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kronix - Page 182

  • Apocalypto

    7b7beb509ac31ecfbe08f00b9de4b291.jpgde Mel Gibson

    Bon, d'accord, je le vois avec beaucoup de retard, mais une réticence épidermique à partager les obsessions hémorragiques du réalisateur de "la passion du Christ", avait remis l'exercice aux calendes mayas.

    Au bout du compte, le film n'est pas si mal. Magnifiquement photographié, il faut le reconnaître : rien de plus difficile que de filmer sous les frondaisons d'une forêt dense ; interprété par des acteurs du cru en langue maya, et bénéficiant d'un vrai budget. Toujours très gore (aucune raison pour que les indiens du XVè échappe à la fascination morbide de Gibson pour la souffrance), mais spectaculaire, vraiment. Le film a surtout le mérite de montrer pour la première fois à l'écran (c'est la véritable audace de cette production hors-norme), une reconstitution crédible de la civilisation maya. Mon problème est qu'il me semble bien (il me semble, hein, mais qui suis-je pour critiquer le travail de dizaines de scénaristes hollywoodiens sur-rémunérés?), que la civilisation maya avait disparu avant l'arrivée des colons. Et que les sacrifices humains étaient surtout l'apanage des Aztèques. Mais n'en demandons pas trop au type qui fait s'effondrer le temple de Salomon le jour de la mort du Christ.

    Le film prend très vite une tournure de "dernier des mohicans", sauce précolombienne. C'est vif, visuellement réussi. Il y a un petit propos écologiste qu'on hésite à critiquer. C'est bien, Mel, tu as bien travaillé. Et maintenant, je retourne à la lecture de "Fuegia", de Eduardo Belgrano Rawson, roman argentin qui raconte la disparition des tribus d'indiens de Patagonie. Ils n'intéresseront jamais Hollywood : pas de sacrifices, de coeurs arrachés, de pyramides défiant la forêt vierge... Juste de pauvres hères chassés de leurs terres et morts en loques, quelque part en terre de feu.

  • Yves Bonnefoy récompensé

    Puisqu'en France, personne n'en parle, à part Assouline sur son blog...

    La poésie en France, misère... Mais on s'en fiche, pas besoin de popularité pour donner au monde la couleur des mots.

  • Homo provincialus

    Nous nous faisions la réflexion l'autre soir, ma douce et moi, que nous avions beaucoup d'amis homo. Ou plutôt, beaucoup d'amis dont nous SAVONS, nous, qu'ils le sont. C'est-à-dire qu'ils ne se risquent pas à en faire état autrement qu'avec des amis sûrs. Est-ce parce que nous fréquentons un milieu où la permission d'avouer cette orientation est moins dangereuse, en tout cas, c'est ainsi, parmi nos meilleurs amis, beaucoup sont des homos masculins (je n'ai eu qu'une amie lesbienne, ou m'avouant qu'elle l'était. Je reprends et souligne le terme : "avouer", il n'est pas là par facilité d'expression).

    Ce que nous retirons des années au contact de ces copains, seuls ou en couple (seuls, souvent), c'est l'extrême difficulté qu'il ont à vivre tranquillement et au grand jour leur histoire. Leurs histoires d'amour, singulièrement. Impossible, dans notre petite ville, et a fortiori dans les villages alentour, de se promener main dans la main avec un partenaire du même sexe. S'embrasser est évidemment inimaginable. Dire qu'un tel couple risque la lapidation est à peine une formulation en l'air.

    Il leur faut donc se cacher, se retrouver enfin libres dans une grande ville, un quartier "spécialisé", ou simplement dans l'intimité. Au XXIème siècle, dans notre société occidentale soi-disant libérée...

    En province, tout devient compliqué : trouver un appartement, marcher dans la rue, aller chez le médecin, négocier un achat... le regard en-dessous des gens bien-pensants suffit à dissuader les courages les plus déterminés. Comment s'étonner ensuite d'un phénomène de ghetto, genre quartier du marais, où les hétéros deviennent les intrus ? (sans pour autant risquer l'agression physique, d'ailleurs).

    Ce que j'ai pu connaître de plus proche de ce qu'un homo peut ressentir, quant à moi, est ce que j'ai vécu lorsque, me promenant dans un marché aux bestiaux, au fond de la campagne la plus reculée, je marchai main dans la main avec ma compagne de l'époque, maghrébine. La haine n'a rien de subjectif ou de fantasmatique, je vous assure : elle se propage autour des regards sous la forme tangible d'ondes vénéneuses. Elle vous taillade le coeur plusieurs fois par minute. Elle vous renvoie au jour, plus renseigné que la veille sur la méchanceté des hommes.

  • Grenelle de l'environnement (2)

    Toujours émousser son plaisir à la lecture d'un avis divergent, c'est épuisant, mais lucide.

    Et aussi, cet article passionnant, sorte de revue de presse très bien faite et commentée. Toujours pour affiner son opinion.

  • Chiens perdus sans collier

    Le titre est celui d'un roman de Cesbron que je n'ai pas lu, mais il illustre si bien le propos...

    Dans l'association où ma douce et moi faisons un peu de bénévolat (de plus en plus pour être honnêtes), est arrivée l'autre soir une femme minuscule. Je ne veux pas dire une naine, mais une petite femme. A peine la quarantaine, mais tellement menue, fine, discrète, silencieuse, polie... Minuscule. Un visage ovale encadré de cheveux longs et noirs, soignés. Un visage pâle et jaune, une expression hébétée, et de délicats sourires quand on s'adressait à elle. Pourquoi était-elle hébergée ici et pour combien de temps ?

    Sans avoir à poser de questions, j'ai appris : son mari l'avait débarquée au refuge, pour pouvoir passer une nuit tranquille avec sa maîtresse.

    Vous connaissiez la vie ? Vous savez que c'était ça ? Et il y a pire... Mais ce sera pour une autre fois, hein.

  • Incinéré ou enterré ?

    Je suis depuis longtemps partisan de l'incinération des corps (après la mort, je souligne : on ne sait jamais. Qu'on ne me prête pas d'intentions malsaines), comme beaucoup d'entre nous. Une certaine poésie de la dispersion des cendres, une humilité en réaction à la prétention de corps qu'on essaie de conserver relativement intègres le plus longtemps possible, l'argument humaniste de "laisser la place pour les vivants", tout cela entrait dans mes convictions.

    Depuis peu, je m'interroge. Non pas que mon avis ait changé quant aux critères ci-dessus, mais un fait majeur a imposé que je revisite ces certitudes : le réchauffement climatique. Soudaine considération d'effets et cause sans doute disproportionnée, mais je me demande aujourd'hui s'il n'est pas extrêmement vaniteux de faire consommer X litres de carburant pour satisfaire une vision surtout romantique, dont je n'aurais manifestement plus rien à cirer à l'heure de l'opération.

    Il faut beaucoup d'énergie pour faire brûler un corps (relativement gras qui plus est, si je poursuis pendant les années qui me restent à vivre, ma déplorable tendance à l'embonpoint que seule ma compagne trouve à peu près seyante), aucune pour enterrer un corps. Pour la place, il se trouve que dans mon cas particulier, ma famille bénéficie d'un caveau. On me fera donc une petite place auprès de mes aïeux. Je promets de ne pas exiger de mausolée. Mon enterrement n'empiètera donc pas sur le domaine des vivants plus qu'une incinération.

    J'en suis là de mes réflexions. Je me laisse du temps pour me décider. Disons jusqu'à ma mort. Je vais tâcher d'avoir un témoin lors de mon dernier souffle, si jamais je suis enfin déterminé : "En terre... AArgfh."

  • Premiers retours des éditeurs

    Premier retour d'UN éditeur, plus précisément.

    J'avais dit que je vous tiendrais au courant. Retour de chez Grasset ; négatif bien sûr. La lettre habituelle "votre livre ne correspond pas à notre ligne éditoriale", réponse faite en tel nombre qu'ils ne se donnent même plus la peine d'insérer le titre du bouquin dans un espace préparé à cet effet. Normal, je connais. Ma douce était très déçue. Ce qui m'a fait rire "Faudra t'habituer, parce que ce n'est qu'un début." En tout cas, ça me donnera le sujet d'autant de billets de Kronix, pour tenir ma promesse.

    Allez, on passe à autre chose.

  • Grenelle de l'environnement

    Une insomnie, et je me retrouve à écouter les discours de Sarko.

    Quand il fait un truc bien, j'ai toujours été d'accord pour le saluer. Je le salue : discours de conclusion après le fameux "grenelle de l'environnement".

    Cela dit, il y a des choses... Quand il parle de ne coller les éoliennes que sur les friches industrielles... je pouffe devant pareille aberration (il y a déjà si peu de "couloirs" de vent utilisables en France ; trouver pile une friche sur le passage...) ; quand il postule l'équivalence d'investissement dans la recherche entre nucléaire et énergie renouvelable "1 euro pour le nucléaire, 1 euro pour les énergies renouvelables", alors qu'un retard énorme a été pris dans la recherche des deuxièmes... Je pouffe aussi.

    Sur les OGM aussi, je ne suis pas sûr qu'il parvienne à résoudre les contradictions entre principe de précaution et directives européennes. Quant à la baisse de la facture énergérique de 40 % pour les ménages d'ici 2020... C'est dit sans tenir compte des privatisations en chaîne que Sarko prône par ailleurs.

    Mais, à part ça... un bon point. Sincèrement.

  • Paranoïd Park

    de Gus Van Sant

    8a06e06a1910230146d98423006c1863.jpgOn a beaucoup glosé sur la capacité du réalisateur d'Elephant à explorer la psychologie de l'adolescence. Mais dans Elephant, la forme sophistiquée du récit établissait comme un exercice parallèle, presque manifeste, de l'argument dramatique qui lui servait de support.

    Il m'a semblé que Paranoïd Park était la version affinée et aboutie -mais aussi finalement plus sincère- d'Elephant. La maîtrise formidable, l'élégance de la forme, sont à l'exact unisson du sujet et de l'interprétation. L'isolement cotonneux de l'adolescence est traduit par quantité de moyens formels (profondeur de champ, ralentis, bande-son, trucages...) qui sollicitent plus que les souvenirs : les sensations de ce temps de nos vies. Comment est-il perçu par les adolescents eux-mêmes ? J'ai entendu des rires gênés dans la salle, venus des rangs où s'étaient installés justement les clones des acteurs à l'écran, et quand les lumières de la salle se sont rallumées, quelques échanges décontenancés sur la morale douteuse de la fin (formatés comme ils sont, il leur fallait une résolution coutumière : l'arrestation du meurtrier. Car il s'agit accessoirement d'un polar). C'est une erreur de croire que Paranoïd Park est adressé à ce public.

     

  • Les amours d'Astrée et de Céladon

    d'Eric Rohmer

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    Rohmer connaît les principes de l'envoûtement. C'est patent dans chacun de ses films ; Rohmer est un sorcier. Chaque fois, la magie opère : toujours, une image, un plan, un moment parvient à faire oublier ce que, dans notre inculture cinéphilique, nous prenons abusivement pour des faiblesses, habitués à l'efficacité que nous sommes. Rohmer n'est pas efficace, il se balade dans son oeuvre, filme placidement les drames et les bonheurs, sans s'émouvoir, et sans nous demander si ça nous plaît.

    Ainsi, tente-t-il peut-être, avec l'Astrée, de récidiver l'exploit de nous plonger dans l'univers d'une littérature méconnue, comme il le fit avec Perceval le Gallois (Luchini à ses débuts, grotesque et subtil à la fois), et, comme toujours avec Rohmer*, malgré la pauvreté de moyens, l'indigence des décors, le professionalisme bridé des acteurs, la terne sobriété des plans, le ridicule antédiluvien des situations, le raccourci opéré dans l'oeuvre monumentale d'Honoré d'Urfé, l'absence de rythme), on se prend au jeu et l'histoire se met à fonctionner, à suivre son flux naturel. En l'occurence, on suit les aventures absurdes de Céladon. C'est peu dire que les engagements et la vision de l'amour ont changé depuis Honoré d'Urfé. Le décalage est énorme, et je dois dire qu'on pouffe. On pouffe beaucoup. On en a marre de pouffer, parfois. Mais Rohmer n'a pas cherché à être plus malin que l'original, il a imposé le premier degré. Céladon et l'Astrée sont un peu cons ? Ben oui, c'est la façon précieuse et baroque (le XVIIè) de voir l'innocence de l'amour, alors...

    Cependant, tout de même, refaire deux ou trois plans manifestement ratés (les "nymphes" qui descendent un talus en regardant obstinément où elles mettent les pieds pour ne pas s'entraver dans leur jupe, une robe qui se soulève laissant apparaître une grosse culotte noire de maintien...) n'aurait pas nui à la tenue de l'ensemble.

    Enfin, on aura noté le visage remarquablement beau d'Andy Gillet (Céladon).

    Kronix ne reculant devant aucun sacrifice vous offre (mais oui), LE NUMERO DE TELEPHONE DE L'ACTEUR : 01.43.17.33.00. Alors les filles, on dit merci qui ?

     

    * (excepté la marquise d'O)

  • 06, et après...

    Un de mes potes recevait sur la messagerie de son nouveau portable (anonyme longtemps, il ne s'était pas occupé de la personnaliser, ce qui donnait : "Orange sfr, bonjour, vos êtes en relation avec le répondeur du 06..."), la logorrhée exutoire d'une femme inconnue, l'accusant d'être le dernier des salauds et de s'être barré lâchement, suivaient en général toutes sortes de vociférations qui saturaient le haut-parleur. Il s'empressa de personnaliser sa messagerie, en énonçant clairement son nom, de façon à avertir toute méprise. Ce qui fut efficace.

    L'autre jour, souhaitant dire mon soutien à un ami dont un parent venait de disparaître, j'appelle sur son portable, laisse un long message pathétique et affectueux. Le soir-même, ma compagne cite par hasard le numéro de l'ami en question : nos agendas différaient. On avait donné l'ancien numéro de mon ami à quelqu'un d'autre qui, hier, dut être très surpris qu'on lui apprenne la mort d'un parent, et qu'on lui exprime des condoléances attendries.

    Il devrait y avoir un système prévenant des changements d'attribution des numéros de portable, changements tellement plus fréquents et rapides que pour les fixes. Les modalités sont à inventer, mais ça éviterait ce genre de mésaventure. Je dis ça...

  • le baiser de la mort

    Vite passée dans le fourmillement médiatique -mais néanmoins assez largement relayée- cette information, ce fait divers qui fustigea une visiteuse de musée à Avignon, artiste elle-même, tellement enamourée d'un tableau de Twombly, qu'elle y posa les lèvres.

    Une trace de rouge à lèvres, le peintre s'est dit "horrifié" (connard), et voici un procès exemplaire.

    Je travaille dans un musée, au contact permanent des oeuvres. Je peux vous dire qu'une telle agression, immédiatement repérée, vite nettoyée par un restaurateur, malgré la nocivité des graisses qui constituent le rouge à lèvres, n'a rien de catastrophique.

    La vandale va sûrement (je n'ai pas suivi l'affaire jusqu'au bout) écoper d'une méchante amende. L'exemplarité, toujours.

    J'ai pour ma part toujours en tête la destruction par des paysans enragés du parlement de Bretagne en 1994. Une merveille architecturale, avec ses tableaux, ses tapisseries (la plupart sauvées mais tout de même...), des sculptures, ses plafonds, ses ors... Un procès ? On cherche les coupables ? Non. Et notre hyperprésident -à l'époque où il ne traitait pas encore les bretons de connards- qui s'empresse même de bénir les incendiaires, en disant qu'il les comprend. Il n'a jamais compris la colère des pyromanes de banlieue, par contre.

    Je ne m'énerve pas, j'explique.

  • Quel Môquet ?

    Grâce à contre-journal, la mise en ligne de ce petit poème de Guy Môquet, trouvé sur lui le jour de son arrestation. A votre avis, pourquoi Sarko n'a-t-il pas demandé plutôt qu'on lise celui-ci à l'école ?  

    « Parmi ceux qui sont en prison
    Se trouvent nos 3 camarades
    Berselli, Planquette et Simon
    Qui vont passer des jours maussades

    Vous êtes tous trois enfermés
    Mais patience, prenez courage
    Vous serez bientôt libérés
    Par tous vos frères d’esclavage

    Les traîtres de notre pays
    Ces agents du capitalisme
    Nous les chasserons hors d’ici
    Pour instaurer le socialisme

    Main dans la main Révolution
    Pour que vainque le communisme
    Pour vous sortir de la prison
    Pour tuer le capitalisme

    Ils se sont sacrifiés pour nous
    Par leur action libératrice
     

    Et aussi, pour mieux comprendre comment Sarko utilise l'histoire en la pervertissant : http://cvuh.free.fr/spip.php?article82, comment se discours sont une déclinaison des fantasmes barrésiens où l'instinct du peuple est une protection contre le défaitisme des intellectuels (l'intellectuel : figure en pointe de la représentation du mal, déjà bien exploitée par Raffarin), comment enfin Sarko s'inscrit dans la ligne réthorique de la droite nationaliste la plus dure, celle de Vichy.

  • Et toujours la nausée...

    (extrait d'un communiqué de la Ligue des Droits de l'Homme - Limoges) 

    Mercredi 17 octobre 2007, le Réseau Education Sans Frontières de Haute Vienne organisait une conférence de presse à la Maison des Droits de l’Homme de Limoges. Il s’agissait de dénoncer l’indignité à laquelle en ont été réduite des jeunes filles obligées de se soumettre à un examen de puberté.

    Depuis plusieurs années, les autorités administratives et judiciaires avaient pris pour habitude de présumer coupables des jeunes étrangers arrivant à Limoges et en possession d’un titre d’état civil indiquant un age inférieur à 18 ans. Ainsi le parquet de Limoges décidait d’utiliser des compétences médicales en astreignant ces jeunes mineurs à devoir passer une radio des os. A plusieurs reprises, des jeunes mineurs ont été poursuivis pour faux et usage de faux avec pour seule pièce à l’appui, le rapport d’un médecin concluant que la personne était probablement majeure.

    Cependant, plusieurs fois, le Tribunal de Grande Instance de Limoges et la Cour d’Appel ont renvoyé les autorités locales dans les cordes en se déclarant incompétents. Par cette prise de position, ils ont clairement signifié que les tests osseux, avec une marge d’incertitude qui peut atteindre les 18 mois, ne permettaient pas d’établir juridiquement l’âge de la personne.

    Loin d’avoir renoncé, dans ce harcèlement judiciaire, la justice n’hésite plus depuis quelque mois à demander à un médecin de procéder à un examen de puberté pour tenter d’établir l’âge de la personne. Il faut imaginer la situation subie par ces deux jeunes filles à Limoges en étant contraintes à un examen dont le seul but était d’établir un rapport médical destiné aux juges. Il faut dire que les éléments figurant dans le rapport comme la description du "système pileux" ou du "sexe" constituent plus un outrage voire une humiliation pour la personne jugée qu’un élément judiciaire probant.

    Ces faits sont aussi à remettre dans le contexte actuel où le gouvernement tente de faire adopter un texte de loi sur les tests ADN. Tout cela s’inscrit dans des pratiques qui visent de plus en plus à instrumentaliser les techniques de la médecine pour en faire des armes contre les êtres humains. On peut surtout s’inquiéter que le rejet de l’étranger se traduise ainsi dans les faits.

  • La douleur des autres

    En ce moment, mes amis souffrent. L'un m'adresse des messages de douleur auxquels je n'ai pu répondre qu'avec un retard coupable (quoiqu'argumenté), un autre divorce pour la deuxième fois et demande au contraire un peu de temps et de distance pour retrouver un entrain dont il se fait une exigence de politesse, un autre encore se morfond dans un hôpital, à moitié paralysé par une attaque cérébrale, enfin, une personne que je connais bien s'inquiète pour sa santé au vu de récents examens... Et je sais que d'autres, qui me sont moins proches, trimbalent leur peine quotidienne sans que j'en sache rien. En fait, je me rends compte que l'approfondissement des relations, le contour des amitiés les plus riches et les plus intimes, sont une confrontation à la douleur des autres. L'amitié dépasse un certain degré de complicité lorsque nous sommes confirmés dans le rôle du soutien aux souffrances des autres. Partager de bons moments, rire ensemble, s'éclater", c'est aussi l'amitié, mais c'en est la face la plus dérisoire, et la moins tangible.

  • De l'origine des dieux

    Bernardino de Sahagun (1500-1590). Traduit par Michel Butor (excusez du peu).

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    De Sahagun est arrivé en Nouvelle Espagne (le Mexique) en 1529. Il entreprit de collecter les légendes du peuple indien et toute sorte de documentation sur les peuples d'avant la conquête. Après avoir transcrit les témoignages, il en réalise une version en langue nahuatl, puis en espagnol. Son travail est resté clandestin, réservé aux prêtres agréés, pendant plus de deux siècles. De Sahagun semblait être animé d'une passion pour les peuples dont il recueillait l'histoire, autrement appelée à disparaître avec ses derniers représentants.

    Ce petit opuscule, traduit par Michel Butor, est constitué d'extraits de l'oeuvre énorme de De Sahagun (12 livres), mais recèle suffisamment de trésors pour justifier que je vous mette l'eau à la bouche. Il y est conté en partie l'histoire de Quetzalcoatl, le serpent à plumes.

    On apprend ainsi que Serpent-à-plumes séduisit la fille du seigneur Huemac, en se pointant nu au marché, vendre des piments verts. La jeune fille remarqua la virilité (sûrement assez spectaculaire) du héros (une sorte de demi-dieu, à la manière d'Hercule) et n'en dormit plus, jusqu'à ce que son père inquiet lui demande la source de son trouble, et qu'elle le lui avoue. Ni une ni deux, le papa, pour apaiser sa fifille toute émoustillée, fait chercher le bougre et en fait son gendre. Le récit décrit encore nombre d'aventures du héros, curieusement préoccupé à imaginer des blagues, meurtrières pour nombre de ses compatriotes toltèques. A tel point qu'on se demande pourquoi, lorsque Serpent-à-plumes décide de voyager et de partir au-delà de l'océan, vers Tula la rouge, le peuple le regrette aussi vivement. Cet exil volontaire de Quetzalcoatl sera, rappelez-vous, l'origine de la prophétie de son retour et causera la fin de l'empire aztèque lorsque, des siècles plus tard, Cortez débarqua et fut pris par Moctezuma, pour Serpent-à-plumes (via l'entremise d'une femme du pays, victime avec sa tribu, de la violence des maîtres aztèques. Mais c'est une autre histoire).

    Chronique un peu rapide, il y aurait encore des milliers de choses à dire, mais elles ressortiront à l'occasion, je vous assure...

  • Flagrant délit

     

    8c907ceedb5d38da5a4a931eae869fc5.jpgAndré Breton surprend toujours ! Même un petit fascicule, acheté au hasard de l'étalage d'un bouquiniste, dépasse par l'intérêt de son contenu, les promesses que vous vous délectiez de faire.

    Il y eut, en 1949, qui s'en souvient ? Une affaire de la "chasse spirituelle", qui permit de déboulonner quelques censeurs convaincus de leur science, quelques experts auto-proclamés, et qui donna à Breton l'occasion d'acérer sa plume à l'acier de ses meilleurs élans de révolte. Ce pour quoi il n'était pas nécessaire de beaucoup le pousser, d'ailleurs.

    La "Chasse spirituelle" est un inédit soudain réapparu de Rimbaud. En 1949, des extraits d'un livre à paraître au "Mercure de France", furent publiés dans la revue "Combat". Breton lut, intrigué. Immédiatement convaincu d'avoir affaire à un faux, il acheta néanmoins le livre pour parfaire son opinion. Définitivement sûr, il écrivit au chroniqueur littéraire de la revue et la polémique commença. Elle enfla dans des proportions drôles et terribles jusqu'au moment où deux comédiens, jadis éreintés par la revue Combat, révélèrent la supercherie : ils étaient les auteurs du pastiche.

    « Flagrant délit » est un pamphlet écrit par le maître du surréalisme, pour faire le point sur l'affaire, et régler leur compte aux critiques inconséquents qui avaient cru reconnaître dans ce style maladroit, des éclats rimbaldiens suprêmes.

    A la suite de ce texte réjouissant, Jean-Jacques Pauvert a eu l'excellente idée d'ajouter les correspondances nées de la polémique entre Breton et les critiques, ainsi que deux textes de Breton sur la peinture réaliste-socialiste, qu'il lamine avec une rigueur et une humanité délectables.

    Je pense que c'est plus ou moins introuvable (imprimé en 1964) autrement que chez des bouquinistes spécialisés. Tant pis pour vous ! Ehe he he...

  • L'émotion rend service à Sarko. Luttons avec la raison

    De la part des enseignants du lycée-collège Carnot, que fréquentait Guy Môquet
       

        Elu président de la République, Nicolas Sarkozy a décidé de faire commémorer dans toutes les écoles de France la mémoire de Guy Môquet, jeune lycéen arrêté en octobre 1940 par la police française et fusillé par l’armée d’occupation le 22 octobre 1941 avec 26 de ses camarades communistes. Voulant ne retenir que son attitude de courage et d’abnégation devant la mort, instruction a été donnée à tous les enseignants de lire à leurs élèves, le 22 octobre 2007, la lettre adressée par Guy Môquet à sa famille peu avant son exécution. Ils sont en outre invités à célébrer dans leur classe les « valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui font la force et la grandeur de notre pays et qui appellent le sens du devoir, le dévouement et le don de soi [...] et les valeurs de courage et d'engagement ». 
        En tant qu’enseignants, nous refusons d’obéir à cette injonction, aussi louable puisse-t-elle paraître sur un plan moral et émotionnel. Et devant l’annonce du président de la République de venir accomplir cette cérémonie commémorative dans notre établissement qui fut aussi celui de Guy Môquet, nous voulons expliquer les raisons de ce refus aussi simplement et aussi précisément que possible.

        Enseignants à Carnot, nous connaissons de longue date cette histoire singulière ; et nombre d’entre nous considèrent de leur devoir ou plus simplement de leur fonction éducative d’expliquer à leurs élèves pourquoi le hall de leur établissement porte le nom d’un jeune homme dont la mémoire fut longtemps inconnue voire oubliée, hors de la tradition communiste. Mais l’évocation de cette histoire s’inscrit pour nous, comme d’ailleurs pour tout enseignant, dans la transmission d’un programme ordonné des connaissances historiques sur cette période, de même qu’elle s’accompagne d’une réflexion critique sur les constructions de mémoire, sur les obéissances aveugles et sur les formes de résistance à l’oppression.

        Comme enseignants, nous avons d’abord et essentiellement à expliquer, à mettre en perspective, à éclairer les zones plus obscures de la mémoire collective qui a tendance à déformer ou à transformer les réalités historiques, y compris pour les réduire, les simplifier, les falsifier ou les instrumentaliser dans un sens ou dans un autre. Pas plus que notre enseignement sur Guy Môquet ne consistait jusqu’ici à exalter ou à condamner son appartenance politique et son statut de résistant, pas plus il ne nous semble aujourd’hui historiquement juste et moralement acceptable d’en réduire l’itinéraire à une leçon de morale édifiante dictée par le seul désir ou le seul calcul du chef de l’exécutif de notre pays. Notre travail d’enseignant n’est pas de renchérir sur des constructions qui magnifient, arrangent, voire manipulent la réalité historique aux fins de masquer les méandres de l’histoire réelle ou aux fins de glorifier, dans une pure contagion émotionnelle, la valeur héroïque et sublime d’une attitude indéniable de courage devant la mort.

        Or, en nous enjoignant de lire à tous les élèves cette lettre simple et poignante d’un jeune homme à sa famille alors qu’il va être exécuté, c’est exactement ce geste de commande émotionnelle qu’on nous demande de faire. Cette injonction relève expressément de la volonté de construire une morale d’Etat dont les enseignants seraient chargés de porter la bonne parole d’autant plus impérieuse qu’elle ferait communier la nation enfantine dans un recueillement fusionnel présenté comme indiscutable, sous peine d’être taxé d’esprit « anti-patriotique ». Contrairement à ce qu’ont pu dire ou écrire certains publicistes, il ne s’agit pas de prétendre que l’enseignement exclut par principe les sentiments et les émotions, et que c’est cette dimension « émotionnelle » qui effraierait les enseignants que nous sommes, trop méfiants à cet égard, trop « intellectuels » comme on dit parfois avec une curieuse insistance. Nous n’avons pas à nier ni à refuser toute dimension émotionnelle, mais nous savons aussi qu’il est très facile, à l’évocation des violences et injustices extrêmes de l’histoire, de faire communier élèves et adultes dans les pleurs, sans apporter pour autant le moindre élément de connaissance ni de compréhension du passé.

        Comme le rappelait l’un d’entre nous dans une tribune rendue publique, seul le cadre d’un enseignement structuré et réfléchi permet d'aborder la complexité de l'histoire en résistant à sa caricature, voire à son déni pur et simple dans une construction idéologique qui ne conserverait que des gestes héroïques déliés de toute épaisseur historique. Cette cérémonie d’édification morale à laquelle on nous enjoint d’apporter notre concours d’enseignants ne correspond en rien à l'idée qu’on est en droit de se faire d'un service public et laïque d'éducation nationale ; elle tend bien davantage à instrumentaliser cette mission pour mener une stricte opération de communication politique d’autant plus détestable qu’elle se couvre de manière insistante d’un manteau de grandeur morale.

        Il ne s’agit donc pas d’opposer une mémoire à une autre, une idéologie à une autre, mais de rappeler sans faux-fuyants que notre mission d’enseignants n’est pas d’être des prêcheurs de morale officielle, même si nous sommes aussi des éducateurs au sens plein du terme comme le rappelait le président de la République dans sa récente « Lettre » aux enseignants. Par conséquent, nous demandons que le ministre de l’Education nationale applique avec clarté et simplicité la volonté réaffirmée dans cette lettre de « laisser aux professeurs le libre choix de leur pédagogie » (Nicolas Sarkozy,  Lettre aux éducateurs, p. 28). Forts de cette « confiance » qui nous est reconnue du fait de notre statut et de notre mission institutionnelle, nous savons et saurons user de notre « capacité de jugement » pour solliciter en cours les documents que nous jugeons appropriés à l'étude réfléchie des programmes que nous avons la charge d’enseigner. C’est le meilleur usage de la « valeur de liberté » pédagogique qui est précisément la nôtre, seule justification de notre métier comme le rappelait encore cette « Lettre ». A moins que les mots utilisés en la circonstance par le président de la République ne soient précisément que des mots de circonstance, aussi vite oubliés que proférés — ce que nous nous refusons à croire.

        C’est pourquoi nous serons présents ce lundi 22 octobre devant le lycée Carnot, non pour obéir à une injonction qui n’a rien à voir avec notre travail d’enseignants, mais pour exprimer notre volonté de poursuivre sereinement ce travail de transmission des connaissances et de réflexion sur les valeurs, loin de l’agitation médiatisée et de la récupération politicienne dont la commémoration de la mémoire de Guy Môquet n’est aujourd’hui que le triste prétexte.

  • Deuil intransmissible

    Il y a des concepts qui ressortissent de notre histoire personnelle de façon tellement intime qu'ils restent à jamais intransmissibles. Je me suis ainsi résigné à ne pas savoir faire partager aux autres le deuil que je porte de la disparition des néandertaliens. C'est ainsi, il a bien fallu que je m'y fasse, mais je ne peux que regretter l'indifférence de mes interlocuteurs lorsque, mobilisé par une émotion réelle, j'essaie d'expliquer la tristesse dont nous devrions tous être submergés en pensant à la disparition de l'homme de Néandertal.

    Et, au fait, moi, pourquoi m'émeus-je de cela ? C'est que, il y a 28 000 ans (l'an dernier, j'aurais écrit 50 000, mais de nouvelles découvertes... Bref), disparaissait la seule AUTRE espèce humaine. Comprenez-vous ce vertige ? Une AUTRE ESPECE HUMAINE... Avec une pensée, une culture, un langage, des rites, une compréhension autre, dont nous sommes aujourd'hui -j'en suis certain- en manque. Ils nous manquent, nos frères néandertaliens, nous en sommes orphelins sans espoir de chance nouvelle. Il fut un temps où sur le globe, deux espèces humaines se côtoyaient. Cela seul me donne le vertige.

    Ils seraient encore là, nos frères néandertaliens, quelles fautes nous auraient-ils empêché de commettre, quelles idées nous auraient-ils aidé à réaliser, quel souci de l'autre nous obligeraient-ils à avoir ?

    Bien sûr, vous n'avez pas tenu en main une pointe levallois ou un racloir moustérien, alors vous ne pouvez peut-être pas comprendre le frisson qui parcourt l'échine de qui touche du doigt la trace manifeste d'une autre intelligence. Ce que devrait ressentir le premier homme qui saisira l'objet abandonné par quelque extraterrestre, je suppose.