte de nom de code), est : le rire du limule. Me demandez pas pourquoi, j'aime bien l'idée...

    Le travail de fabrication de cette pièce est intéressant, elle est née de l'esprit d'un ami acteur, qui donne des cours de théâtre. Il s'agit de saisir, pendant des improvisations faites en atelier, la matière d'une pièce que je dois écrire pour la fin de l'année. Chaque séance fournit le matériau de la séance suivante. La scène, ici, se déroule dans un hôpital psychiatrique... le dialogue que je vous présente se situe à la fin de la scène. Il y a un homme (Lui) et deux femmes (Elle 1 et Elle 2).

     Lui (chuchotant) : J’ai donné le feu.

    Elles : Hein ? (l’une d’elles le secoue) : Quoi ?

    Lui (plus clairement, mais plaintif) : j’ai donné le feu.

    Elle 2 : T’as mis le feu ? C’est un salaud de pyromane !

    Lui (doux) : Non, non. J’ai donné le feu aux hommes. (Les femmes interloquées le laissent se lever, marcher à l’avant-scène). J’étais vagissant, inculte, sous un suaire de ténèbres. Parfois, un glas résonnait entre les membres de la pierre. Ma muraille était percée de cris. La soif des humbles, leurs prières à la vie indifféraient des nuées sans conscience. Retombées de ces cimes, la peur et la colère ne m'approchaient pas. Les apocalypses étaient arrêtées dehors, sous le ciel volatil. La voûte minérale qui fermait mon refuge jetait une arche de silence entre elles et moi. J'étais vagissant, lourd d'une paix tellurique. Depuis l'abîme, je respirais et méditais. Mes nuits étaient sans étoiles. Un matin, le Maître a délivré mes membres fossiles, m’a hissé droit la tête au dessus des arbres. J’ai contemplé la terre nouvelle et j’ai vu les hommes. Ils étaient nus et le Maître riait. Il promenait ses orages et ses hivers sur la peau des hommes grelottant. Le Maître attisait contre eux la colère des fauves et le venin des épines. Les hommes étaient sans griffes et sans lumière. On ne m’a pas enseigné l’amour, je n’ai rien appris –jamais- de la morale ou de la bienveillance. Avant de voir le premier homme, je n’étais que vagissant sous une arche de pierre. Mais le rire du Maître me blessait et la peur des hommes m’accablait. Alors, je me suis découvert miséricordieux. Tandis que le Maître continuait à rire des souffrances de ses créatures, je cherchais le moyen de les aider. Oui, j’étais décidé à trahir le Maître. Je l’ai fait. Ce jour-là, ce jour prodigieux. Dans la fournaise du soleil, j’ai plongé les deux bras en hurlant. Dans l’étincelante brûlure de l’hydrogène en réaction j’ai puisé des ruisseaux de lumière. (il hurle de douleur) Sous la contrainte insupportable de cette fusion, le cal de mes mains s’est noirci, ma peau s’est couverte d’écailles, mes yeux ont pris cet éclat de rubis et mon torse enflammé a roussi, mon front illuminé s’est cuirassé d’un toron de corne. Charriant un essaim de braises, j’ai traversé l’immense courbe des zodiaques comme un météore, mon fardeau serré sur la poitrine. J’ai livré le feu aux hommes démunis. J’ai trahi le Maître. Je suis le révolté, le miséricordieux, le sacrifié, je suis le porteur de lumière, Lux fero, Lucifer. Je suis le Diable !

    Elle 2 : Et moi qui me croyais folle.

  • Péplum

    Aujourd'hui, une planche extraite du deuxième album d'une série de cinq, sur un thème mêlant contexte historique et mythologique avec des préoccupations théologiques et philosophiques, rien que ça. Les dessins sont de Shingo, la mise en couleur de Franck Perrot. Les essais sur les premières planches sont impressionnants. Problème : les maisons d'édition sont submergées de projets "à l'antique". Pourtant, notre saga ne ressemble à rien de ce qui se produit en ce moment, et nous refusons l'amalgame. Mais saura-t-on les convaincre ?

    L'extrait qui suit ne dévoile rien de l'intrigue (très originale, je vous assure), il met en scène deux personnages proto-historiques de l'histoire de la Grèce, très connus : Atrée et Aéropé, les parents du futur Agamemnon qui a neuf ans ici. Un des défis de cette histoire est visuel : reconstituer au plus juste la période mycénienne (exactement 40 ans avant la guerre de Troie), dont il reste très peu de choses, et qui est très éloignée des conventions habituelles de représentations de la Grèce mythologique, inspirées sans souci de réalisme, de l'époque classique.

    Planche 26

    Intérieur jour. Salle de vie domestique du palais de Mycènes, donnant sur la terrasse qui surplombe le paysage.

    1- Plan d'ensemble. Atrée, debout sur la terrasse ensoleillée, vu de dos. Au premier plan, une silhouette féminine, dans la pénombre de la partie couverte : « Tu ne pars pas chasser aujourd'hui ? Agamemnon ne tient plus en place. ». Atrée : « J'attends quelqu'un... »

    2- Plan taille. Atrée au premier plan, toujours regardant la cité, Aéropé, sa femme -enceinte- qui approche, pénétrant ainsi dans la zone de lumière de la terrasse. Atrée : « Sais-tu que j'ai du mal à soutenir son regard ? »

    3- Plan en pied d'Atrée et de sa femme qui est venue près de lui (Champ vu côté maison). Atrée : « Agamemnon me dépassera, son nom jettera le mien et celui de mon frère dans l'oubli. » Aéropé : « Il t'en veut d'avoir sacrifié un esclave à sa place. Il trouve cela déshonorant. »

    4- Contre-champ. Plan serré sur les deux visages. Aéropé : « Hier, il a dit à Cythara : Je vis contre la volonté des dieux. Tu te rends compte ?  »

    5- Contre-champ. Plan américain. Atrée : « Il jettera nos noms dans l'oubli... » Entre Atrée et Aéropé, dans l'ombre à l'arrière de la terrasse, Cythara : « Seigneur, un messager de Thèbes. »

    6- Atrée, à sa femme, tout en s'éloignant : « Que mon fils vive, même pour m'accabler de reproches jusqu'à son dernier souffle. »

    7- Plan américain. Aéropé, visage étrangement froid, une main sur son ventre rond : « Oui, qu'il vive. Et que vivent les Atrides. »

  • Bientôt la reprise...

    J'imagine l'impatience des lecteurs les plus assidus de Kronix, découvrant chaque jour d'agaçantes notes pour ne rien dire, ou pire, pour étaler une prose parfois assommante. Je t'ai compris public, je t'ai compris, je vole au devant de tes désirs : Tout cela n'aura qu'un temps. A partir du 13 novembre, nouvelles chroniques avec un peu de Sarko (Ah bon ? Ben oui), un peu de littérature, de BD, et un gros coup (un scoop) sur le 11 septembre. On trouve de tout sur Kronix.

     

    Merci Kronix.

    (je vous en prie)

  • "L'arbre" et "La statue"

    Très courts extraits (parce que Shingo et FP, le super-coloriste, commencent à se pencher dessus, et je pense qu'ils n'apprécieraient pas que je dévoile trop de nos batteries), de deux contes.

    Dans l'arbre, un bûcheron s'apprête à abattre un arbre immense, parce que c'est son métier, et que le village attend de lui ce sacrifice. Le bûcheron aime cet arbre, d'un véritable amour. Un arbre qui semble immortel, sacré, qui a subi plusieurs fois la foudre sans ciller (si l'on peut dire) mais dont il conserve les stigmates. Le vocabulaire est volontairement restreint.

    "La cicatrice était là, chevauchant sans doute les blessures plus anciennes. Le bûcheron considéra sa bête tronçonneuse, lourde et abîmée comme une ancienne épée. C’était donc plus fort que la foudre, ça ! ç’aurait le pouvoir d’abattre ce que le feu du ciel, par trois fois, n’avait pu détruire ? La bise miaula le long des fûts, ébouriffant la bruyère rase, puis s’éloigna. Autour de Kraentz, autour de l’arbre, le silence se fit. Le bûcheron tourna sur lui-même, s’assurant que personne ne regardait puis il baissa les yeux pour s’activer sur sa machine. Le moteur de la tronçonneuse aboya, hoqueta, puis rugit enfin de son rire féroce."

     Dans "la statue"... Râah, je peux pas tellement raconter l'argument, c'est trop risqué. Bon, allez, juste le début, qui ne dévoile rien :

              "Tu vois ce village ? Il s’est passé là des événements si extraordinaires que… Ah, comment dire ? Tu vas me prendre pour un fou. Enfin, c’est une belle histoire, et peut-être, peut-être, si tu veux bien accepter de me croire, alors, alors... Je vais te la raconter.

    Ce village, accroché à la montagne, abritait une petite centaine d’habitants et une statue. Une seule, mais énorme ! La statue était la fierté du village, et son seul attrait touristique.

    Elle représentait un immense chevalier en armure, juché sur un destrier à sa mesure. C’était une statue à la fois effrayante et amusante pour les enfants. Les jours d’été, ils grimpaient dessus ; en hiver, il lui balançaient des boules de neige, mais la plupart du temps, ils passaient devant sans la regarder pour aller à l’école."

    Mes amis ont également entrepris de travailler sur deux ou trois autres contes dont ils m'ont passé commande. Je n'en parlerais que si les choses ont avancé et avec leur permission.

  • Magma

    Autre extrait. Il s'agit d'un roman en cours d'élaboration. Cela s'intitule (pour l'heure) Magma. Je ne veux encore rien dire sur le sujet, sinon qu'il confrontera une série de personnages vivant dans une petite ville, à son passé. J'ai eu beaucoup de problème à ajuster le ton, à trouver le bon "interprète" de l'histoire. J'ai bien avancé, mais je ne suis pas certain d'avoir résolu mon dilemme. Il y a même un chapitre entier dans le roman, où j'expose diverses contraintes de création, soulevées par ce récit particulier. Ici, j'ai choisi un petit bout de texte où le personnage principal décrit sa ville : Croizan-sur-Loire, qui "n’offre que des hochements de tête et des souvenirs", mais c’est "(sa) ville triste et vieille (qu'il) ne quittera pas." Croizan est conçu comme un personnage à part entière.

    "Au fond, Croizan n'est pas tellement éloigné des tourments qui affligent le reste du monde. Croizan connaît le meurtre et la bêtise, le viol, la gabegie, la honte et le remords. Mais les catastrophes et les élans y parviennent fanés. Les maisons sont petites, les trajets sont courts, les quartiers sont des bourgs repliés ; les coeurs dans cet espace, sont chétifs. On se hait sans colère. Il faut de l'enthousiasme, pour nourrir la colère ; Croizan est une ville sans enthousiasme. Son sentiment le plus exacerbé, c'est la rancoeur.

    Si j'aime cette ville où je suis né ? Même pas. J'ai sur ses rues et ses places le même regard clinique que sur mon pauvre corps. Je vis dedans, il m'est familier, sa santé débile ne m'irrite pas. Ma ville et moi sommes confondus depuis l'origine, et je considère aujourd'hui mes anciennes velléités de départ comme on sourit à telle saillie de notre enfance, quand on se voyait pilote d'essai ou viking. Il y a des costumes trop grands pour les êtres trop sages.

    Du temps des origines, je conservais sans savoir des images qui ne sont reparues qu'à l'occasion de discussions familiales ou, comme ici, dans l'effort qu'engendre l'écriture des souvenirs. J'ai connu ma ville, forte de plus de 50 000 habitants ; j'ai parcouru ses rues en partant pour l'école primaire, de l'autre côté de la rue Maussant, la marche rythmée par les saccades régulières des métiers à tricoter, derrière chaque porte où vivotait une bonneterie familiale ; j'ai parcouru ses rues en bicyclette pour rejoindre le lycée, négligeable unité parmi les milliers de vélos ouvriers qui peuplaient les matins de toutes les saisons. Un troupeau, une vague noire de cuir et d'huile de chaîne, bleuie sur la crête par l'usage universel de la casquette, chez les hommes de l'Arsenal ou des Ateliers de Construction Textile. Je m'arrêtais comme eux devant la barrière branlante, baissée sur le passage-à-niveau (...) le temps d'un passage de train. Mon tempérament contemplatif s'accommodait de cette triste procession, grâce au panneau qui prévenait « un train peut en cacher un autre », avertissement qu'illustrait la silhouette noire de deux locomotives à vapeur qui se croisaient. Le même graphisme était sans doute utilisé sur toutes les routes de France, mais à Croizan, la présence anachronique de ces machines disparues depuis longtemps, panachées d'un lourd nuage de fumée noire sortie des cheminées, faisait accord à la foule taiseuse et primitive qui m'entourait. Je vivais une préhistoire et j'en étais conscient."

    Extrait de Magma.

  • De l'ermite

    Pendant quelques jours, je vais coller ici les extraits de mes travaux en cours : romans, théâtre, poésie, scénarii de BD (pas de projets de films en ce moment). Aujourd'hui, un extrait de "Antre dans mon chaos", suite de textes plus ou moins longs, censés restituer l'enchevêtrement des méditations d'un ermite, reclus au fond d'une grotte. Ici, l'ermite a encore une notion relativement juste du monde extérieur. En tout cas, il a conscience du déroulement du temps, et de la réalité de son corps. Ses pensées sont donc encore ordonnées et "normatives". Petit à  petit, ses facultés de contact avec le réel vont s'estomper, les jours se défont au-dessus de la voûte de pierre qui ferme sa thébaïde, le monde extérieur se dissout, son corps se dessèche. Ses pensées glissent de plus en plus vers un extrême "assèchement" de la formulation. Jusqu'au néant.

     "Deuxième jour.

    Le glas résonne entre les membres de la pierre. Ma muraille de granit est percée de cris. La soif des humbles, leurs prières à la vie désespèrent les nuées sans conscience. Retombées de ces cimes, la peur et la colère ne m'approchent pas. Les apocalypses sont arrêtées dehors, sous le ciel volatil. La voûte minérale qui clôt mon refuge jette une arche de silence entre elles et moi. Je suis enchaîné, lourd d'une paix tellurique.

    Depuis l'abîme, je respire et médite. Les beautés sont tragiques, les peuples sont orduriers, les femmes chevauchent des soleils, tous s'époumonent en proférations insanes. L'obscurité est grouillante de temps, l'ombre est crevée d'images impatientes.

    Je revois ces belles aux joues brunes, les jeux brûlés de rires, les musiques dorées et rondes. Il vibre sous mes doigts sans pulpe des souvenirs de peau soyeuse et la nacre des dents. Il me revient des épaisseurs de seins, des veloutés de ventres bombés, des souffles et des charges du coeur. La terre de mon visage invisible se crispe sous la contrainte du rêve. Peut-être.

    Mon corps sec obéit à son démembrement. Je lui ai imposé de se délester des joies frêles. Immobile aux vertèbres soudées, je reviens à l'essence du signe que je me veux être. Indifférent et comblé.

     

    Troisième jour

    Les météores fusionnent dans un lointain que je dédaigne sans mépris. Toute la vie des astres est à l'intérieur de moi. Je ne cherche pas une vérité qui me tromperait. Je suis sans projet, qu'un bloc de glaise que le temps vêt de poussière.

    La faim et la soif, la mécanique des excrétions et des mictions, le sel versé des pleurs, celui qui perle de la peau, tout cela, mon corps en est délivré. Je suis animé de la vie des rochers. La science, la sagesse, les connaissances, le savoir, tout cela, perdu ou remisé dans le passé dont je suis détaché. Je m'éclaire à la pensée des pierres. "

    Extrait de "Antre dans mon Chaos".

  • Retour des éditeurs

    Cette-fois, c'est Bourgois qui s'y colle. Bourgois est une maison sérieuse.

    Par exemple, la lettre commence par "Cher Léo Kargo". Déjà, on se sent choisi, copain avec la patronne. Ensuite, le nom du bouquin est cité (on perd l'habitude, forcément), et il y a un "merci de la confiance que..." pas loin. La lettre est même signée par Dominique herself (à moins que la signature soit imprimée aussi, mais alors c'est bien fait.)

    Enfin, Bourgois est une maison sérieuse parce que l'éditeur ne perd pas le nord. L'enveloppe était épaisse, je me réjouissais d'une lettre de refus (lucide, l'auteur raté) argumentée. Que nenni mon ami : Bourgois profite juste de l'envoi pour fourguer un exemplaire de son catalogue de nouveautés.

    Moi, j'aurais pas osé.

     A suivre.

  • Mouvement perpétuel

    Je parle peu de mes goûts musicaux. En fait, j'écoute peu de musique. Pas par désintérêt ; au contraire.

    Je m'explique : j'aime la musique seule. Quand je passe un disque, je ne fais rien d'autre qu'écouter. Je savoure chaque note, je médite, je me concentre. Il me faut le silence absolu, la solitude (ou bien une compagnie aussi concentrée et silencieuse que moi, ce qui relève de l'impossible, parce que je ne peux imposer à personne la même ascèse qu'à moi : trente, quarante, cinquante minutes, voire une demi-journée sans un mot, sans bouger). Les conditions d'une telle solitude sont actuellement hors de ma portée, car ce sont les mêmes critères qui font l'environnement de mon travail d'écriture. Donc, le peu de silence que j'arrache à l'activité coutumière de la maison, je le consacre au travail. Vous suivez ? Bref. Mes goûts musicaux...

    Beaucoup de classiques, entre baroquisants et post-romantiques, et puis... les minimalistes américains ou autres : Ligetti, Cage, Glass, Nyman... Pour vous donner une idée des trucs insupportables que je suis capable de me fader pendant des heures, si on m'en laisse le loisir, ce morceau de Philip Glass, Night train.

    C'est d'une élégance et d'une tenue surhumaine. L'effet maximum est obtenu à fond les ballons dans un salon ou au contraire, juste appuyé, dans une voiture qui roule au ralenti, entre deux rangées de pins. Répétitif ? Oui, m'sieurs dames, c'est pour ça que j'aime. Au passage, qu'on le veuille ou non, admirez le travail des deux solistes. De la folie pure.

  • Réponse d'un autre éditeur.

    Une de plus. Les éditions De Fallois. Un courrier gentil où ils avouent sincèrement qu'ils ne veulent pas tricher : ils n'ont pas lu, ils ne liront pas. Une petite structure, ils ne leur est pas possible de lire tout ce qui leur est apporté. Débordés, surpassés, submergés. Je sais. C'est un problème typiquement français, on dirait, le nombre de personnes qui écrivent et se croient écrivains. Dont moi, sûrement... Sauf que je n'éprouve pas le besoin vital de la reconnaissance. Un de mes amis écrivain (un vrai, qui publie), écrit pour ne pas communiquer, il est édité mais ses textes sont excessivement abstraits. Je ne sais pas trop où me situer là-dedans. L'an dernier, je m'étais amusé, sur Kronix, à ce petit paradoxe : transformer ce blog en suite de notes qui ne transmettaient rien, puisque la langue qui y était parlée n'était compréhensible que de moi-même, l'ayant créée de toutes pièces. Publier au vu et au su du monde entier des textes absolument incompréhensibles, c'était amusant. Mais on se lasse, même si CXZman s'était fendu de commentaires dans une approximation de ladite langue. Un dialogue de surréalistes sourds. Concept dérisoire. Dérisoire comme j'aime.

  • L'insecte missionnaire

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    André Brink.

    Il y a une histoire de l’Afrique du Sud, il y a des histoires en Afrique du Sud -avant qu’existe un pays appelé Afrique-du-Sud. Quand l’histoire de Cupido Cancrelas débute, en 1760, celle du pays est en marche depuis longtemps. Bien avant l’arrivée des blancs, peuples et mythes vivaient et se mêlaient sur cette terre immense. Heitsi-Eibib, dieu-chasseur des hottentots, renaissait constamment, et les peuples nomades lui dressaient des cairns énormes, pierre par pierre, au fil des générations ; la mante religieuse transmettait les paroles des hommes aux dieux, et adressait en retour la pensée des dieux aux hommes.

    Cupido Cancrelas est un personnage historique, premier pasteur noir d’Afrique du Sud, son destin étonnant et désespéré a inspiré à André Brink ce récit qui lui a demandé 20 ans de réflexion, sinon d’écriture et de travail. Les sources historiques sont nombreuses, mais suffisamment lacunaires pour permettre à l’auteur de L’Amour et l’Oubli (2006), d’insérer les personnages historiques de l’époque (d’autres pasteurs, tous plus ou moins illuminés et pathétiques) et surtout de mettre en scène les prémices de l’apartheid, au hasard des confrontations avec les Boers, les fermiers impitoyables et cruels qui appliquent leur propre justice.

    Cupido, gamin brillant aux pouvoirs étranges, apprend à lire et à écrire. Il découvre la religion des Blancs. Encouragé et baptisé par le père Van der Kemp, il apprend encore : à prier, à prêcher, à chanter. Il est enfin un pasteur à la foi inébranlable, battant les réfractaires, démolissant les cairns aux anciens dieux qu’il renie. Un homme assez fort pour que la Société des missionnaires de Londres l’envoie aux confins arides de terres sans limites, évangéliser les bushmen les plus inaccessibles. Brink trahit (de son propre aveu), la fin de l’histoire de Cupido, en fait un ermite abandonné de tous, lancé in extremis dans un nouveau voyage.

    L’insecte missionnaire se lit avec gourmandise jusqu’à la fin, mais les premiers chapitres sont les plus captivants. C’est au cours de ces pages que l’auteur imagine les racines de la foi et de la personnalité de son héros, c’est là qu’il noue l’écheveau du politique, du religieux, de l’humain et de l’amour avec le plus de pertinence et de sincérité. Sans doute parce que, de cette partie de la vie de son personnage, on ne sait presque rien. Le romancien a alors toute sa place.